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05/12/2018 | FRANCE | N°15/02091

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 4ème a chambre sociale, 05 décembre 2018, 15/02091


BA/VD



















































4ème A chambre sociale



ARRÊT DU 05 Décembre 2018





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 15/02091 - N° Portalis DBVK-V-B67-L7AK



ARRÊT n°



Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 FEVRIER 2015 CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE

N° RGF13/00230


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APPELANTE :



Association MILLEGRAND ESPERANCE, prise en la personne de son président en exercice domicilié [...]

Représentant : Me Philippe X... de la SELARL CHEVILLARD, X..., avocat au barreau de MONTPELLIER





INTIMEE :



Madame Nathalie Y...

[...]

Représentant : Me Z... de la S...

BA/VD

4ème A chambre sociale

ARRÊT DU 05 Décembre 2018

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 15/02091 - N° Portalis DBVK-V-B67-L7AK

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 FEVRIER 2015 CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE CARCASSONNE

N° RGF13/00230

APPELANTE :

Association MILLEGRAND ESPERANCE, prise en la personne de son président en exercice domicilié [...]

Représentant : Me Philippe X... de la SELARL CHEVILLARD, X..., avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

Madame Nathalie Y...

[...]

Représentant : Me Z... de la SCP GOUIRY / MARY / CALVET / Z..., avocat au barreau de NARBONNE

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 OCTOBRE 2018, en audience publique, devant la Cour composée de:

M. Georges LEROUX, Président de chambre

Mme Véronique DUCHARNE, Conseillère

Mme Martine DARIES, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Brigitte ALARCON

ARRÊT :

- Contradictoire.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

- signé par M. Georges LEROUX, Président de chambre, et par Madame Brigitte ALARCON, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*

**

EXPOSÉ DU LITIGE :

Selon contrat de travail du 1er septembre 2010, Mme Nathalie A... épouse Y... a été engagée par le ministère de l'éducation nationale en qualité de maître contractuel à temps plein et a été affectée à l'établissement E.TCC IMP Millegrand à Trèbes.

Selon contrat de travail du 7 juin 2010, elle a été engagée par l'association Millegrand Espérance à compter du 30 août 2010 en qualité d'institutrice à l'B... Millegrand (institut thérapeutique éducatif et pédagogique), à temps partiel (24 heures hebdomadaires).

Un changement de directeur a eu lieu le 15 janvier 2013, après une période au cours de laquelle une administratrice provisoire a été nommée en remplacement de l'ancien directeur ; décision prise après une inspection de l'Agence régionale de la santé (ARS) à la suite d'un signalement de violences sur un pensionnaire de l'B....

Le 22 janvier 2013, Mme Nathalie Y... et sa collègue Mme Laure C... ont remis à la direction de l'établissement plusieurs écrits dont l'un notifiait qu'elles feraient usage de leur droit de retrait pour insécurité majeure et l'autre relatif à la prise en charge pédagogique présentait un certain nombre de questions.

Par courrier du 11 février 2013, le directeur leur a adressé une réponse.

Entre temps, le 4 février 2013, la salariée a été placée en arrêt de travail.

Le 16 février 2013, Mmes Laure C... et Nathalie Y... ont adressé un nouveau courrier à la direction de l'établissement et ont envoyé la copie de cet écrit à plusieurs instances.

Par lettre du 10 avril 2013, l'association Millegrand Espérance a convoqué la salariée à un entretien préalable fixé le 19 avril 2013.

Par lettre du 26 avril 2013, elle a été licenciée pour faute grave.

Le 10 octobre 2013, Mme Nathalie Y... a saisi le conseil de prud'hommes de Carcassonne, aux fins de voir dire que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse.

