Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1ère Chambre A
ARRET DU 08 MARS 2018
Numéro d'inscription au répertoire général : 17/03240
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 23 MAI 2017
COUR D'APPEL DE TOULOUSE No RG 16/05598
APPELANTES :
Madame [X] [O] épouse [N]
exploitant sous l'enseigne BODY FREQUENCE CENTRE POWER PLATE
née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 1] ([Localité 1]) de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Emily APOLLIS de la SCP ARGELLIES, APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
SELARL EGIDE
en la personne de Me [T] [M], mandataire liquidateur de Madame [X] [N] désigné par jugement du tribunal de commerce de Toulouse le 08/09/2016, domicilié
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représenté par Me Emily APOLLIS de la SCP ARGELLIES, APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Monsieur [V] [C]
né le [Date naissance 2] 1945 à [Localité 4] (31) - de nationalité française
[Adresse 3]
[Localité 3]
représenté par la SCP LEVY BALZARINI SAGNES SERRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, postulant
et par Me Georges DAUMAS, avocat au barreau de TOULOUSE, plaidant
Monsieur [C] [N]
né le [Date naissance 3] 1964 à [Localité 5] - de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par Me Emily APOLLIS de la SCP ARGELLIES, APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER
ORDONNANCE DE CLOTURE DU 26 Décembre 2017
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 16 JANVIER 2018, en audience publique, Madame Caroline CHICLET, Conseiller, ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de procédure civile, devant la cour composée de :
Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Président
Madame Caroline CHICLET, Conseiller
Madame Brigitte DEVILLE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Madame Elisabeth RAMON
le délibéré prononcé au 01/03/2018 est prorogé au 08/03/2018
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile
- signé par Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Président, et par Madame Elisabeth RAMON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
**********
EXPOSE DU LITIGE :
[X] [N] a pris à bail le 16 juin 2005 un local commercial situé à [Localité 2] (31) et appartenant à [F] [A] pour une durée de neuf années afin d'y exercer une activité de remise en forme et de vente de produits accessoires.
Son époux, [C] [N], s'est engagé comme caution solidaire.
Se plaignant des nuisances générées par certaines des appareils utilisés, la bailleresse a sollicité le bénéfice d'une expertise en référé.
L'expert [J] a déposé son rapport le 12 février 2007 par lequel il concluait à l'existence de vibrations basse fréquence se transmettant à toute la structure du bâtiment et pouvant nuire à la conservation des murs.
En lecture de ce rapport, [F] [A] a fait délivrer à [X] [N] le 9 mars 2007 un commandement visant la clause résolutoire et enjoignant à cette dernière de justifier de la cessation des nuisances générées par les machines et de produire son attestation d'assurance.
Par courrier recommandé en date du 26 mars 2007, le conseil de [X] [N], [V] [C], avocat au barreau de Toulouse, a fait savoir à la bailleresse que sa cliente contestait les violations aux clauses du bail et qu'elle lui donnait congé pour le 30 juin 2007.
Par acte du 11 juillet 2007, [X] [N], représentée par [V] [C], a fait citer [F] [A] afin de voir annuler le bail, subsidiairement de constater sa résiliation amiable et encore plus subsidiairement de dire qu'il est résilié aux torts de la bailleresse.
[X] [N] a quitté les lieux en cours d'instance à la mi-novembre 2007.
Par jugement en date du 1er décembre 2009, le tribunal de grande instance de Toulouse a :
?rejeté l'exception de nullité de l'assignation,
?débouté [X] [N] de l'ensemble de ses demandes,
?prononcé la résiliation du bail aux torts de [X] [N] à compter du jugement,
?débouté [C] [N] de ses demandes reconventionnelles,
?condamné in solidum les époux [N] à payer à [F] [A] la somme totale de 42.280,67 ?,
?condamné in solidum les époux [N] aux dépens et à payer ne somme de 1500 ? sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
?ordonné l'exécution provisoire.
Statuant sur l'appel interjeté par [F] [A], la cour d'appel de Toulouse dans un arrêt en date du 22 juin 2011 a :
?infirmé le jugement sauf sur les dommages-intérêts alloués à [F] [A] (à savoir 2000 ? pour le préjudice de jouissance),
?statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
?constaté la résiliation amiable du bail commercial au 30 juin 2007,
?constaté que [X] [N] a quitté les locaux à la mi-novembre 2007,
?débouté [F] [A] de ses demandes en paiement,
?débouté toutes les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
?fait masse des dépens et dit qu'ils seront supportés par moitié entre les parties.
Statuant sur le pourvoi formé par [F] [A], la Cour de cassation, par arrêt en date du 2 octobre 2012, a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse mais seulement en ce qu'il a constaté la résiliation amiable du bail commercial au 30 juin 2007 et débouté [F] [A] de ses demandes en paiement.
