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07/01/2014 | FRANCE | N°12/09041

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 1o chambre section d, 07 janvier 2014, 12/09041


Grosse + copie délivrées le à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1o Chambre Section D
ARRET DU 07 JANVIER 2014
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 09041

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 NOVEMBRE 2012 COMMISSION D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE DOMMAGES RÉSULTANT D'UNE INFRACTION DE MONTPELLIER-No RG 11/ 01407

APPELANTE :

Organisme FONDS DE GARANTIE Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions « FGTI », article L. 422-1 du code des assurances, géré par le Fonds de Garantie des Assuranc

es Obligatoires de Dommages « FGAO », article L. 421-1 du code des assurances dont le siège socia...

Grosse + copie délivrées le à

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1o Chambre Section D
ARRET DU 07 JANVIER 2014
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 09041

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 NOVEMBRE 2012 COMMISSION D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE DOMMAGES RÉSULTANT D'UNE INFRACTION DE MONTPELLIER-No RG 11/ 01407

APPELANTE :

Organisme FONDS DE GARANTIE Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions « FGTI », article L. 422-1 du code des assurances, géré par le Fonds de Garantie des Assurances Obligatoires de Dommages « FGAO », article L. 421-1 du code des assurances dont le siège social est 64 rue Defrance, 94300 Vincennes, représenté par son Directeur Général en exercice, faisant élection de domicile en sa délégation de Marseille, Les Bureaux du Méditerranée, 39 boulevard Vincent Delpuech, 13006. 39 boulevard Vincent Delpuech 13255 Marseille Cedex 06 représenté par Me Francis TOUR de la SCP THEVENET, TOUR, LAVILLE, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMES :

Madame Karima X... Agissant tant en son nom personnel qu'ès qualités de représentante légale de ses filles mineures Wissame X..., née le 22 avril 2005 et Lina X..., née le 30 juillet 2008 de nationalité Française ......34070 MONTPELLIER représentée par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS-AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER assistée de Me PIVARD Corinne, avocate au barreau de Montpellier, avocate plaidante.

Monsieur Abdelmalik X... Représenté par sa tutrice Géraldine J...selon jugement du TI de Montpellier du 30 mars 2012 de nationalité Française C/ o Mm Géraldine J......34570 VILLENEUVE LES MAGUELONES représentée par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS-AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER assistée de Me PIVARD Corinne, avocate au barreau de Montpellier, avocate plaidante.

Madame Isabelle Y... Agissant ès qualités de représentante légale de ses fils mineurs Yassine X..., né le 2 mai 1996 et Younès X..., né le 31 mai 1998 de nationalité Française ......34070 MONTPELLIER représentée par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS-AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER assistée de Me PIVARD Corinne, avocate au barreau de Montpellier, avocate plaidante. (bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2013/ 2833 du 06/ 03/ 2013 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)

Monsieur El Hassan X... de nationalité Française ... 34700 LODEVE représenté par Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS-AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER assistée de Me PIVARD Corinne, au barreau de Montpellier, avocate plaidante.

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 23 Octobre 2013

COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 du Code de Procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 NOVEMBRE 2013, en chambre du conseil, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jacques MALLET, Président, chargé du rapport et Madame Chantal RODIER, conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de : Monsieur Jacques MALLET, Président Madame Chantal RODIER, Conseiller Monsieur Pierre BARON, Conseiller, désigné par ordonnance de Monsieur le Premier Président du 30 août 2013.

Greffier, lors des débats : Mme Josiane MARAND
Ministère public :
L'affaire a été communiquée au ministère public, qui a fait connaître son avis.
ARRET :
- contradictoire
- prononcé en chambre du conseil par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile ;
- signé par Monsieur Jacques MALLET, Président, et par Mme Josiane MARAND, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

Le 9 mai 2009, M. Abdelmalik X... était victime de plusieurs coups de couteau portés à l'occasion d'une rixe l'ayant opposé à M. Abderrahmane Z... qui a été condamné pour ces faits de violences volontaires ayant entraîné une incapacité permanente par la cour d'assises de l'Hérault, le 18 octobre 2011.

