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25/11/2014 | FRANCE | N°14/05814

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 2o chambre, 25 novembre 2014, 14/05814


Grosse + copie délivrées le à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2o chambre
ARRET DU 25 NOVEMBRE 2014
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/ 05814
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 MARS 2014 TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER No RG 2012008092

DEMANDERESSE sur QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITE :
SAS SOPER immatriculée au RCS de PARIS no 420 624 645, représentée par Monsieur Jean-Michel A..., son président en exercice domicilié ès qualités au siège social 3-5 Rue Scheffer 75016 PARIS représentée par Me Sophie DE

BERNARD de la SCP PALIES-DEBERNARD-JULIEN, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant assis...

Grosse + copie délivrées le à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER

2o chambre
ARRET DU 25 NOVEMBRE 2014
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/ 05814
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 MARS 2014 TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER No RG 2012008092

DEMANDERESSE sur QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITE :
SAS SOPER immatriculée au RCS de PARIS no 420 624 645, représentée par Monsieur Jean-Michel A..., son président en exercice domicilié ès qualités au siège social 3-5 Rue Scheffer 75016 PARIS représentée par Me Sophie DEBERNARD de la SCP PALIES-DEBERNARD-JULIEN, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant assistée de Me Antoine BEAUQUIER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

DEFENDEURS sur QUESTION PRIORITAIRE de CONSTITUTIONNALITE :

Monsieur Thierry X...né le 23 Août 1957 à CHARLEROI (BELGIQUE) ...34570 SAINT PAUL ET VALMALLE représenté par Me Franck DENEL de la SCP DENEL, GUILLEMAIN, RIEU, DE CROZALS, TREZEGUET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant assisté de Me RIEU, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

SELARL FHB représentée par Me Jean-François Y...domicilié audit siège agissant ès qualités de mandataire ad'hoc de la société LA COMPAGNIE DU VENT désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de MONTPELLIER du 12 novembre 2014 sis 5 rue des Salins 34000 MONTPELLIER ...75001 PARIS représentée par Me Marie Camille PEPRATX NEGRE de la SCP Eric NEGRE, Marie Camille PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant assistée de Me Stéphane GOUIN, avocat substitué par Me Marie-Camille PEPRATX-NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

S. A. GDF SUEZ immatriculée au RCS de Nanterre sous le no 542 107 651 prise en la personne de son Président Directeur Général en exercice domicilié ès qualités au dit siège social 1 Place Samuel de Champlain 92400 COURBEVOIE représentée par Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE-avocats associés, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant assistée de Me Didier MALKA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

INTERVENANTE :

SAS LA COMPAGNIE DU VENT prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié ès qualités audit siège social LE TRIADE II 215 rue Samuel Morse 34000 MONTPELLIER Assignée le 30 juillet 2014- A personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le MARDI 21 OCTOBRE 2014 à 13H45 en audience publique, Monsieur Jean-Luc PROUZAT, conseiller ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de procédure civile, devant la cour composée de :
Monsieur Daniel BACHASSON, président Monsieur Jean-Luc PROUZAT, conseiller Madame Brigitte OLIVE, conseiller qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Marie-Françoise COMTE

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.

ARRÊT :

