COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1o Chambre Section D
ARRÊT DU 12 JUILLET 2016
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/05237
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 MAI 2014 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BEZIERS No RG 12/02740
APPELANTE :
Madame Bénédicte X... née le 30 Octobre 1972 à MANTES LA JOLIE ... 33170 GRADIGNAN représentée par Me MASSOL de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER
INTIMEES :
Madame Nada Y... de nationalité Française ... 34500 BEZIERS représentée par Me Vittoria OUVRARD, avocat au barreau de MARSEILLE
Compagnie d'assurances INTER HANNOVER prise en la personne de son mandataire la SA MARSH elle-même prise en la personne de son représentant légal domicilié es-qualité au siège social sis Tour Ariane 92088 PARIS LA DEFENSE cedex Tour Ariane 92088 PARIS LA DEFENSE CEDEX représentée par Me Vittoria OUVRARD, avocat au barreau de MARSEILLE
ORDONNANCE DE CLÔTURE du 30 Mai 2016
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure civile, l'affaire a été débattue le 20 JUIN 2016, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre, chargé du rapport
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre Madame Nathalie AZOUARD, Conseiller Madame Martine ROS, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mme Monique AUSSILLOUS
ARRET :
- contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile ;
- signé par Monsieur Philippe GAILLARD, Président de chambre, et par Mme Monique AUSSILLOUS, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Le Docteur gynécologue Nada Y... a posé un stérilet le 7 mars 2008 à Bénédicte X....
Des examens réalisés en 2010 ont révélé que le stérilet avait perforé la paroi utérine et migré dans l'abdomen, et la patiente a dû subir une ablation du stérilet sous anesthésie générale le 5 mai 2010. Une ordonnance en référé du 21 septembre 2010 a fait droit à sa demande d'ordonner une expertise médicale, et le médecin expert a déposé son rapport le 15 décembre 2011. Par acte du 7 septembre 2012, Bénédicte X... a fait citer le Docteur Nada Y... et son assureur la compagnie Inter Hanover, celle-ci représentée par son mandataire judiciaire la société Marsh.
Le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Béziers le 12 mai 2014 énonce dans son dispositif :
. Vu le rapport d'expertise du Docteur Z.... . Dit que le Docteur Nada Y... a commis une faute en ne dispensant à Madame X... aucune information sur les risques encourus, et en assurant pas un suivi médical diligent. . En conséquence, condamne in solidum le Docteur Nada Y... et la société Marsh à verser à Madame X... la somme de 8000 € de dommages-intérêts. . Condamne in solidum le Docteur Nada Y... et la société Marsh à verser à Madame X... la somme de 2500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les frais d'une exécution forcée. . Condamne in solidum le Docteur Nada Y... et la société Marsh aux dépens, en ce compris les dépens afférents à l'instance en référé.
Le jugement expose que le rapport d'expertise indique que la perforation de l'utérus lors de la mise en place du stérilet est une complication qui n'est pas spécifiquement fautive qui survient dans un certain nombre de cas ; elle a été contemporaine de la pose du stérilet. Il en déduit que la perforation est une conséquence directe du geste médical, et que le médecin devait informer la patiente des risques. Il relève ensuite dans la notice du stérilet la recommandation de consulter sans attendre un médecin en cas de douleurs abdominales persistantes qui avaient été précisément ressenties par la patiente, que la persistance des douleurs à l'examen du 6 mars 2009 aurait dû alerter le médecin et le conduire à envisager des examens complémentaires sans attendre la visite annuelle de contrôle.
Il relève d'une part une perte de chance de renoncer à la pose du stérilet, cependant minime en raison d'antécédents médicaux de la patiente qui ne lui permettai ent pas de bénéficier de l'ensemble des moyens contraceptifs, d'autre part l'allongement des douleurs et des troubles dans les conditions d'existence résultant de la négligence dans le suivi médical. Il retient des souffrances endurées, une mauvaise qualité des rapports sexuels, et un déficit fonctionnel temporaire établi par l'attestation de la mère de la patiente qui a du la prendre en charge après l'intervention d'ablation du stérilet en mai 2010.
Bénédicte A... oux a relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 9 juillet 2014.
La clôture de la procédure est intervenue par ordonnance du 30 mai 2016.
Les dernières écritures pour Bénédicte X... ont été déposées le 8 octobre 2014.
Les dernières écritures pour le Docteur Nada Y... et la société Marsh ont été déposées le 4 décembre 2014.