Par arrêt civil du même jour, la cour d'assises allouait diverses sommes en réparation de leur préjudice d'affection, à chacun d'eux, à :
Mme Karima A...épouse X..., ès qualités de mandataire spéciale de son époux, M. Abdelmalik X..., et de représentante légale de ses filles mineures, Wissame et Lina X... ; Mme Isabelle Y..., ès qualités de représentante légale de ses fils mineurs, Yassine et Younès X....

Dans l'intervalle, par requête du 29 octobre 2009, Mme Karima A...épouse X..., agissant ès qualités de mandataire spéciale de M. Abdelmalik X..., saisissait la commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI) près le tribunal de grande instance de Montpellier aux fins de paiement d'une indemnité provisionnelle et d'instauration d'une expertise médicale.
Par ordonnance du 15 décembre 2009, la présidente de la CIVI ordonnait une expertise médicale de M. Abdelmalik X..., confiée au docteur B...et allouait une provision de 35 000 ¿.
Par ordonnance du 17 septembre 2010, en lecture du rapport d'expertise établi le 22 février 2010 et tenant l'état non consolidé de la victime, une provision complémentaire était sollicitée et allouée à hauteur de 50 000 ¿.
Par ordonnance du 7 avril 2011, sur saisine du 10 mars 2011 de la part de Mme Karima A...épouse X..., ès qualités de mandataire spéciale, la présidente de la CIVI ordonnait, une nouvelle expertise de la victime, confiée au docteur B..., remplacé le 10 octobre 2011 par le docteur C....
M. Abdelmalik X..., devenu majeur protégé et désormais représenté par Mme Géraldine J...en qualité de mandataire spéciale, intervenait volontairement en la procédure.
Par jugement du juge des tutelles en date du 30 mars 2012, il était placé sous tutelle, Mme J...étant désignée en qualité de tutrice pour le représenter et administrer ses biens et Mme Karima A...épouse X... en qualité de tutrice à sa personne.
Par requête du 17 novembre 2011, Mme Karima A...épouse X..., agissant en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de ses deux filles Wissame et Lina, Mme Isabelle Y..., ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs Yassine et Younès X... et M. El Hassan X..., frère de la victime, sollicitaient l'indemnisation de leurs préjudices à hauteur des sommes allouées par la cour d'assises de l'Hérault, outre le paiement de frais divers et les frais irrépétibles.
Le docteur C...établissait un rapport en date du 23 avril 2012.
Par jugement du 3 mai 2012, après jonction des procédures en cours au nom de la victime elle-même et de ses proches, la CIVI renvoyait l'affaire à une audience ultérieure, invitant le conseil de la victime à conclure aux fins d'indemnisation du préjudice directe de celle-ci, au vu du rapport d'expertise du docteur C...et sur la faute éventuelle de la victime et ses conséquences sur l'indemnisation si elle devait être retenue.
Par ordonnance du 20 juin 2012, à la requête de Mme J..., ès qualités de tutrice de M. Abdelmalik X..., la présidente de la CIVI allouait une provision complémentaire de 50 000 ¿ à valoir sur le préjudice de la victime.
En lecture de ce rapport, par jugement contradictoire du 8 novembre 2012, la CIVI a, entre autres dispositions et le bénéfice de l'exécution provisoire : dit que le droit à indemnisation de M. Abdelmalik X..., suite aux faits dont il a été victime le 9 mai 2009, est entier sur le fondement de l'article 706-3 du code de procédure pénale ; avant dire droit, le cas échéant, sur cette indemnisation et celle des victimes par ricochet, ordonné la réouverture des débats ; ordonné un complément d'expertise confié au professeur Philippe C...avec une mission décrite au dispositif du jugement et auquel il est expressément renvoyé pour plus ample détail ; alloué à M. Abdelmalik X..., représenté par sa tutrice, une provision complémentaire de 50 000 ¿ à valoir sur l'indemnisation de son préjudice.

