Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1ère Chambre A
ARRÊT DU 07 DECEMBRE 2017
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/05155
Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 JUIN 2013
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NARBONNE
No RG 12/01052
APPELANTE :
ASSOCIATION SAINT ETIENNE DE GAUSSAN
et pour elle son Président en exercice domicilié ès-qualité
Abbaye Notre Dame de Gaussan
11200 LEZIGNAN CORBIERES
représentée par la SCP ROZE SALLELES PUECH GERIGNY DELL'OVA BERTRAND, avocat au barreau de MONTPELLIER, postulant
et par Me Thierry DECRESSAT de la SELARL AVELIA, avocat au barreau de CHATEAUROUX, plaidant
INTIMEES :
SAS DICOBAT
et pour elle son représentant légal domicilié ès-qualité
Z.A. La Maladière - Pôle 2000 Nord
07130 SAINT PERAY
représentée par Me Christophe PONS de la SCP VERBATEAM, avocat au barreau de MONTPELLIER
L'AUXILIAIRE, Compagnie d'assurances
et pour elle son représentant légal domicilié ès-qualité
50 Cours Franklin Roosevelt
BP 6402
69413 LYON CEDEX
représentée par Me Christophe PONS de la SCP VERBATEAM, avocat au barreau de MONTPELLIER
SARL LEZI CONSTRUCTION
et pour elle son représentant légal domicilié ès-qualité
Rue Necker
11200 LEZIGNAN CORBIERES
représentée par la SCP ARGELLIES APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER, postulant
et par Me Denis RIEU de la SELARL MBA et Associés, avocat au barreau de MONTPELLIER, plaidant
SA AXA FRANCE IARD
et pour elle son représentant légal domicilié ès-qualité
313 Terrasse de l'Arche
92727 NANTERRE
représentée par la SCP ARGELLIES APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER, postulant
et par Me Denis RIEU de la SELARL MBA et Associés, avocat au barreau de MONTPELLIER, plaidant
ORDONNANCE DE CLÔTURE du 04 Octobre 2017
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du Code de Procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 OCTOBRE 2017, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Président, chargée du rapport et Madame Brigitte DEVILLE, Conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Président
Madame Brigitte DEVILLE, Conseiller
Madame Emmanuelle WACONGNE, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Elisabeth RAMON
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile
- signé par Madame Nadia BERGOUNIOU-GOURNAY, Présidente, et par Madame Elisabeth RAMON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
Par acte authentique du 5 novembre 1993, l'Association Saint Etienne de Gaussan est devenue propriétaire, sur la commune de Bizanet, d'un ensemble immobilier dénommé « Château de Gaussan », comportant divers bâtiments à usage d'habitation et à usage agricole.
En janvier 1994, l'Association Saint Etienne de Gaussan a, dans le cadre de l'aménagement de la propriété en abbaye, confié une mission de maîtrise d'oeuvre à la société Dicobat en vue notamment de l'aménagement de cellules dans les étages des bâtiments A, C, D, E, F et une partie de H et de G, y compris les travaux de maçonnerie et d'un réseau d'assainissement, à savoir les réseaux EP-EU/EV et traitement des eaux pour 30 à 40 usagers en 1ère phase.
La société Dicobat s'engageait notamment à établir un rapport détaillé, des plans, à chiffrer les travaux, à concevoir le projet d'aménagement des cellules et celui du réseau d'assainissement, à préparer les marchés après consultation des entreprises et à diriger le chantier et contrôler les travaux.
Dans le cadre de cette mission, les travaux de VRD avec système des eaux usées – eaux vannes étaient confiés puis réalisés par la société Lezi Construction, laquelle, dans une convention en date du 31 janvier 1995, s'engageait à installer un système d'épuration des eaux usées:eaux vannes avec mise en place d'un décanteur-digesteur, d'un pré-filtre, d'un épandage de 1 000m2 et de canalisations et regards.
Le 19 septembre 1995, un PV de réception des travaux était signé par la société Dicobat et la société Lezi Construction.
À compter de juillet 2001, l'Association Saint Etienne de Gaussan constatait une dégradation et un dysfonctionnement du réseau d'assainissement.
Les sociétés Dicobat et Lezi Construction ont reconnu l'existence de désordres et ont déclaré le sinistre à leurs compagnies d'assurance.
• N'ayant obtenu ni réparation des désordres, ni indemnisation, l'Association Saint Etienne de septembre Gaussan a fait citer, par acte du 13 février 2009, la société Dicobat et sa compagnie d'assurances Auxiliaire, la société Lezi Construction et sa compagnie d'assurance AXA devant le tribunal de grande instance de Narbonne qui a, par jugement du 6 juin 2013 :
• constaté que la SARL Lezi Construction n'est pas dans la cause;
• constaté la déchéance du délai permettant de mettre en jeu la garantie décennale ;
• rejeté l'ensemble des demandes présentées par l'Association Saint Etienne de Gaussan à titre principal et subsidiaire ;
Par déclaration reçue au greffe le 5 juillet 2013, l'Association Saint Etienne de Gaussan a relevé appel de ce jugement.
Vu les conclusions récapitulatives de l'appelante, remises au greffe le 23 novembre 2015,
Vu les conclusions de la SAS Dicobat et de son assureur, la compagnie l'Auxiliaire, remises au greffe le 8 octobre 2013,
Vu les conclusions de la société AXA France, remises au greffe le 12 janvier 2016,
Les conclusions de la SARL Lezi Construction, également remises au greffe le 12 janvier 2016, ont été déclarées irrecevables par ordonnance du conseiller de la mise en état du 25 mai 2016 ; cette ordonnance n'a pas été déférée à la cour.
Vu l'ordonnance de clôture du 4 octobre 2017 ,
MOTIFS :
- Sur la forclusion de l'action de l'Association Saint-Etienne de Gaussan :
Il s'évince des pièces versées aux débats que les travaux entrepris par l'Association Saint-Etienne de Gaussan ont fait l'objet d'une réception expresse sans réserves signée le 19 septembre 1995 entre SAS Dicobat, maître d'oeuvre de l'opération, et la SARL Lezi Construction, qui a réalisé le lot VRD suivant contrat de marché de travaux privés du 31 janvier 1995.
L'Association maître de l'ouvrage n'a pas signé ce procès verbal. Il n'est néanmoins pas contesté qu'à cette date, elle s'est acquittée du montant des travaux et a pris possession de l'ouvrage ; ce faisant, elle a manifesté de façon non équivoque la volonté de recevoir l'ouvrage. La date de la réception tacite doit dès lors être fixée au 19 septembre 1995. Cette date constitue le point de départ des garanties décennale, biennale et de parfait achèvement.
Les premiers désordres sont apparus au cours de l'année 2001. Courant 2003, la SARL Lezi Construction a fait une déclaration de sinistre auprès de son assureur, la SA AXA France IARD, qui a mandaté le cabinet Saretec en qualité d'expert, lequel a constaté une corrosion important des regards du réseau d'assainissement en aval du décanteur digesteur, entre celui-ci et le réseau d'épandage.
La SAS Dicobat a également fait une déclaration de sinistre, au cours du premier semestre de l'année 2005, auprès de son assureur, la compagnie l'Auxilaire, qui a également mandaté le cabinet Saretec.
Des pourparlers ont été engagés courant 2007 et 2008 entre l'Association Saint-Etienne de Gaussan et la compagnie l'Auxiliaire, aux termes desquels la compagnie l'Auxiliaire, sans reconnaître l'existence d'une faute commise par son assuré, a accepté, dans un souci d'apaisement, de participer au financement des travaux de réparation du réseau d'assainissement, estimés à la somme de 187 529,09 euros, à concurrence de 50 000 euros. Il résulte d'un mail adressé par le directeur général de l'Auxiliaire au père De Cacqueray, représentant le maître de l'ouvrage que cette proposition a été portée à 80 000 euros, puis à 100 000 euros ; elle n'a pas obtenu l'accord de l'Association Saint-Etienne de Gaussan et est restée sans suite.
