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18/10/2018 | FRANCE | N°15/00428

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 18 octobre 2018, 15/00428


Grosse + copie
délivrées le
à




COUR D'APPEL DE MONTPELLIER


1ère Chambre A


ARRET DU 18 OCTOBRE 2018


Numéro d'inscription au répertoire général :
No RG 15/00428






Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 DECEMBRE 2014
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN
No RG 13/00265




APPELANTS :


Monsieur [F] [A]
venant aux droits du
GROUPEMENT FORESTIER DU MONT NEGRE, radié
né le [Date naissance 1] 1934 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Ad

resse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Alexandre SALVIGNOL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
et assisté de Me Alexandra SIX, avocat au barreau de PARIS, avocat plai...

Grosse + copie
délivrées le
à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1ère Chambre A

ARRET DU 18 OCTOBRE 2018

Numéro d'inscription au répertoire général :
No RG 15/00428

Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 DECEMBRE 2014
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN
No RG 13/00265

APPELANTS :

Monsieur [F] [A]
venant aux droits du
GROUPEMENT FORESTIER DU MONT NEGRE, radié
né le [Date naissance 1] 1934 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Alexandre SALVIGNOL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
et assisté de Me Alexandra SIX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

SCI CHANTEPIERRE,
immatriculée au RCS de LILLE METROPOLE sous le No RG 330 954 041,
prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Alexandre SALVIGNOL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
et assistée de Me Alexandra SIX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

SARL ROFALGOS,
immatriculée au RCS de perpignan sous le No RG 400 254 488
prise en la personne de son gérant en exercice, domicilié ès qualités au siège social
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Alexandre SALVIGNOL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
et assistée de Me Alexandra SIX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIMEE :

SCP [V] [K] [N],
notaires associés dont le siège social est
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée et assistée de Me Bernard VIAL de la SCP VIAL-PECH DE LACLAUSE-ESCALE-KNOEPFFLER, avocat au barreau des PYRENEES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 21 Mars 2018

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le Mardi 11 Septembre 2018, en audience publique, Madame Caroline CHICLET, Conseiller, ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de procédure civile, devant la cour composée de :

Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Président de chambre
Madame Caroline CHICLET, Conseiller
Monsieur Thierry CARLIER, Conseiller
qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Madame Marie-José TEYSSIER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;

- signé par Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Président de chambre, et par Madame Marie-José TEYSSIER, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSE DU LITIGE :

Le 15 avril 2008, la Scp [V] [K] [N] recevait trois compromis de vente aux termes desquels les sociétés Rofalgos, Chantepierre et Groupement forestier du Mont Nègre cédaient à la Sas Loft divers biens immobiliers situés à [Localité 4] et [Localité 6] (66), connus sous le nom de Domaine de Falgos, ainsi que le fond de commerce à usage d'hôtel, de golf et de chambres d'hôtes.

Reprochant à leur mandataire, au notaire et à l'acquéreur d'avoir modifié certaines conditions substantielles des ventes sans s'assurer préalablement de leur accord, les sociétés venderesses se sont rétractées le 8 juillet 2008 et ont refusé de régulariser les actes authentiques.

Par acte d'huissier du 24 novembre 2008, les sociétés Rofalgos, Chantepierre et le Groupement forestier du Mont Nègre ont assigné la Sas Loft devant le tribunal de commerce de Paris en annulation des compromis de vente et en réparation de leurs préjudices.

La Sas Loft a appelé en garantie la Scp de notaires et [I] [T].

Par jugement du 7 décembre 2009, le tribunal de commerce de Paris, faisant droit à l'exception soulevée par la Scp de notaires, s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Perpignan pour juger les demandes dirigées contre le notaire.