Par la suite, elle a sollicité des dommages et intérêts pour harcèlement moral tout en maintenant sa demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 17 février 2015, le conseil de prud'hommes a

- dit que le licenciement de Mme Nathalie Y... n'était justifié par aucune faute et ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse,

- condamné l'association Millegrand Espérance à payer à Mme Nathalie Y... les sommes suivantes :

* 5.389,76 € brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 539,98 € brut au titre des congés payés y afférents,

* 3.593,17 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 19.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 9.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

* 1.250 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- dit que les sommes allouées au titre des rappels de salaire porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine devant le conseil de prud'hommes,

- ordonné la remise des documents de fin de contrat modifiés,

- ordonné le remboursement par l'association Millegrand Espérance aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à 'Mme Y...' du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

- condamné l'association Millegrand Espérance aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration du 17 mars 2018 reçue le 18 mars 2018, l'association Millegrand Espérance a régulièrement interjeté appel de ce jugement.

L'association Millegrand Espérance demande à la Cour

- d'infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Carcassonne le 17 février 2015 dans son intégralité ;

Et statuant à nouveau, de

- dire et juger le licenciement pour faute grave de Mme Nathalie Y... comme étant parfaitement fondé ;

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun acte caractérisant un harcèlement moral ;

- débouter Mme Nathalie Y... de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner Mme Nathalie Y... à verser la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, l'association Millegrand Espérance expose pour l'essentiel que la salariée n'établit aucun fait de harcèlement moral et que son licenciement est fondé au vu de son comportement.

Mme Nathalie Y... demande à la Cour de

- rejeter l'appel principal de l'association Millegrand Espérance ;

- accueillir son appel incident ;

- condamner l'association Millegrand Espérance à lui payer, avec exécution provisoire:

- Dommages-intérêts pour harcèlement moral : 30.000 €

- Indemnité compensatrice de préavis : 5.389,76 €

- Congés payés afférents : 538,98 €

- Indemnité conventionnelle de licenciement : 3.817,75 €

- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 70.000 €

- Indemnité article 700 du Code de procédure civile : 3.500 €

- 'Les entiers dépens';

- dire que les sommes allouées au titre des rappels de salaire et accessoires, porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le conseil de prud'hommes, avec capitalisation pour les intérêts dus au moins pour une année entière,

- ordonner la remise, sous astreinte de 100,00 € par jour de retard, des documents légaux correspondants : bulletins de paie, certificat de travail et attestation Pôle Emploi.

Au soutien de ses demandes, Mme Nathalie Y... expose pour l'essentiel avoir été victime de harcèlement moral. Elle ajoute que son licenciement est nul mais sollicite de la juridiction qu'il soit dit sans cause réelle et sérieuse.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la Cour se réfère aux conclusions écrites auxquelles les parties ont expressément déclaré se rapporter lors des débats.

MOTIFS :

Sur le harcèlement moral.

Selon l'article L.1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En cas de litige, l'article L.1154-1 du même Code prévoit que le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, les conclusions de Mme Nathalie Y... contiennent un paragraphe très succinct consacré à sa demande au titre du harcèlement moral dans lequel il est simplement indiqué que les agissements de harcèlement moral résultent d'une part, des dysfonctionnements graves et persistants dans l'organisation de l'entreprise et dans son travail et d'autre part, du fait que l'employeur n'a donné à ses demandes légitimes aucune suite positive, allant même jusqu'à remettre en cause ses alertes justifiées pour parvenir finalement à son licenciement.

Au soutien de sa demande en paiement de la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts, la salariée verse aux débats les pièces suivantes :

- quelques pages du 'rapport d'inspection concernant les risques environnementaux et l'hygiène' de juillet 2011 émanant de l'agence régionale de santé (ARS), un courrier du 7 juillet 2011 de l'ARS notifiant les 'injonctions suite à l'inspection thérapeutique éducatif et pédagogique de Millegrand' ainsi que des documents des 23 et 26 mars 2012 indiquant que l'inspection a été mise en oeuvre à la suite 'd'un signalement du 119 faisant état de violences de la part de professionnels à l'encontre de jeunes' , qu'elle a mis en évidence de 'graves dysfonctionnements' nécessitant notamment la nomination d'un administrateur provisoire dans la mesure où un contrôle inopiné sur place le 9 décembre 2011 avait démontré que la majorité des injonctions et recommandations n'avait été mise en oeuvre que partiellement et que les mesures prises par la direction n'avaient pas permis de rétablir un fonctionnement de l'établissement conforme à la réglementation et aux bonnes pratiques professionnelles,