- réputé contradictoire
-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Daniel BACHASSON, président, et par Madame Sylvie SABATON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS et PROCEDURE-MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :
La SA Gdf-Suez est entrée, en novembre 2007, dans le capital social de la SAS La Compagnie du Vent (la société LCV), dont elle détient 59 %, tandis que la SAS Soper, l'associé fondateur, en détient 41 % ; la société Gdf-Suez et la société Soper ont alors convenu de développer le projet de création d'un parc éolien en mer, entre Dieppe et le Tréport, dénommé « des Deux Côtes », dont la société LCV avait démarré les études en 2005.
Des dissensions entre les associés de la société LCV sont apparues en 2011 à propos du montage financier du projet, que la société Gdf-Suez voulait organiser sous son contrôle avec des investisseurs partageant les risques.
Lors d'une assemblée générale des associés de la société LCV, tenue le 27 mai 2011, que Jean-Michel A..., son président, avait convoquée pour être autorisé, notamment dans le cadre du dossier « des Deux Côtes », à entamer des négociations avec l'associé Gdf-Suez en vue d'une indemnisation par ce dernier des préjudices subis par LCV, celui-ci a été révoqué de ses fonctions de président et remplacé par Thierry X....
M. X...a présenté un projet d'accord de collaboration entre la société LCV et la société Gdf-Suez, prévoyant notamment le transfert, contre rémunération, des études préalables, au vote d'une assemblée générale réunie le 1er juillet 2011, qui l'a rejeté en raison de l'opposition de la société Soper ; invoquant un abus de minorité de celle-ci, la société Gdf-Suez a saisi en référé le président du tribunal de commerce de Montpellier lequel, par ordonnance du 13 juillet 2011, a désigné un mandataire ad hoc en la personne de M. Z...pour voter en lieu et place de la société Soper sur le projet d'accord de collaboration.
La signature de l'accord de collaboration et le transfert des études de la société LCV à la société Gdf-Suez ont alors été votés lors d'une nouvelle assemblée générale de la société LCV du 22 juillet 2011.
En l'état, la société Soper a, par acte du 15 mai 2012, fait assigner M. X...et la société Gdf-Suez devant le tribunal de commerce de Montpellier pour les voir condamner in solidum, l'un en qualité de dirigeant de droit de la société LCV, l'autre en qualité de dirigeant de fait, à réparer le préjudice subi par la société LCV du fait de leurs fautes de gestion sur le fondement des articles L. 225-252 et L. 227-8 du code de commerce.

Par jugement du 19 mars 2014, le tribunal a notamment :
- dit l'action engagée par la société Soper à l'encontre de la société Gdf-Suez irrecevable,- dit que M. X...n'a pas commis de faute de gestion dans le cadre de ses fonctions de président de la société LCV,- dit qu'il n'y a pas lieu à désignation d'un expert judiciaire,- dit le tribunal incompétent pour se prononcer sur les manquements et prétentions soulevés par la société Soper à l'encontre de la société Gdf-Suez au titre du pacte d'associés du 29 novembre 2007,- débouté la société Soper de toutes ses demandes,- débouté M. X...de sa demande reconventionnelle à titre de dommages et intérêts,- condamné la société Soper à payer à M. X...la somme de 10 000 ¿, à la société Gdf-Suez la somme de 10 000 ¿ et à la société FHB, désignée comme mandataire ad hoc de la société LCV, celle de 500 ¿, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Soper a relevé appel de ce jugement.
Le 29 juillet 2014, elle a déposé des conclusions tendant à transmettre à la Cour de cassation, pour renvoi au Conseil constitutionnel, la question prioritaire de constitutionnalité visant à l'abrogation par celui-ci des dispositions des articles L. 225-252 et L. 227-8 du code de commerce, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, en ce qu'elles interdisent à l'associé d'une société par actions simplifiée d'intenter l'action sociale en responsabilité contre un dirigeant de fait de ladite société, comme portant atteinte au principe de responsabilité et de réparation garanti par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, à la garantie des droits assurée par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et au principe d'égalité devant la loi garanti notamment par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
Elle fait essentiellement valoir que :
- tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, ce qui est le cas, en l'occurrence, de l'interprétation que fait la Cour de cassation des dispositions de l'article L. 225-252 du code de commerce auquel renvoie l'article L. 227-8, qui ne visent, selon elle, que les agissements commis par les dirigeants de droit,
- les conditions de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation, prévues par l'article 23-2 de l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée, se trouvent remplies,
- en premier lieu, les dispositions législatives concernées fondent la fin de non-recevoir soulevée par la société Gdf-Suez et n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel,
- la question est ensuite sérieuse et nouvelle en ce que les dispositions législatives dont s'agit, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, méconnaissent :
¿ le principe de responsabilité découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui doit permettre aux associés ou actionnaires d'engager une action sociale ut singuli contre les dirigeants de droit comme de fait, en vue de la réparation du préjudice causé à la société par leurs fautes de gestion, ¿ le droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aucun motif d'intérêt général n'étant susceptible de restreindre le droit de nature patrimoniale que constitue la créance indemnitaire de la personne morale envers le dirigeant de fait fautif, ¿ la garantie des droits assurée par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui tend à ce qu'un recours effectif puisse être exercé, par le biais de l'action sociale ut singuli, contre le dirigeant de fait, ¿ le principe d'égalité devant la loi posé à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors, en effet, qu'elles créent une rupture d'égalité tant vis-à-vis des actionnaires agissant ut singuli, que des dirigeants de droit et des dirigeants de fait, seuls les premiers pouvant être poursuivis.