Le 5 décembre 2012, le fonds de garantie des victimes de terrorisme et d'autres infractions a relevé appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions déposées : * le 2 octobre 2013 par le fonds de garantie des victimes de terrorisme et d'autres infractions ; * le 3 avril 2013 par Mme Karima A...épouse X..., agissant en nom personnel et ès qualités de représentante légale de ses filles mineures Wissame et Lina X..., M. Abdelmalik X..., représenté par sa tutrice, Mme Géraldine J..., Mme Isabelle Y..., ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs Yassine et Younès X..., et M. El Hassan X....

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 octobre 2013.

******

| Le fonds de garantie des victimes de terrorisme et d'autres infractions conclut à l'infirmation du jugement déféré, demandant à la cour de : * au visa de l'article 706-3 du code de procédure pénale : dire et juger que M. Abdelmalik X... a commis une faute de nature à réduire des deux tiers son droit à indemnisation ; dire et juger que la même réduction s'applique à toute somme qui pourrait être réclamée par ses proches ; * au visa de l'article 16 du code de procédure civile et de la chronologie des opérations d'expertise antérieurement confiées au docteur C...: prononcer la nullité du rapport déposé le 27 avril 2012 et désigner tel médecin expert qu'il plaira à la cour avec la mission habituelle en pareille matière, le dit expert pouvant être le professeur D...; dire et juger qu'en cas de nouvelle allocation provisionnelle, celle-ci ne pourra excéder 50 000 ¿, compte tenu des sommes d'ores et déjà allouées à hauteur de 185 000 ¿ ; laisser les dépens à la charge du Trésor public.

| Mme Karima A...épouse X..., agissant en nom personnel et ès qualités de représentante légale de ses filles mineures Wissame et Lina X..., M. Abdelmalik X..., représenté par sa tutrice, Mme Géraldine J..., Mme Isabelle Y..., ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs Yassine et Younès X..., et M. El Hassan X... demandent à la cour de : au principal, confirmer le jugement entrepris en ses dispositions relatives à l'entier droit à indemnisation de M. Abdelmalik X..., à la réouverture des débats et au complément d'expertise confié au Professeur C...; le réformer sur le montant de la provision qui devra être portée à 150 000 ¿ ; à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait retenir une part de responsabilité de la victime, fixer celle-ci à 10 % ; dans le cas où la cour prononcerait la nullité du rapport d'expertise déposé par le Professeur C..., désigner à nouveau ce dernier avec la même mission que celle mentionnée dans l'ordonnance du 7 avril 2011, allouer à Mme J..., ès qualités, une indemnité provisionnelle de 250 000 ¿ à titre infiniment subsidiaire, désigner le docteur D..., expert près la cour d'appel de Nîmes avec la même mission que celle précitée et allouer à Mme J...une indemnité provisionnelle de 250 000 ¿ ; en tout état de cause, allouer à Mme J..., ès qualités, une somme de 2 500 ¿ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

dire que le fonds de garantie sera tenu de verser ces sommes en exécution de l'article R. 50-24 du code de procédure pénale ; mettre les dépens à la charge du Trésor public.

