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15/03/2017 | FRANCE | N°15/03425

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 15 mars 2017, 15/03425


COUR D'APPEL DE MONTPELLIER


3ème Chambre B


ARRÊT DU 15 MARS 2017


Numéro d'inscription au répertoire général : 16/ 02691


Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 MARS 2016
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
No RG 15/ 03425


APPELANT :


Monsieur Adrien Y...

né le 1er Avril 1987 à MONTPELLIER (34000)

...

assisté de Me Elsa VILLEMEUR, avocat au barreau de
MONTPELLIER, avocat postulant et Me BERENGERE PLIQUE,
avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant


INT

IME :


MINISTERE PUBLIC
Cour d'appel
1, rue Foch
34000 MONTPELLIER
Représenté par M. BEBON, substitut général


ORDONNANCE DE CLÔTURE du 01 Février...

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

3ème Chambre B

ARRÊT DU 15 MARS 2017

Numéro d'inscription au répertoire général : 16/ 02691

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 MARS 2016
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER
No RG 15/ 03425

APPELANT :

Monsieur Adrien Y...

né le 1er Avril 1987 à MONTPELLIER (34000)

...

assisté de Me Elsa VILLEMEUR, avocat au barreau de
MONTPELLIER, avocat postulant et Me BERENGERE PLIQUE,
avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTIME :

MINISTERE PUBLIC
Cour d'appel
1, rue Foch
34000 MONTPELLIER
Représenté par M. BEBON, substitut général

ORDONNANCE DE CLÔTURE du 01 Février 2017

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 FEVRIER 2017, en chambre
du conseil, Bernard BETOUS ayant fait le rapport prescrit par
l'article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour
composée de :
Madame Sylvie BONNIN, Présidente de chambre
Madame Françoise PENAVAYRE, Conseiller
Monsieur Bernard BETOUS, Conseiller
qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M. Salvatore SAMBITO

Ministère public :

Le ministère public a été entendu en ses conclusions

ARRET :

- contradictoire

-prononcé hors la présence du public par mise à disposition
de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été
préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième
alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;

- signé par Madame Sylvie BONNIN, Présidente de
chambre, et par M. Salvatore SAMBITO, Greffier, auquel la
minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*

* *

*

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur Adrien Y..., né le 1er avril 1987, a été déclaré sur les
registres de l'état civil comme étant de sexe masculin.

Par acte du 05 juin 2015, il a fait assigner le procureur de la
République devant le tribunal de grande instance de Montpellier
afin de voir substituer, sur son acte de naissance, la mention « sexe
masculin » par celle de « sexe féminin » et de voir changer ses
prénoms.

Dans ses conclusions du 23 octobre 2015, le ministère public
donnait un avis favorable à la demande, mais par jugement du 24
mars 2016, le tribunal déboutait Adrien Y... de sa demande de
modification de sexe sur les registres de l'état civil et de ses
demandes accessoires aux motifs qu'il ne rapportait pas la preuve
du caractère irréversible de sa transformation, d'une personne de
sexe masculin, en une personne de sexe féminin.

Suivant déclaration reçue au greffe le 31 mars 2016, Adrien

Y... a régulièrement interjeté appel du jugement du 24 mars
2016.

Dans le dernier état de ses conclusions prises notamment au visa
des articles 9, 57, 60 (ancien), 61-5 et suivants, 99 du code civil et
8 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et notifiées par voie électronique le 17 janvier 2017,
l'appelant demande à la Cour de :

- infirmer le jugement dont appel,

- dire et juger recevable et fondée la demande de Monsieur Adrien,
Pierre, Marie, dit Madame « Aline, Marie, Albertine » Y...,

- ordonner que son acte de naissance soit rectifié en ce sens que la
mention « sexe masculin » soit remplacée par la mention « sexe
féminin »,

- ordonner également que son acte de naissance soit rectifié en ce
sens que la mention « Adrien, Pierre, Marie » soit remplacée par
celle de « Aline, Marie, Albertine »,

- ordonner la retranscription du dispositif du jugement à intervenir
en marge de l'acte de naissance sur les registres de l'état civil,

- rappeler qu'en vertu de l'article 61-7 du code civil, la mention de
la décision de modification du sexe et, le cas échéant, des prénoms
est portée en marge de l'acte de naissance de l'intéressé à la
requête du procureur de la République, dans les quinze jours
suivant la date à laquelle cette décision est passée en force de
chose jugée,

- ordonner qu'aucune expédition des actes d'état civil ne soit
délivrée sans la mention desdites rectifications.

