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12/03/2019 | FRANCE | N°18/04946

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2° chambre, 12 mars 2019, 18/04946


Grosse + copie

délivrées le

à







COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



2° chambre



ARRET DU 12 MARS 2019



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/04946 - N° Portalis DBVK-V-B7C-N2XJ



jonction avec le dossier RG. : 18/04947





Décision déférée à la Cour : Décision du 12 SEPTEMBRE 2018

CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE CARCASSONNE







APPELANTS :



Madame [W] [N]

née le [Date naissance 1] 1960 à [Local

ité 7]

[Adresse 3]

[Localité 2]

convoquée par LRAR - AR signé

présente et assistée de Me André BRUNEL, avocat au barreau de MONTPELLIER



Maître [Z] [D]

[Adresse 5]

[Localité 2]

convoqué par LRAR - AR signé
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Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2° chambre

ARRET DU 12 MARS 2019

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/04946 - N° Portalis DBVK-V-B7C-N2XJ

jonction avec le dossier RG. : 18/04947

Décision déférée à la Cour : Décision du 12 SEPTEMBRE 2018

CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE CARCASSONNE

APPELANTS :

Madame [W] [N]

née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Localité 2]

convoquée par LRAR - AR signé

présente et assistée de Me André BRUNEL, avocat au barreau de MONTPELLIER

Maître [Z] [D]

[Adresse 5]

[Localité 2]

convoqué par LRAR - AR signé

présent et assisté de Me Jean-Marie BEDRY de la SELARL BEDRY-JULHE-BLANCHARD BJB, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES :

SELARL [U] [G]-[F] - [W] [N] - [Z] [D]

[Adresse 4]

[Localité 2]

convoquée par LRAR - AR signé

Maître [U] [G]-[F]

[Adresse 4]

[Localité 2]

convoquée par LRAR - AR signé

présente et assistée de Me Stéphane RUFF, avocat au barreau de TOULOUSE

Maître [Z] [D]

[Adresse 5]

[Localité 2]

convoqué par LRAR - AR signé

présent et assisté de Me Jean-Marie BEDRY de la SELARL BEDRY-JULHE-BLANCHARD BJB, avocat au barreau de TOULOUSE

Madame [W] [N]

née le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 7]

[Adresse 3]

[Localité 2]

convoquée par LRAR - AR signé

présente et assistée de Me André BRUNEL, avocat au barreau de MONTPELLIER

LE CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE CARCASSONNE

[Adresse 6]

[Localité 2]

convoqué par LRAR - AR signé

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l'article 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 FEVRIER 2019, en chambre du conseil, Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre

Madame Anne-Claire BOURDON, conseiller

Monsieur Yves BLANC-SYLVESTRE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Hélène ALBESA

Ministère public :

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.

ARRET :

- réputé contradictoire

- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;

- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre, et par Madame Hélène ALBESA, greffier.

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

[U] [G] [F], qui exerçait à titre individuel la profession d'avocat au barreau de Carcassonne, a créé, le 17 octobre 2007, la Selarl [U] [G] [F], dont elle était l'associée unique, société au capital de 8 000 euros réparti en 80 parts sociales de 100 euros chacune.

Mme [G] [F] a cédé à la Selarl ainsi constituée le droit de présentation de sa clientèle et les éléments corporels de son cabinet pour le prix de 150 000 euros intégralement financé au moyen d'un emprunt contracté auprès de la banque populaire du Sud.

[W] [N] et [Z] [D], également avocats au barreau de Carcassonne, ont été agréés comme nouveaux associés et ont apporté, chacun, une somme de 1 000 euros représentative du droit de présentation de leur clientèle et de la valeur de leurs biens mobiliers ; le capital de la Selarl, devenue à compter du 17 novembre 2008 la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D], a été augmenté à la somme de 10 000 euros divisée en 100 parts égales et chacun des deux nouveaux associés a reçu 10 parts sociales d'une valeur nominale de 100 euros ; les statuts de la Selarl ont été mis à jour le 1er décembre 2008.

Un acte intitulé « promesse synallagmatique de cession de parts sociales » a également été signé le 17 novembre 2008 entre les trois associés, contenant les stipulations suivantes :

Article 1 - convention : « Par les présentes, le cédant s'engage irrévocablement à céder à chacun des cessionnaires, qui acceptent et s'engagent à acquérir, sous les garanties ordinaires de fait et de droit en pareille matière, 23,33 % des parts sociales en numéraire qu'elle détient dans la Selarl d'avocats [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] au plus tôt à compter du 1er janvier 2013 et au plus tard le 30 septembre 2013, afin qu'à la date de cession effective, les trois associés disposent chacun de 33,33 % du capital en numéraire et se retrouvent à égalité de participation et de rémunération ».

Article 2 - prix des parts cédées : « Le prix de vente des parts cédées est consenti et accepté à la valeur nominale de 100 euros la part sous la condition toutefois que les cessionnaires se portent cautions solidaires à l'instar et aux côtés de Me [U] [G] [F] du solde de l'emprunt contracté par la société (...) pour un montant de 150 000 euros (...) dont l'objet était de financer la cession de clientèle du cabinet d'avocat indépendant de Me [U] [G] [F], du droit au bail, mobilier et documentation lui appartenant ».

Ce même acte comporte des stipulations relatives au retrait d'un associé et aux modalités de distribution du résultat :

Article 3 - retrait d'un associé : « (...) Les soussignés, seuls associés de la Selarl [U] [G]- [F]- [W] [N] - [Z] [D] conviennent que la société s'engage à racheter les parts sociales de l'associé exerçant son droit de retrait pendant la durée de la présente convention.

