COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4o chambre sociale
ARRÊT DU 17 Octobre 2012
Numéro d'inscription au répertoire général : 11/01255
ARRÊT no
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 JANVIER 2011 CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS
No RG09/00591
APPELANTS :
Monsieur Mohamed X...
...
Représentant : Me Nadège LAVILLE (avocat au barreau de MONTPELLIER)
Madame Hafida Y... épouse X...
...
Représentant : Me CHARBIT de la SELARL JURIPOLE (avocats au barreau de BEZIERS)
INTIMEES :
Madame Fettouma Z...
Chez Mme Samira A... A
...
Représentant : Me Josy-Jean BOUSQUET (avocat au barreau de BEZIERS)
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2012/3815 du 09/05/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)
MINISTERE PUBLIC
à qui le dossier a régulièrement été communiqué - a conclu
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 11 SEPTEMBRE 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre
Mme Françoise CARRACHA, Conseillère
Madame Gisèle BRESDIN, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Dominique VALLIER
ARRÊT :
- Contradictoire.
- prononcé publiquement initialement prévu le 10 octobre 2012 et prorogé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de Procédure civile ;
- signé par Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre, et par Madame Dominique VALLIER, Adjointe administrative principale f.f. de greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DU LITIGE
M. Mohamed X...
B..., domicilié à Béziers, est vice-consul au consulat général du Maroc à Montpellier et dispose à ce titre depuis son entrée en France le 07/08/2003 d'un passeport diplomatique et d'un « titre de séjour spécial» délivré par le ministère français des affaires étrangères précisant qu'en raison de son statut il bénéficiait de « toutes les immunités prévues par la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 ».
Mlle Fettouma Z..., ressortissante marocaine alors domiciliée au Maroc, était employée à son service privé depuis le mois de septembre 2004.
Elle bénéficiait à ce titre d'un « passeport spécial » délivré par le royaume du Maroc et d'un « titre de séjour spécial » délivré par le ministère français des affaires étrangères, ces documents mentionnant «employée au service privé de M. Bensaïd B..., vice-consul au consulat général du Maroc à Montpellier », le titre de séjour précisant «- statut: pas d'immunité statutaire (convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963) ».
En réponse à la demande du ministère marocain des affaires étrangères et de la coopération en date du 29 juillet 2004 sollicitant l'apposition du « visa approprié » sur le « passeport spécial no 00 9358 établi au nom de Mlle Fettouma Z... », le sous-directeur du service des privilèges et immunités consulaires s'adressait en ces termes à M. l'ambassadeur du royaume du Maroc à Paris :
" En délivrant ce titre spécial, le ministère des affaires étrangères croit devoir rappeler à l'ambassade du royaume du Maroc et à M. X...
B... Mohamed, vice-consul au consulat général du royaume du Maroc à Strasbourg, que le séjour et l'emploi de Mlle Fettouma Z... sont régis par la convention de Vienne sur les relations diplomatiques du 18 avril 1961, notamment ses articles 33.2, 37.4 et 41.1.
Le ministère des affaires étrangères tient également à appeler l'attention de l'ambassade du royaume du Maroc et de M. Bensaïd B... sur l'obligation de lui notifier sans délai, le moment venu, la cessation des fonctions de Mlle Fettouma Z... quelle qu'en serait la cause. Cette notification, qui sera accompagnée de la restitution du titre de séjour spécial de l'intéressée, devra préciser notamment la destination de cette dernière. Il est rappelé notamment que le fait d'avoir bénéficié d'un régime privilégié au titre de la convention de Vienne, n'ouvre aucun droit commun, réserve faite d'éventuelles dispositions contraires.../...".
Par un courrier non daté adressé à l'ambassadeur du royaume du Maroc à Paris, M. Bensaïd B... indiquait qu'à la suite d'un incident survenu le 19 octobre 2008 avec Mlle Fettouma Z..., il « avait décidé de mettre fin à son service à mon domicile pris depuis le 18 septembre 2004».