La société Gdf-Suez conclut au débouté de la société Soper de sa demande de transmission à la Cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité ; elle soutient que celle-ci ne justifie pas le caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité au sens de l'article 23-2 (3o) de l'ordonnance du 7 novembre 1958 modifiée, dans la mesure où :
- sur la prétendue atteinte au principe de responsabilité et de réparation : ¿ l'action sociale ut singuli, qui est dérogatoire au droit commun (notamment à la règle selon laquelle « nul ne plaide par procureur »), a été spécialement autorisée par le législateur pour permettre aux actionnaires d'agir en responsabilité contre le dirigeant de droit lorsqu'il est évident que celui-ci n'agirait pas contre lui-même, ¿ l'action en responsabilité de la société contre tout tiers ou un dirigeant de fait est normalement engagée par le dirigeant de droit et l'inaction de celui-ci permet aux actionnaires d'exercer contre ce dirigeant de droit l'action sociale ut singuli, ¿ la question prioritaire de constitutionnalité de la société Soper tend seulement à critiquer la jurisprudence, soumettant au droit commun l'exercice de l'action sociale contre le dirigeant de fait ou tout tiers,

- sur la prétendue atteinte au droit de propriété : ¿ l'interprétation donnée par la Cour de cassation aux articles L. 225-252 et L. 227-8 n'a pas pour effet de priver la société de son droit d'exercer une action en réparation à l'encontre du dirigeant de fait, ¿ les créances indemnitaires ne font pas l'objet d'un droit de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel,

- sur la prétendue atteinte à la garantie des droits : ¿ le dirigeant de droit peut engager l'action sociale contre le dirigeant de fait ou tout tiers et l'action sociale est ouverte aux actionnaires en cas d'inaction du dirigeant de droit en sorte qu'il ne peut être soutenu que l'interprétation par la Cour de cassation des dispositions législatives susvisées pore atteinte à la garantie des droits,

- sur la prétendue atteinte au principe d'égalité devant la loi : ¿ tous les actionnaires sont dans la même situation au plan de l'exercice de l'action sociale ut singuli, de même que les dirigeants, le dirigeant de droit pouvant être actionné par les actionnaires agissant ut singuli, le dirigeant de fait par le dirigeant de droit représentant la société.

M. X...et la société FHB prise en sa qualité de mandataire ad hoc de la société LCV indiquent s'en rapporter à justice sur la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité.

Le ministère public auquel le dossier de l'affaire a été communiqué a donné son avis consistant à s'en rapporter.