Le prix des parts devant être rachetées pendant la durée de la présente convention aura lieu également à la valeur nominale de 100 euros la part.

Toutefois, il est expressément convenu que, lors du retrait d'un des associés, ce dernier aura le choix entre :

- le rachat de ses parts sociales par la société à la valeur nominale,

- ou la reprise, par l'avocat exerçant son droit de retrait, de la clientèle et des dossiers qu'il aura non seulement apportés mais également développés dans le cadre de la société en lieu et place de l'indemnité de rachat de ses parts sociales ».

Article 4 - distribution du résultat: « Les soussignés, (...) conviennent, à l'unanimité, que le résultat disponible dégagé à chaque exercice après dotation de la réserve légale, sera intégralement distribué aux associés selon des modalités différentes des dispositions statutaires actuelles.

Ils conviennent à ce titre :

- que le cédant percevra jusqu'à la cession, objet des présentes (...), un acompte sur bénéfices de 4 300 euros par mois,

- que chacun des deux cessionnaires percevra jusqu'à la cession, objet des présentes (...), un acompte sur bénéfices de 3 000 euros par mois,

- que, dans le cas où l'acompte sur bénéfices dépasserait la somme globale mensuelle ci-dessus de 10 300 euros (4 300 + 3 000 + 3 000) et serait compris entre 10 300 et 16 800 euros, la répartition de cette seule portion de bénéfice se fera à 20 % pour Me [G] [F], à 40% pour Me [N] et 40 % pour Me [D],

- que si l'acompte sur le bénéfice mensuellement distribuable dépassait la somme de 16 800 euros, ce reliquat sera partagé en trois parts égales entre les trois associés ».

Le 1er décembre 2008, il a été décidé, lors d'une assemblée générale, de fixer la rémunération des trois cogérants statutaires à hauteur des sommes mensuelles de 4 300 euros pour Mme [G]- [F] et de 3 000 euros, chacun, pour Mme [N] et M. [D].

Les relations entre les associés se sont dégradées à compter de l'automne 2016, Mme [N] et M. [D], qui avaient été convoqués, le 17 octobre 2016, devant le conseil de l'ordre pour un arriéré de cotisations de retraite dû à la Caisse nationale des barreaux français (la CNBF) suspectant alors que Mme [G] [F] avait encaissé, de 2012 à 2015, des rémunérations d'un montant supérieur à celui de ses co-associés.

Une assemblée générale des associés de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] s'est tenue le 16 décembre 2016 au cours de laquelle ont été notamment approuvés les comptes des exercices clos les 30 septembre 2013, 30 septembre 2014 et 30 septembre 2015, seule Mme [G] [F], associée majoritaire, ayant voté en faveur des résolutions à l'ordre du jour.

Le 24 janvier 2017, Mme [N] et M. [D] ont notifié à la Selarl leur retrait de la société à effet du 30 janvier 2017 ; entre-temps, le 28 janvier 2017, ceux-ci ont quitté les locaux professionnels du [Adresse 4], emportant avec eux les dossiers de leurs clients, outre leur mobilier personnel.

Une nouvelle assemblée générale des associés de la Selarl s'est réunie le 14 mars 2017 au cours de laquelle ont notamment été approuvés les comptes de l'exercice clos le 30 septembre 2016 malgré l'opposition de Mme [N] et M. [D] ; l'assemblée générale a également pris acte de la démission de ces derniers de leurs fonctions de cogérants à effet du 1er février 2017, mais non de leur retrait de la société.

Parallèlement, Mme [G] [F] a résilié, à effet du 1er décembre 2017, le bail qui liait la Selarl [U] [G]-[F] - [W] [N] - [Z] [D] à la société civile immobilière Etoilée, constituée à parts égales entre les trois associés en vue de l'acquisition des locaux professionnels.

Le 20 mars 2018, Mme [N] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Carcassonne sur le fondement de l'article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 afin de statuer, en présence de M. [D], sur le différend professionnel l'opposant à Mme [G]- [F] et à la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] aux fins de :

- constater purement et simplement la cession des parts sociales au plus tard à effet du 30 septembre 2013,

- prononcer la nullité des délibérations par lesquelles Me [G] [F] a validé ses rémunérations sur 2013, 2014, 2015 et 2016 pour abus de majorité lors des assemblées générales des 19 septembre 2016 et 14 mars 2017,

- constater son retrait en date des 23 et 30 janvier 2017 en application de l'article 15.4. 3 des statuts organisant la procédure de retrait conformément aux modalités prévues par le pacte d'associés du 17 novembre 2008,

- valoriser les parts de l'associé retrayant en faisant appel à un expert qui procédera à la revalorisation desdites parts,

- condamner Me [G] [F] à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et financier et 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.

M. [D] a, le 18 avril 2018, saisi aux mêmes fins le bâtonnier de l'ordre.

Par décision du 12 septembre 2018, le bâtonnier s'est déclaré incompétent pour connaître du litige soumis à son arbitrage.

Mme [N] a régulièrement déféré cette décision à la cour par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 28 septembre 2018, reçue le 3 octobre suivant (procédure enrôlée sous le n° 18/04946).

M. [D] a également formé un appel régulier de cette décision par lettre remise le 5 octobre 2018 au greffe contre récépissé (procédure n° 18/04947).