Le dispositif des écritures de Bénédicte X... énonce :
. Retenir le défaut d'information des risques de complications en lien avec la pose d'un stérilet. . Évaluer le préjudice subi à la somme de 10 000 €. . Relever que la migration du stérilet de la cavité intra-utérine à l'abdomen ne peut résulter que d'un geste maladroit du médecin, que celui-ci s'est rendu coupable d'un défaut de suivi en négligeant les requêtes itératives du patient et en ne mettant pas en œuvre les moyens d'investigation complémentaire. . Évaluer l'indemnisation du préjudice de souffrances endurées à 8000 €, celle du préjudice sexuel temporaire à 6000 €. . Condamner en conséquence le Docteur et son assureur en paiement de la somme de 24 000 €. . Les condamner au paiement de la somme de 6000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire.
Bénédicte X... expose qu'elle a interpellé à de multiples reprises le cabinet du Docteur sur la persistance quotidienne des douleurs abdominales depuis la pose du stérilet, que le médecin se contentera de prescrire du Spasfon sans procéder à aucun examen, que l'indication de la migration du stérilet a pu intervenir seulement sur la consultation d'un autre médecin en raison d'un changement de domiciliation. Elle demande une réparation de 10 000 € pour le préjudice moral de déficit de préparation en lien avec le stress et l'interrogation sur les causes des douleurs incessantes pendant plus de deux ans. Elle soutient l'existence d'une présomption de faute du médecin lorsque est intervenue une lésion d'un organe non visé par l'intervention.
Elle demande une revalorisation de l'indemnisation des préjudices résultants des souffrances endurées et du déficit fonctionnel sexuel.
Le dispositif des écritures de Nada Y... et de la société Marsh énonce :
. Mettre hors de cause le Docteur Nada Y.... . À titre subsidiaire, réduire les sommes allouées. . Déduire des montants la créance des organismes sociaux. . Condamner Bénédicte A... oux au paiement de la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Florence Auby.
Le Docteur Nada Y... expose que l'information du patient lorsqu'il va lui-même retir er son médicament dans une officine incombe à la notice d'information par le fabricant de l'utilisateur présente dans le conditionnement, que la patiente est allée elle-même achetet le stérilet en pharmacie, que la notice mentionnait dans la description des effets indésirables « une partie ou le dispositif tout entier peut perforer la paroi utérine », enfin qu'il a satisfait à son obligation d'information sur les alternatives thérapeutiques, puisque le traitement a été décidé en accord avec la patiente au regard de ses antécédents. La perte de chance n'existe pas alors que les antécédents médicaux de la patiente ne lui laissaient pas d'autre alternative dans sa volonté de contraception.
Il soutient que le préjudice aujourd'hui invoqué d'un déficit de préparation au risque est une demande nouvelle irrecevable au regard de l'article 564 du code de procédure civile. Il oppose au moyen de présomption de faute que l'organe visé par la pose du stérilet est bien l'utérus qui a été par ailleurs lésé par la migration ultérieure. Il a pas commis de faute, alors que la perforation de l'utérus est reconnue non fautive et pouvant survenir, et que les douleurs abdominales font parti es des effets indésirables fréquents rappelés dans la notice du médicament.
À titre subsidiaire, il propose une indemnisation des préjudices limité e à 4000 € pour les souffrances endurées, et soutient que l'incidence sur la douleur dans les rapports sexuels fait partie du même poste d'indemnisation.
MOTIFS
Le Docteur Nada Y... et son assureur invoquent en moyen préalable que le préjudice invoqué d'un déficit de préparation au risque est une demande nouvelle irrecevable en appel. L'article 564 du code de procédure civile interdit de soumettre à la cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour faire écarter les prétentions adverses. L'article 565 précise que ne sont pas nouvelles les prétentions qui tendent aux mêmes fins même si leur fondement juridique est différent.
La cour relève dans l'exposé du litige du jugement déféré que Bénédicte X... réclamait un montant d'indemnisation au titre du préjudice fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du préjudice sexuel, et qu'elle reprochait dans ses écritures au médecin un défaut d'information sur les risques de perforation de la paroi utérine et une négligence dans le suivi médical. Les demandes énoncées dans le dispositif des écritures en appel de Bénédicte X..., au titre de l'indemnisation d'un défaut d'information des risques, d'un défaut de suivi médical, d'indemnisation des souffrances endurées et d'un préjudice sexuel, tendent à l'évidence aux mêmes fins, et sur le même fondement juridique même si l'intimé souhaite l'intituler « déficit de préparation au risque ».
Sur le défaut d'information
Le premier juge a justement rappelé que le praticien à un devoir permanent d'information sur les risques éventuels de l'acte médical envisagé, dont il ne peut être dispensé par le seul fait que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement, de sorte qu'il avait l'obligation d'informer la patiente du risque de perforation de la paroi utérine lors de la mise en place du stérilet, alors qu'il est établi que cette complication par ailleurs non fautive e st un effet indésirable connu, spécialement mentionné dans la notice du fabricant.