MOTIFS de la DECISION :
La question prioritaire de constitutionnalité soutenue par la société Soper, appelante du jugement rendu le 19 mars 2014 par le tribunal de commerce de Montpellier, l'a été, conformément à l'article 126-2 du code de procédure civile, dans un écrit motivé et distinct des conclusions au fond prises dans le cadre de la procédure d'appel du jugement ; le moyen ainsi présenté est donc recevable.
Selon l'article 23-2 de l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 (portant loi organique sur le Conseil constitutionnel), créé par la loi organique no 2009-1523 du 10 décembre 2009, la juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation et il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :
1o La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2o Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3o La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'occurrence, les dispositions contestées sont applicables au litige puisqu'elles sont invoquées par la société Gdf-Suez pour conclure que l'action en responsabilité engagée contre elle est irrecevable ; elles n'ont pas, non plus, été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et la Cour de cassation n'est pas actuellement saisie d'une question les mettant en cause par des moyens identiques.
Pour le surplus, la compatibilité des articles L. 225-252 et L. 227-8 du code de commerce avec les articles 2, 4, 6, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, énoncée par le préambule de la Constitution, ne constitue pas un moyen qui puisse être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.
L'article L. 225-252 du code de commerce énonce qu'outre l'action en réparation du préjudice subi personnellement, les actionnaires peuvent, soit individuellement, soit par une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 225-120, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, intenter l'action sociale en responsabilité contre les administrateurs ou le directeur général ; l'article L. 227-8 du même code dispose que les règles fixant la responsabilité des membres du conseil d'administration et du directoire des sociétés anonymes sont applicables au président et aux dirigeants de la société par actions simplifiée.
En premier lieu, le refus de la Cour de cassation d'appliquer aux dirigeants de fait de la société anonyme ou de la société par actions simplifiée le régime de l'action en responsabilité des articles L. 225-252 et L. 227-8 est conforme à la lettre des textes en cause.
Ce refus d'application ne porte ensuite aucune atteinte au principe de responsabilité et de réparation posé à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que l'action sociale ut singuli, qui constitue une exception à la règle selon laquelle « nul ne plaide par procureur », est conçue comme une action subsidiaire, dont disposent les actionnaires ou associés, visant à pallier l'inaction des dirigeants de droit lorsque ceux-ci n'ont pas intérêt à agir contre eux-mêmes, que les tiers, se comportant comme des dirigeants de fait, sont susceptibles, s'ils causent un préjudice social, d'être assignés en responsabilité sur le fondement du droit commun des articles 1382 et 1383 du code civil par les dirigeants de droit de la personne morale et ne bénéficient donc pas d'une situation d'impunité et que l'inaction de ces derniers à agir en responsabilité contre les tiers responsables est constitutive d'une faute de gestion autorisant les actionnaires ou associés à exercer contre eux l'action sociale en responsabilité ; il ne peut être soutenu que l'atteinte au principe de responsabilité et de réparation résulterait du fait que, dans certains cas, le dirigeant de droit refuse d'agir contre un dirigeant de fait, qui l'a fait désigner et peut le révoquer à tout moment, comme c'est le cas, en l'espèce, de la société Gdf-Suez, associé majoritaire au sein de la société LCV, qui est à l'origine de la nomination de M. X..., qui est son salarié, aux fonctions de président de la société ; l'appréciation de la compatibilité de la jurisprudence de la Cour de cassation, refusant d'appliquer l'action sociale ut singuli aux dirigeants de fait, au principe de responsabilité et de réparation à valeur constitutionnelle, ne peut dépendre, en effet, de circonstances de fait particulières ; il en est de même dans l'hypothèse où le dirigeant de fait présenterait une solvabilité supérieure à celle du dirigeant de droit au point de garantir à la personne morale une meilleur indemnisation du préjudice subi.
Contrairement à ce qui est affirmé, le refus d'application de l'action sociale en responsabilité des articles L. 225-252 et L. 227-8 aux dirigeants de fait, ne conduit pas à priver la personne morale de son droit d'agir en justice contre les intéressés en vue de faire constater sa créance indemnitaire à raison de leurs fautes de gestion et n'a donc ni pour objet, ni pour effet d'entraîner la privation de son droit de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Il a été indiqué plus haut que les dirigeants de droit de la personne morale pouvaient agir en réparation du préjudice social contre les tiers, dont les dirigeants de fait, et qu'en cas d'inaction de leur part, ils étaient eux-mêmes susceptibles d'être assignés en responsabilité par les actionnaires ou associés ; il ne peut ainsi être soutenu que l'interprétation donnée par la Cour de cassation aux articles L. 225-252 et L. 227-8, en ce qu'elle prive les actionnaires ou associés d'un recours juridictionnel effectif à l'encontre des dirigeants de fait, porte atteinte à la garantie des droits reconnue par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, d'autant que l'action sociale ut singuli, dont bénéficient les actionnaires ou associés contre les dirigeants de droit, est elle-même dérogatoire au droit commun.
Enfin, il n'existe aucune atteinte avérée au principe d'égalité devant la loi posé à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que les actionnaires de la société anonyme ou les associés de la société par actions simplifiée sont tous dans une situation identique, leur permettant d'exercer l'action sociale ut singuli contre les dirigeants de droit soit individuellement, soit en formant une association, soit en se groupant, et que les dirigeants de droit et de fait sont également dans une même situation, les premiers pouvant être attraits en justice par le biais de l'action ut singuli, les seconds pouvant être assignés à l'initiative du représentant de la personne morale exerçant l'action ut universi.
Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soumise à la cour ne présente pas le caractère sérieux nécessaire à sa transmission à la Cour de cassation.
Les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de l'instance principale.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Dit n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité présentée par la société Soper dans le cadre de la procédure d'appel du jugement rendu le 19 mars 2014 par le tribunal de commerce de Montpellier,
Dit que les dépens de l'incident suivront le sort des dépens de l'instance principale.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
JLP


