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25/03/2014 | FRANCE | N°14/00617

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1o chambre section d, 25 mars 2014, 14/00617


Grosse + copie délivrées le à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1o Chambre Section D
ARRÊT DU 25 MARS 2014
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/ 00617
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 AOUT 2013 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN No RG 13/ 01511

APPELANTE :

SARL COUSSANES Ranch des Albères Route de Sorède 66700 ARGELES SUR MER représentée par Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE-AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant assistée de Me Nicolas JONQUET, avocat au barreau de MO

NTPELLIER, avocat plaidant

INTIMES :

Monsieur Eberhard X... de nationalité Française ... 66...

Grosse + copie délivrées le à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1o Chambre Section D
ARRÊT DU 25 MARS 2014
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/ 00617
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 AOUT 2013 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN No RG 13/ 01511

APPELANTE :

SARL COUSSANES Ranch des Albères Route de Sorède 66700 ARGELES SUR MER représentée par Me Jacques Henri AUCHE de la SCP AUCHE HEDOU, AUCHE-AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant assistée de Me Nicolas JONQUET, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat plaidant

INTIMES :

Monsieur Eberhard X... de nationalité Française ... 66740 VILLELONGUE DELS MONTS représenté par Me Morgane SALVIGNOL GUILHEM, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant assisté de Me Marina BLANC substituant Me FALANDRY de la SCP RAYNAUD ET ASSOCIES, avocat au barreau des PYRENEES ORIENTALES, avocat plaidant

Madame Mireille X... de nationalité Française ... 66740 VILLELONGUE DELS MONTS représentée par Me Morgane SALVIGNOL GUILHEM, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant assistée de Me Marina BLANC substituant Me FALANDRY de la SCP RAYNAUD ET ASSOCIES, avocat au barreau des PYRENEES ORIENTALES, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 FEVRIER 2014, en audience publique, Monsieur Jacques MALLET ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Jacques MALLET, Président Madame Chantal RODIER, Conseiller Mme Françoise VIER, Conseillère qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Monique AUSSILLOUS

Ministère public :

L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.

ARRET :

- contradictoire
-prononcé en audience publique par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile ;
- signé par Monsieur Jacques MALLET, Président, et par Mme Andrée ALCAIX, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DU LITIGE :
M. Eberhard X... et son épouse, Mme Mireille Z... (les époux X...) sont propriétaires de 30 parcelles acquises successivement depuis 1976, formant une propriété de plus de 6 hectares située sur la commune de Villelongue-dels-Monts (66740), dite ..., dans une zone présentant des risques de crues et faisant à ce titre l'objet d'un plan de prévention des risques (PPR).
La SARL Coussanes est propriétaire, depuis septembre 2002, sur la même commune de plusieurs parcelles situées en amont de celles des époux X..., et incluant le mas Coussanes.
Invoquant la réalisation de travaux sur un chemin constituant en partie basse l'accès, voire le seul accès, au ... et modifiant le cours des eaux au point d'aggraver les risques d'inondation, les époux X... ont obtenu du juge des référés la désignation d'un expert et l'interdiction pour la SARL Coussanes d'intervenir ou d'entreprendre des travaux sur les parcelles de ceux-là.
Saisi par les époux X... sur le fondement du trouble anormal de voisinage, en lecture des rapports établis les 15 septembre 2005 et 26 septembre 2006 par l'expert judiciaire, M. A..., le tribunal de grande instance de Perpignan a, par jugement contradictoire du 14 février 2012 : ¿ dit que la SARL Coussanes, par l'exécution de travaux modificatifs du chemin d'exploitation du ..., sur la commune de Villelongue-dels-Monts, causé un trouble anormal de voisinage aux époux X... ; ¿ déclaré la SARL Coussanes tenue de faire cesser le trouble et à la réparation du préjudice subi par les époux X... ; ¿ condamné la SARL Coussanes à faire procéder aux travaux de remise en état selon des modalités définies au dispositif du jugement et auxquelles il est expressément renvoyé pour une lecture complète et détaillée ;

¿ condamné la SARL Coussanes à payer aux époux X... une somme de 5 000 ¿ à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 3 000 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; ¿ ordonné l'exécution provisoire de la décision et condamné la SARL Coussanes aux dépens, en ce compris les frais de la procédure de référé-expertise et les frais d'expertise, à l'exception des frais d'études demandées par les époux X... ou des frais exposés pour leur assistance technique, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le 12 avril 2012, la SARL Coussanes a relevé appel de ce jugement.
Après que les parties ont conclu au fond et que l'affaire a été fixée pour plaidoiries à l'audience du 17 février 2014, la SARL Coussanes a saisi, le 27 janvier 2014, la cour d'une question prioritaire de constitutionnalité.
Tenant l'examen de cette question prioritaire de constitutionnalité à l'audience initialement prévue, la procédure au fond a fait l'objet, ce même jour, d'un renvoi à la mise en état.
Sur la question prioritaire de constitutionnalité, les parties ont déposé leurs dernières conclusions : * le 7 février 2014 pour la SARL Coussanes ; * le 5 février 2014 pour les époux X....