Estimant que pendant quatre ans elle avait été exploitée et maltraitée par ses employeurs les époux X..., Mlle Fettouma Z... saisissait le 12 août 2009 le conseil de prud'hommes de Béziers qui, par jugement rendu le 28 janvier 2011, écartait l'immunité de juridiction revendiquée par les époux X... et, sans désemparer, se déclarait compétent pour connaître du litige et condamnait conjointement M. Bensaïd B... et Mme Hafida Y... son épouse à lui remettre sous astreinte les documents de fin de contrat, le passeport et le titre de séjour, et à lui payer :
• 58 531,20 € de rappel de salaires ;
• 7314 € d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
• 1219 € d'indemnité compensatrice de préavis ;
• 1469 € d'indemnité de licenciement ;
• 10 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
• 1200 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe de la cour d'appel le 22 février 2011, M. Bensaïd B... et Mme Hafida Y... son épouse interjetaient appel de cette décision qui leur avait été notifiée le 14 février 2011.
M. Bensaïd B... conclut à l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré et demande à la cour, statuant à nouveau, de juger à titre principal qu'il n'est pas "le cocontractant" de Mlle Z... qui a été embauchée par le royaume du Maroc, à titre subsidiaire que les autorités judiciaires françaises ne sont pas compétentes pour statuer eu égard à l'immunité de juridiction dont il bénéficie, à titre infiniment subsidiaire que Mlle Fettouma Z... a été remplie de ses droits, que la faute grave qu'elle a commise justifiait la rupture du contrat de travail et de la débouter de l'intégralité de ses demandes.
Mme Hafida Y... épouse X... conclut à titre principal et avant tout débat au fond à l'incompétence des juridictions françaises tenant l'application des conventions de Vienne des 18 avril 1961 et 24 avril 1963, à titre subsidiaire à sa mise hors de cause en l'absence de tout lien contractuel entre elle et Mlle Fettouma Z..., à titre infiniment subsidiaire au caractère infondé des demandes et à leur débouté.
Mlle Fettouma Z... conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il s'est reconnu compétent pour statuer sur ses demandes s'agissant d'un contrat de droit privé et en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause de Mme X... dès lors qu'elle était au service des deux époux en qualité de femme de ménage et de gardienne des enfants, à la confirmation de la décision également sur le rappel de salaires, le travail dissimulé, les indemnités de préavis et de licenciement, et, faisant droit à son appel incident, à la condamnation solidaire des époux X... à lui payer en sus :
• 5853,12 € de congés payés afférents au rappel de salaires ;
• 206 236,80 € de rappel d'heures supplémentaires sur 48 mois, outre 20 623,68 € de congés payés afférents ;
• 14 000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
• 2000 € de dommages-intérêts pour non respect du repos dominical;
• 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le ministère public conclut à l'infirmation du jugement déféré et à l'immunité de juridiction des époux X... dès lors que l'emploi de Mlle Fettouma Z... est rattachable exclusivement à la personne de M. Bensaïd B... en sa qualité de vice-consul et non à titre personnel et privatif.
MOTIFS DE LA DÉCISION.
Sur l'employeur.
M. Bensaïd B... ne peut sérieusement soutenir qu'un passeport spécial et un titre de séjour spécial ont été attribués à Mlle Fettouma Z... en tant que « ressortissante marocaine affectée au service privé de M. X... en sa qualité de vice-consul » et dans le même temps prétendre qu'elle était « liée contractuellement avec le ministère des affaires étrangères et de la coopération du Maroc ».
D'évidence l'ensemble des pièces communiquées et les débats établissent que Mlle Fettouma Z... était bien « affectée au service privé de M. X... » et qu'elle n'avait aucune mission ou délégation du royaume du Maroc qui lui soit propre.
Sur l'immunité de juridiction.
La "convention de Vienne sur les relations diplomatiques" règle les rapports diplomatiques entre états.
Adoptée le 18/04/1961, elle est entrée en vigueur le 24/04/1964 et a été complétée en 1963 par la "convention de Vienne sur les relations consulaires" dont l'entrée en vigueur en France résulte du décret 71-288 du 29 mars 1971.
En application des dispositions suivantes de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques :
Article 30 : "La demeure privée de l'agent diplomatique jouit de la même inviolabilité et de la même protection que les locaux de la mission".../..
