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21/09/2011 | FRANCE | N°09/01722

France | France, Cour d'appel de Montpellier, 21 septembre 2011, 09/01722


BR/ YR



COUR D'APPEL DE MONTPELLIER4o chambre sociale

ARRÊT DU 21 Septembre 2011



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 08113

ARRÊT no

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 septembre 2010 conseil de prud'hommes-formation paritaire de montpellier
No RG09/ 01722



APPELANTE :

Madame Florence X...


...

34160 RESTINCLIERES
Représentant : Me Coralie MEUNIER (avocat au barreau de MONTPELLIER)



INTIMEE :

SA SYSTEME U CENTRALE REGIONALE SUD
prise

en la personne de son Président
Route de Teyran
BP 59
34740 VENDARGUES
Représentant : Me Frédéric MORA (avocat au barreau de MONTPELLIER)



COMPOSITION DE...

BR/ YR

COUR D'APPEL DE MONTPELLIER4o chambre sociale

ARRÊT DU 21 Septembre 2011

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 08113

ARRÊT no

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 septembre 2010 conseil de prud'hommes-formation paritaire de montpellier
No RG09/ 01722

APPELANTE :

Madame Florence X...

...

34160 RESTINCLIERES
Représentant : Me Coralie MEUNIER (avocat au barreau de MONTPELLIER)

INTIMEE :

SA SYSTEME U CENTRALE REGIONALE SUD
prise en la personne de son Président
Route de Teyran
BP 59
34740 VENDARGUES
Représentant : Me Frédéric MORA (avocat au barreau de MONTPELLIER)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 945-1 du Code de Procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 JUIN 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Richard BOUGON, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre
Monsieur Richard BOUGON, Conseiller
Madame Gisèle BRESDIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Brigitte ROGER
ARRÊT :

- Contradictoire.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de Procédure civile ;

- signé par Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre, et par Mme Brigitte ROGER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*
**

EXPOSE DU LITIGE

Embauchée par la société « Système U-centrale régionale sud SA3 » (la société) à compter du 1er octobre 1988 en qualité d'" employée de bureau ", Mme Florence X... avait en dernier lieu la qualification d'" employée administrative hautement qualifiée, niveau IV, échelon 3 de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire " moyennant une rémunération mensuelle brute moyenne de 1992, 72 €.

En arrêt de travail à compter du 18 juin 2007 pour « état dépressif réactionnel » à l'attitude d'un de ses collègues de travail envers elle, Mme X... passait deux visites de reprise les 13 et 27 mars 2008 à l'issue desquelles elle était déclarée « inapte au poste d'employée administrative hautement qualifiée dans le service production ou service épicerie. Apte à un poste de même qualification sur un site géographique différent type V1 ou V6 ".

Le 22 juillet 2008, la société lui proposait une affectation définitive dans le service commercial à compter du 1er septembre 2008 avec une période probatoire de un mois, proposition que la salariée acceptait le 4 août 2008.

Par courrier du 17 septembre 2008 Mme X... avisait la société qu'en raison des difficultés d'adaptation rencontrées dans son nouveau poste elle entendait mettre un terme à la période probatoire.

Arguant de l'absence de toute autre possibilité de reclassement dans l'entreprise, la société la licenciait par lettre recommandée avec AR du 4 novembre 2008.

Estimant qu'elle n'avait pas été remplie de ses droits, Mme X... saisissait le conseil de prud'hommes de Montpellier qui, par jugement du 8 septembre 2010, la déboutait de l'intégralité de ses demandes.

Par lettre recommandée AR reçue au greffe de la cour d'appel le 8 octobre 2010 Mme X... interjetait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 29 septembre 2010.

Elle conclut à son infirmation et demande à la cour de :

I)- sur la responsabilité contractuelle :
constater les agissements de harcèlement moral qu'elle a subi de la part d'un collègue de travail sur son lieu de travail,
constater que la société Système U a violé son obligation de prévention et de sécurité de résultat engageant sa responsabilité contractuelle personnelle,
la condamner à lui payer 47 825, 28 € au titre du préjudice subi :

II)- sur le licenciement pour inaptitude,
à titre principal, constater que l'inaptitude a pour origine les agissements de harcèlement moral d'un collègue de travail, dire le licenciement nul et condamner la société à lui payer :
• 47 825, 28 € en réparation du préjudice subi du fait d'un licenciement nul ;
• 3985, 44 € bruts d'indemnité compensatrice de préavis et 398, 54 € bruts au titre des congés payés afférents ;
• 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
à titre subsidiaire, constater que la société a violé son obligation de recherche loyale de reclassement, dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société à lui payer :
• 47 825, 28 € en réparation du préjudice subi du fait d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
• 3985, 44 € bruts d'indemnité compensatrice de préavis et 398, 54 € bruts au titre des congés payés afférents ;
• 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient pour l'essentiel à l'appui de ses demandes que :