La cour de renvoi, par un arrêt prononcé le 15 avril 2014 a :
?déclaré irrecevables les demandes des consorts [N] relatives à la mise en cause des dommages-intérêts alloués à [F] [A] par le jugement du 1er décembre 2009 confirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Toulouse du 22 juin 2011,
?infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Toulouse du 1er décembre 2009 en ce qu'il a prononcé la résiliation du bail aux torts de [X] [N] et sur le montant des condamnations prononcées contre les consorts [N] au titre des loyers et statuant à nouveau de ces chefs ;
?débouté [X] [N] de ses demandes de résiliation du bail,
?constaté que le contrat de bail s'est poursuivi jusqu'à son terme à défaut de congé régulier,
?condamné in solidum les époux [N] à payer en deniers ou quittances à [F] [A] les sommes de :
46.927,61 ? arrêté au 31 décembre 2009,
34.833,14 ? pour la période du 1er janvier 2010 au 30 juin 2011,
67.722,18 ? pour la période du 1er juillet 2011 au 31 mars 2014,
2.000 ? sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
les dépens de première instance et d'appel incluant les frais de l'expertise judiciaire.
Reprochant à son avocat divers manquements à ses obligations à l'origine de son préjudice de 81.760 ? correspondant aux loyers et charges versés sans contrepartie et ayant conduit à sa liquidation judiciaire et au surendettement de son époux, [X] [N] a fait citer [V] [C] devant le tribunal de grande instance de Castres.
Par jugement en date du 27 novembre 2015, ce tribunal a retenu la responsabilité de l'avocat et l'a condamné à payer à [X] [N] une somme de 20.000 ? à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice de perte de chance.
[X] [N] représentée par son liquidateur, la Selarl Egide, a relevé appel de ce jugement le 17 novembre 2016 à l'encontre de toutes les parties devant la cour d'appel de Toulouse qui, par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 23 mai 2017, a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier en application des dispositions de l'article 47 du code de procédure civile.
Vu les conclusions de [X] [N] représentée par son liquidateur judiciaire et de [C] [N] remises au greffe le 18 décembre 2017 ;
Vu les conclusions de [V] [C] remises au greffe le 29 novembre 2017 ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 26 décembre 2017 ;
MOTIFS :
Le bail a été signé au nom de [X] [N], son époux s'étant engagé comme caution solidaire.
Aux termes de ce bail commercial, d'une durée de neuf années, [X] [N] a renoncé à se prévaloir de la résiliation à l'expiration de la première période triennale de sorte qu'elle ne pouvait donner congé à sa bailleresse qu'à l'issue d'une période de six années, par acte extrajudiciaire, et en respectant un préavis de six mois.
Les machines (Power Plate) utilisées par la locataire dans le cadre de son activité de remise en forme menaçant la structure de l'immeuble en raison des vibrations de basse fréquence transmises à toute la structure du bâtiment, la bailleresse a délivré à [X] [N], le 9 mars 2007, un commandement visant la clause résolutoire par lequel elle l'a mise en demeure de faire cesser ces vibrations et de produire son attestation d'assurance.
En réponse à ce commandement, [V] [C] a adressé le 23 mars 2007 à [F] [A], pour le compte de [X] [N], un courrier intitulé « Congé suite à un commandement visant la clause résolutoire » dans lequel il indique : « puisque vous souhaitez le départ de votre locataire, Madame [N] vous donne congé pour le 30 juin 2007. (?) Elle estime qu'elle n'a pas à respecter le préavis fixé dans le bail puisque vous avez manifesté à plusieurs reprises votre souhait de la voir quitter les lieux loués. »
En rédigeant ce « congé », [V] [C] a fait croire à sa cliente [X] [N] que la délivrance d'un commandement visant la clause résolutoire par la bailleresse constituait de la part de cette dernière l'expression de sa volonté de mettre un terme au bail de manière anticipée et de renoncer à poursuivre l'exécution du contrat et qu'il lui suffisait d'en prendre acte et de quitter les lieux sans risque de voir le bail se poursuivre et les loyers continuer à courir.
Or, ce conseil était erroné puisque selon la jurisprudence de la Cour de cassation, résultant de deux arrêts publiés au bulletin le 14 mai 1991 et le 24 mars 1999 et jamais remis en cause, la délivrance d'un commandement de payer visant la clause résolutoire ne constitue pas de la part du bailleur une offre ferme de résiliation anticipée ni la manifestation d'un accord en vue d'une résiliation amiable, le bailleur restant libre de ne pas faire jouer la clause résolutoire, stipulée à son seul bénéfice, et de poursuivre l'exécution forcée du bail.
En tirant du commandement visant la clause résolutoire délivré par la bailleresse des conséquences juridiques qu'il ne pouvait produire, [V] [C] a méconnu la jurisprudence constante de la Cour de cassation et a rédigé un congé inefficace.
L'avocat de [X] [N] a ensuite délivré une assignation à la bailleresse le 11 juillet 2007 visant à voir prononcer la nullité du bail, subsidiairement voir constater sa résiliation amiable et plus subsidiairement encore voir prononcer la résiliation aux torts de la bailleresse.