Article 31 :" L'agent diplomatique jouit de l'immunité de la juridiction (...) civile et administrative" (de l'Etat accréditaire) sauf s'il s'agit d'une action réelle concernant un immeuble privé, d'une action concernant une succession, "d'une action concernant une activité professionnelle ou commerciale, quelle qu'elle soit, exercée par l'agent diplomatique dans l'État accréditaire en dehors de ses fonctions officielles" .../....
Article 37.1 : " Les membres de la famille de l'agent diplomatique qui font partie de son ménage bénéficient des privilèges et immunités mentionnés dans les articles 29 à 36, pourvu qu'ils ne soient pas ressortissants de l'État accréditaire.../...".
Article 37.4 : "Les domestiques privés des membres de la mission qui ne sont pas ressortissants de l'Etat accréditaire ou n'y ont pas leur résidence permanente sont exemptés des impôts et taxes sur les salaires qu'ils reçoivent du fait de leur service. À tous autres égard, ils ne bénéficient des privilèges et immunités que dans la mesure admise par l'État accréditaire".../..
Quant à la convention sur les relations consulaires elle précise dans son article 43 que "les fonctionnaires consulaires et les employés consulaires ne sont pas justiciables des autorités judiciaires et administratives de l'État de résidence pour les actes accomplis dans l'exercice des fonctions consulaires" cette immunité ne s'appliquant toutefois pas en cas d'action civile résultant de la conclusion d'un contrat que le fonctionnaire consulaire ou l'employé consulaire "n'a pas conclu expressément ou implicitement en tant que mandataire de l'État d'envoi" ainsi qu'en cas de mise en jeu de sa responsabilité civile à la suite "d'un accident causé dans l'État de résidence par un véhicule, un navire ou un aéronef".
L'article 53 de la même convention dispose que " tout membre du poste consulaire bénéficie des privilèges et immunités prévus par la présente convention dès son entrée sur le territoire de l'État de résidence ou dès son entrée en fonction" et que "les membres de sa famille vivant à son foyer, ainsi que les membres de son personnel privé" bénéficient également des privilèges et immunités prévus à la présente convention dans les mêmes conditions.
Tous les documents et éléments de fait du litige convergent pour établir que M. Bensaïd B... a employé à son service Mlle Fettouma Z... alors qu'elle était ressortissante marocaine domiciliée au Maroc, exclusivement en sa qualité d'agent consulaire et en dernier lieu de vice-consul au consulat général du royaume du Maroc à Montpellier, pour travailler à son domicile privé.
Elle ne peut donc prétendre bénéficier d'un contrat de travail qui n'aurait pas été conclu " expressément ou implicitement en tant que mandataire de l'État d'envoi".
C'est du reste parce que son employeur exerçait des fonctions consulaires que Mlle Fettouma Z... a pu entrer sur le territoire français en bénéficiant à la fois d'un « passeport spécial » du royaume du Maroc et d'un « titre de séjour spécial» de la république française comme le rappellent les correspondances échangées entre les différents services compétents de ces deux pays.
La réponse apportée le 17 décembre 2008 par le ministère français des affaires étrangères à la demande d'information présentée par le conseil de l'intimée le 8 décembre 2008, outre qu'elle ne lie pas les juridictions sociales, a été rendu sur la base d'éléments manifestement tronqués insusceptibles de rendre compte de la situation juridique des parties au regard des conventions internationales.
Par ailleurs l'organisation par l'agent consulaire de son domicile privé et de sa vie familiale ne peuvent être considérée comme une "activité professionnelle ou commerciale exercée en dehors de ses fonctions officielles" au sens de l'article 31.3 de la convention sur les relations diplomatiques.
C'est donc à tort que le conseil de prud'hommes a retenu sa compétence et la décision déférée doit être infirmée en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
La cour ;
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par la section activités diverses du conseil de prud'hommes de Béziers le 28 janvier 2011 ;
Et, statuant à nouveau ;
Fait droit à l'exception d'incompétence tirée de l'immunité de juridiction dont bénéficient M. Bensaïd B... et Mme Hafida Y... son épouse en raison de la qualité de vice-consul au consulat général du royaume du Maroc à Montpellier de M. Bensaïd B... à la date des faits litigieux ;
Renvoie Mlle Fettouma Z... à se mieux pourvoir ;
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,