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 2o chambre
Numéro d'arrêt : 14/05814
Date de la décision : 25/11/2014

Analyses

La question prioritaire de constitutionnalité tirée du refus de la Cour de cassation d'appliquer aux dirigeants de fait de la société anonyme ou de la société par actions simplifiée le régime de l'action en responsabilité des articles L. 225-252 et L. 227-8 du Code de Commerce permettant aux actionnaires ou aux associés d'agir soit individuellement, soit en formant une association, soit en se groupant, contre ses dirigeants de droit ne présente pas le caractère sérieux nécessaire à sa transmission à la Cour de cassation. En effet, en premier lieu, ce refus ne porte aucune atteinte au principe de responsabilité et de réparation posé à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que l'action sociale ut singuli , qui constitue une exception à la règle selon laquelle « nul ne plaide par procureur », est conçue comme une action subsidiaire, dont disposent les actionnaires ou associés, visant à pallier l'inaction des dirigeants de droit lorsque ceux-ci n'ont pas intérêt à agir contre eux-mêmes, que les tiers, se comportant comme des dirigeants de fait, sont susceptibles, s'ils causent un préjudice social, d'être assignés en responsabilité sur le fondement du droit commun des articles 1382 et 1383 du code civil par les dirigeants de droit de la personne morale et ne bénéficient donc pas d'une situation d'impunité et que l'inaction de ces derniers à agir en responsabilité contre les tiers responsables est constitutive d'une faute de gestion autorisant les actionnaires ou associés à exercer contre eux l'action sociale en responsabilité. En second lieu, ce refus ne conduit pas à priver la personne morale de son droit d'agir en justice contre les dirigeants de fait en vue de faire constater sa créance indemnitaire à raison de leurs fautes de gestion et n'a donc ni pour objet, ni pour effet d'entraîner la privation de son droit de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En troisième lieu, il ne porte pas davantage atteinte à la garantie des droits reconnue par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen puisque les dirigeants de droit peuvent être assignés en responsabilité en cas d'inaction de leur part contre les dirigeants de fait, d'autant que l'action sociale ut singuli, dont bénéficient les actionnaires ou associés contre les dirigeants de droit, est elle-même dérogatoire au droit commun. Enfin, il n'existe aucune atteinte avérée au principe d'égalité devant la loi posé à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que les actionnaires ou les associés sont tous dans une situation identique, leur permettant d'exercer l'action sociale ut singuli contre les dirigeants de droit et que les dirigeants de droit et de fait sont également dans une même situation, les premiers pouvant être attraits en justice par le biais de l'action ut singuli, les seconds pouvant être assignés à l'initiative du représentant de la personne morale exerçant l'action ut universi.


Références :

Décision attaquée : Tribunal de commerce de Montpellier, 19 mars 2014


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.montpellier;arret;2014-11-25;14.05814 ?
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