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14/06/2018 | FRANCE | N°15/0411

France | France, Cour d'appel de Montpellier, Ct0146, 14 juin 2018, 15/0411


Grosse + copie
délivrées le
à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1ère Chambre A

ARRET DU 14 JUIN 2018

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/00411

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 DECEMBRE 2014
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NARBONNE
No RG 12/00661

APPELANTE :

Madame [K] [W] épouse [F]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1] (ALGERIE)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Pascal OUDIN, avocat au barreau de NARBONNE
Non présent sur l'audience>(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2015/6123 du 06/05/2015 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)

IN...

Grosse + copie
délivrées le
à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

1ère Chambre A

ARRET DU 14 JUIN 2018

Numéro d'inscription au répertoire général : 15/00411

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 DECEMBRE 2014
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NARBONNE
No RG 12/00661

APPELANTE :

Madame [K] [W] épouse [F]
née le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1] (ALGERIE)
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Pascal OUDIN, avocat au barreau de NARBONNE
Non présent sur l'audience
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2015/6123 du 06/05/2015 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)

INTIMES :

Monsieur [A] [N]
né le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 2]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Philippe CALVET, avocat au barreau de NARBONNE

Madame [J] [R] épouse [N]
née le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Philippe CALVET, avocat au barreau de NARBONNE

ordonnance de caducité partielle de la déclaration d'appel en vertu de l'article 911 CPC à l'égard des époux [N] du 25Mai 2016

SARL IMMOBILIER CONSEIL HELENE LUGA immatriculée au RCS de Narbonne sous le No 403 204 605, prise en la personne de son représentant légal domicilié de droit au dit siège
[Adresse 3]
[Adresse 1]
représentée par Me Alain COHEN BOULAKIA de la SELARL JURIPOLE SELARL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
et assistée de Me Jean-Michel CHARBIT de la SELARL JURIPOLE SELARL, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

SCP [K] [D] [E]
société titulaire d'un office notarial dont le siège social est
[Adresse 4]
[Adresse 4]
représentée par Me Gilles LASRY de la SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
et assistée de Me Hélène BAUMELOU ( SCP D'AVOCATS BRUGUES - LASRY), avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 20 Mars 2018

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le MARDI 15 MAI 2018, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Président de chambre et Madame Caroline CHICLET, Conseiller, chargé du rapport

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Président de chambre
Madame Caroline CHICLET, Conseiller
Madame Florence FERRANET, Conseiller, désigné par ordonnance du Premier Président en date du 14 mai 2018

Greffier, lors des débats : Madame Marie-José TEYSSIER

ARRET :

- CONTRADICTOIRE.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;

- signé par Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Président de chambre, et par Madame Marie-José TEYSSIER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

EXPOSE DU LITIGE :

Par acte authentique en date du 13 juillet 2006, reçu par Maître [D], notaire associé à Narbonne, les époux [N] ont vendu à [K] [F], par l'entremise de l'agence « Immobilier conseil [O] [P] », une pièce obscure avec salle de bains et water-closet, d'une superficie de 13,06 m², donnée à bail à un tiers et située au premier étage d'un immeuble à [Localité 4] moyennant le prix de 19.000 ?.

Après le départ de ce dernier [K] [F] a réalisé des travaux et a reloué cette pièce.

Cependant par arrêté en date du 26 septembre 2008, confirmé par un jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 9février 2010, le préfet de l'Aude a déclaré le logement insalubre et a mis en demeure la propriétaire de faire cesser toute mise à disposition de ce logement en lui rappelant son obligation de reloger le locataire et de l'indemniser de ses frais de réinstallation.

Par actes d'huissier en date des 18 et 22 mars 2009 [K] [F] a assigné devant le tribunal de grande instance de Narbonne les époux [N], la Sarl Immobilier conseil [O] [P] et la Scp de notaires [K]-[D]-[E] en nullité de la vente et en réparation de ses préjudices.