SUR CE :
Sur le droit à indemnisation :
Selon l'article 706-3 du code de procédure pénale, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions définies audit article, laquelle réparation peut être cependant refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime.
Le caractère matériel de l'infraction dont M. Abdelmalik X... a été victime le 9 mai 2009 de la part de M. Abderrahmane Z... n'est aucunement litigieux, seul étant discuté à nouveau en cause d'appel par les parties, l'existence d'une faute imputable à la victime et de nature à venir réduire le montant de la réparation du préjudice de cette dernière.
Si la faute de la victime susceptible de réduire ou d'exclure son droit à indemnisation qu'elle tient de l'article 706-3 du code de procédure pénale n'a pas à être concomitante de la commission de l'infraction, faut-il encore qu'elle ait concouru, au moins en partie, à la réalisation du dommage.
Au cas d'espèce, aux termes des témoignages des pompiers intervenus sur les lieux d'une rixe-et non pas simplement d'une simple dispute-ayant opposé M. Abdelmalik X... et M. Abderrahmane Z... la veille des faits à l'origine du dommage, à savoir le 8 mai 2009 vers 18h30 (pièces D. 124 et D. 126), il n'est pas sérieusement contestable que les deux protagonistes étaient dans le même état d'énervement, semblant d'accord tous deux " pour en découdre ", laissant entendre que " ce n'était pas fini " " qu'ils se retrouveraient " (Fabien E...-D. 124), tandis qu'avant de quitter les lieux, celui qui avait les ciseaux a dit à l'autre : " soit là demain, on se reverra demain ", ce dernier lui répondant : " je serai là demain " (Philippe F...-D. 126).
Quand bien même l'instruction pénale n'a pas permis de désigner avec certitude le porteur de la paire de ciseaux lors de cette rixe du 8 mai 2009, les témoignages précités attestent pour le moins d'une animosité certaine entre les deux protagonistes, d'une volonté de ces derniers de ne pas en rester là et de vouloir en découdre le lendemain, au point qu'au cours de la soirée qui a suivi, l'examen de la téléphonie de ceux-ci laissait apparaître qu'ils avaient cherché à entrer en contact et que M. Abdelmalik X... avait, a minima, appeler M. Abderrahmane Z... durant plus de deux minutes de son domicile, en réponse à un message laissé par ce dernier (D. 83- D. 290).
Or, c'est dans un tel contexte d'opposition et d'une volonté de se revoir le lendemain que M. Abdelmalik X... s'est rendu, le 9 mai 2009, au domicile d'un dénommé Jean-Claude G...chez qui se trouvaient avant l'arrivée de la victime, outre M. Abderrahmane Z..., Ahmed H..., Emanuel K..., ces deux derniers étant également présents sur les lieux de la rixe qui avait eu lieu la veille, le 8 mai 2009.
Il ressort des pièces de la procédure pénale que M. Ahmed H...a déclaré au magistrat instructeur (D. 208 page 5) avoir dit aux deux protagonistes " qu'ils étaient des amis et qu'ils devaient rester tranquille ", et après avoir souligné, en réponse à la question relative à l'organisation, par lui, d'un repas le lendemain chez M. G..., mettant en présence les deux protagonistes, déclarait au même magistrat : " Avant ce jour-là, tous les jours on va manger chez G...ou chez moi ou au terrain à Lattes de X... ".
Lors d'une confrontation avec M. Abderrahmane Z..., M. Ahmed H...ne confirmait pas être à l'origine de la venue de M. Abdelmalik X... chez M. Jean-Claude G...dans le but, notamment, de tenter de les réconcilier (D. 216 page 2), précisant d'une part, qu'il avait donné rendez-vous chez lui à M. Abdelmalik X... pour aller chercher une porte blindée et qu'à défaut d'être venu chez lui, celui-ci " serait venu chez G...comme il le fait tous les matins " et d'autre part, qu'il ne lui avait pas dit " que Z... serait là ".
Toutefois, il s'évince de ces constatations et déclarations que si M. Abdelmalik X... n'avait pas été expressément informé de la présence de M. Abderrahmane Z... au domicile de M. Jean-Claude G..., le matin du 9 mai 2009, il avait une quasi-certitude de l'y rencontrer, compte tenu des habitudes du groupe formé par l'ensemble des personnes précitées qui se côtoyaient ainsi journellement, y compris professionnellement dans le cadre de chantiers.
Dès lors, en ne faisant rien pour éviter une rencontre avec M. Abderrahmane Z..., le 9 mai 2009, ou pour s'assurer de l'absence de ce dernier au domicile de M. G...chez qui il s'est rendu, comme à l'habitude, M. Abdelmalik X... a nécessairement, eu égard à la rixe de la veille et de la volonté des deux protagonistes d'en découdre à nouveau, commis une faute qui a concouru à son dommage.