Adrien Y... fait notamment valoir que l'incohérence entre son
apparence physique et son état civil porte continuellement atteinte
à sa vie privée au sens des dispositions des articles 9 du code civil
et 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme, de sorte qu'il se retrouve complètement isolé.

Il considère qu'il rapporte amplement la preuve du caractère
irréversible de la transformation de son apparence au regard des
traitements hormonaux et des opérations chirurgicales.

L'appelant précise que l'exigence de stérilisation ne pouvait être
retenue comme élément de preuve du caractère irréversible de la
transformation de son apparence, comme semble le faire le
jugement critiqué, la Cour européenne des droits de l'homme ayant
condamné un état membre en 2015 pour avoir imposé la condition
de stérilité en préalable au changement de sexe d'une personne
transsexuelle.

Enfin, il invoque le nouvel article 61-5 du code civil qui pose
comme seule condition à la modification de la mention relative à
son sexe dans les actes de l'état civil, la reconnaissance sociale
dont la preuve peut être rapportée par trois types de faits. Il ajoute
qu'il s'agit d'une liste de circonstances qui n'est, ni exhaustive, ni
cumulative, contrairement à ce que prétend le Parquet général, et
qu'en application du nouvel article 61-5 alinéa 4 du code civil, le

changement de prénom ne saurait être une condition préalable à la
modification de la mention du sexe à l'état civil, cette demande
pouvant être formulée conjointement à celle de changement de la
mention du sexe.

De son côté, le Parquet général a notifié par voie électronique le
14 décembre 2016 des conclusions tendant à la confirmation du
jugement déféré.

Il fait valoir que cette décision a rejeté à bon droit la demande de
l'appelant, dès lors que si la réalité du syndrome transsexuel est
établi chez ce dernier, en revanche le caractère irréversible de la
transformation de son apparence ne l'est pas.

Le Parquet général ajoute que le nouvel article 61-5 du code civil,
d'application immédiate, impose à toute personne voulant se voir
reconnaître un changement de sexe, de rapporter la preuve
cumulative de trois séries de faits, dont le changement préalable de
prénom correspondant au sexe revendiqué, ce qui n'est pas le cas
en l'espèce. Cependant, à l'audience des débats, il s'en est remis
sur ce point, à l'appréciation de la Cour.

C'est en cet état des prétentions des parties que la procédure a été
clôturée le 1er février 2017.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les dispositions des articles 61-5 et 61-6 du code civil, issus de la
Loi no2016-1547 du 18 novembre 2016, applicables aux affaires
en cours en vertu de l'article 114 de la Loi et qui constituent
désormais le fondement juridique de la demande dont la Cour est
saisie, énoncent :

« Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre
par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son
sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans
lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en
obtenir la modification.
Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par
tous moyens, peuvent être :
1o Qu'elle se présente publiquement comme appartenant au sexe
revendiquée ;
2o Qu'elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage
familial, amical ou professionnel ;
3o Qu'elle a obtenu le changement de son prénom afin qu'il
corresponde au sexe revendiqué ; ».

« La demande est présentée devant le tribunal de grande instance.
Le demandeur fait état de son consentement libre et éclairé à la
modification de la mention relative à son sexe dans les actes de
l'état civil et produit tous éléments de preuve au soutien de sa
demande.
Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une
opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus
de faire droit à la demande.
Le tribunal constate que le demandeur satisfait aux conditions
fixées à l'article 61-5 et ordonne la modification relative au sexe
ainsi que, le cas échéant, des prénoms, dans les actes de l'état
civil ».

En application de ces nouveaux textes, pour justifier une demande
de rectification de la mention du sexe figurant dans son acte de
naissance, la personne ne doit plus établir, au regard de ce qui est
communément admis par la communauté scientifique, la réalité du
syndrome transsexuel dont elle est atteinte ainsi que le caractère
irréversible de la transformation de son apparence, mais
démontrer, par une réunion suffisante de faits dont la preuve peut
être rapportée par tous moyens, qu'elle se présente publiquement
comme appartenant au sexe revendiqué, qu'elle est connue sous le
sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou
professionnel et/ ou qu'elle a obtenu le changement de son prénom
afin qu'il corresponde au sexe revendiqué.