En l'état des conclusions, qu'elle a déposées le 19 décembre 2018 via le RPVA, Mme [N] demande à la cour de :

- infirmer la décision du bâtonnier de Carcassonne du 12 septembre 2018 dans toutes ses dispositions et évoquant,

Vu la convention du 17 novembre 2008,

- constater la cession de 23,30 % des parts sociales de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] et le transfert de leur propriété à son profit à compter du 30 septembre 2013 et dire et juger qu'à compter de cette date, elle détenait 33,33 % des parts de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D],

- prononcer la nullité des délibérations par lesquelles Me [G] a validé ses rémunérations pour 2013, 2014, 2015 et 2016 pour abus de majorité, lors des assemblées générales des 16 décembre 2016 et 14 mars 2017,

Vu l'article 3 de la convention du 17 novembre 2008,

- constater la validité de son retrait au 30 janvier 2017 de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] et dire et juger que ses parts sociales sont devenues propriété de la Selarl, la contrepartie étant la reprise de ses dossiers,

- annuler pour abus de majorité les délibérations des assemblées des 16 décembre 2016 et 14 mars 2017 par lesquelles il a été décidé de mettre au compte « autres réserves » les bénéfices de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] des années 2013, 2014, 2015 et 2016,

- condamner la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] à procéder à la distribution des bénéfices à chaque associé à hauteur de 33 33 % correspondant à leurs parts sociales,

Vu les articles 1843-5 du code civil, 223-22 et 223-23 du code de commerce,

A titre principal,

- constater que Me [G] a perçu un avantage indu de 120 076 euros (93 810 euros de rémunération indues + 26 266 euros de cotisations sociales),

- condamner Me [G] à lui payer la somme de 40 025 euros,

A titre subsidiaire et dans le cas où la cour ne condamnerait pas Me [G] à lui payer la somme de 40 025 euros,

- condamner Me [U] [G] à rapporter à la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] la somme de 120 076 euros et dire et juger que la Selarl reversera chaque associé la somme de 40 025 euros au titre de la répartition des bénéfices,

- condamner Me [G] à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral qu'elle a subi, outre la somme de 5 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

De son côté, M. [D], dont les dernières conclusions ont été déposées le 5 février 2019, sollicite également de voir infirmer la décision du bâtonnier de Carcassonne du 12 septembre 2018, dire que le bâtonnier de Carcassonne avait compétence pour statuer sur le fond du litige et, évoquant ledit litige au fond :

- constater la cession de 23,33 % des parts sociales de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] et leur transfert de propriété à son bénéfice à compter du 30 septembre 2013,

- dire et juger qu'à compter du 30 septembre 2013, il détenait en conséquence 33,33 % des parts de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D],

- déclarer nulles les délibérations par lesquelles Me [G] a validé ses rémunérations pour 2013, 2014, 2015 et 2016 par abus de majorité dans le cadre des assemblées générales du 16 décembre 2016 et du 14 mars 2017,

- constater la validité de son retrait de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] avec effet à compter du 30 janvier 2017,

- dire et juger qu'à compter du 30 janvier 2017, ses parts sociales sont devenues la propriété de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] en raison de la reprise de ses dossiers conformément à l'article 3 de la convention entre les parties,

- annuler pour abus de majorité les délibérations des assemblées générales du 16 décembre 2016 et du 14 mars 2017 par lesquelles il a été décidé de mettre au compte « autres réserves » les bénéfices de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] pour les années 2013 à 2016,

- condamner, en conséquence, la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] à distribuer les bénéfices des années 2013 à 2016 à chaque associé à hauteur de 33,33 % correspondant à leurs parts sociales,

- constater que Me [G] a perçu des rémunérations indues de 93 810 euros outre des avantages indus de 26 266 euros au titre de la prise en charge par la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] des charges sociales afférentes aux dites rémunérations, soit un total de 120 076 euros,

- condamner Me [G] à lui payer la somme de 40 025 euros au titre du préjudice afférent à ses détournements,

- à défaut et subsidiairement, condamner Me [U] [G] à payer à la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] la somme de 120 076 euros et dire et juger que la Selarl reversera à chacun des associés la somme de 40 025 euros ,

- en tout état de cause, condamner Me [U] [G] à lui verser la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles.

La Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] et Mme [G] [F] demandent à la cour, au visa de l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, des articles L. 221-14 et L. 223-23 du code de commerce, des articles 1108 et 1131 (anciens) du code civil, des statuts de la Selarl et de la jurisprudence au titre du principe de l'estoppel, de :

- débouter Me [N] et Me [D] de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

- accueillir la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] dans sa demande reconventionnelle,

Vu le retrait de Me [D] et Me [N],

- dire et juger que ce retrait est intervenu par reprise d'éléments d'actifs,

- dire et juger que la décision à intervenir vaudra constat du rachat par la Selarl des parts des retrayants, Me [D] et Me [N], qui seront en conséquence annulées,

Vu la valorisation de la Selarl,

Vu l'aveu de Me [D] de la reprise d'éléments d'actifs à hauteur d'un tiers de la clientèle existante,

- condamner Me [Z] [D] au paiement d'une soulte de 93 300 euros,

- condamner Me [W] [N] au paiement d'une soulte de 35 900 euros,

- condamner solidairement Me [N] et Me [D] au paiement d'une indemnité de 6000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Carcassonne, convoqué par deux lettres recommandées avec demande d'avis de réception reçues le 17 octobre 2018, n'a pas comparu.