La cour dispose des éléments suffisants pour réduire ainsi le montant de sa réparation de 10 %, compte tenu de l'extrême violence exercée par M. Abderrahmane Z... sur la personne de M. Abdelmalik X....

Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef, étant précisé que cette faute de la victime demeure opposable aux victimes par ricochet.
Sur l'expertise médicale :
En application de l'article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Le respect de ce principe du contradictoire s'impose tout autant à l'expert judiciaire au cours des opérations et réunions d'expertise.
Au cas d'espèce, après un accedit qui s'est déroulé le 23 février 2012, en présence des médecins représentant chacune des parties dont le docteur I...pour le compte du fonds de garantie, le professeur C...a établi : un rapport préliminaire en date du 23 mars 2012 ; un rapport définitif en date du 23 avril 2012, déposé au greffe du tribunal de grande instance le 27 de ce mois.

Or, il est constant que le rapport préliminaire du 23 mars 2012, bien qu'adressé au docteur I...par lettre recommandée avec avis de réception, selon les indications données par l'expert judiciaire, ledit rapport n'est jamais parvenu au représentant du fonds de garantie qui n'a pu dans ces conditions adresser à cet expert un quelconque dire.
Ainsi qu'il le reconnaît dans un courrier adressé le 7 août 2012 à la présidente de la CIVI, l'expert judiciaire n'est pas en mesure de justifier de la réalité de cet envoi, encore moins de la réception du rapport par le docteur I...qui en a attesté courant septembre 2012.
Mais surtout, alors qu'il se trouvait nécessairement dessaisi par le dépôt de son rapport, le 27 avril 2012, l'expert judiciaire ne pouvait, sans méconnaître les dispositions de l'article 16 précité, même en faisant " preuve de souplesse et d'esprit de collaboration ", transmettre a posteriori son rapport définitif au représentant du fonds de garantie, en " étant simplement disposé à tenir compte de ses remarques puisque ce dossier ne soulevait pour lui aucune difficulté " (courrier précité du 7 août 2012).

L'expert judiciaire ne pouvait pas plus, sans enfreindre ce même principe du contradictoire, reprendre ses opérations d'expertise, qui plus est sans jamais en référer au magistrat chargé du contrôle de cette expertise, en indiquant dans un courrier du 14 juin 2012 qu'il réexpédiait aux parties le rapport préliminaire et qu'il tiendrait " compte des nouveaux dires éventuels dans la rédaction d'un nouveau rapport d'expertise qui remplacera le rapport " définitif " existant, adressé le 23 avril 2012 ".