Par acte du 13 février 2009, soit près de 14 ans après la réception, l'Association Saint-Etienne de Gaussan a fait citer devant le tribunal de grande instance de Narbonne la SAS Dicobat, la SARL Lezi Construction et leurs assureurs respectifs, la compagnie l'Auxiliaire et la compagnie AXA, en paiement d'une somme de 200 000 euros représentant le coût de la réparation du réseau d'assainissement.
Le délai de garantie décennale est d'ordre public et doit être calculé de date à date, sans tenir compte du jour de la réception. Le délai est un délai de forclusion, qui a un caractère préfix mais peut néanmoins être interrompu par certains événements, au nombre desquels la citation en justice et la reconnaissance de responsabilité par le constructeur.
L'Association Saint-Etienne de Gaussan invoque les dispositions de l'article L. 114-2 du code des assurances et indique que la prescription a été interrompue le 19 novembre 2003 par la désignation d'un expert par la compagnie AXA, assureur de la SARL Lezi Constuction.
Cet article, qui concerne la prescription biennale et ne s'applique que dans les rapports entre assuré et assureur, ne peut être utilement invoqué en l'espèce.
Il est constant qu'aucune assignation en justice, même en référé n'est intervenue dans le délai de garantie décennale.
L'Association Saint-Etienne de Gaussan invoque un aveu explicite de responsabilité de la SAS Dicobat et de la SARL Lezi Construction, qui ont déclaré le sinistre à leurs compagnies d'assurance respectives en vue de l'organisation de mesures d'expertise.
La reconnaissance de responsabilité du constructeur n'est susceptible d'interrompre le délai de forclusion qu'à condition de n'être pas équivoque.
En l'espèce, l'Association Saint-Etienne de Gaussan verse aux débats :
- un courrier de la SA Dicobat en date du 11 juillet 2001 lui indiquant que suite à un fax du 10 juillet 2001 et ayant pris connaissance des problèmes du monastère, elle se renseigne auprès de l'entreprise Lezi Construction pour les regards ;
- un courrier adressé par la SA Dicobat à Lezi Construction le 13 janvier 2005 lui demandant de faire le nécessaire pour remettre en ordre l'installation ;
Les démarches accomplies par le maître d'oeuvre, d'abord auprès de la SARL Lezi Construction pour lui demander de remédier aux désordres, puis ensuite, en raison de l'inertie de ce dernier, auprès de son propre assureur ne valent pas reconnaissance de responsabilité de nature à interrompre le délai de la garantie décennale.
Il y a lieu en conséquence de juger qu'à la date de l'assignation en justice de l'Association Saint-Etienne de Gaussan, la forclusion décennale était d'ores et déjà acquise.
En revanche, les propositions d'indemnisation faites par la Compagnie l'Auxiliaire les 25 juin et 31 octobre 2008, « dans un souci d'apaisement », s'opposent à ce que la compagnie l'Auxiliaire puisse se prévaloir de la fin de non recevoir tirée de la forclusion dans la mesure où elle y a renoncé au sens des articles 2220 et 2221 anciens du code civil, et ce alors que la forclusion était déjà acquise.
En effet, son assurée était, dès le 10 juillet 2001, informée par le maître de l'ouvrage de l'existence de désordres et a participé aux opérations d'expertise du cabinet Saretec, saisi par l'assureur de la SARL Lezi Construction ; la compagnie l'Auxilaire a été saisie début juin 2007 d'une déclaration de sinistre formée par la SA Dicobat début 2007, alors que la forclusion était acquise, elle a donné son accord pour passer commande à la société BnB Ingenierie d'un projet de maîtrise d'oeuvre et de conception de reprise de l'ensemble du réseau d'assainissement, pour un montant de 5 100 euros HT.
Elle a, à 3 reprises, au cours de l'année 2008, adressé à l'Association Saint-Etienne de Gaussan une proposition d'indemnisation allant jusqu'à 100 000 euros.
