COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre sociale
ARRET DU 05 NOVEMBRE 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 08 / 02643
Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 FEVRIER 2008- TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE HERAULT-No RG 20700120
APPELANT :
Monsieur Jean Louis X......... 34200 SETE Représentant : Me BOTTAI Charlotte représentant la SCP GOBERT avocats
INTIMEES :
SA DES DOMAINES DE LISTEL prise en la personne de son représentant légal Château de Villeroy 34200 SETE Représentant : Me Pascal ADDE-SOUBRA (avocat au barreau de MONTPELLIER)
MSA HERAULT 4 Maison de l'Agriculture Place Chaptal 34262 MONTPELLIER CEDEX 2 représentée par Me COSTE avocat
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 02 OCTOBRE 2008, en audience publique, Monsieur Pierre D'HERVE ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Pierre D'HERVE, Président Madame Myriam GREGORI, Conseiller Madame Bernadette BERTHON, Conseiller
Greffier, lors des débats : M. Henri GALAN,
ARRET :
- Contradictoire.
- prononcé publiquement le 05 NOVEMBRE 2008 par Monsieur Pierre D'HERVE, Président.
- signé par Monsieur Pierre D'HERVE, Président, et par Monsieur Henri GALAN, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE
Le 6 septembre 1996, Jean Louis X... employé depuis juin 1974 comme " caviste qualifié " par la SA Des Domaines de LISTEL anciennement Domaine Viticole des Salins du Midi a été victime d'un accident du travail ayant été brûlé aux 2ème et 3ème degrés par débordement d'eau bouillante lors de la purge d'air de la ligne d'alimentation du moût.
Par jugement rendu le 15 juin 2004, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de l'Hérault a :
- dit que l'accident dont a été victime Jean Louis X... le 6 septembre 1996 était dû à la faute inexcusable de l'employeur par la SA Des Domaines de LISTEL,- fixé la majoration de la rente au maximum,- ordonné avant dire droit sur la liquidation du préjudice personnel une expertise médicale confiée au Docteur Z...,- condamné l'employeur à payer au salarié une provision de 7 625 € dont l'avance sera faite par la mutualité Sociale Agricole de l'Hérault, et 500 € sur la base de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Sur le recours de la SA Domaines de LISTEL, la Cour d'Appel de MONTPELLIER par arrêt du 12 janvier 2005 confirmait le jugement du 15 juin 2005.
Le 6 décembre 2006, la Cour de Cassation rejetait le pourvoi formé par l'employeur.
Le 16 août 2006, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale désignait le Docteur A... avec la même mission en remplacement du Docteur Z....
Le 28 janvier 2005 l'expert considérait que la victime n'était toujours pas consolidé.
Par jugement du 11 octobre 2005, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale ordonnait un complément d'expertise confié au même expert.
Le rapport d'expertise définitif était déposé le 28 septembre 2007.
Par jugement du 11 février 2008 le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale a :
- rejeté la demande de nouvelle expertise médicale,
- fixé la majoration de la rente au maximum,
- fixé le préjudice de la victime de la façon suivante :- pretium doloris : 30 000 €- préjudice d'agrément : 5 000 €- préjudice esthétique temporaire et permanent : 5 000 €- préjudice moral : 8 000 €
- rappelé que ces sommes seront versées à la victime par la MSA de l'Hérault qui en fera l'avance et qui en récupérera le montant auprès de la SAS DOMAINE LISTEL condamnée au paiement de ces sommes,
- condamné la SAS DOMAINE de LISTEL à payer 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du NCPC,
- rejeté les demandes au titre du préjudice de perte de chance de promotion professionnelle, de jours de congés perdus, de préjudice sexuel, de l'IPP et de remboursement de frais médicaux.
Jean Louis X... a le 14 avril 2008, interjeté régulièrement appel de ce jugement.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions, l'appelant demande à la Cour au visa des dispositions de l'arrêt de la Cour de Cassation rendu le 6 décembre 2006 de :
- constater que l'employeur doit réparer l'intégralité du préjudice subi par M. X...,
- compte tenu du rapport du Docteur A... voir condamner l'employeur à lui payer à titre provisionnel la somme de 80 000 €,
- voir désigner tel expert qu'il plaira au Tribunal avec un complément de mission pour : son préjudice sexuel, la perte ou la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle, son préjudice fonctionnel d'agrément traduisant l'ensemble des troubles causés par le handicap dans les actes de la vie courante et les activités affectives, familiales et de loisirs. L'expert qui sera désigné pouvant s'adjoindre les services d'un sapiteur psychologue aux fins de déterminer le volet psychologique de l'expertise,
- dire que celui-ci pourra solliciter du Docteur A... l'entier dossier de Monsieur X... qu'il a gardé.