Ainsi, a-t-il été déposé un nouveau rapport le 7 août 2012, lequel est de fait la copie conforme de celui établi le 23 avril 2012, à tel point que la date de ce rapport n'a nullement été modifiée, de sorte que la CIVI et désormais, la cour, ne sont saisis que d'un rapport établi au 23 avril 2012.
C'est dans ces conditions que le fonds de garantie a protesté auprès de cet expert de cette réouverture et indiqué à ce dernier qu'il ne recevrait de sa part aucune correspondance ni aucun dire de sa part, dans l'attente de voir trancher cette difficulté de procédure par la CIVI, et désormais, par la cour.
Il est donc inopérant pour les intimés de dénoncer l'attitude du fonds de garantie qui ne serait pas opposé à la poursuite des opérations d'expertise telles qu'ordonnées par la CIVI dans la décision précisément déférée à la cour et assortie de l'exécution provisoire.
Il ne peut pas plus être soutenu qu'à raison de cette absence d'opposition, le fonds de garantie aurait acquiescé à la décision de première instance sur ce point.
Dès lors, tenant la violation du contradictoire, il convient d'annuler les opérations d'expertise du Professeur C...et d'ordonner une nouvelle expertise dans les conditions définies au dispositif du présent arrêt.
Le jugement sera ainsi infirmé en ce que, non sans contradiction, les premiers juges ont d'une part, reconnu que l'expert judiciaire avait terminé sa mission par le dépôt de son rapport le 27 avril 2012 et qu'il ne pouvait de ce fait, la reprendre, de son propre chef, sur ses derniers errements, et d'autre part, sans faire droit à la demande d'annulation, retenu qu'il y avait lieu cependant à un complément d'expertise confié au même expert, " au regard de l'objet limité de la discussion " et " dans l'intérêt de la victime ".
Sur la demande de provision complémentaire :
Tenant les éléments médicaux produits aux débats et compte tenu des provisions déjà versées à hauteur de 185 000 ¿ ainsi que de la réduction du droit à indemnisation de la victime, il convient d'allouer à la victime une provision complémentaire de 150 000 ¿.
Il conviendra cependant que Mme Géraldine J..., agissant ès qualités de tutrice de M. Abdelmalik X..., régularise, s'il échet, avant l'ouverture des opérations d'expertise, la procédure à l'encontre de l'organisme social susceptible d'avoir versé des débours pour le compte de la victime et à défaut, de renseigner la cour sur la situation desdits débours.
Sur les demandes accessoires :
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit des intimés.
Les dépens exposés au titre de la présente procédure d'appel seront laissés à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement en chambre du conseil, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,
Dit que M. Abdelmalik X... a commis une faute de nature à réduire le montant de son droit à indemnisation dans la limite de 10 %,
Dit que cette faute est opposable aux victimes par ricochet que sont : Mme Karima A...épouse X..., agissant en nom personnel et ès qualités de représentante légale de ses filles mineures Wissame et Lina X..., Mme Isabelle Y..., ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs Yassine et Younès X..., M. El Hassan X...,

Annule les opérations d'expertise du professeur C..., clôturées par un rapport en date du 23 avril 2012, déposé le 27 avril 2012,
Avant dire droit,
Ordonne une nouvelle mesure d'expertise,
Désigne le Professeur Pierre D..., demeurant CHU Caremeau-neurologie-avenue du Professeur Debré 30029 Nîmes Cedex 4- en qualité d'expert, pour y procéder, avec mission, après avoir entendu les parties et leurs conseils, de :

1. Convoquer M. Abdelmalik X..., représenté par sa tutrice Mme Géraldine J..., victime d'une agression survenue le 9 mai 2009 ainsi que les autres parties par lettre recommandée avec avis de réception et leurs conseils par lettre simple en invitant chacun et tous tiers détenteurs à communiquer tous les documents médicaux relatifs à l'agression, en particulier le certificat médical initial.

1. Se faire communiquer par la victime, son représentant légal ou tout tiers détenteur tous documents médicaux relatifs à l'agression, en particulier le certificat médical initial.
1. Fournir le maximum de renseignements sur l'identité de la victime, ses conditions d'activités professionnelles, son statut exact et/ ou sa formation s'il s'agit d'un demandeur d'emploi.
1. A partir des déclarations de la victime imputables au fait dommageable et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités du traitement, en précisant autant que possible les durées exactes d'hospitalisation et, pour chaque période d'hospitalisation, la nature et le nom de l'établissement, le ou les services concernés et la nature des soins.
1. Indiquer la nature de tous les soins et traitements prescrits imputables à l'agression et, si possible, la date de la fin de ceux-ci.
1. Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l'autonomie et, lorsque la nécessité d'une aide temporaire est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur sa nécessité et son imputabilité.
1. Retranscrire dans son intégralité le certificat médical initial et, si nécessaire, reproduire totalement ou partiellement les différents documents médicaux permettant de connaître les lésions initiales et les principales étapes de l'évolution.
1. Prendre connaissance et interpréter les examens complémentaires produits.
1. Recueillir toutes les doléances actuelles de la victime et/ ou de ses proches en l'interrogeant sur les conditions d'apparition des douleurs et de la gêne fonctionnelle, sur leur importance et sur leurs conséquences.
1. Interroger la victime et/ ou ses proches pour connaître un éventuel état antérieur et en citer dans le rapport que les antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles.

1. Procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime.

1. Analyser dans une discussion précise et synthétique l'imputabilité entre l'agression, les lésions initiales et les séquelles invoquées en se prononçant sur :- la réalité des lésions initiales,- la réalité de l'état séquellaire,- l'imputabilité directe et certaine des séquelles aux lésions initiales et en précisant l'incidence éventuelle d'un état antérieur.

1. Déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine, directe et exclusive avec l'agression, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou ses activités habituelles. Si l'incapacité fonctionnelle n'a été que partielle, en préciser le taux, préciser la durée des arrêts de travail au regard des organismes sociaux au vu des justificatifs produits ; si cette durée est supérieure à l'incapacité temporaire retenue, dire si ces arrêts sont liés au fait dommageable.
1. Fixer la date de consolidation, qui est le moment où les lésions se fixent et prennent un caractère permanent tel qu'un traitement n'est plus nécessaire, si ce n'est pour éviter une aggravation.
1. Chiffrer, par référence au " Barème indicatif des déficits fonctionnels séquellaires en droit commun " le taux éventuel de déficit fonctionnel permanent (incapacité permanente) imputable à l'agression, résultant de l'atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions persistant au moment de la consolidation, le taux de déficit fonctionnel devant prendre en compte, non seulement les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime mais aussi les douleurs physiques et morales permanentes qu'elle ressent, la perte de qualité de vie et les troubles dans les conditions d'existence qu'elle rencontre au quotidien après consolidation ; dans l'hypothèse d'un état antérieur, préciser en quoi l'agression a eu une incidence sur celui-ci et décrire les conséquences de cette situation.
1. a) Etablir le bilan fonctionnel en décrivant les mouvements, gestes et actes rendus difficiles ou impossibles. b) Dresser un bilan situationnel en précisant l'incidence des séquelles. S'aider si besoin de la fiche d'évaluation médico-légale des séquelles graves telle que retranscrite dans le barème de la Société de Médecine Légale et de Criminologie de France.

c) Décrire avec précision le déroulement d'une journée en cas de retour à domicile.