Le ministère public, auquel les dossiers ont été communiqués, a indiqué s'en rapporter. MOTIFS de la DECISION :

Il convient, en premier lieu, de prononcer la jonction des procédures enrôlées sous les n° 18/04946 et 18/04947, qui sont relatives à l'appel de la même décision.

L'article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques), dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, dispose que tout différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel est, en l'absence de conciliation, soumis à l'arbitrage du bâtonnier qui, le cas échéant, procède à la désignation d'un expert pour l'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats ; en l'occurrence, c'est à tort que le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Carcassonne s'est déclaré incompétent pour connaître du litige soumis à son arbitrage au motif que le litige opposant les parties est essentiellement circonscrit au contentieux de la cession, de la valorisation et de la transmission des parts sociales de la Selarl et que seul le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés a compétence, sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil, pour ordonner une expertise tendant à la fixation de la valeur des droits sociaux à défaut d'accord des parties, alors que l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, qui est un texte spécial applicable aux avocats, lui attribue compétence pour régler tout différend entre avocats né à l'occasion de leur exercice professionnel, ce qui inclut notamment le contentieux relatif au retrait des associés d'une Selarl d'avocats et à la valorisation des droits sociaux des associés retrayants.

La décision du bâtonnier doit dès lors être infirmée et il convient, afin de donner à l'affaire une solution définitive, d'évoquer les points non jugés.

1- la demande de Mme [N] et de M. [D] tendant à ce que soit constatée la cession à chacun d'eux, à effet du 30 septembre 2013, de 23,33% des parts sociales de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] :

L'acte intitulé « promesse synallagmatique de cession de parts sociales » dispose, à l'article 1 « Convention », que le cédant (Mme [G] [F]) s'engage irrévocablement à céder à chacun des cessionnaires (Mme [N] et M. [D]), sous les garanties ordinaires de fait et de droit en pareille matière, 23,33 % des parts sociales en numéraire qu'elle détient dans la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] au plus tôt le 1er janvier 2013 et au plus tard le 30 septembre 2013, afin qu'à la date de cession effective les trois associés disposent chacun de 33,33 % du capital en numéraire et se trouve à égalité de participation et de rémunération ; il est précisé à l'article 2 de l'acte que le prix de vente des parts cédées est consenti et accepté à la valeur nominale à savoir 100 euros la part sous la condition toutefois que les cessionnaires se portent cautions solidaires à l'instar et aux côtés de Me [U] [G] [F] du solde de l'emprunt contracté par la société suivant acte notarié passé en l'étude de Me [S] [O], notaire [Localité 2], le 9 novembre 2007, auprès de la banque populaire du Sud, pour un montant de 150 000 euros d'une durée de 84 mois remboursable en 84 échéances de 2148,01 euros chacune dont l'objet était de financer la cession de clientèle du cabinet d'avocat indépendant de Me [U] [G] [F], du droit au bail, mobilier et documentation lui appartenant ; cette promesse, qui contient l'engagement irrévocable de Mme [G] [F] de céder à Mme [N] et M. [D] 23,33%, chacun, des parts sociales détenues par elle au sein de la Selarl et l'engagement réciproque de ces derniers d'acquérir lesdites parts, caractérise donc un accord sur la chose et sur le prix et vaut vente au sens de l'article 1589 du code civil.

Si les parties à l'acte ont convenu que la cession des parts sociales devait intervenir au plus tôt à compter du 1er janvier 2013 et au plus tard le 30 septembre 2013 afin qu'à la date de cession effective les trois associés disposent chacun de 33,33 % du capital social, elles n'ont nullement spécifié que le défaut de réitération d'un acte de cession entre ces deux dates emporterait caducité de la cession ; elles se sont bornées à reporter les effets de la cession intervenue en vertu de l'acte du 17 novembre 2008 à une date ultérieure en convenant que l'acte serait passé entre le 1er janvier et le 30 septembre 2013, le terme correspondant à la date butoir du 30 septembre 2013 n'étant que suspensif de l'obligation de signer l'acte régularisant la cession des parts sociales ; à défaut de clause expresse dans la promesse, le dépassement de la date fixée pour la signature de l'acte réitératif de la cession ne peut, en effet, entraîner la caducité de la promesse et permet à l'une des parties d'exiger de l'autre la signature de l'acte de cession.

L'acte du 17 novembre 2008 constitue l'écrit exigé par l'article L. 221-14 du code de commerce, applicable par renvoi de l'article L. 223-17, et il importe peu que les formalités de signification ou de publicité de la cession de parts sociales prévues par ce texte n'aient pas été effectuées, qui n'affectent pas la validité de la cession, mais seulement son opposabilité à la société et aux tiers.

Mme [G] [F] n'est pas fondée à soutenir que la promesse synallagmatique de vente est devenue caduque au motif que le prix n'a pas été payé et que ni Mme [N], ni M. [D] n'ont offert de le payer, alors qu'en droit, la validité d'une vente n'est pas subordonnée au paiement du prix ; de même, la condition prévue à l'article 2 de l'acte selon laquelle les cessionnaires devront se porter cautions solidaires du solde de l'emprunt contracté par la Selarl suivant acte notarié du 9 novembre 2007, n'affecte pas la validité de la cession de parts sociales, mais seulement le prix de vente convenu, les parties n'ayant, en effet, fixé le prix de vente des parts cédées sur la base de 100 euros la part qu'à la condition que les cessionnaires se portent cautions solidaires du remboursement du solde de l'emprunt.

Elle ne peut davantage prétendre que la cause de la promesse a disparu dès l'instant où Mme [N] et M. [D] ont décidé de se retirer de la Selarl et de notifier ainsi la disparition de leur affectio societatis en renonçant à bénéficier d'une participation capitalistique plus élevée dans la société ; le fait que les intéressés se sont retirés de la société à la date du 30 janvier 2017 n'entraîne pas, en effet, la disparition rétroactive de la cause de leur engagement qui était, aux termes de l'acte du 17 novembre 2008, d'acquérir 23,33 % des parts sociales détenues par leur coassocié en contrepartie d'un prix de cession fixé à 100 euros la part, la cause de leur engagement devant s'apprécier, non pas lors de l'exercice de leur droit de retrait, mais au moment où l'engagement a été contracté.

En vertu du principe de l'estoppel, nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, ce qui signifie qu'au cours d'une même instance, un plaideur ne peut adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions de nature à induire en erreur son adversaire ; en l'espèce, dans leur demande d'arbitrage adressée au bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Carcassonne, Mme [N] et M. [D] ont sollicité que soit constatée la cession des parts sociales au plus tard à effet du 30 septembre 2013 en faisant notamment valoir qu'ils avaient, à plusieurs reprises, demandé à Mme [G] [F] de régulariser les formalités subséquentes (actes définitifs de cession, modification des statuts ...), lesquelles n'ont pu l'être que du fait des difficultés familiales et personnelles invoquées par celle-ci (sic) ; ils n'ont nullement laissé à penser que n'ayant pas levé l'option, la cession de parts sociales, qui leur avait été consentie, est devenue caduque, adoptant ainsi une position procédurale contraire à celle, qu'il soutiennent et qui vise à faire constater l'existence d'une cession, ferme et définitive ; c'est donc vainement que Mme [G] [F] prétend que leur prétention est irrecevable.

Il résulte de ce qui précède que, dans leurs rapports avec leur coassocié, Mme [N] et M. [D] doivent être considérés comme cessionnaires, chacun, de 23,33 % des parts sociales de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D], leur ayant été cédées par Mme [G] [F], à la date du 30 septembre 2013, qui est la date limite à laquelle la cession aurait dû être régularisée conformément à l'acte du 17 novembre 2008.

2- la demande de nullité des délibérations des assemblées générales des 16 décembre 2016 et 14 mars 2017 ayant validé les rémunérations de Mme [G] [F] :

Lors des assemblées générales des 16 décembre 2016 et 14 mars 2017, les délibérations litigieuses ont été adoptées par 80 voix, que détenait Mme [G] [F], contre 20 voix, que détenaient, ensemble, Mme [N] et M. [D] ; les délibérations ainsi adoptées fixent comme suit la rémunération de gérant de Mme [G] [F] :

- 99 000 euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2013

- 80 000 euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2014

- 71 000 euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2015

- 76 710 euros pour l'exercice clos le 30 septembre 2016

La cession de parts sociales découlant de l'acte du 17 novembre 2008 n'ayant pas alors été rendue opposable à la société dans les conditions de forme prescrites à l'article L. 221-14 du code de commerce, il ne peut être soutenu que les délibérations ont été, en réalité, rejetées par 66,66% des voix contre 33,33% en prenant en compte la répartition du capital social résultant de cet acte.

Mme [N] et M. [D] prétendent également que ces délibérations sont nulles au motif qu'elles sont contraires à l'intérêt social et procèdent donc d'un abus de majorité ; ils soulignent que tel est le cas lorsque, comme en l'espèce, la rémunération du gérant s'avère excessive eu égard à la situation financière ou aux performances de l'entreprise.

Il est de principe qu'est constitutive d'un abus de majorité la décision prise contrairement à l'intérêt social, dans l'unique dessein de favoriser les associés majoritaires, au détriment des associés minoritaires ; en l'occurrence, Mme [N] et M. [D] affirment avoir découvert, lors de leur comparution devant le conseil de l'ordre en octobre 2016, pour un arriéré de cotisations dû à la CNB au titre des années 2015 et 2016, que Mme [G] [F] avait perçu, de 2012 à 2015, des rémunérations d'un montant supérieur à celui, qu'ils avaient eux-mêmes perçu, et que le montant de ces prélèvements n'est pas justifié par le fait que Mme [G] [F] aurait apporté à la Selarl une clientèle importante et un chiffre d'affaires plus conséquent ; pour les seuls exercices concernés par les délibérations prises lors des assemblées générales des 16 décembre 2016 et 14 mars 2017, Mme [G] [F] a perçu effectivement des rémunérations supérieures à celles qui ont été versées à Mme [N], soit 90 000 euros en 2013, 45 916 euros en 2014, 60 000 euros en 2015 et 45 000 euros en 2016, et à M. [D], soit 90 000 euros en 2013, 45 867 euros en 2014, 60 000 euros en 2015 et 45 000 euros en 2016, les rémunérations perçues par Mme [G] [F] représentant 35 % à 46 % du total des rémunérations, tandis que celles versées à Mme [N] et M. [D], également cogérants de la société, variant de 26% à 32 % du total pour chacun d'eux.