Par jugement du 11 décembre 2014 ce tribunal a :
?rejeté la demande de constat de la nullité de vente,
?rejeté les demandes de dommages-intérêts et de restitution du prix de vente,
?rejeté les demandes de dommages-intérêts de la société civile professionnelle de notaires,
?condamné [K] [F] à verser aux époux [N], à la société Immobilier conseil [O] [P] et à la SCP de notaires une indemnité de 1500? en application de l'article 700 du code de procédure civile,
?condamné [K] [F] aux dépens.

[K] [F] a relevé appel de cette décision le 16 janvier 2015.

Par une ordonnance rendue le 25 mai 2016, le conseiller de la mise en état a déclaré le litige divisible, constaté la caducité de la déclaration d'appel à l'égard des époux [N] et dit que cette caducité entraîne l'extinction de l'instance pour ces parties et le dessaisissement de la cour.

Vu les conclusions de l'appelante remises au greffe le 28 décembre 2015 ;

Vu les conclusions de la Scp [K]-[D]-[E] remises au greffe le 12 février 2016 ;

Vu les conclusions de la société Immobilier conseil [P] remises au greffe le 3 avril 2017 ;

Vu l'ordonnance de clôture du 20 mars 2018 ;

MOTIFS :

Sur les limites de l'appel :

La caducité de la déclaration d'appel de [K] [F] à l'égard des époux [N] a éteint l'instance entre ces parties et dessaisi la cour de cette partie du litige.

Par conséquent, la demande de nullité de la vente dirigée contre les vendeurs ainsi que toutes les restitution inhérentes à cette nullité ne peuvent être examinées par la cour.

Sur la responsabilité du notaire :

Le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique.

En l'espèce, [R] [D] a rédigé un acte authentique portant sur la vente d'une « pièce obscure avec salle d'eau et water-closet d'une superficie de 13,06 m2 » donnée à bail à un tiers à usage d'habitation (page 4 de l'acte).

Le notaire ne peut soutenir qu'il ignorait que l'acquéreur achetait ce bien à des fins locatives puisque celui-ci a été vendu avec la présence dans les lieux d'un locataire récent (bail d'habitation de février 2006 et promesse signée en mars 2006), que l'officier ministériel a été chargé de notifier à ce locataire la transmission du bail (page 5 de l'acte) et que l'acquéreur n'a pas indiqué au notaire vouloir remettre en cause cette location.

En outre, la désignation du bien en page 3 de l'acte révèle qu'il est situé au premier étage d'une résidence [Établissement 1]Hôtel », ce qui achève de démontrer que le notaire n'a pu se méprendre sur les intentions de l'acquéreur concernant la location du bien.

Pour preuve de l'accomplissement de son devoir de conseil, [R] [D] invoque une clause de l'acte de vente selon laquelle : « Le notaire avertit l'acquéreur qu'aux termes des dispositions actuellement en vigueur, le logement dit « décent » se caractérise par une pièce principale d'au moins neuf mètres carrés et d'une hauteur sous plafonds au moins égale à deux mètres vingt, soit un volume habitable de vingt mètres cube au minimum. La pièce principale doit être dotée d'une ouverture à l'air libre, d'une cuisine ou d'un coin cuisine, d'une douche ou d'une baignoire, d'un water-closet séparé.
Il est précisé que ces conditions sont obligatoires pour toute location, sauf location saisonnière ou une mise à disposition à titre gratuit. A défaut, le locataire pourra demander la mise en conformité du logement ou la révision du loyer auprès du tribunal d'instance. »

Mais cet avertissement général et non corrélé avec l'acquisition réalisée dans l'acte ne suffit pas à démontrer que le notaire a rempli son devoir de conseil à l'égard de [K] [F] et ce, d'autant que le vendeur a déclaré dans le même acte (page 19) que le logement vendu n'était pas insalubre.

Le notaire ne démontre pas avoir attiré l'attention de [K] [F] sur le fait que le bien acquis présentait d'ores et déjà les caractéristiques d'un logement indécent non susceptible d'être donné à bail, s'agissant d'une pièce obscure.