1. Evaluer la capacité de la victime à prendre conscience de son état et à appréhender l'environnement. Donner tous renseignements utiles sur la nature et le degré de cette conscience.
1. Préciser les besoins en tierce personne en indiquant la qualité, la qualification professionnelle requise, la fréquence et la durée d'intervention quotidienne.
1. Dire si les frais médicaux, pharmaceutiques, paramédicaux, hospitalisation, appareillage postérieurs à la consolidation directement imputables à l'accident sont actuellement prévisibles et certains. Dans l'affirmative, indiquer pour chacun de ces frais, le caractère occasionnel ou viager, la nature, la quantité et la durée prévisibles.
1. Préciser la situation professionnelle de la victime avant l'accident, ainsi que le rôle qu'auront joué les conséquences directes et certaines de l'agression sur l'évolution de cette situation : reprise de l'emploi antérieur, changement de poste, changement d'emploi, nécessité de reclassement ou d'une formation professionnelle, possibilité d'un travail adapté, restriction à un travail occupationnel, inaptitude absolue et définitive à toute activité rémunératrice.
1. Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées du fait des blessures subies pendant la maladie traumatique (avant consolidation). Les évaluer selon l'échelle habituelle de 7 degrés.
1. Donner un avis sur l'existence, la nature et l'importance du préjudice esthétique, en précisant s'il est temporaire ou définitif. L'évaluer selon l'échelle habituelle de 7 degrés, indépendamment de l'éventuelle atteinte fonctionnelle prise en compte au titre du déficit fonctionnel proprement dit.
1. Dire s'il existe un préjudice sexuel ; le décrire en précisant s'il recouvre l'un ou plusieurs des trois aspects pouvant être altérés séparément ou cumulativement, partiellement ou totalement : la morphologie, l'acte sexuel (libido, impuissance ou frigidité) et la fertilité (fonction de reproduction).
1. Si le cas le justifie, procéder selon la méthode du pré-rapport afin de provoquer les dires écrits des parties dans tel délai de rigueur déterminé de manière raisonnable et y répondre avec précision.
25. Dit que l'expert se conformera pour l'exécution de sa mission aux dispositions des articles 232 à 248 et 263 à 284 du code de procédure civile, communiquera directement rapport de ses opérations à chacune des parties, conformément à l'article 173 du code de procédure civile, avec mention faite sur l'original, et en déposera deux exemplaires au greffe de la cour dans les six mois suivant sa saisine,
Dit qu'à défaut de pré-rapport, l'expert organisera à la fin des opérations, un accedit de clôture où il informera les parties du résultat de ses investigations et pour recueillir leurs ultimes observations, le tout devant être consigné dans son rapport d'expertise,
Dit que les frais d'expertise seront avancés par le Trésor public,
Alloue à Mme Géraldine J..., agissant ès qualités de tutrice de M. Abdelmalik X..., la somme de 150 000 ¿ à titre de provision complémentaire à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice,
Enjoint Mme Géraldine J..., agissant ès qualités de tutrice de M. Abdelmalik X..., de régulariser, s'il échet, avant l'ouverture des opérations d'expertise, la procédure à l'encontre de l'organisme social susceptible d'avoir versé des débours pour le compte de la victime et à défaut, de renseigner la cour sur la situation desdits débours,
Renvoie la cause et les parties à la mise en état,
Réserve tous droits et moyens des parties sur les chefs de demandes, objets de l'expertise ainsi que sur celles relatives au remboursement des frais irrépétibles,
Met les dépens d'ores et déjà exposés par les parties à la charge du Trésor public,
Commet le président de la chambre, ou à défaut l'un des conseillers, pour contrôler les opérations d'expertise et dit que l'expert se référera à ce magistrat en cas de difficultés, notamment sur l'étendue de sa mission,
Constate que Mme Isabelle Y..., ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs Yassine X... et Younès X..., est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale par décisions no 2013/ 002833 (enfant Yassine) du 6 mars 2013 et no 2013/ 002835 (enfant Younès) du 13 mars 2013.
LE GREFFIER. LE PRÉSIDENT.

J. M.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Formation : 1o chambre section d
Numéro d'arrêt : 12/09041
Date de la décision : 07/01/2014

Analyses

1) A commis une faute qui a concouru à son dommage et qui est de nature à réduire le droit à indemnisation qu'elle tient de l'article 706-3 du code de procédure pénale, la victime de violences volontaires qui, eu égard à la rixe de la veille et de la volonté des deux protagonistes d'en découdre à nouveau, n'a rien fait pour éviter une rencontre avec l'auteur des faits et s'est rendu chez une personne chez qui il avait une quasi-certitude de l'y rencontrer. 2) Doit être annulé pour violation des dispositions de l'article 16 du Code de Procédure Civile le rapport d'un expert qui, sans avoir communiqué son rapport préliminaire à une partie qui n'a donc pu lui adresser un quelconque dire, lui a transmis a posteriori son rapport définitif en se disant simplement disposé à tenir compte de ses remarques puisque ce dossier ne soulevait pour lui aucune difficulté, et a rouvert de son propre chef ses opérations d'expertise alors qu'il avait nécessairement dessaisi par le dépôt de son rapport définitif .


Références :

Décision attaquée : C.I.V.I près le tribunal de Montpellier, 08 novembre 2012


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.montpellier;arret;2014-01-07;12.09041 ?
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