COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
CHAMBRE DE L'INSTRUCTION
DU 27 avril 2017
N 2016/ 01115
APPEL D'UNE ORDONNANCE DE SAISIE DE SOMMES INSCRITES AU CREDIT D'UN COMPTE BANCAIRE
DECISION :
CONFIRMATION
A R R E T No
prononcé en chambre du conseil le vingt sept avril deux mil dix sept par Madame ISSENJOU, président
PERSONNE APPELANTE :
X...Michel
né le 31 janvier 1950 à PARIS
Domicilié : ...
Ayant pour avocat Maître CARON, 8, place Saint Côme-34000 MONTPELLIER
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats, du délibéré :
Madame ISSENJOU, Président
Madame OLIVE et Monsieur COMMEIGNES, conseillers,
régulièrement désignés conformément à l'article 191 du code de procédure pénale.
GREFFIER : Madame CERIZOLLA lors des débats et Madame VIGINIER lors du prononcé de l'arrêt.
MINISTERE PUBLIC : Monsieur CAVAILLEZ, substitut général lors des débats.
Arrêt prononcé en présence du Ministère Public.
DEBATS
A l'audience en chambre du conseil le 23 mars 2017, ont été entendus :
Monsieur COMMEIGNES, Conseiller, en son rapport
Monsieur CAVAILLEZ, substitut général, en ses réquisitions
Maître CARON, avocat de Michel X...en ses explications et qui a eu la parole en dernier.
RAPPEL DE LA PROCEDURE
Le 30 novembre 2016, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de MONTPELLIER a rendu une ordonnance d'autorisation de saisie pénale de sommes inscrites au crédit d'un compte bancaire no12939 00095 40000504379 03 ouvert au nom de Michel X...à la banque Dupuy de Parseval, agence Saint Martin à Montpellier.
Cette ordonnance a été notifiée à Michel X...le 1er décembre 2016.
Par déclaration au greffe du tribunal de grande instance de MONTPELLIER du 06 décembre 2016, Maître CARON a fait connaître sa volonté d'interjeter appel de ladite ordonnance.
Maître CARON, avocat, a déposé au nom de Michel X...le 08 février 2017 à 14H35, au greffe de la chambre de l'Instruction un premier mémoire visé par le greffier et communiqué au ministère public.
L'affaire appelée à l'audience du 09 février 2017 a été renvoyée par arrêt au 23 mars 2017, audience pour laquelle les parties ont été invitées à présenter leurs observations quant à l'éventuelle modification d'office du fondement de la saisie querellée en faisant application de l'article 131-21 alinéa 6 du code pénal en lieu et place de l'article 132-21 alinéa 9.
Par avis, lettre recommandée et télécopies en date du 23 février 2017, le procureur général a notifié à Michel X...et à son avocat, l'arrêt de renvoi et la date à laquelle l'affaire serait appelée à l'audience.
Par déclaration au greffe de la chambre de l'instruction en date du 24 février 2017, Maître CARON a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt de renvoi.
Le dossier comprenant le réquisitoire écrit du procureur général a été déposé au greffe de la chambre de l'instruction et tenu à la disposition des avocats des parties.
Il a été ainsi satisfait aux formes et délais prescrits par les articles 194 et 197 du code de procédure pénale.
Maître CARON, avocat, a déposé au nom de Michel X...le 21 mars 2017 à 15H20, au greffe de la Chambre de l'Instruction un second mémoire visé par le greffier et communiqué au Ministère Public.
DECISION
prise après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME
Cet appel, régulier en la forme, a été interjeté dans le délai de l'article 706-154 du code de procédure pénale.
Il est donc recevable.
AU FOND
Un contrôle était effectué par les services fiscaux en février/ mars 2015 auprès d'un grossiste à 1'enseigne DANI FRUITS du marché-gare de MONTPELLIER, cette SARL ayant une activité de commerce de gros en fruits et légumes et comme gérant Michel X....
Il apparaissait que cette société avait au cours de l'exercice clos le 30 septembre 2014 établi quatorze faux comptes clients pour un montant de factures pour l'exercice clos le 30 septembre 2014 de 930. 526, 42 €.
Les factures établies mentionnaient un nom et des coordonnés dissimulant la véritable identité des clients. Leur montant apparaissait systématiquement payé en espèces. M. X...ayant refusé de fournir la véritable identité de ces clients, se voyait infliger une amende fiscale de 50. 000 €.
*****
Une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude fiscale, abus de biens sociaux et travail dissimulé était ouverte en août 2015.
Il était notamment établi :
- que le faux compte au nom de Y... Alphonse pour un montant de 150. 379, 82 € de fausses factures correspondait en fait à la société HEDDA FRUITS (gérant Z...Khalid) de MONTPELLIER.
- que le faux compte au nom de la société MAMMED MAADI pour un montant de 380. 675, 59 € de fausses factures correspondait en fait à la société LABTIRA (gérant A...Benachir) de MONTPELLIER.