L'emploi, par le législateur, des termes « Les principaux de ces
faits … peuvent être », permet de considérer que l'énumération de
ces faits et circonstances n'est ni exhaustive, ni cumulative.

En l'espèce, les pièces mises au débat par l'appelant, tant devant
le premier juge qu'en appel, établissent que celui-ci se présente
depuis plus de cinq ans auprès de l'ensemble de son entourage
familial, amical et professionnel comme une personne de sexe
féminin, prénommée Aline, ainsi qu'en attestent la dizaine
d'attestations produites (pièces no4 à 13).

La reconnaissance sociale, posée par la loi nouvelle du 18
novembre 2016 comme seule condition à la modification de la
mention du sexe à l'état civil, ressort également d'autres
documents démontrant que cette reconnaissance ne se limite pas
à son entourage familial et amical mais va bien au-delà, et
constitue, pour l'intéressée, une présentation publique de sa
personne depuis plusieurs années. En témoigne notamment son
inscription à pôle emploi, ses billets SNCF, ses cartes de fidélité
auprès de différentes enseignes ou les commandes effectuées par
internet sur divers sites marchands, tous au nom de Y... Aline.

C'est en conséquence à juste titre que le jugement querellé relève
que « Aline, Adrien Y... se présente à l'audience comme une
personne de sexe féminin et justifie par les nombreuses
attestations de sa famille et de ses proches, notamment
professeurs et ancien compagnon, que son « côté féminin » était
apparu très tôt, que personne n'a été surpris lorsqu'elle a
annoncé sa volonté de transition et que chacun a pu constater
combien elle était enfin épanouie dans une apparence sociale
féminine ».

C'est de manière tout aussi pertinente et par des motifs que la Cour
adopte que la décision entreprise fait état du certificat médical du
23 juillet 2013 établi par le médecin psychiatre traitant Adrien

Y... depuis novembre 2011 et qui certifie chez l'intéressé « la
réalité clinique d'un trouble précoce de l'identité de genre à type
de transsexualisme primaire fiable et stable, indemne de toute
pathologie psychiatrique surajoutée et caractérisé par une
identification féminine originelle structurée et organisée » ainsi
qu'un « mode de vie au féminin depuis septembre 2012 que le
processus de transition déjà bien engagé apparaît nettement
bienfaisant et thérapeutique eu égard à la dysphorie de genre
péjorative antérieure ».

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que l'appelant rapporte la
preuve d'une réunion suffisante de faits démontrant que la mention
relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas
à celui dans lequel il se présente publiquement et dans lequel il est
connu au sein de son entourage familial, amical et social.

Adrien Y... remplissant les conditions posées par le nouvel
article 61-5 du code civil, il convient d'infirmer le jugement
entrepris, dès lors que la preuve du caractère irréversible de la
transformation de son apparence n'est plus exigée, et d'ordonner
la modification de la mention de son sexe sur son acte de
naissance.

Enfin, la Cour, en application des dispositions de l'article 61-6
alinéa 4 du code civil, ordonne la modification des prénoms de
l'intéressé, les prénoms « Aline, Marie, Albertine » venant se
substituer à ceux de « Adrien, Pierre, Marie » ;

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant hors la présence du public, contradictoirement
et après débats en chambre du conseil,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau :

Ordonne que l'acte de naissance de Monsieur Adrien, Pierre,
Marie Y... soit rectifié en ce sens que la mention « sexe
masculin » soit remplacée par celle de « sexe féminin » et qu'à ses
prénoms, soient substitués ceux de « Aline, Marie, Albertine »,

Ordonne la retranscription du dispositif du présent arrêt en marge
de l'acte de naissance sur les registres de l'état civil,

Rappelle qu'en application des dispositions de l'article 61-7 du
code civil, issu de la Loi no2016-1547 du 18 novembre 2016, la
mention de la décision de modification du sexe et celle des
prénoms est portée en marge de l'acte de naissance de l'intéressé,
à la requête du procureur de la République, dans les quinze jours
suivant la date à laquelle cette décision est passée en force de
chose jugée,

Ordonne qu'aucune expédition des actes d'état civil sans la
mention desdites rectifications ne soit délivrée,

Laisse les dépens à la charge de l'appelant.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,

SS/ BB


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Numéro d'arrêt : 15/03425
Date de la décision : 15/03/2017

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Montpellier


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-03-15;15.03425 ?
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