Pour autant, Mme [N] et M. [D] n'ont jamais sollicité, depuis l'assemblée générale du 1er décembre 2008 ayant fixé la rémunération des trois cogérants statutaires selon un mode inégalitaire (4300 euros + 3000 euros + 3000 euros) par référence à l'acte du 17 novembre 2008 prévoyant jusqu'à la cession la perception d'acomptes sur bénéfices dans les mêmes proportions inégalitaires (42%, 29%, 29%) sur une première tranche de 10 300 euros, la tenue d'une assemblée générale destinée à statuer sur la rémunération des cogérants, alors que les intéressés avaient les moyens de connaître le montant des rémunérations perçues, telles que figurant dans les comptes de résultats détaillés établis par le cabinet expertise comptable KPMG, qu'ils pouvaient aisément se procurer ; surtout, il n'est pas établi en quoi la perception par Mme [G] [F] d'une rémunération plus importante serait contraire à l'intérêt social, alors que celle-ci avait la charge de la gestion administrative et comptable de la société dont ses coassociés se sont de toute évidence désintéressés, que les résultats de la Selarl ont été bénéficiaires de 2013 à 2016 avec un chiffre d'affaires compris entre 427 288 euros et 649 635 euros et qu'il est seulement produit aux débats les extraits des comptes bancaires ouverts au nom de la société auprès de la BNP et du Crédit Lyonnais, dont il résulte des soldes débiteurs de 15 374,09 euros et de 10 961,12 euros à la date du 21 novembre 2016, soit postérieurement à la clôture du dernier exercice comptable litigieux.

L'article 17.7 des statuts de la Selarl mis à jour le 1er décembre 2008 dispose que le montant et les modalités de paiement de la rémunération du gérant seront déterminées par la décision collective ordinaire des associés ; aucune disposition des statuts ne prévoit en revanche que la rémunération du gérant doit être fixée à l'avance, avant que les sommes correspondantes soient prélevées, et qu'il serait ainsi interdit à l'assemblée générale des associés de régulariser, après sa perception, la rémunération du gérant.

Il s'ensuit que Mme [N] et M. [D] ne peuvent qu'être déboutés de leur demande de nullité des délibérations des assemblées générales des 16 décembre 2016 et 14 mars 2017 ayant validé les rémunérations de Mme [G] [F].

3- le retrait de Mme [N] et M. [D] de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] :

L'article 15.4.1 des statuts dispose que l'avocat associé exerçant sa profession au sein de la société peut cesser son activité à la condition d'en informer la société et les associés par lettre recommandée avec demande d'avis de réception au moins trois mois à l'avance et l'article 15.4.3 que dans le cas où l'associé désirant se retirer demande le rachat de ses parts, celles-ci sont rachetées à la diligence de la gérance dans un délai de six mois à compter de la notification du retrait, le prix de cession et les modalités de paiement du prix étant déterminés conformément aux dispositions de l'article 10. 1. des statuts ; cependant, l'acte du 17 novembre 2008, dont les parties s'accordent à reconnaître qu'il constitue un pacte social ayant force obligatoire entre eux, prévoit, à l'article 3, des modalités de retrait particulières, puisque y est expressément convenu que lors du retrait d'un des associés, ce dernier aura le choix entre le rachat de ses parts sociales par la société à la valeur nominale ou la reprise, par l'avocat exerçant son droit de retrait, de la clientèle et des dossiers qu'il aura non seulement apportés mais également développés dans le cadre de la société en lieu et place de l'indemnité de rachat des parts sociales.

Au cas d'espèce, Mme [N] et M. [D] ont, par acte d'huissier de justice du 24 janvier 2017, notifié à Mme [G] [F] et à la Selarl leur retrait à effet du 30 janvier 2017, imputant à leur coassociée diverses violations du pacte social comme la perception de prélèvements sur numéraires supérieurs à ceux dont ils avaient eux-mêmes bénéficié et le financement par la société de dépenses personnelles ; ils ont à cette occasion indiqué qu'ils effectuaient la reprise de la clientèle et des dossiers qu'ils avaient apportés, mais également développés dans le cadre de la société en lieu et place de l'indemnité de rachat des parts sociales, la liste des dossiers repris par chacun d'eux se trouvant annexée à l'acte de retrait ainsi notifié le 24 janvier 2017.

Il n'existe aucune contestation quant à la date d'effet du retrait, que Mme [N] et M. [D] ont fixé unilatéralement au 30 janvier 2017, et aux dossiers repris par ces derniers notamment sur le point de savoir s'il s'agit de dossiers apportés mais également développés par chacun d'eux dans le cadre de la société ; il convient dès lors de dire que le retrait de Mme [N] et M. [D] de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] est effectif à la date du 30 janvier 2017 et que les parts sociales détenues par ces deux associés retrayants, correspondant pour chacun à 33,33 % du capital social, sont devenues la propriété de la Selarl par la reprise de la clientèle et des dossiers en lieu et place de l'indemnité de rachat des parts sociales.

4- l'affectation au compte 'autres réserves' des bénéfices non distribués lors des assemblées générales des 16 décembre 2016 et 14 mars 2017 :

Le montant des bénéfices non distribués, au titre des exercices clos les 30 septembre 2013, 2014, 2015 et 2016, et affecté au compte ' autre réserves', ne représente pas une somme de 85'225,46 euros comme l'indique Mme [N] dans ses conclusions, mais une somme de 63'591,03 euros se décomposant comme suit :

-bénéfice non distribué en 2013.......................... 23'917,86 euros

-bénéfice non distribué en 2014.......................... 23'293,80 euros

-bénéfice non distribué en 2015...........................13'372,20 euros

-bénéfice non distribué en 2016............................ 3007,17 euros

Cette mise en réserve des bénéfices de quatre exercices successifs est intervenue alors que des dissensions étaient apparues entre les associés au mois d'octobre 2016 ; en outre, Mme [G] [F] et la Selarl n'expliquent pas en quoi la mise en réserve subite de bénéfices serait conforme à l'intérêt social, notamment pour faire face à un besoin particulier d'investissement, sachant que l'article 22 des statuts, s'il prévoit un prélèvement de 5 % sur le bénéfice pour constituer le fonds de réserve légale, dispose que le bénéfice distribuable, constitué par le bénéfice de l'exercice diminué des pertes antérieures, est réparti entre tous les associés proportionnellement au nombre de parts qu'ils possèdent ; dès lors, les délibérations des assemblées générales des 16 décembre 2016 et 14 mars 2017 refusant la distribution des bénéfices des exercices 2013 à 2016 affectés au compte 'autres réserves' procèdent d'un abus de majorité de la part de Mme [G] [F]; ces délibérations doivent ainsi être annulées et il convient de condamner la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] à procéder à la distribution de la somme de 63'591,03 euros, montant des bénéfices, entre Mme [G] [F], Mme [N] et M. [D] proportionnellement à leurs droits sociaux, soit 33,33 % chacun.

5- la responsabilité de Mme [G] [F] à l'égard de ses coassociés et de la société à raison de la perception d'un avantage indu de 120'076 euros (93'810 euros + 26'266 euros) :

Mme [N] et M. [D], qui exercent à l'encontre de Mme [G] [F] en sa qualité de cogérante de la Selarl une action individuelle en responsabilité et, subsidiairement, une action en responsabilité ut singuli sur le fondement de l'article L. 223-22 du code de commerce, reprochent à celle-ci d'avoir perçu, sur la période du 1er octobre 2012 au 31 janvier 2017, un montant de rémunérations supérieur de 93'810 euros par rapport au montant perçu par chacun d'eux et d'avoir fait assumer à la société et à ses coassociés a minima 28 % de charges sociales sur cette somme de 93'810 euros, soit 26'266 euros, rompant ainsi le principe d'égalité, qui avait été convenu lors de leur entrée dans la société en 2008.

L'article L. 223-23 du code de commerce énonce que l'action en responsabilité prévue à l'article L. 223-22 se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation ; à cet égard, Mme [G] [F] est fondée à invoquer la prescription de l'action en responsabilité, du moins en ce qui concerne les rémunérations perçues au cours des exercices clos les 30 septembre 2013 et 30 septembre 2014, dès lors que la prétention de Mme [N] et M. [D] fondée sur l'existence de prétendus détournements l'a été dans la demande d'arbitrage, dont ils ont saisi le bâtonnier, respectivement les 20 mars 2018 et 18 avril 2018, soit plus de trois ans après l'établissement des comptes annuels par le cabinet expertise comptable KPMG, le 25 novembre 2013 pour les comptes de l'exercice clos le 30 septembre 2013 et le 26 février 2015 pour les comptes de l'exercice clos le 30 septembre 2014 ; la perception par Mme [G] [F] de rémunérations supérieures à celles de ses coassociés n'a pas, en effet, été dissimulée, puisque le détail des rémunérations perçues par chacun résulte des comptes de résultats, qui étaient à la disposition de Mme [N] et M. [D].

S'agissant des rémunérations perçues par Mme [G] [F] au cours des exercices 2015 et 2016, ayant généré les cotisations sociales correspondantes, elles ont été votées lors des assemblées générales des 16 décembre 2016 et 17 mars 2017, dont les délibérations n'ont pas été annulées puisqu'il n'a pas été démontré en quoi elles seraient contraires à l'intérêt social ; c'est vainement que Mme [N] et M. [D] invoquent une rupture d'égalité, alors que depuis leur entrée dans la société, le versement des rémunérations s'est toujours fait de façon inégalitaire entre les trois associés, ce que traduit le pacte social du 17 novembre 2018 et l'assemblée générale du 1er décembre 2018, qu'ils ne peuvent prétendre, sauf à faire preuve de naïveté, qu'à compter du 30 septembre 2013, la répartition des rémunérations aurait nécessairement dû être égalitaire quand bien même la cession de 23,33 % à chacun d'eux n'était pas intervenue et que la gestion administrative et comptable de la société, dont ils se sont désintéressés, était de fait assumée par Mme [G] [F].

En revanche, Mme [G] [F] a perçu, sur la période du 1er octobre 2016 au 31 janvier 2017, une rémunération de 8000 euros, ainsi qu'il ressort de la situation intermédiaire au 31 janvier 2017 établi par le cabinet d'expertise comptable KPMG, sans que cette rémunération ait été soumise à l'assemblée générale des associés et votée par elle ; l'intéressée, qui s'est ainsi attribuée une rémunération de gérance n'ayant pas été décidée par une résolution de l'assemblée générale, doit être condamnée à la rembourser à la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] qui, l'ayant versée, a subi un préjudice direct ; cette somme de 8000 euros ne peut cependant être considérée comme un bénéfice distribuable, dont Mme [N] et M. [D] seraient fondés à obtenir la répartition au prorata de leurs droits sociaux.