Le 23 novembre 2016 Michel X...était interpellé et placé en garde à vue.
La perquisition dans ses bureaux amenait la saisie de 2200 € se trouvant dans la caisse et de 2. 625 € dont il était porteur.
A son domicile étaient découvertes plusieurs enveloppes pré-imprimées DANI FRUITS contenant des bons de caisse et papiers avec des chiffres manuscrits semblant correspondre à une double comptabilité.
La secrétaire Nicole B...reconnaissait que certaines factures clients n'étaient pas établies pour permettre à M. X...de détourner des espèces. Elle reconnaissait avoir créé de faux comptes clients sur les instructions de M. X.... Elle précisait que cette pratique avait cessé depuis 1 an et demi environ après le contrôle effectué par les Finances Publiques.
Elle déclarait encore que les enveloppes découvertes au domicile du gérant comportait une comptabilité manuscrite avec les faux et vrais comptes et que c'est elle qui remettait tous les soirs ces enveloppes à M. X..., lequel conservait une partie des espèces de la journée.
Elle reconnaissait avoir reçu 50. 000 € par chèque du compte personnel de M. X...pour acheter son silence.
L'analyse de cette double comptabilité permettait d'établir que Michel X...avait détourné sur les 15 derniers mois la somme de 433. 516, 54 €.
Michel X...placé en garde à vue était entendu à quatre reprises et reconnaissait avoir créé plusieurs faux comptes clients pour permettre à ces derniers d'échapper au fisc. Il avait également bénéficié de ces pratiques.
Il détaillait les bénéficiaires des faux comptes, les deux principaux représentant à eux seuls pour l'exercice 2013/ 2014 plus de 500. 000 € d'achats en espèces et de fausses facturations. Ces faux comptes devaient lui permettre de détourner une partie des espèces et à ses clients d'en faire autant. Il reconnaissait que le montant total de la fausse facturation et des faux comptes pour l'exercice 2013-2014 était au moins de 1. 200. 000 € et avoir mis en place une double comptabilité lui permettant de sortir des espèces pour au moins 433. 516, 54 € sur les 15 derniers mois.
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Les enquêteurs constataient que Michel X...avait souscrit le 28 novembre 2011 une assurance vie dont le montant s'établissait à 1. 775. 712, 70 €.
Il était également détenteur de plusieurs autres comptes et de plusieurs biens immobiliers dont un appartement et une maison sur MONTPELLIER.
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Le 30 novembre 2016 le juge des libertés et de la détention de MONTPELLIER autorisait la saisie du solde créditeur du compte bancaire no 12939 00095 40000504379003 ouvert au nom de Michel X...à l'agence Saint Martin (117 avenue de Palavas 34000 MONTPELLIER) de la Banque Dupuy de Parseval, d'un montant 45. 000 €.
Il enjoignait à la banque de procéder au virement à l'AGRASC des sommes saisies.
Il considérait que les sommes inscrites sur le compte bancaire précité encouraient la confiscation en valeur, conformément aux dispositions de l'article 131-21 alinéa 9 du code pénal.
C'est l'ordonnance dont appel le 6 décembre 2016.
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Le procureur général requiert confirmation de l'ordonnance de saisie.
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Dans le cadre de ses mémoires le conseil de Michel X...sollicite l'infirmation de l'ordonnance querellée.
Il fait valoir que :
- la chambre de l'instruction ne peut, sous couvert d'une substitution de motifs modifier le fondement de la saisie effectuée laquelle constituerait une saisie de patrimoine nécessitant la saisine du juge des libertés et de la détention sur requête du procureur de la République, un tel procédé revenant à contourner cette condition légale et à effectuer une substitution de base légale laquelle n'est possible qu'en respectant les conditions édictées à l'article 706-148 alinéa 1 du code de procédure pénale ;
- par ailleurs en procédant ainsi la chambre de l'instruction prive le requérant d'un degré de juridiction, un tel procédé allant à l'encontre des dispositions de l'article préliminaire du code de procédure pénale et de l'article 6 de la CEDH ;
- l'ordonnance se borne à se référer aux éléments de motivation émanant du ministère public et ne comporte aucune motivation permettant à la défense de s'assurer du rôle juridictionnel du juge des libertés et de la détention duquel découle la notion d'indépendance et de contrôle ;
- ni la défense ni la chambre de l'instruction ne sont en mesure de s'assurer que le juge des libertés et de la détention s'est livré à un véritable travail d'analyse objectif, est impartial ;
- de manière plus générale, l'ensemble des saisies pratiquées dans la présente procédure, soit la somme de 1. 820. 712, 70 € à l'encontre de Monsieur X...excède le montant total du produit des infractions estimé tant par le ministère public que par le juge des libertés et de la détention à hauteur de 1. 257. 075, 95 €.