- divers signalements à compter de 2012 relatifs aux incidents violents auxquels elle-même ou d'autres salariés ont dû faire face dans l'exercice de leurs fonctions, par exemple : des élèves se sont enfermés dans les toilettes pour fumer ; d'autres ont présenté un comportement dangereux en voiture ; un élève ayant fugué a présenté des traces de gifle sur le visage alors qu'il venait de quitter un éducateur et le directeur ne s'est intéressé qu'au problème de la fugue ; plusieurs élèves ont fait irruption dans une classe, se sont montrés menaçants, violents et la direction n'est pas passée dans la classe ; malgré le signalement à M. D... mi-septembre 2012, le plancher des escaliers cassé un vendredi par un élève, n'avait pas été réparé le lundi suivant ; etc.,

- sa plainte du 17 octobre 2012 contre un élève mineur pour violences volontaires, une autre déposée par Mme Laure C..., sa collègue de travail opposée elle aussi à l'employeur dans le cadre d'un litige prud'homal,

- un courrier des salariés à l'ARS du 9 février 2012 à la suite de l'inspection menée par ces services en juin 2011 indiquant que, malgré les injonctions de l'ARS, la situation des usagers et des salariés ne s'est pas améliorée et mentionnant notamment le non-respect du projet d'établissement et des procédures, une instance pseudo-démocratique, la pression sur les salariés, l'absence de travail interdisciplinaire, l'inexistence de la direction, etc.,

- les attestations régulières en la forme suivantes :

* une attestation signée par quatre délégués du personnel de l'établissement mentionnant que depuis le licenciement de trois salariés dont l'intimée, les violences existent toujours au sein de l'établissement,

* une attestation de l'administratrice provisoire, Mme marie-Hélène Campayo épouse E..., qui indique avoir été témoin de plusieurs faits mettant en cause les cadres ainsi que d'autres personnels et ne permettant pas aux enseignants d'exercer leurs missions dans de bonnes conditions, qui 'répond' à chaque point évoqué dans la lettre de licenciement et qui conclut qu'elle ne reconnaît pas dans les motifs de cette lettre les personnes qu'elle a connues,

* une attestation de son époux, laquelle ne présente pas les garanties d'objectivité nécessaires,

* les attestations de salariés de l'établissement (MM, Guy, Slawick, D..., Le Dréan, Guisti, Lautre, Castéran, Roger et Mmes F..., G... H..., I..., J..., K..., XX..., L..., M... N..., O...) mentionnant l'implication de la salariée ainsi que la qualité de ses relations professionnelles, sans aucune indication relative à des agissements de harcèlement moral,

* les attestations du chef de service pédagogique, M. Patrick D..., de deux moniteurs-éducateurs, MM. Philippe P... et Frédéric Q..., lesquels pointent 'une direction inexistante' et indiquent que Mme C... et Y... n'étaient pas toujours soutenues par la direction dans leurs projets ou dans des situations difficiles ou violentes auxquelles elles étaient exposées au contact de la population hébergée ; le chef de service pédagogique ajoutant avoir assisté à un entretien entre ces deux professionnelles et le directeur M. R..., celles-ci attendant de la direction 'une aide éducative permanente dans leur classe et pendant le relais' et le directeur mettant 'un terme à la discussion en vociférant : ' puisque vous ne voulez rien faire, vous n'avez qu'à vous mettre en arrêt maladie !' ',

- un document rédigé par la salariée et Mme Laure C... non daté, intitulé 'Droit de retrait' à la suite d'une agression verbale et physique de deux élèves le 21 janvier 2013 pour 'insécurité majeure' ; ce document précise que les deux professeurs des écoles exerceront leur droit de retrait chaque jour de 8h30 à 10h00, horaires correspondant au temps de prise en charge du groupe 'des grands' et qu'elles élargiront ce droit de retrait à la prise en charge du groupe 'des moyens' 'si les conditions devaient persister telles qu'elles l'ont été' la veille,

- le compte-rendu de la réunion du CHSCT du 30 janvier 2013 relatif au droit de retrait partiel des deux salariées et tenue en présence de l'inspectrice du travail dont il résulte que cette dernière a demandé 'au directeur de mettre en place les mesures nécessaires pour assurer leur sécurité et pour protéger aussi leur santé physique et mentale', que 'le directeur a pris acte des difficultés présentées par les deux salariées (...) et s'engage, avec la collaboration des deux chefs de service, à prendre les mesures adaptées et instaurer des procédures relatives à la prévention des risques professionnels', lesquelles seront validées par le CHSCT,

- un courrier du 18 mars 2013 de l'inspecteur du travail à l'employeur évoquant la réunion du CHSCT, indiquant notamment que la 'situation fait suite à une période difficile rencontrée par (l') association en 2011 et 2012 marquée notamment par la mise sous administration provisoire durant plusieurs mois, le départ du précédent directeur et l'arrivée de M.R..., nouveau directeur depuis le 15 janvier 2013", que 'les échanges et réunions (...) ont montré une souffrance au travail (des) salariés' qui doit être prise en compte ; ce courrier fait également état de trois fiches de procédures reçues le 13 mars 2013 relatives à 'l'organisation des temps d'accompagnement pour le groupe des grands après le droit de retrait et jusqu'à l'élaboration d'une procédure définitive', aux 'procédures de soutien aux professionnels dans le cadre de l'accompagnement des personnes dans les situations ordinaires' et à la 'procédure de soutien aux professionnels dans le cadre de l'accompagnement des personnels dans les situations de gravité et d'urgence' ; il demande à ce qu'une procédure destinée à ne pas laisser un professionnel seul avec les jeunes en cas d'urgence soit élaborée,

- son arrêt de travail initial du 4 février 2013 jusqu'au 22 février 2013 mentionnant 'dépression suite à des problèmes récurrents au travail et des agressions physiques et verbales'.

Il est constant que le travail des professeurs des écoles au sein de l'B... est par nature difficile en raison du type de public accueilli au sein de l'établissement, et que ce personnel doit faire face à des comportements agressifs voire violents, dirigés contre les autres pensionnaires ou contre eux-mêmes.

En l'espèce, les difficultés ont été exacerbées par le dysfonctionnement de l'B... ayant conduit à la mise en place d'une inspection par l'ARS, puis d'une administration provisoire après le départ du directeur de l'époque, avant l'arrivée de M. R... le 15 janvier 2013.

Les pièces produites aux débats par la salariée étayent la situation difficile vécue par les professionnels de l'établissement, l'intervention de l'ARS, de l'inspection du travail, la mise en place de réunions du CHSCT pour parvenir à une amélioration de la prise en charge sur le plan, entre autres, de la sécurité des agents.

Toutefois, ces pièces n'établissent pas des faits précis imputables à la direction permettant de présumer l'existence d'un harcèlement à l'encontre de la salariée.

En effet, le seul événement précis imputable au directeur ayant affecté personnellement Mme Nathalie Y... est celui qui est décrit par M. Patrick D..., chef du service pédagogique : le directeur a, selon cette attestation, crié qu'elle n'avait qu'à se mettre en arrêt maladie. Ce fait unique si regrettable soit-il, ne permet pas de présumer de l'existence d'agissements répétés constitutifs de harcèlement moral.

Enfin, l'arrêt de travail mentionnant des difficultés récurrentes au travail ne présume pas non plus de l'existence d'un lien entre le comportement de la direction et l'état de santé de la salariée.