6- la demande de Mme [N] en paiement de la somme de 30'000 euros de dommages et intérêts au titre d'un préjudice moral  :

Pour solliciter une telle somme à titre de dommages et intérêts, Mme [N] invoque la situation financière particulièrement pénible, dans laquelle elle s'est trouvée depuis le mois de septembre 2016, mais n'établit pas en quoi la situation à laquelle elle a été confrontée, l'ayant contrainte de mettre sa maison en vente, procède directement de fautes commises par Mme [G] [F] ; en l'état, cette demande ne peut qu'être rejetée.

7- la demande de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] en paiement d'une soulte de 93 300 euros par M. [D] et d'une soulte de 35'900 euros par Mme [N] :

Après avoir, sur la base de la moyenne des chiffres d'affaires des exercices 2013, 2014 et 2015, proposé de valoriser la clientèle de la société à 370'000 euros correspondant à 70 % de ce chiffre d'affaires moyen, la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] fait valoir que, M. [D] ne détenant que 10 % du capital social et ayant reconnu avoir appréhendé une clientèle représentant a minima 33 % du patrimoine du cabinet, que celui-ci est redevable d'une soulte égale à 96 300 euros, soit : (370'000 euros x 33 %) - 27 000 euros ; partant du postulat que Mme [N] n'a appréhendé, pour sa part, que 17 % de la clientèle de la société, la Selarl soutient que celle-ci est redevable d'une soulte égale à 35'900 euros, soit : (370'000 euros x 17%) - 27 000 euros.

Abstraction faite de l'erreur de calcul du montant de la soulte, qui serait due par M. [D] (qui ne ressortirait qu'à 95'100 euros), et de la demande de la Selar limitée, dans le dispositif de ses conclusions, au paiement de la somme de 93 300 euros, il a été indiqué plus haut que dans les rapports des associés entre eux, Mme [N] et M. [D] doivent être considérés comme détenteurs de 33 33 % des parts sociales de la Selarl à la date du 30 septembre 2013, qui est la date limite à laquelle la cession des 23,33 % aurait dû être régularisée conformément à l'acte du 17 novembre 2008 ; dès lors, il n'est dû aucune soulte par les intéressés, qui ont procédé à la reprise de la clientèle et des dossiers apportés et développés par eux dans le cadre de la société conformément à l'article 3 de l'acte du 17 novembre 2008 ; à supposer même que lors de l'exercice de leur droit de retrait, il n'avaient été détenteurs que de 10 % du capital social, ils auraient été en droit, conformément aux termes clairs du pacte social, d'appréhender les dossiers, qu'ils avaient apportés et développés, même si la clientèle représentative des dossiers repris avait représenté une valeur supérieure au montant de leurs droits sociaux ; la demande en paiement de soultes formée par la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] doit donc être rejetée.

8- les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

Au regard de la solution donnée au règlement du litige, les dépens doivent être mis à la charge de Mme [G] [F], qui doit également être condamnée à payer à Mme [N] et M. [D] la somme de 2000 euros, chacun, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, après débats en chambre du conseil,

Prononce la jonction des procédures enrôlées sous les n° 18/04946 et 18/04947,

Infirme la décision du bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Carcassonne en date du 12 septembre 2018,

Statuant à nouveau et évoquant les points non jugés,

Dit que le bâtonnier de l'ordre était compétent pour connaître du litige soumis à son arbitrage,

Dit que dans leurs rapports avec leur coassocié, [W] [N] et [Z] [D] doivent être considérés comme cessionnaires, chacun, de 23,33 % des parts sociales de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D], leur ayant été cédées par [U] [G] [F], à la date du 30 septembre 2013,

Déboute Mme [N] et M. [D] de leur demande de nullité des délibérations des assemblées générales des 16 décembre 2016 et 14 mars 2017 ayant validé les rémunérations de Mme [G] [F]

Dit que le retrait de Mme [N] et M. [D] de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] est effectif à la date du 30 janvier 2017 et que les parts sociales détenues par ces deux associés retrayants, correspondant pour chacun à 33,33 % du capital social, sont devenues la propriété de la Selarl par la reprise de la clientèle et des dossiers en lieu et place de l'indemnité de rachat des parts sociales,

Condamne la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] à procéder à la distribution de la somme de 63'591,03 euros, montant des bénéfices des exercices 2013 à 2016, entre Mme [G] [F], Mme [N] et M. [D] proportionnellement à leurs droits sociaux, soit 33,33 % chacun,

Déclare l'action en responsabilité prescrite relativement aux rémunérations perçues par Mme [G] [F] au cours des exercices clos les 30 septembre 2013 et 30 septembre 2014,

Déboute Mme [N] et M. [D] de leur action en responsabilité s'agissant des rémunérations perçues par Mme [G] [F] au cours des exercices 2015 et 2016,

Condamne Mme [G] [F] à rembourser à la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] la somme de 8000 euros, montant de la rémunération perçue sur la période du 1er octobre 2016 au 31 janvier 2017,

Déboute Mme [N] de sa demande en paiement de dommages et intérêts au titre d'un préjudice moral,

Rejette la demande de la Selarl [U] [G] [F] - [W] [N] - [Z] [D] en paiement d'une soulte de 93'300 euros par M. [D] et d'une soulte de 35'900 euros par Mme [N],

Met les dépens à la charge de Mme [G] [F] et condamne celle-ci à payer à Mme [N] et M. [D] la somme de 2000 euros, chacun, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Le greffier Le président

JLP


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2° chambre
Numéro d'arrêt : 18/04946
Date de la décision : 12/03/2019

Références :

Cour d'appel de Montpellier 02, arrêt n°18/04946 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-12;18.04946 ?
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