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La SARL Coussanes demande à la cour de transmettre à la Cour de cassation pour renvoi au Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité concernant, non pas le principe général de prohibition de la suppression d'un chemin d'exploitation, par application de l'article L. 162-3 du code rural et de la pêche maritime, mais la portée effective de l'interprétation jurisprudentielle constante conférée à cette disposition et consistant à interdire une modification de l'assiette, sauf accord unanime des usagers et de surseoir sur le fond dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel.
Sur la recevabilité de cette question, la SARL Coussanes soutient que :

la demande des époux X... est fondée sur l'allégation d'une modification d'assiette du chemin d'exploitation litigieux ; le Conseil constitutionnel n'a jamais eu à se prononcer sur cette question prioritaire de constitutionnalité ; tenant l'atteinte au droit de propriété, cette question est sérieuse en ce que l'interprétation prétorienne qui est faite de l'article L. 162-3 du code rural et de la pêche maritime méconnaît les articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le second étant appliqué à la privation de propriété et le premier en matière de limitation des prérogatives de celle-ci tandis que " les limites devant être apportées à son exercice doivent être justifiées par un motif d'intérêt général et proportionné à l'objectif poursuivi " ; au cas d'espèce, aucun intérêt général ne saurait justifier la prohibition de modifier l'assiette, seuls des intérêts de nature privée étant en jeu.

Les époux X... demandent à la cour de dire que la question prioritaire de constitutionnalité ainsi posée est dépourvue de caractère sérieux et qu'il n'y a donc pas lieu à transmission de cette question dès lors que : le sens de la jurisprudence dénoncée par la SARL Coussanes est d'interdire toute modification d'assiette d'un chemin d'exploitation, à défaut d'accord des autres propriétaires, refusant ainsi à un seul propriétaire le droit de modifier un tel chemin qui sert à la communication entre divers héritages ou à leur exploitation ; en limitant la question prioritaire de constitutionnalité à la prohibition de la modification de l'assiette du chemin d'exploitation telle que découlant de l'application jurisprudentielle de l'article L. 162-3 du code rural et de la pêche maritime, la SARL Coussanes reconnaît que l'interdiction de supprimer un chemin d'exploitation est admissible compte tenu de l'objectif de circulation poursuivi par le texte ; le débat porte donc sur la limitation des prérogatives du droit de propriété et non sur la privation de ce droit ; la SARL Coussanes ne conteste pas que l'intérêt général pouvant justifier ladite limitation, découle de l'objectif de circulation entre les fonds ; l'interdiction de modification de l'assiette d'un chemin d'exploitation constitue, en outre, une protection du droit de propriété de chacun des riverains et mieux, tend à préserver ce droit ;

de même, cette interdiction est proportionnée à l'objectif de circulation visé par le législateur ; l'analogie avec le droit des servitudes, notamment l'autorisation de modification de l'assiette permise par l'article 701 du code civil, est par ailleurs inopérante, tenant les dispositions de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime, le régime du chemin d'exploitation ne créant ni fonds servant ni fonds dominant ; enfin, l'intérêt général n'est pas absent du seul fait que les intérêts en jeu sont de nature privée puisque le chemin d'exploitation constitue un chemin de circulation créé sur les propriétés privées et permet, à partir des fonds privés, d'accéder à tout fonds riverain et de l'exploiter.

Par avis du 28 janvier 2014, le ministère public a conclu à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité en ce que l'interprétation par la Cour de cassation de l'article L. 162-3 du code rural ne s'applique pas au litige et n'apparaît pas dans les différentes écritures déposées depuis le 21 septembre 2007 par la SARL Coussanes.
******
Sur l'audience, dûment avisées par le président de la teneur des conclusions du ministère public dont il ne ressort pas des pièces de la procédure qu'elles leur avaient été communiquées, les parties en ont pris acte, précisant ne pas devoir faire parvenir à la cour une quelconque note en délibéré afin de répliquer aux arguments développés par le ministère public, par application des dispositions de l'article 445 du code de procédure civile.
SUR CE :
En la forme, la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SARL Coussanes n'est aucunement discutée, au sens des dispositions de l'article L. 126-2 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs ultimes conclusions au fond déposées respectivement le 24 janvier 2014 et le 20 août 2013, tant la SARL Coussanes que les époux X... s'accordent sur la qualification chemin litigieux, objet des travaux effectués par la SARL Coussanes et constitutifs, aux termes du jugement dont appel, d'un trouble anormal de voisinage, comme un chemin d'exploitation au sens de l'article L. 162-1 du code rural et de la pêche maritime.