SUR QUOI
Attendu que Michel X...est mis en cause pour avoir sciemment utilisé au sein de l'entreprise qu'i1 dirige des comptes clients ouverts à de faux noms, permettant ainsi aux véritables clients de commettre les infractions de fraude fiscale et de blanchiment, préjudice évalué en l'état à minima à 1. 257. 075, 95 € ;
Qu'il est aussi mis en cause pour avoir détourné des espèces pour un montant évalué en l'état à 433. 516, 45 € pour la période du 27. 07. 2015 au 31. 10. 2016 ;
Qu'au total le produit cumulé des infractions peut donc être évalué à 1. 690. 592, 40 € ;
Attendu qu'aux termes de l'article 706-153 du code de procédure pénale, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la République peut autoriser, au cours de l'information, aux frais avancés du Trésor, la saisie des biens ou droits incorporels dont la confiscation est prévue par l'article 131-21 du code pénal ;
Que ce texte vise sans aucune exception, l'ensemble des hypothèses de confiscation prévues par cette dernière disposition ;
Attendu que si aux termes de l'article 131-21 alinéa 9 du code pénal la confiscation peut être ordonnée en valeur, la confiscation peut aussi porter, en application de l'alinéa 6 du même texte, lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, sur tout ou partie des biens appartenant au condamné, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis ;
Qu'en l'espèce, Michel X...est notamment mis en cause pour des faits qualifiés de blanchiment prévus et réprimés à l'article 324-1 du code pénal ;
Que l'article 324-7 12o du code pénal prévoit pour ce délit la peine complémentaire de confiscation de tout ou partie des biens du condamné, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis ;
Attendu qu'en conséquence, l'ordonnance querellée dont la motivation, soumise au contrôle de la cour, apparaît suffisante en ce qu'elle a notamment relevé la nécessité de procéder à la saisie pénale afin de garantir la peine complémentaire de confiscation, mérite confirmation après substitution d'office du fondement de la saisie en faisant application de l'article 131-21 alinéa 6 du code pénal en lieu et place de l'article 132-21 alinéa 9 visé par le juge des libertés et de la détention ;
Attendu qu'en effet il revient à la chambre de l'instruction à laquelle est déférée une ordonnance de saisie de sommes inscrites sur un compte bancaire dont le bien fondé est contesté, de s'assurer de la pertinence du fondement juridique sur lequel s'appuie la mesure de saisie décidée ;
Qu'en raison de l'effet dévolutif de l'appel, la chambre de l'instruction, double degré de juridiction se trouve saisie des points de fait ou de droit pour lesquels le premier juge s'est prononcé dans son ordonnance et lesdits points sont alors soumis à un nouvel examen dans les limites de l'acte d'appel, la chambre devant au besoin substituer aux motifs insuffisants voire erronés du premier juge des motifs répondant aux exigences légales ;
Attendu que la défense opère une confusion entre analyse de la nature de la saisie opérée, fondement juridique et règles procédurales ;
Que si d'une part une saisie pénale mise en œuvre en application de l'article 706-153 sur le fondement de l'article 131-21 alinéa 6 du code pénal doit s'analyser en une saisie de patrimoine telle qu'envisagée par l'article 706-148 laquelle nécessite à minima un avis du ministère public, force est de constater que la saisie a été opérée par le juge des libertés et de la détention sur requête du procureur de la République, la procédure prévue à l'article 706-148 étant ainsi respectée ;
Que d'autre part la substitution de motifs par changement de fondement sur laquelle la défense a été invitée à présenter ses observations porte sur la mise en oeuvre, en lieu et place des dispositions de l'article 131-21 alinéa 9, de celles prévues à l'alinéa 6 du même article auxquelles l'article 706-148 du Code de Procédure Pénale se réfère expressément ;
Qu'il en découle que la substitution de motifs à laquelle se livre la chambre en s'appuyant sur les dispositions de l'article 131-21 du Code pénal, ne peut constituer un détournement de procédure ou encore une substitution de base légale comme la défense le soutient ;
Qu'elle ne porte aucune atteinte aux droits à un procès équitable et à une procédure contradictoire, principes garantis par l'article préliminaire du code de procédure pénale et l'article 6 de la CEDH invoqués par le conseil de Michel X..., dès lors que la chambre de l'instruction avant de procéder à une telle substitution de fondement a pris soin de renvoyer par arrêt l'affaire à une date ultérieure aux fins de permettre aux parties de présenter leurs observations sur une telle substitution de motifs ;
Attendu qu'enfin il sera rappelé qu'une telle saisie pénale ne constitue qu'une mesure provisoire ayant pour objet de garantir l'exécution de la peine complémentaire de confiscation susceptible d'être prononcée par la juridiction correctionnelle si celle-ci venait à être saisie de ces faits ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant en chambre du conseil après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Vu les articles 99, 186, 194 à 200, 207, 212 et 217, 706-141 à 706-147, 706-153 et 706-154 du code de procédure pénale ;
EN LA FORME :
DECLARE l'appel recevable ;
AU FOND
LE DIT mal fondé ;
CONFIRME l'ordonnance déférée ;
DIT que le présent arrêt sera exécuté à la diligence de M. le procureur général.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT