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délivrées le
Ã
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1ère Chambre C
ARRET DU 10 JANVIER 2017
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/06714
Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 JUILLET 2014
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BEZIERS
No RG 13/00645
APPELANTE :
SARL BACOTEC GESTION représentée en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège social [...]                                                          [...]
représentée par Me Bernard BORIES de la SCP MAGNA BORIES CAUSSE CHABBERT, avocat au barreau de BEZIERS, avocat postulant
et assistée de Me CAUSSE de la SCP MAGNA BORIES CAUSSE CHABBERT, avocat au barreau de BEZIERS, avocat plaidant
INTIMES :
Monsieur Philippe Y...
né le [...]         à MEZIERES
de nationalité Française
[...] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â
et actuellement [...] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â
représenté par Me Benjamin JEGOU substituant Me Dominique Charles FRESET de la SCP AVOCARREDHORT, avocat au barreau de BEZIERS
Madame Sylvie B... épouse Y...
née le [...]          à VILLERS SEMEUSE
de nationalité Française
[...] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â
et actuellement [...] Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â Â
représentée par Me Benjamin JEGOU substituant Me Dominique Charles FRESET de la SCP AVOCARREDHORT, avocat au barreau de BEZIERS
ORDONNANCE DE CLOTURE DU 31 Octobre 2016
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 21 NOVEMBRE 2016, en audience publique, Mme Chantal RODIER ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre
Madame Nathalie AZOUARD, Conseiller
Madame Chantal RODIER, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, - lors des débats : Mme Ginette DESPLANQUE
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre, et par Madame Sylvie D..., auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire. ------------------------
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Les époux Y... ont fait l'acquisition auprès de la société Bacotec d'un appartement et d'un parking en l'état de futur achèvement dans un immeuble « [...] » au Cap d'Agde, ayant vocation de résidence hôtelière et para hôtelière. La livraison de l'immeuble intervenait le 9 août 2002.
Préalablement, le 1er juillet 2002, la société Bacotec Gestion, appartenant au même groupe financier que le promoteur et désireuse, dans le cadre de son activité d'exploitant de résidence de tourisme, de se voir conférer la jouissance des biens vendus aux époux Y..., a régularisé avec ces derniers un bail portant sur lesdits biens.
L'objet du bail était défini en ces termes :
« le propriétaire a procédé à l'acquisition du bien immobilier compris dans un ensemble immobilier offrant des services hôteliers ou parahôteliers, aux fins d'en conférer la jouissance pour une durée au moins égal à 9 années à un exploitant unique agissant lui-même dans le cadre de son activité commerciale de gestion desdites résidences. »
Le bail était consenti pour une durée de 9 années et demi entières et consécutives, avec libération à son terme des biens immobiliers faisant l'objet de la présente convention, étant en outre précisé au paragraphe no 6 que « l'exploitant restituera au terme de la convention ou de ses renouvellements successifs, les biens immobiliers faisant l'objet de la présente convention au propriétaire, sans revendiquer quelques droits que ce soit, nés des présentes, et notamment le droit à indemnité d'éviction visé à l'article 8 du décret du 30 septembre 1953. »
C'est dans ces conditions que, par acte d'huissier du 20 mai 2011, les époux Y..., en vue de l'arrivée du terme des 9 années et demi, ont fait signifier à la société Bacotec Gestion un congé pour le 31 décembre 2011, avec refus de renouvellement et sans indemnité d'éviction conformément au paragraphe no 6 dudit bail »
Après échanges de courriers entre les conseils des parties, la société Bacotec Gestion assignait les époux Y..., par acte du 22 février 2013, devant le tribunal de grande instance de Béziers, en nullité du congé qui ne serait pas motivé, et en se prévalant de l'inopposabilité au preneur d'une clause de renonciation à l'indemnité d'éviction, clause nulle selon les dispositions de l'article L. 145-15 du code de commerce, à raison du caractère d'ordre public de ces dispositions interdisant de faire échec au droit du preneur au renouvellement du bail ou à une indemnité d'éviction.
En défense, les bailleurs soutenaient la nullité de la convention sur le fondement du dol ayant vicié leur consentement, au visa des dispositions de l'article 1116 du code civil. Ils faisaient valoir notamment que :
- la société Bacotec, en sa qualité de professionnel de l'immobilier, leur a proposé un contrat dans lequel était insérée une clause de renonciation à l'indemnité d'éviction, clause substantielle pour eux au regard de la rentabilité de l'investissement, et ce alors même que ce professionnel avait une connaissance obligée de l'absence de portée de ladite clause au regard des dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux ;
- eux-mêmes, petits investisseurs étaient totalement profanes en matière de baux commerciaux et tenus dans l'ignorance de l'inefficacité d'une clause contraire aux dispositions d'ordre public du statut des baux commerciaux ;
- ce comportement constitue une manœoeuvre qui a surpris leur consentement par la ruse de sorte qu'ils sont bien fondés à solliciter la nullité du contrat pour vice du consentement par dol.
- en conséquence de la nullité du bail, il y a lieu de débouter la société Bacotec Gestion de ses demandes et de juger que les indemnités d'occupation dues par le preneur se compenseraient avec les loyers versés.
Par jugement contradictoire en date du 7 juillet 2014, le tribunal de grande instance de Béziers a :
Dit que le consentement des époux Y... a été vicié par un dol commis par la société Bacotec,
En conséquence,
Annulé le bail commercial en date du 1er juillet 2002,
Dit n'y avoir lieu au paiement d'une quelconque indemnité d'éviction au profit de la société Bacotec,
Débouté la société Bacotec de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions,
Condamné la société Bacotec Gestion à payer à Monsieur et Madame Y... B... une somme de 2 000 € pour procédure abusive,
Rejeté toutes demandes contraires ou plus amples des parties,
Condamné la société Bacotec Gestion à payer à Monsieur et Madame Y... B... une somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné la société Bacotec Gestion aux dépens de l'instance,
Ordonné l'exécution provisoire.
APPEL
La société Bacotec Gestion a relevé appel de ce jugement par déclaration en date du 2 septembre 2014.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 octobre 2016.
*****
Vu les dernières conclusions de la société Bacotec Gestion en date du 28 novembre 2014, auxquelles il est expressément référé pour plus ample et complet exposé des motifs et du dispositif, et demandant à la cour, au visa du bail du 1er juillet 2002, du congé sans offre de renouvellement du 20 mai 2011, des dispositions des articles L. 145-10 et L.145-14 du code de commerce, des articles 1108 et suivants et 1304 du code civil, de la jurisprudence applicable et des pièces versées aux débats, d'infirmer le jugement du 7 juillet 2014 rendu par le tribunal de grande instance de Béziers, et de :
Juger que l'action en nullité, fondée sur l'article 1116 du code civil est prescrite conformément aux articles 1117 et 1304 du code civil,
Subsidiairement, juger que les conditions d'application de l'article 1116 du code civil ne sont pas réunies, notamment l'élément déterminant du dol,
En conséquence,
Condamner les époux Y... au paiement d'une indemnité d'éviction de la somme de 13 358,04 €,
Subsidiairement, et avant dire droit sur le montant de l'indemnité,
Ordonner une mesure d'expertise aux fins de chiffrer ladite indemnité,
Condamner Monsieur Philippe Y... et Madame Sylvie Y... à lui payer la somme de 3 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Les condamner aux entiers dépens.
*****
Vu les dernières conclusions de Monsieur Philippe Y... et Madame Sylvie B... épouse Y... en date du 28 janvier 2015, auxquelles il est expressément référé pour plus ample et complet exposé des motifs et du dispositif, et demandant à la cour, au visa des dispositions des articles 1108 et suivants, 1116, 1382, 1134, 1135 et 1156 du code civil et du régime applicable aux baux commerciaux, de :
À titre principal :
Confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Débouter la société Bacotec Gestion de toutes ses demandes, fins et prétentions,
Subsidiairement,
Juger que le bail litigieux ne relève pas du statut d'ordre public des baux commerciaux,
Juger qu'aucune indemnité d'éviction n'est due à la société Bacotec Gestion, celle-ci y ayant contractuellement renoncé,
Juger valable le congé délivré,
Par conséquent,
Débouter la société Bacotec Gestion de toutes ses demandes, fins et prétentions,
En tout état de cause
Condamner la société Bacotec Gestion à leur payer la somme de 2 500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamner la société Bacotec Gestion aux entiers dépens d'appel, avec distraction selon les dispositions de l'article 699 du même code.
*****
SUR CE
Sur le dol et sur l'absence de prescription :
L'appelante soutient en cause d'appel, au visa des dispositions de l'article 1117 du code civil, que les époux Y... ne pouvaient ignorer, dès la signature du bail litigieux, la présence dans ledit contrat d'une clause dont ils ne bénéficieraient pas puisque celle-ci est contraire à l'ordre public. En d'autres termes, elle prétend que l'action en nullité du bail serait prescrite du fait que ses bailleurs auraient eu connaissance, dès la signature du bail, que leur consentement était vicié par la clause litigieuse qui emportait leur consentement alors qu'ils ne pourraient s'en prévaloir.
Ce raisonnement n'est pas sérieusement fondé. En effet, si le dol est établi comme ayant vicié le consentement des époux Y... au jour de la signature du contrat, on ne voit pas comment ils auraient pu dans le même temps s'en apercevoir et néanmoins signer le contrat.
La question du dol et celle de la prescription qui est opposée ne peuvent donc être traitées que concomitamment.
Les époux Y..., qui sont de petits investisseurs, non seulement ne sont pas - au contraire du preneur - des professionnels de l'immobilier, mais sont parfaitement profanes en matière de baux commerciaux.
La société Bacotec Gestion, qui fait partie du même groupe financier que le promoteur Bacotec, est la rédactrice du bail-type qu'elle a fait signer à l'ensemble des acquéreurs de l'immeuble.
Alors que l'immeuble ne serait livré que le 9 août 2002, il ressort du courrier de la société Bacotec Gestion adressée aux époux Y... en date du 12 décembre 2001, et produit par ces derniers en pièce 2, que la régularisation du bail qu'elle leur soumettait était présentée aux acquéreurs comme un préalable nécessaire à l'acte d'acquisition devant notaire de leur futur appartement.
Pour être une société spécialisée dans la gestion des résidences de tourisme et en se portant preneur de l'ensemble des appartements de l'immeuble, la société Bacotec Gestion avait une parfaite connaissance du statut des baux commerciaux, et donc une connaissance obligée, dès la rédaction du contrat, de l'inopposabilité de la clause litigieuse qu'elle insérait néanmoins sciemment, en dépit des dispositions d'ordre public relatives au droit du preneur au renouvellement du bail ou à une indemnité d'éviction.
C'est donc avec une malignité certaine que le preneur a introduit dans le bail cette clause dont elle savait pertinemment que les différents propriétaires de l'immeuble, parmi lesquels les époux Y..., ne pourraient s'en prévaloir le moment venu, soit en fin de bail soit à l'issue d'un renouvellement de celui-ci.
Dès lors que le preneur a rédigé une telle clause sans aucune portée, c'est bien que celle-ci était essentiellement destinée à tromper l'investisseur profane en le rassurant faussement.
Si la société Bacotec ne pouvait ignorer que cette clause était contraire aux dispositions d'ordre public, en revanche, rien ne permettait aux futurs acquéreurs de soupçonner que leur futur preneur ne faisait là que feindre de renoncer par avance au droit à une indemnité d'éviction.
Dès lors, les futurs acquéreurs et bailleurs pouvaient avoir la croyance légitime que cette renonciation constituait un réel engagement du preneur et qu'elle participait à un équilibre des obligations réciproques constituant l'économie générale du contrat.
C'est donc à bon droit que le premier juge a retenu par des motifs synthétiques que la cour adopte que la société Bacotec a proposé, en sa qualité de professionnel de l'immobilier à la signature des époux Y..., une clause de renonciation qu'elle savait sans portée, et ce alors que cette clause était pour eux une condition substantielle du contrat, dès lors qu'elle permettait une sortie du bail à frais réduits pour les preneurs ; que de tels agissements constituent une manœoeuvre destinée à surprendre le consentement d'une partie par la ruse et que les époux Y... rapportent donc la preuve d'un dol entachant le contrat les liants à la société Bacotec.
Si la somme de 13 358,04 €, réclamée au titre d'une indemnité d'éviction, est certes relativement en deçà des sommes usuellement réclamées en la matière devant les juridictions, cette somme n'est pour autant nullement dérisoire pour les petits investisseurs profanes que sont les époux Y....
Ces derniers, avant de s'engager, ont considéré l'avantage financier manifeste que présentait cette renonciation du preneur à une indemnité d'éviction, et ont pu être invités à comparer cet avantage relativement à d'autres opérations d'investissement immobilier dans le même secteur ne présentant pas une telle clause.
Dès lors, la renonciation du preneur à une indemnité d'éviction ne pouvait apparaître que comme un élément déterminant de l'opération proposée. Si leur attention n'avait pas été attirée par cette spécificité et l'intérêt financier qui en ressortait, ils n'auraient pas contracté.
En effet, le coût de plus de 13 000 € réclamé au titre d'une indemnité d'éviction est pour eux un montant non négligeable représentant un affaiblissement certain de la rentabilité de l'opération.
La croyance légitime qu'avaient les époux Y... en une renonciation du preneur à l'indemnité d'éviction a perduré tout au long du bail, puisqu'ils ont signifié, par acte du 20 mai 2011, un congé pour le 31 décembre 2011, sans indemnité d'éviction conformément au paragraphe 6 dudit bail.
La prescription d'une action en nullité du bail sur le fondement du dol n'a pu commencer à courir qu'à compter du 30 novembre 2011, soit la date du courrier recommandé adressé aux époux Y... par le conseil de la société Bacotec Gestion, leur indiquant notamment :
« Vous vous prévalez d'une clause du bail qui est inopposable au preneur. En effet cette clause est nulle car endroit il est impossible de renoncer par avance un droit d'ordre public. Plus particulièrement les dispositions de l'article L. 145-15 énoncent que sont nuls et de nul effet les clauses ayant pour effet de faire échec aux droits de renouvellement vous dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37, L. 145-41, L. 145-42, et L. 145-47 Ã
L. 145-54.(...)
La renonciation éventuelle du preneur à l'indemnité d'éviction ne peut de surcroît intervenir que postérieurement à la naissance du droit en sorte que toute renonciation exprimée dans le bail initial est nulle. (...)
En conséquence ma cliente n'entend pas, sous toute réserve de ses droits ultérieurs, renoncer à son droit à indemnité d'éviction qui est calculée sur la base du chiffre d'affaires des 3 dernières années moins les loyers qui vous ont été reversés soient sur la marge brute ainsi déterminée (30 879,83 -17341,79 = 13 538,04 € HT).
En outre, en l'espèce, les époux Y... soutiennent le dol par voie d'exception opposée à la demande principale de la société Bacotec Gestion.
En conséquence, l'exception de nullité du bail, opposée par les époux Y... à la société Bacotec Gestion n'est pas prescrite.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point et la fin de non recevoir tirée de la prescription sera écartée.
Sur les conséquences du dol :
C'est à bon droit et par des motifs pertinents que la cour adopte que le premier juge a prononcé la nullité du bail et a considéré que les loyers versés venaient en compensation des indemnités d'occupation dues pour occupation sans titre.
Sur l'indemnité pour procédure abusive :
Ainsi que l'a retenu le premier juge, la mauvaise foi de la société Bacotec Gestion est parfaitement établie.
C'est avec la même malignité dolosive qu'elle a agi en paiement de l'indemnité d'éviction, son action apparaissant comme une procédure d'intimidation à l'encontre de ses bailleurs profanes, alors qu'elle avait parfaitement conscience d'être parvenue à vicier leur consentement par une manoeœuvre dolosive.
Le jugement sera donc confirmé sur l'indemnité de 2 000 € allouée aux époux Y... pour procédure abusive.
Sur les autres demandes :
En définitive, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions, en ce compris celles relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
Il sera fait droit à hauteur de 2 000 € à la demande des intimés d'une indemnité complémentaire au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.
L'appelante qui succombe en toutes ses prétentions supportera les entiers dépens de l'appel.
PAR CES MOTIFS
Vu les dispositions de l'article 1116 du code civil,
Vu les pièces produites,
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Bacotec Gestion à payer aux époux Y... la somme complémentaire de 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Bacotec Gestion aux dépens qui seront recouvrés selon les modalités de l'article 699 du même code.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
CR