Surtout, il ne démontre pas l'avoir avertie que la poursuite du bail l'exposait à ce qu'un arrêté préfectoral d'insalubrité la mette en demeure de faire cesser toute mise à disposition du local pour l'habitation (y compris à titre gratuit contrairement aux termes de la clause précitée) avec obligation de reloger le locataire et de l'indemniser de ses frais de réinstallation sous peine de sanctions pénales pouvant aller jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 100.000 ? d'amende.

En n'informant pas [K] [F] du caractère illicite de la location consentie par son vendeur au regard de la définition du logement décent et en ne l'avertissant pas des risques, qui se sont en partie réalisés, de sanctions administratives, financières et pénales en cas de poursuite de cette location à usage d'habitation, [R] [D] a manqué à son devoir de conseil et d'information.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur la responsabilité de l'agence immobilière :

L'agent immobilier est tenu, en sa qualité de professionnel, d'un devoir de conseil qui suppose d'attirer l'attention du mandant ou du cocontractant sur les avantages et les inconvénients de l'opération envisagée et de leur indiquer le choix le plus opportun.

L'appelante fonde ses prétentions dirigées contre l'agence [O] [P] sur la responsabilité contractuelle.

L'intimée demande à la cour de rejeter ces demandes fondées sur l'ancien article 1134 du code civil en soutenant n'avoir conclu aucun contrat de mandat avec [K] [F] pour l'acquisition du local litigieux.

Pourtant, dans un courrier adressé à [K] [F] le 23 mars 2006 (pièce 3 de l'intimée), [O] [P] remercie cette dernière « de la confiance que vous avez bien voulu nous accorder en vous adressant à notre agence pour négocier l'acquisition de votre bien immobilier sur la commune de [Localité 4] (Aude), lot cent dix au numéro [Adresse 5] cadastré section ATN no[Cadastre 1] qui a abouti à la signature du compromis de vente en date du 23 mars 2006 avec Monsieur et Madame [N]. »

L'agent immobilier reconnaît dans cet écrit que [K] [F] s'est adressée à lui pour négocier l'acquisition de son bien immobilier et que c'est cette démarche qui a abouti à la vente.

La preuve de l'existence d'un mandat est donc rapportée.

Il est indifférent que [K] [F] se soit adressée à d'autres agences en vue de cet achat, le mandat n'ayant pas besoin d'être exclusif pour exister.

Sur la promesse de vente du 23 mars 2006 rédigée par l'agent immobilier, le bien vendu est désigné comme « une pièce obscure avec salle d'eau et water-closet » et il est précisé que ce bien est loué depuis le 9 février 2006 à un tiers moyennant un loyer mensuel de 240 ? charges comprises.

Pour preuve de l'absence de faute, l'agent immobilier soutient qu'il ignorait que le bail existant était à usage d'habitation.

Mais tenant le caractère inhabitable de ce local consistant en une pièce obscure dépourvue de toute ouverture à l'air libre, il appartenait à l'agent immobilier, en sa qualité de professionnel, de rechercher si la location ainsi consentie était, ou non, à usage d'habitation et, dans l'affirmative, d'attirer l'attention de l'acquéreur sur le caractère indécent du local vendu au regard de la destination du bail et de l'avertir des risques de sanctions administratives, financières et pénales encourues en cas de poursuite de toute mise à disposition à usage d'habitation, ce qu'il n'a pas fait.

L'agent immobilier a donc manqué à son devoir de conseil et d'information.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les préjudices :

L'appelante invoque à l'encontre du notaire et de l'agent immobilier des préjudices directs et leur réclame le paiement :
?du prix de vente de 19.000 ?,
?des frais notariés de 697 ?,
?des intérêts au taux légal sur la créance de restitution,
?des charges de copropriété réglées depuis le 13 juillet 2007,
?des charges de copropriété impayées assorties des intérêts au taux légal,
?des frais exposés par le syndic,
?du remboursement de la taxe foncière depuis le 13 juillet 2007,
?du remboursement des travaux investis en pure perte,
?de la perte de loyers.