S'agissant des relations entre les venderesses et la Sas Loft, le tribunal a déclaré valides les compromis de vente et dit que les sociétés Rofalgos, Chantepierre et le Groupement forestier du Mont Nègre ont engagé leur responsabilité à l'égard de la Sas Loft et de [I] [T] et les a condamnés à leur payer, respectivement, les sommes de 1.035.340,56 ? et de 100.000 ? à titre de dommages intérêts.

Par arrêt du 13 décembre 2012, la cour d'appel de Paris a confirmé en toutes ses dispositions le jugement du 7 décembre 2009 et, y ajoutant, a alloué à [I] [T] une indemnité supplémentaire de 150.000 ?.

Les société venderesses ont formé deux pourvois en cassation contre la société Loft d'une part, et contre [I] [T] d'autre part.

Afin d'éviter d'avoir à payer à la Sas Loft la totalité des dommages-intérêts accordés par la cour d'appel de Paris, les venderesses ont accepté de renoncer au pourvoi dirigé contre l'acquéreur moyennant une diminution de moitié du montant des dommages-intérêts.

Cet accord a été homologué par le tribunal de commerce en janvier 2014.

S'agissant du pourvoi dirigé contre [I] [T], la chambre commerciale de la Cour de cassation l'a rejeté par un arrêt en date du 20 janvier 2015.

L'action des venderesses contre le notaire, qui faisait l'objet d'un sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir entre les venderesses et l'acquéreur, a repris devant le tribunal de grande instance de Perpignan en juin 2013.

Par jugement du 2 décembre 2014, ce tribunal a débouté la Sarl Rofalgos de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens et à payer à la Scp de notaires une indemnité de 3.000 ? sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les Sci Chantepierre, la Sarl Rofalgos et [F] [A], venant aux droits du groupement forestier du Mont Nègre dissout amiablement et radié, ont relevé appel de ce jugement le 16 janvier 2015.

Vu les conclusions des appelants remises au greffe le 5 août 2015;

Vu les conclusions de la Scp [V]-[K]-[N] remises au greffe le 27 août 2015 ;

Vu l'ordonnance de clôture du 21 mars 2018 ;

MOTIFS :

Les appelants concluent à l'infirmation du jugement entrepris et demandent à la cour de condamner la Scp de notaires à les garantir des condamnations prononcées contre eux par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 décembre 2012 et de leur allouer la somme totale de 3.500.000 ? à titre de dommages-intérêts en réparation de leurs préjudices.

Il incombe au notaire, lorsqu'une partie ne comparaît pas à l'acte, de procéder aux vérifications indispensables concernant l'existence et l'étendue du pouvoir donné par cette partie à son mandataire.

Par ailleurs, le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets de l'acte auquel il prête son concours et ce, même s'il s'agit d'un acte sous seing-privé, et il doit les informer sur les risques des engagements qu'elles se proposent de souscrire.

Il résulte des projets d'actes (pièces 15 à 17 des appelants) et des promesses sous seing privé signées le 15 avril 2008 (pièces 22 à 24 des appelants), tous rédigés par Maître [K], que les trois sociétés venderesses avaient comme gérant [F] [A].

Tous les actes du 15 avril 2008 indiquent que [F] [A] n'était pas présent lors des signatures et qu'il était représenté par [I] [T].

Lors de cette réunion de signature intervenue hors la présence du représentant légal des sociétés venderesses, la date de réitération authentique a été prorogée de 15 mois et la clause pénale de 400.000 ? a été supprimée.

A cette date du 15 avril 2008, le notaire n'a pas pu vérifier l'existence ni l'étendue des pouvoirs conférés par les sociétés venderesses à [I] [T] puisqu'il ne disposait d'aucune procuration.

En effet, il n'a reçu la procuration de la Sci Chantepierre que le 9 mai 2008, ainsi qu'il le reconnaît en page 6 de ses écritures, et n'a jamais été mis en possession des procurations de la Sarl Rofalgos ni du Groupement Forestier ainsi que cela résulte des échanges de correspondances avec le notaire de [F] [A], Maître [S], ce qui constitue un manquement fautif.

Pour s'exonérer de sa responsabilité, le notaire soutient que la procuration de la Sci Chantepierre, bien qu'ayant été reçue le 9 mai 2008, existait à la date de la signature des compromis puisqu'elle porte la date du 14 avril 2008.

Cependant, ce moyen ne peut prospérer.

En effet, la procuration datée du 14 avril 2008 et reçue le 9 mai 2008 (pièce 26 des appelants) pour la seule Sci Chantepierre ne correspond pas à la dernière version de l'acte rédigé par le notaire puisque la Sci y indique donner son accord pour une réitération au plus tard le 30 mars 2009 alors que la date figurant dans la dernière version de la promesse est celle du 30 juin 2010.

Par conséquent, si le notaire avait exigé la remise des procurations le jour de la signature des promesses, ce qu'il n'a pas fait, il n'aurait pas manqué d'être alerté par la discordance entre le contenu de ces pouvoirs et la dernière version des contrats ce qui l'aurait l'incité à vérifier auprès du gérant des sociétés venderesses que ce dernier avait bien donné son accord pour les modifications intervenues hors sa présence, ce qu'il n'a pas fait.

En outre, compte tenu des modifications intervenues le jour prévu pour la signature des actes, à savoir prorogation de plus d'une année supplémentaire de la date de réitération et suppression de la clause pénale de 400.000 ?, le notaire aurait dû informer les sociétés venderesses mandants de la portée de ces modifications et les alerter sur les risques liés à l'allongement excessif de la durée d'immobilisation des biens (risque de perte de valeur des biens en cas d'échec de la vente) et sur les conséquences de la suppression de toute sanction financière forfaitaire en cas d'inexécution contractuelle de la part de l'acquéreur, ce qu'il ne démontre pas avoir fait.

S'il s'était conformé à ses obligations, le notaire aurait permis aux sociétés venderesses mandants de découvrir, avant les signatures, les modifications auxquelles elles n'avaient pas consenti et qui sont à l'origine de leur rétractation de juillet 2008 et du procès intenté en novembre de la même année.

Informées par le notaire de ces changements, les sociétés venderesses n'auraient pas donné pouvoir à leur mandataire de signer les promesses modifiées ou elles lui auraient demandé de les négocier aux conditions antérieures.

Dans tous les cas, elles n'auraient pas été engagées par ces promesses et n'auraient donc pas eu à indemniser l'acquéreur et leur mandataire de leur préjudice consécutif à leur rétractation tardive.

Les fautes du notaire sont à l'origine de l'obligation des venderesses d'indemniser l'acquéreur et leur mandataire, jugée de manière irrévocable par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 13 décembre 2012.

La Scp de notaires doit par conséquent être condamnée à les garantir des condamnations prononcées contre elles par cet arrêt au bénéfice de la Sas Loft, à la mesure des sommes effectivement versées en vertu de la transaction d'un montant de 550.000 ?, et au bénéfice de [I] [T] à concurrence de 165.000 ?, soit 715.000 ? en principal outre les intérêts et frais réglés et justifiés.

Les venderesses soutiennent, par ailleurs, que les fautes du notaire leur ont fait perdre une chance (page 31 des écritures) de vendre le domaine à un prix plus élevé que sa valeur actuelle.

En raison des fautes du notaire, les sociétés venderesses se sont retrouvées liées par des promesses auxquelles elles n'avaient pas consenti et qu'elles ont refusé d'exécuter en invoquant les modifications apportées aux actes à la dernière minute et sans leur accord.

La bataille juridique qui s'en est suivi a immobilisé leur bien pendant 6 ans, entre juillet 2008 et janvier 2014, date à laquelle la transaction avec la Sas Loft a été homologuée par le tribunal de commerce de Paris.