Mais, ainsi qu'il vient d'être expliqué, la demande visant à voir constater l'existence d'une résiliation amiable après la délivrance d'un commandement visant la clause résolutoire ne pouvait aboutir et [X] [N] a d'ailleurs été déboutée par le tribunal de Toulouse sur ce point, ce qui a été confirmé par l'arrêt rendu sur renvoi de cassation.
La demande de nullité du bail fondée sur l'illicéité des clauses relatives à sa durée (9 ans) et à la renonciation du preneur à demander la résiliation du bail avant six ans n'avait pas plus de chance d'aboutir, ces clauses étant parfaitement licites et régulières au regard des textes et de la jurisprudence applicables et le tribunal a débouté [X] [N] de cette prétention.
Et, aucun manquement n'étant caractérisé à l'encontre de la bailleresse qui n'était pas tenue de faire procéder aux travaux d'insonorisation du local, la demande de résiliation aux torts exclusifs de cette dernière n'avait également aucune chance d'aboutir.
Sachant que les termes du bail privaient [X] [N] de la possibilité d'invoquer la résiliation du bail avant une période de six ans et que la bailleresse n'avait commis aucun manquement à ses obligations ni manifesté son accord pour une résiliation anticipée, [V] [C] aurait dû conseiller à sa cliente de se maintenir dans les lieux dans l'attente d'une résiliation amiable ou unilatérale en bonne et due forme, soit en se passant des machines litigieuses, soit en faisant procéder aux travaux d'insonorisation préconisés par l'expert judiciaire, ce qu'il n'a pas fait.
Au contraire, [V] [C] a cru devoir persuader sa cliente de quitter les lieux (ainsi qu'il l'a écrit à son adversaire dans un courrier du 28 juillet 2006). Il a rédigé pour son compte un « congé » inefficace alors qu'aucun accord amiable n'avait été officialisé avec la bailleresse qui restait libre de poursuivre l'exécution du bail et il a même introduit une action en justice sur des fondements juridiques qui n'avaient aucune chance de prospérer et dont [X] [N] a été déboutée de manière irrévocable.
Ce faisant, il a manqué à ses obligations.
Si [V] [C] avait conseillé à sa cliente de se maintenir dans les lieux et de poursuivre l'exécution régulière du bail dans l'attente d'une résiliation amiable ou de l'expiration du délai incompressible de six ans, cela aurait pu éviter à [X] [N] le paiement des loyers jusqu'en mars 2014 sans contrepartie.
Contrairement à ce que soutient l'appelante, le préjudice matériel résultant de ces manquements consiste en une perte de chance d'éviter la perte financière consécutive au règlement des loyers sans contrepartie.
Mais, outre que [X] [N] conclut à tort à l'existence d'un préjudice direct sur ce point, force est de constater qu'elle ne justifie pas d'une perte de chance raisonnable.
En effet, il n'est produit aucune pièce comptable ou attestation démontrant qu'elle disposait des moyens matériels et financiers pour poursuivre son activité de remise en forme de manière rentable sans utiliser les machines litigieuses ou en procédant aux travaux d'insonorisation décrits par l'expert judiciaire.
Même si elle avait été correctement conseillée, [X] [N] n'établit pas qu'elle aurait été en mesure de maintenir son exploitation et d'amortir le paiement des loyers grâce aux produits de son activité commerciale alors surtout que les machines litigieuses pour lesquelles elle avait l'exclusivité sur [Localité 6] constituaient l'élément phare de son club de remise en forme.
Les appelants seront donc déboutés de leur demande de réparation du préjudice économique.
En revanche, la délivrance d'un congé inefficace et l'introduction d'une instance judiciaire sur la base de fondements juridiques n'ayant aucune chance d'aboutir et qui a finalement duré sept ans du fait de l'appel puis du pourvoi formés par la bailleresse (entre l'assignation du 11 juillet 2007 et arrêt sur renvoi de cassation du 15 avril 2014) sont à l'origine pour [X] [N] d'un préjudice moral important que la cour estime à 20.000 ?.
[C] [N] ne démontrant pas avoir été le client de [V] [C], il n'a pas à bénéficier de cette condamnation et il sera débouté de ses prétentions de ce chef.
Le jugement sera infirmé.
PAR CES MOTIFS :
La cour ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau ;
Dit que [V] [C] a engagé sa responsabilité envers [X] [O] épouse [N] ;
Condamne [V] [C] à payer à [X] [N], représentée par son liquidateur judiciaire la Selarl Egide, la somme de 20.000 ? à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
Déboute [X] [N], représentée par son liquidateur judiciaire la Selarl Egide, de sa demande de réparation du préjudice économique ;
Déboute [C] [N] de l'ensemble de ses demandes ;
Condamne [V] [C] aux dépens de première instance et d'appel et à payer à [X] [N] représentée par son liquidateur judiciaire la somme de 4.000 ? sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT
CC