- la société savait qu'elle était victime d'agissements de harcèlement moral commis par un salarié de l'entreprise, M. Y..., mais l'employeur a fait preuve d'une totale abstention, ne prenant aucune mesure ni pour prévenir ces agissements ni pour les faire cesser, rendant ainsi l'exécution de sa prestation de travail impossible du fait des pressions et agressions de ce collègue de travail ;
- pire, au lieu de sanctionner l'auteur des agissements de harcèlement moral alors même que celui-ci reconnaissait les avoir commis, elle seule faisait l'objet d'un rappel à l'ordre et était menacée de sanction ;
- cette situation a altéré sa santé physique et mentale et entraîné un arrêt de travail ininterrompu pendant près d'un an ;
- l'employeur n'est pas en mesure de justifier par aucun élément objectif sa carence à agir ;
- l'inaptitude constatée est la conséquence directe des agissements de harcèlement moral et l'employeur ne pouvait s'en prévaloir pour la licencier de telle sorte que le licenciement est nul ;
- subsidiairement, la société lui a proposé un poste de qualification inférieure près du secteur V3 où était affecté M. Y..., exécutant ainsi son obligation de reclassement de manière totalement déloyale.

La société conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions et à la condamnation de l'appelante à lui payer 1000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir en substance que :

- Elle a pleinement rempli son obligation de sécurité de résultat et la salariée ne peut lui imputer les dérapages de sa vie personnelle et privée qui ont eu un impact sur sa vie professionnelle et auxquelles elle a pris une part non négligeable comme son ex-compagnon M. Y... ;
- elle ne s'est rendue responsable d'aucun harcèlement moral à l'encontre de Mme X... et celle-ci ne l'a jamais informé de la situation de harcèlement moral qu'elle prétendait subir ;
- les atteintes physiques dont se plaint Mme X... sont les conséquences de sa vie privée et non de sa vie professionnelle ;
- elle a respecté son obligation de reclassement et multiplié les efforts pour satisfaire aux voeux de la salariée comme aux préconisations de la médecine du travail ;
- c'est Mme X... qui a pris l'initiative de mettre fin à une affectation qui lui convenait et que le médecin du travail avait agréé, la mettant dans la nécessité de trouver un autre poste de reclassement, ce qui s'avéra impossible.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions respectives des parties, la cour se réfère au jugement du conseil de prud'hommes et aux conclusions écrites auxquelles elles se sont expressément rapportées lors des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le harcèlement moral.

Aux termes des articles L. 1252-1 et L 1154-1 du code du travail :
" Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ".

En application de l'article L. 1152-5 " Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire ".

Il se déduit de ces textes que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l'un ou l'autre de ses salariés.

Il résulte des pièces communiquées et des débats que Mme X... était victime le 24 novembre 2006 de coups et blessures volontaires entraînant 10 jours d'ITT au domicile de M. Y..., collègue de travail dont le bureau se situait à proximité immédiate du sien et avec qui elle avait entretenu une liaison pendant quelques semaines.

Les fait étaient reconnus par l'intéressé qui faisait l'objet d'un rappel à la loi et Mme X... fournissait le certificat médical justifiant son arrêt de travail à sa supérieure hiérarchique.

Bien qu'il ait promis de la laisser tranquille, M. Y... lui transmettait par la suite des courriers et messages électroniques sur sa boîte de messagerie professionnelle lui faisant part de ses sentiments à son égard, utilisant même un pseudonyme pour créer une adresse de messagerie à cette fin ; il décrivait lui-même ces agissements dans un courriel adressé le 26/ 02/ 2007 sur la messagerie professionnelle de Mme X... (pièce no4 appelante).

Le 27 février 2007, Mme X... déposait plainte contre son collègue de travail pour harcèlement moral après avoir reçu des textos l'insultant, l'intéressé lui déclarant qu'il l'épie au travail et la harcèle.

Dans la matinée du 10 avril 2007, M. Y... agressait violemment Mme X... dans son bureau, reconnaissant dans un courriel du 20 avril 2007 déposé sur la messagerie professionnelle de l'appelante aux temps et lieu du travail qu'il ne s'était " pas contrôlé ", que " ses paroles avaient dépassé sa pensée ", qu'il avait " encore une fois mélangé le privé et le travail ", qu'il l'avait " menacée " et " terrorisée " et que si quelqu'un devait être sanctionné c'était lui et lui seul.

Ces faits sont matériellement prouvés, incontestables et caractérisent bien des agissements répétés entraînant une dégradation des conditions de travail de Mme X... et portant atteinte à sa dignité.

Ils sont également directement en lien avec la dégradation de son état de santé, lui-même à l'origine d'un arrêt de travail pour maladie pendant plusieurs mois et d'une inaptitude dont la seule justification s'avère être la nécessité d'éloigner Mme X... de M. Y..., en raison du caractère pathologique des relations du second envers la première.

Il s'agit à tout le moins d'une forte suspicion de harcèlement moral.

Si la société prétend qu'elle n'a jamais été informé d'agissements de harcèlement moral sur la personne de Mme X..., elle a adressé à cette dernière un courrier daté du 19 avril 2007 et rédigé en ces termes :

".../... En effet, dans la matinée du 10 avril 2007, votre responsable Mme Zoulika Z... a dû intervenir afin de faire cesser une violente discussion qui vous opposait à M. Michel Y....