Dès lors, la demande au titre du harcèlement moral sera rejetée et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur le licenciement pour faute grave.

La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié. La charge de la preuve de la gravité de la faute privative des indemnités de préavis et de licenciement incombe à l'employeur débiteur qui prétend en être libéré.

La lettre de licenciement fixe les limites du litige et c'est au regard des motifs qui y sont énoncés que s'apprécie le bien-fondé du licenciement.

En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit:

'Madame,

Au cours de l'entretien préalable du 19 Avril 2013, nous vous avons demandé de vous expliquer sur les propos écrits dans votre courrier daté du 16 février 2013 que vous avez adressé au Directeur, en recommandé avec accusé de réception avec copie à l'Agence régionale de la santé (ARS), l'inspecteur IEN de l'Éducation Nationale, l'inspecteur du travail et aux délégués du personnel, à savoir :

- Vous exprimez publiquement et à plusieurs reprises, votre désaccord avec le Directeur sur ses orientations pour l'établissement et exprimez clairement votre volonté de ne pas tenir compte des celles-ci pour continuer à travailler selon vos méthodes et objectifs ;

- Vous remettez en cause les compétences professionnelles de votre supérieur hiérarchique (chef de service pédagogique) et refusez son autorité ;

- Vous attaquez le Directeur en mettant en cause la véracité de ses propos, l'accusez de mensonges et de vouloir minimiser la gravité de certains faits survenus au sein de l'établissement;

- Vous critiquez et remettez en cause les décisions prises par le Directeur concernant les jeunes accueillis en vous positionnant avec une certaine suffisance ;

- Vous refusez de vous mettre sous l'autorité du Directeur alors que vous êtes salariée de l'établissement et remettez en cause le fait qu'il a autorité sur tous les domaines composant l'établissement (thérapeutique, éducatif et pédagogique) ;

- Vous accusez le Directeur sans preuve, de faire passer l'intérêt des salariés avant celui des jeunes accueillis ;

- Vous accusez et suspectez ouvertement vos collègues (dont un instituteur), d'attitudes et des gestes ambigus en direction des jeunes dont ils s'occupent ; Vous vous adressez au Directeur de façon véhémente et péremptoire.

Nous vous avons demandé de vous expliquer lors de notre entretien. Vos explications ne sont pas de nature à modifier notre décision.

Votre refus des orientations fixées par le Directeur après validation du conseil d'administration, vos attaques en direction de vos supérieurs hiérarchiques, vos critiques concernant les décisions du Directeur et vos accusations à son encontre, caractérisent pour nous un positionnement obstiné d'insubordination qui constitue une violation grave des obligations découlant de votre contrat de travail.

De même votre mésentente persistante exposée dans votre courrier et lors de l'entretien, avec une grande partie des professionnels d'autres domaines d'intervention de l'établissement, entretien un climat de tension et de discorde, dont votre positionnement et comportement sont à l'origine, qui nuit au bon fonctionnement et constitue un frein aux missions de l'établissement.

Pour ces motifs, nous vous notifions par la présente, votre licenciement pour insubordination et mésentente.

La gravité de ces motifs rend impossible la poursuite de votre activité professionnelle au sein de notre établissement. Votre licenciement intervient donc à la première présentation de cette lettre sans préavis (et indemnités s'y afférents) ni indemnités de licenciement.

Votre solde de tout compte et vos documents sociaux vous seront expédiés dans les délais légaux. Vous bénéficiez d'une portabilité de 9 mois concernant votre prévoyance.