Le fait pour un assureur, parfaitement informé dès le départ de la date d'exécution des travaux, d'accepter, plus d'un an après l'expiration du délai de garantie décennale, de financer un projet de maîtrise d'oeuvre et de conception de reprise du réseau d'assainissement, et ensuite, trois ans après l'expiration du délai de garantie décennale, d'accepter de financer la réfection du réseau d'assainissement à hauteur de la moitié de son coût constitue autant d'actes incompatibles avec la volonté en connaissance de cause de se prévaloir de la prescription acquise et contraires à la position qu'il aurait suivie s'il avait réellement eu l'intention d'user de ce droit.
Ces actes successifs doivent s'analyser en une renonciation non équivoque de la compagnie l'Auxiliaire à se prévaloir de la forclusion acquise.
Les demandes de l'Association Saint Etienne de Gaussan formées à l'encontre de la compagnie l'Auxiliaire doivent donc être déclarées recevables
- Sur la responsabilité :
Il s'évince des conclusions des différentes expertises diligentées, et notamment du rapport du cabinet Saretec et du rapport du CSTB, que les désordres qui affectent les décanteurs digesteurs, qui rendent l'ensemble du réseau impropre à sa destination sont essentiellement dus à un surdimensionnement de l'installation, conçue pour 40 à 50 usagers à terme mais desservies avec une vingtaine d'usagers seulement dans les premières années ; ils procèdent en conséquence d'un vice de conception de l'ouvrage.
Non réservés et non apparents à la réception puis qu'apparus postérieurement à l'intérieur du délai de dix ans, ils compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent tout au moins impropre à sa destination.
Ils relèvent donc de la responsabilité de la SAS Dicobat, à laquelle la compagnie l'Auxiliaire doit sa garantie, sans qu'il y ait lieu de rechercher l'existence d'une faute commise par le maître d'oeuvre, sa responsabilité étant présumée.
- Sur la réparation :
Le maître de l'ouvrage fonde sa demande de réparation sur un devis de réfection du réseau établi par la SAS Rigal TP de restauration de l'assainissement en septembre 2007, qui chiffre le montant des travaux à la somme de 187 529,09 euros TTC. En raison du délai écoulé depuis l'établissement de ce rapport, il demande l'allocation d'une somme forfaitaire de 200 000 euros.
Le préjudice doit être apprécié au jour où le juge statue. Compte tenu de l'ancienneté du litige et du caractère obsolète du seul devis versé aux débats, il y a lieu d'inviter l'Association Saint-Etienne de Gaussan et la compagnie l'Auxiliaire à produire à la cour deux devis chacune de restauration du réseau d'assainissement, sur la base desquels la cour fixera le montant de l'indemnisation.
- Sur l'article 700 du code de procédure civile :
Les demandes de l'Association Saint Etienne de Gaussan relatives à l'article 700 du code de procédure civile seront réservées en fin d'instance.
Aucune considération particulière d'équité ne commande, en revanche qu'il soit fait application de ce même article au profit de la SA AXA France IARD.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, par arrêt rendu par mise à disposition au greffe en application de l'article 451, alinéa 2 du code de procédure civile,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a constaté la déchéance du délai permettant de mettre en jeu la garantie décennale à l'égard de la SA AXA France IARD.
Et, statuant de nouveau :
Dit et juge que la Compagnie l'Auxiliaire a renoncé à se prévaloir de la fin de non recevoir tirée de la forclusion décennale.
Déclare recevable l'action de l'Association Saint-Etienne de Gaussan en indemnisation des désordres de nature décennale à l'encontre de la compagnie l'Auxiliaire, assureur décennal de la SAS Dicobat.
Avant dire droit, sur le montant de l'indemnisation :
Fait injonction à l'Association Saint-Etienne de Gaussan et à la compagnie l'Auxiliaire de produire à la cour, dans le délai de 60 jours à compter du prononcé de l'arrêt, deux devis chacune de restauration du réseau d'assainissement.
Ordonne le renvoi de l'affaire à l'audience collégiale du
mardi 3 avril 2018 à 9h00 clôture le 13 mars 2018
afin qu'il soit statué sur le montant de l'indemnisation du maître de l'ouvrage.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Réserve les dépens et l'article 700.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
NB