Il n'est pas plus discuté que ce chemin ainsi qualifié s'étend jusqu'au fonds des époux X....

Cet article dispose que les chemins d'exploitation servent exclusivement à la communication entre divers fonds, ou à leur exploitation tandis qu'aux termes de l'article L. 162-3 du même code, ils ne peuvent être supprimés que du consentement de tous les propriétaires qui ont le droit de s'en servir.
Il est constant qu'en cause d'appel, le litige porte sur l'application des deux articles L. 162-1 et L. 162-3 du code rural et de la pêche maritime auxquels se réfèrent expressément les parties.
À l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soulève devant la cour, la SARL Coussanes entend circonscrire cette question à la seule portée effective que l'interprétation jurisprudentielle constante confère à l'article L. 162-3 précité en ce que les chemins d'exploitation ne sauraient voir leur assiette modifiée, en l'absence d'accord des autres propriétaires, dénonçant d'une part, l'absence d'intérêt général susceptible de justifier une telle prohibition et d'autre part, à supposer rapportée l'existence d'un intérêt général, le caractère non proportionné de l'atteinte au droit de propriété.
La SARL Coussanes ne conteste nullement la constitutionnalité de l'article L. 162-3 précité dès lors que l'interdiction de supprimer un chemin d'exploitation est, pour elle, admissible, compte tenu de l'objectif de circulation entre les fonds ainsi poursuivi.
Y ajoutant, la cour rappelle qu'en application dudit article, l'interdiction énoncée ne se conçoit qu'en l'absence de consentement de tous les propriétaires.
Dès lors, la SARL Coussanes ne saurait dans le même temps soutenir l'inconstitutionnalité de l'application jurisprudentielle qui est faite dudit article L. 162-3, en ce qu'elle prohibe notamment la modification de l'assiette d'un tel chemin.
En effet, outre que le sens donné par la SARL Coussanes à la jurisprudence constante invoquée, demeure justement contesté par les époux X..., la cour observe, à l'instar de ces derniers, que cette prohibition tend précisément à interdire toute modification de l'assiette par un seul propriétaire, même sur une portion de chemin lui appartenant, à défaut d'être intervenue avec l'accord de tous les autres propriétaires qui ont le droit de s'en servir.
De la même manière, la SARL Coussanes ne saurait prétendre qu'aucun intérêt général ne justifie la prohibition de modifier l'assiette d'un chemin d'exploitation tout en ne déniant pas qu'un même intérêt découle précisément de l'objectif de circulation entre les fonds, étant rappelé qu'un chemin d'exploitation est à l'usage exclusif de leurs titulaires qui en assument en commun l'entretien et en ont, en commun, l'usage.
Il s'en évince que, sauf à méconnaître la spécificité du régime des chemins d'exploitation, la limitation du droit de propriété découlant de la jurisprudence invoquée ne peut être considérée comme non justifiée par un motif d'intérêt général et non proportionnée à l'objectif poursuivi puisque que la prohibition ainsi contestée par la SARL Coussanes tend au respect du droit de propriété des autres usagers du chemin d'exploitation.
L'analogie avec le droit des servitudes, notamment avec la possibilité de déplacer l'assiette d'une servitude dans les conditions de l'article 701 du code civil, est, par ailleurs, inopérante au regard des caractéristiques des chemins d'exploitation.
Dans ces conditions, telle qu'énoncée par la SARL Coussanes, la question prioritaire de constitutionnalité dont s'agit demeurant dépourvue de caractère sérieux au sens de l'article 23-2 3o de l'ordonnance du 7 novembre 1958 dans sa rédaction issue de la loi organique no 2009-1523 du 10 décembre 2009, il n'y a pas lieu à sa transmission à la Cour de cassation.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Constate que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SARL Coussanes est dépourvue de caractère sérieux,
Dit n'y avoir lieu à transmission de cette question à la Cour de cassation,
Condamne la SARL Coussanes aux dépens de la présente instance.

LE GREFFIER. LE PRÉSIDENT.

JM/ AA


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1o chambre section d
Numéro d'arrêt : 14/00617
Date de la décision : 25/03/2014

Analyses

Sauf à méconnaître la spécificité du régime des chemins d'exploitation, la limitation du droit de propriété découlant de la jurisprudence prohibant la modification de leur assiette en l'absence d'accord des autres propriétaires ne peut être considérée comme non justifiée par un motif d'intérêt général et non proportionnée à l'objectif poursuivi puisque cette prohibition tend au respect du droit de propriété des autres usagers du chemin d'exploitation, ce qui prive de caractère sérieux la question prioritaire de constitutionnalité.


Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance de Perpignan, 05 août 2013


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.montpellier;arret;2014-03-25;14.00617 ?
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