Mais, dès lors que la cour est dessaisie de la demande d'annulation de la vente, il ne peut être réclamé au notaire et à l'agent immobilier aucune restitution ni aucun préjudice inhérents à l'anéantissement de la vente.

En réalité, le préjudice consécutif aux défauts de conseil du notaire et de l'agent immobilier consiste, non pas en un préjudice direct, mais en une perte de chance de ne pas acquérir le bien.

En effet, si [K] [F] avait été mieux informée et si elle avait su qu'elle ne pourrait jamais louer son bien à usage d'habitation sauf à encourir des sanctions administratives, financières et pénales, elle n'aurait vraisemblablement pas acquis ce local.

Il convient par conséquent, avant dire droit sur les préjudices, d'ordonner la réouverture des débats suivant les modalités prévues au dispositif afin de permettre aux parties de s'expliquer sur ce préjudice de perte de chance (caractère raisonnable de la chance perdue, taux et base d'évaluation) relevé d'office par la cour.

Toutes les autres demandes des parties incluant celles relatives aux dépens et aux frais irrépétibles seront réservées.

PAR CES MOTIFS :

La cour ;

Infirme le jugement entrepris ;

Statuant à nouveau ;

Dit que [R] [D] et la société immobilière conseil [P] ont manqué à leurs obligations envers [K] [F] ;

Avant dire droit sur les préjudices ;

Ordonne la réouverture des débats à l'audience collégiale du mardi 6 novembre 2018 à 9h afin de permettre aux parties de s'expliquer sur le préjudice de perte de chance (caractère raisonnable de la chance perdue, taux et base d'évaluation) relevé d'office par la cour;

Dit qu'une nouvelle clôture sera prononcée le 16 octobre 2018 et qu'il sera enjoint aux parties de conclure :
?avant le 14 août 2018 pour [K] [F] à peine de radiation,
?dans le délai de deux mois suivant la réception des conclusions de l'appelante par le RPVA pour les intimés ;

Réserve toutes les autres demandes des parties ainsi que les dépens et les frais irrépétibles.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

CC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : Ct0146
Numéro d'arrêt : 15/0411
Date de la décision : 14/06/2018

Analyses

Un notaire était tenu d'attirer l'attention de l'acquéreur sur le fait que le bien acquis, occupé par un locataire, présentait les caractéristiques d'un logement indécent non susceptible d'être donné à bail, s'agissant d'une pièce obscure dépourvue de toute ouverture à l'air libre et devait l'avertir que la poursuite du bail l'exposait à ce qu'un arrêté préfectoral d'insalubrité le mette en demeure de faire cesser toute mise à disposition du local pour l'habitation avec obligation de reloger le locataire et de l'indemniser de ses frais de réinstallation sous peine de sanction pénales, un avertissement général et non corrélé à l'acquisition rappelant la définition légale de logement décent ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation. En ne l'informant pas du caractère illicite de la location consentie par son vendeur et en ne l'avertissant pas des risques de sanctions administratives, financières et pénales en cas de poursuite de cette location à usage d'habitation, il a manqué à son devoir d'information et de conseil. Il appartenait également à l'agent immobilier, tenant le caractère inhabitable de ce local, de rechercher si la location consentie était, ou non, à usage d'habitation et, dans l'affirmative, d'attirer l'attention de l'acquéreur sur son caractère indécent au regard de la destination du bail et de l'avertir des risques de sanctions encourues en cas de poursuite de toute mise à disposition à usage d'habitation. Les manquements du notaire et de l'agent immobilier ont causé à l'acquéreur un préjudice consistant en la perte d'une chance de ne pas acquérir le bien.


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Narbonne, 11 décembre 2014


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.montpellier;arret;2018-06-14;15.0411 ?
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