(...)'.Au soutien de ses prétentions, l'association Millegrand Espérance verse aux débats les éléments suivants :

- le courrier du 16 février 2013 composé de 10 pages, signé par Mme Nathalie Y... et la salariée, sa collègue professeur des écoles au sein de l'établissement exposant pour l'essentiel

' les motifs de l'exercice de leur droit de retrait décidé le 21 janvier 2013 ('insultes, menaces et dégradations de la part de deux usagers de l'établissement, mais surtout à la suite d'une violence récurrente et allant crescendo depuis la rentrée de septembre 2012"),

' leur déception par rapport à

° la proposition relative à l'organisation provisoire des temps de classe pour le groupe des grands communiquée le 1er février 2013 après la réunion extraordinaire du CHSCT,

° à l'intervention de la direction dans la classe des grands deux semaines après l'exercice du droit de retrait, au cours de laquelle le directeur aurait eu des propos irespectueux envers elles ('maltraitantes en refusant d'accueillir en classe les élèves qui sont demandeurs' par exemple),

° aux mesures prises pour les jeunes après l'exercice de leur droit de retrait (l'un d'eux a été renvoyé chez lui à titre conservatoire alors que le retour au domicile parental était néfaste, un autre a tenu des propos non remis en question par la direction, etc.),

° l'insuffisance du renfort éducatif pendant les temps pédagogiques,

' l'exercice de leur mission d'enseignantes spécialisées, la pédagogie étant de leur seule ressort et non de celui de la direction,

' que la circulaire de 2007 rappelle que les B... ne se substituent pas aux parents, à l'ASE, ni à la PJJ,

' la parabole des porc-épics de Schopenhauer,

- les attestations régulières en la forme de

' M. Cédric S..., éducateur, relative à Mme Y...,

' M. Christophe T..., moniteur éducateur, qui évoque 'l'attitude antiprofessionnelle' de la salariée et de Mme Y... à l'égard des élèves, sans donner d'exemple précis,

' M. Julien U..., coordonnateur éducatif, qui évoque le dénigrement à son égard de la part des deux professeurs des écoles lorsqu'il venait les suppléer en classe ainsi que le fait qu'elles faisaient part ouvertement de leur désaccord avec la direction, 'allant même jusqu'à quitter sans autorisation et de façon très irrespectueuse, les réunions',

' M. Laurent V..., chef de service, qui évoque

° lors de réunions d'équipe leurs désaccords avec la direction, leurs critiques ouvertes de cette dernière, leur volonté de ne pas appliquer certaines décisions car elles estimaient ne relever que de l'inspecteur d'académie et, lors d'une réunion non datée leur évocation d'attitudes violentes ou de gestes déplacés de la part de collègues,

° une entrevue le 31 janvier 2013 entre Mmes Y... et V..., le directeur, le chef de service pédagogique M. D... et lui-même, au cours de laquelle elles ont déclaré ne pas pouvoir travailler avec M. D..., incompétent, et n'avoir de comptes à rendre qu'à l'inspection académique,

' M. Alain-Yves W..., professeur des écoles, qui mentionne d'une part les difficultés de communication avec Mme Nathalie Y... et sa collègue et d'autre part l'opposition de celles-ci à l'autorité du chef de service et de la direction,

- des attestations de personnes ayant eu à travailler avec elle après son licenciement qui louent ses qualités professionnelles.

Au vu de la rédaction de la lettre de licenciement, l'employeur se fonde d'une part, sur le contenu du courrier du 16 février 2013 adressé à la direction par la salariée en réponse au courrier du 11 février 2013 et d'autre part, sur le fait que ce courrier a été adressé en copie à l'ARS, à l'IEN, à l'inspection du travail et aux délégués du personnel, pour reprocher à cette dernière son insubordination et sa mésentente avec les autres professionnels intervenant à l'B.... La lettre de licenciement n'évoque aucun fait précis antérieur au courrier du 16 février 2013.

Si les termes du courrier de la salariée sont très critiques envers la direction de l'B... voire envers certains professionnels de l'établissement, ce qui correspond à son positionnement au sein de l'institution tel que décrit par les témoins, ils s'inscrivent dans le cadre d'une procédure d'inspection diligentée par l'ARS laquelle a pointé les dysfonctionnements de l'établissement tant au niveau de la prise en charge des élèves que de la sécurité des professionnels.