L'expert judiciaire retient que le praticien a prodigué des soins conformes aux données acquises de la science compte tenu des antécédents médicaux de la patiente, mais que l'information sur les éventuelles complications de la pose du stérilet ne résultait pas clairement des éléments soumis à son appréciation.
Le Docteur Nada Y... n'est pas fondé à s'exonérer de cette carence de preuve d'une information suffisante en rejetant l'obligation sur la seule notice d'information par le fabricant, alors que son obligation personnelle autonome résulte nécessairement de sa qualité de professionnel de santé dans la relation de confiance avec le patient. De la même façon, la légitimité reconnue par l'expert judiciaire de l'indication du traitement de la contraception par la pose du stérilet compte-tenu des antécédents médicaux du patient e st sans incidence sur l'obligation particulière d'une information suffisante sur les risques éventuels.
Sur le défaut de suivi médical
Le Docteur Nada Y... ne développe pas d'argumentation contraire aux motifs du jugement déféré qui observe un suivi médical peu diligent au regard des douleurs abdominales invoquées par la patiente, notamment pour la mise en œuvre d'examens complémentaires malgré la persistance des douleurs après l'examen du 6 mars 2009, alors que la notice du stérilet mentionne précisément la nécessité de consulter rapidement le médecin dans le cas de ces douleurs qui constituent des effets indésirables connus.
Sur les préjudices
Le Docteur Nada Y... et son assureur exposent avec raison que la perte de chance n'est pas caractérisée alors que les antécédents médicaux de la patiente ne lui laissaient pas d'alternative d'autres moyens de contraception. Mais le jugement déféré avait lui-même considéré comme minime la probabilité d'un refus du stérilet et n'avait pas pris en compte d'indemnisation particulière à ce titre, et d'autre part Bénédicte X... ne fonde pas de prétention à indemnisation sur ce poste de préjudice.
L'indemnisation est réclamée au titre de l'insuffisance d'information et de suivi médical. La cour retient que les deux éléments de comportement fautif du médecin ont eu pour même conséquence la prise en charge tardive par une ablation le 5 mai 2010 du stérilet posé le 7 mars 2008, alors que la patiente mieux informée sur les risques de perforation utérine aurait peut-être été plus à même de solliciter une intervention plus rapide, et que la mise en œuvre également plus rapide d'examens complémentaires aurait pu également mettre un terme aux douleurs.
L'expertise judiciaire retient comme préjudice secondaire à la perforation, des douleurs intermittentes mais sûrement très violentes contenu de la localisation du stérilet, qu'il propose de placer à 3 sur l'échelle de 7 pendant deux ans, puis trois jours d'hospitalisation pour l'ablation du stérilet sous cœlioscopie, et une mauvaise qualité des rapports sexuels conséquemment à la douleur évaluée à 1/7.
Bénédicte X... est par ailleurs fondée à invoquer un préjudice moral en lien avec le stress et l'interrogation sur les causes des douleurs pendant plus de deux ans.
La cour fixe l'indemnisation du préjudice moral à la somme de 3000€. Les souffrances endurées à 3/7 seront réparées à hauteur de 4000 €. Le préjudice sexuel temporaire à 1/7 sera fixé en l'absence d'éléments précis d'appréciation au-delà de l'échelle retenue par l'expert à un montant de 1000 €. Le montant total s'élève en conséquence à la somme de 8000 €, équivalente à celle allouée par le premier juge.
Il n'y a pas lieu à déduction du montant d'une créance d'un organisme social s'agissant de l'indemnisation de préjudices à caractère personnel.
Le dispositif du jugement de première instance sera en conséquence confirmé, sauf en ce qui concerne l'affectation des montants et la qualification des postes de préjudices.
Sur les autres prétentions
Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais non remboursables engagés dans une procédure d'appel exclusivement engagée par l'appelante sur un montant d'indemnisation sur lequel elle ne sera pas satisfaite par l'arrêt de la cour.
Les dépens de l'appel seront supportés solidairement par le Docteur Nada Y... et son assureur.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement rendu le 12 mai 2014 par le tribunal de grande instance de Béziers, sauf en ce qui concerne l'affectation des montants et la qualification des postes de préjudices,
Et statuant à nouveau sur les dispositions infirmées :
Condamne solidairement le Docteur Nada Y... et la société Marsh mandataire judiciaire de la compagnie d'assurances Inter Hanover à payer à Bénédicte X... les montants suivants d'indemnisation de son préjudice :
. au titre du préjudice moral, 3000 € . au titre des souffrances endurées, 4000 € . au titre du préjudice sexuel, 1000 € soit au total : 8000 €
Dit n'y avoir lieu à l'application en appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne solidairement le Docteur Nada Y... et la société Marsh mandataire judiciaire de la compagnie d'assurances Inter Hanover aux dépens de l'appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
PG/MA