Le bien en question est un domaine atypique situé en moyenne montagne et à distance de toute grande ville, composé :
?d'un hôtel 3 étoiles de 27 chambres,
?d'un restaurant,
?d'un club house pour l'activité de golf avec boutiques, casiers, vestiaires, toilettes,
?d'une résidence-hôtel avec 7 appartements,
?d'un appartement pour une partie du personnel,
?d'un ensemble de salles pour séminaires,
?d'un centre de remise en forme avec piscine chauffée, hammam, sauna, jacuzzi, salle de musculation et salle de soins esthétiques,
?le tout sur une parcelle de 9.330 m² ,
?outre 193 ha constitués du parcours de golf, forêt de châtaigniers, chênes verts et landes.

L'expertise amiable de [K] [U] en date du 14 février 2013 montre que la valeur du bâti n'a pratiquement pas bougé entre 2008 et 2012 puisqu'elle est passée de 8.500.000 ? en 2008 à 7.480.000 ? en 2012.

Toutefois, l'expert applique à cette valeur de 2012 un très important coefficient d'adaptation au marché (0,56%) pour tenir compte du déficit chronique de l'activité et du marché très spécifique et très étroit des golfs.

Il ajoute qu'en raison de la situation du domaine, celui-ci ne peut bénéficier d'une clientèle de proximité et que cette activité entraîne un très haut niveau d'investissement mais une faible rentabilité.

Il conclut que la valeur vénale d'un tel domaine ne pourrait pas excéder 4.200.000 ? en 2012.

Contrairement à ce que soutiennent les appelants, l'expert n'impute pas cette valeur vénale réduite à une conjoncture économique défavorable ; il la relie à la nature même de l'activité et à l'emplacement du domaine qui le prive d'une clientèle de proximité.

Or, ces caractéristiques existaient déjà en 2008.

La Sas Loft, elle-même, n'aurait pas eu les moyens de payer le prix convenu puisqu'elle a été placée en redressement judiciaire le 3février 2009, quelques mois seulement après la signatures des promesses, ce qui explique pourquoi elle n'a pas poursuivi l'exécution forcée de la vente.

Et il n'est produit aucune autre offre sérieuse de 2008 d'un acquéreur potentiel au prix de 8.000.000 ?.

Par conséquent, il ne ressort pas suffisamment des pièces versées aux débats que les appelants auraient eu une chance raisonnable de vendre leur domaine au prix fort de 8.000.000 ? si le notaire n'avait pas commis de faute.

Le domaine n'a d'ailleurs toujours pas été vendu depuis 2014.

Ils seront par conséquent déboutés de leur demande au titre de la perte de chance.

Dès lors qu'il succombe, le notaire sera débouté de sa demande de dommages-intérêts et de frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La cour ;

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau ;

Dit que Maître [K], notaire, a engagé sa responsabilité envers la Sci Chantepierre, la Sarl Rofalgos et [F] [A], venant aux droits du groupement forestier du Mont Nègre ;

Condamne la Scp [V]-[K]-[N] à garantir la Sci Chantepierre, la Sarl Rofalgos et [F] [A], venant aux droits du groupement forestier du Mont Nègre, pris ensemble, des condamnations prononcées par l'arrêt irrévocable de la cour d'appel de Paris du 13 décembre 2012 au bénéfice de la Sas Loft et de [I] [T] dans la limite de 715.000 ? en principal outre les intérêts et frais réglés et justifiés ;

Déboute les appelants du surplus de leurs prétentions ;

Déboute la Scp [V]-[K]-[N] de leur demande de dommages-intérêts et de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la Scp [V]-[K]-[N] aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la Sci Chantepierre, la Sarl Rofalgos et [F] [A], venant aux droits du groupement forestier du Mont Nègre, pris ensemble, la somme de 8.000 ? sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

CC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Numéro d'arrêt : 15/00428
Date de la décision : 18/10/2018

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Perpignan


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-18;15.00428 ?
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