Certes, la copie de ce courrier a été adressée à plusieurs services administratifs, mais ceux-ci étaient partie prenante de la gestion des difficultés et étaient, du fait de leur position hiérarchique, informés de la situation et de son suivi ; le courrier n'a en tout état de cause pas été adressé en copie à des tiers ou à des média.

Enfin, l'exercice du droit de retrait partiel qui s'inscrit dans ce contexte difficile ne peut être qualifié d'insubordination.

Il s'en suit que ce comportement ne constituait ni une faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse justifiant un licenciement qui apparaît constituer une sanction disproportionnée.

Sur les demandes pécuniaires.

Il y a lieu de relever que Mme Nathalie Y... sollicite une somme inférieure à celle qu'elle aurait pu percevoir au titre de l'indemnité compensatrice de congé payé sur préavis (538,98 € au lieu de 539,87 €).

Compte tenu de l'âge de la salariée (née le [...]), de son ancienneté à la date du licenciement (2 ans et 5 mois), du nombre de salariés habituellement employés (au moins 11 salariés), de sa rémunération mensuelle brute (2.694,88 €), de sa situation actuelle (allocations servies par Pôle Emploi jusque fin avril 2014 puis contrat à durée déterminée du 10/09/2013 à temps plein en qualité d'adjoint d'enseignement principal à Dakar pour une année scolaire renouvelable moyennant 214.186 francs CFA annuels), il convient de fixer les sommes suivantes à son profit :

- 5.398,76 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 538,98 € bruts au titre de l'indemnité de congé payé sur préavis,

- 3.817,75 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 16.200 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les demandes accessoires.

L'association Millegrand Espérance sera condamnée à remettre à Mme Nathalie Y... un bulletin de salaire mentionnant l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité compensatrice de congés payés y afférents ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés en application du présent arrêt.

Elle devra rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées à Mme Nathalie Y... dans la limite de deux mois. Le jugement sera réformé sur ce point.

Elle sera tenue aux entiers dépens.

Il est équitable de la condamner à payer à la salariée la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, après en avoir délibéré par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe ;

CONFIRME le jugement du 17 février 2015 du conseil de prud'hommes de Carcassonne en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme Nathalie Y... était sans cause réelle et sérieuse ;

Le RÉFORME pour le surplus ;

Y ajoutant,

REJETTE la demande de Mme Nathalie Y... au titre du harcèlement moral ;

Statuant à nouveau,

CONDAMNE l'association Millegrand Espérance à payer à Mme Nathalie Y... les sommes suivantes :

- 5.398,76 € bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 538,98 € bruts au titre de l'indemnité de congé payé sur préavis,

- 3.817,75 € au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 16.200 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

DIT que les sommes à caractère salarial et l'indemnité de licenciement produiront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de l'arrêt ;ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions fixées à l'article 1343-2 du Code civil, dès lors qu'ils auront couru au moins pour une année entière ;

CONDAMNE l'association Millegrand Espérance

- à remettre à Mme Nathalie Y... un bulletin de salaire mentionnant l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité compensatrice de congés payés y afférents ainsi qu'une attestation Pôle Emploi rectifiés en application du présent arrêt ;

- à rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage payées à Mme Nathalie Y... dans la limite de deux mois ;

- à payer à Mme Nathalie Y... la somme de 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- aux entiers dépens de l'instance ;

DIT que conformément aux dispositions des articles L 1235-4 et R 1235-2 du Code du travail, une copie du présent arrêt sera adressée par le greffe au Pôle Emploi du lieu où demeure la salariée le salarié.

LA GREFFIERE,LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 4ème a chambre sociale
Numéro d'arrêt : 15/02091
Date de la décision : 05/12/2018

Références :

Cour d'appel de Montpellier 04, arrêt n°15/02091 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-12-05;15.02091 ?
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