M. Y... a indiqué que les impératifs de production l'ont obligé à effectuer une relecture des tracts avec vous-même et que votre manque de réactivité (voir votre nonchalance) face aux délais l'a irrité au point de monter le ton.

Vous n'êtes pas sans ignorer que notre dernière entrevue du 9 mars 2007 portait déjà sur vos difficultés relationnelles avec M. Y... : je vous ai d'ailleurs mis en garde oralement sur les conséquences préjudiciables d'un tel comportement au sein de notre activité et en présence des autres collaborateurs.

Que même si, en l'espèce, les circonstances extérieures à la vie professionnelle ne sont pas prises en considération, je ne peux que constater qu'elles affectent considérablement la relation de travail au sein de ce service. Ce qui est regrettable.

Je tiens à vous préciser que notre service reste un lieu de travail où il est inacceptable de constater ce type de comportement au sein d'une équipe de travail qui a des objectifs à atteindre.

Pour conclure, je vous invite à prendre toute la mesure de cet incident. À défaut de quoi, je serais amené à vous sanctionner plus sévèrement ".

Il en résulte que non seulement l'employeur était au courant de ce qu'il qualifie de " difficultés relationnelles " mais que des entretiens avaient déjà eu lieu à ce sujet avec Mme X... et qu'il trouve légitime que M. Y... " monte le ton " du fait de la " nonchalance " prêtée à sa collègue de travail... au point de perturber tout le service et d'amener la supérieure hiérarchique à intervenir.

L'employeur n'ayant jamais allégué avoir entrepris une semblable démarche envers M. Y..., Mme X... était en droit de penser qu'elle était doublement victime puisque, considérée comme responsable du comportement de M. Y... quand bien même celui-ci reconnaissait être à l'origine desdites " difficultés relationnelles ", c'était à elle de quitter un service dans lequel elle travaillait depuis 20 ans, la société n'envisageant à aucun moment de demander des comptes à M. Y... sur son comportement.

En toute hypothèse, la preuve est établie d'une part de faits constitutifs d'agissements de harcèlement moral au travail de la part d'un autre salarié, de l'inaction de l'employeur et de l'impossibilité pour ce dernier de justifier cette inaction par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement au sens des textes sus évoqués.

Il y a donc lieu de retenir, infirmant en cela le jugement déféré, que la société a violé son obligation de prévention et de sécurité de résultat, engageant de ce fait sa responsabilité contractuelle.

Compte tenu de l'ancienneté de la salariée dans l'entreprise, de la persistance des agissements de harcèlement sur plusieurs mois et de l'attitude de l'employeur faisant peser la responsabilité de la situation sur la salariée et elle seule, la cour est en mesure d'évaluer le préjudice subi à 25 000 €.

Sur le licenciement.

Lorsque l'inaptitude du salarié est la conséquence directe des agissements de harcèlement moral, l'employeur ne peut s'en prévaloir pour rompre le contrat de travail et le licenciement pour inaptitude est nul.

Il résulte des développements qui précèdent que Mme X... ne souffrait d'aucun handicap physique ou mental particulier et que l'inaptitude définitive à son poste de travail a pour seule origine son état dépressif réactionnel aux agissements de harcèlement moral d'un collègue de travail travaillant à proximité, situation rendant nécessaire son propre éloignement à défaut de réaction de l'employeur.

L'avis médical d'inaptitude, même s'il ne mentionne pas le harcèlement moral, est particulièrement explicite en ce qu'il retient comme seule indication l'éloignement du secteur V3.

Il s'en déduit que le licenciement est nul.

Compte tenu de son ancienneté dans l'entreprise (20 ans), de sa rémunération, de son âge (41 ans), des circonstances de la rupture et des périodes de chômages qui s'en sont suivis, la salariée est en droit de prétendre à :

• 3985, 44 € d'indemnité compensatrice de préavis outre 398, 54 € de congés payés ;

• 47 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi en raison de la perte injustifiée de son emploi.

PAR CES MOTIFS

La cour ;

Infirme le jugement rendu par la section commerce du conseil de prud'hommes de Montpellier le 8 septembre 2010 ;

Et, statuant à nouveau sur le tout ;

Dit que la société Système U a violé son obligation de prévention et de sécurité de résultat, engageant sa responsabilité contractuelle personnelle ;

Dit que l'inaptitude de Mme X... a pour origine les agissements de harcèlement moral d'un collègue de travail sur le lieu du travail ;

Dit le licenciement pour inaptitude nul ;

Condamne la SA système U centrale régionale sud à payer à Mme Florence X... :

• 4383, 98 € d'indemnité compensatrice de préavis y compris l'incidence des congés payés, outre les intérêts au taux légal sur cette somme calculée en brut à compter du 29/ 10/ 2009 date de la convocation devant le bureau de conciliation valant demande en justice ;

• 25 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par le harcèlement moral dont elle a été victime ;

• 47 000 € de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi ;

• 2000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

La condamne aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Montpellier
Numéro d'arrêt : 09/01722
Date de la décision : 21/09/2011

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-09-21;09.01722 ?
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