- en cas de rejet de la désignation d'un complément d'expertise, voir liquider le préjudice comme suit :
- au titre de la perte de promotion professionnelle : 100 000 € - au titre du préjudice doloris : 200 000 € - au titre du préjudice esthétique : 10 000 € - au titre du préjudice esthétique temporaire : 10 000 € - au titre du préjudice d'agrément temporaire : 10 000 € - au titre du préjudice d'agrément : 30 000 € - au titre du préjudice moral : 80 000 € - au titre du préjudice sexuel : 50 000 €.
Il souligne que le complément d'expertise est nécessaire pour déterminer les postes de préjudice personnels non examinés par le Docteur A....
Aux termes de ses écritures, la SA LES DOMAINES DE LISTEL faisant appel incident conclut au visa de l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale au débouté de la demande de désignation d'un nouvel expert, sur la liquidation du préjudice à l'irrecevabilité de la réclamation au titre du préjudice moral, du préjudice sexuel, sur les chefs de préjudice légalement admissibles à leur fixation aux sommes suivantes 10 000 € pour les souffrances physiques et morales et 1 500 € pour le préjudice esthétique (2 500 € dans les motifs des conclusions), et au débouté des prétentions adverses au titre du préjudice d'agrément, de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle.
Elle souligne que concernant la pratique de chasse, l'appelant se contente de l'attestation de Monsieur C... sans justifier de son affiliation à une association de chasse, de la détention d'un permis de chasse et de l'arme correspondante.
Elle indique que le salaire de la victime a toujours été maintenu dans toutes ses composantes et relève qu'il n'y a eu aucune incidence tant en termes d'emploi occupé que de rémunération versée.
Elle ajoute que l'appelant ne communique aucun élément objectif matériellement vérifiable permettant de justifier du fait que des évolutions notamment en terme d'emploi ne lui sont plus accessibles en raison de la dégradation de son état de santé.
La Mutualité Sociale Agricole de l'Hérault s'en rapporte quant à l'appréciation de l'indemnisation et sollicite que l'employeur soit condamné à lui rembourser les sommes dont elle aura fait l'avance et à prendre en charge les dépens.
Pour plus ample exposé, la Cour renvoie expressément aux écritures déposées par chaque partie et réitérées oralement à l'audience.
SUR CE
En premier lieu, il convient de constater que la faute inexcusable de l'employeur a été reconnue par arrêt du 12 janvier 2005 à ce jour définitif.
L'article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale dispose : " lorsque l'accident du travail est dû à la faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies par les articles qui suivent... ".
Selon l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale, il est prévu " qu'indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent L. 452-2, la victime a le droit de demander à l'employeur la réparation du préjudice causé par des souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotions professionnelles, si la victime est atteinte d'un taux d'incapacité de 100 % il lui est alloué en outre une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum légal en vigueur à la date de consolidation. "
I. Sur le rapport de l'expert judiciaire et la demande de complément d'expertise
Aux termes de son complément de rapport après consolidation l'expert judiciaire conclut :
- que Jean Louis X... a présenté suite à l'accident du 6 septembre 1996 des lésions de brûlure à l'eau bouillante à 120°, aux 2ème et 3ème degrés sur une surface corporelle importante (bras, avant-bras droit, thorax, cuisse droite, genou gauche, jambe gauche, pied gauche...),
- que l'évolution et traitement appliqués se résument ainsi : - Transport au CHU de SETE au service des urgences. - Transfert Le 12 septembre 1996 aux services des grands brûlés du CHU de MONTPELLIER. - Greffe en peau le 8 octobre 1996, sur la face dorsale du pied gauche et sur le tibia gauche. - Séjour en centre de rééducation fonctionnelle du Docteur François Y... à des nombreuses reprises compte tenu de l'importance des séquelles articulaires et musculaires. - Complications respiratoires apparues en 1997,
- que la durée de l'incapacité temporaire de travail comporte l'alternance de périodes d'arrêt de travail complet et de mi-temps thérapeutique à savoir : - arrêt de travail complet (06/09/96 au 10/08/98 ; 16/03/99 au 26/03/99 ; 06/02/03 au 09/06/03), - mi-temps thérapeutique (11/08/98 au 12/04/99 ; 27/03/99 au 01/04/01 ; 28/04/01 au 27/06/01 ; du 09/10/01 au 09/05/02 ; du 12/11/02 au 12/02/03), - la victime ayant repris son travail définitivement depuis le 10/06/2003, au Service des expéditions de commandes, à mi-temps thérapeutique dans un premier temps,
- que la date de consolidation des blessures peut être fixée au 24/03/2005, en accord avec le certificat final de consolidation avec séquelles établi par le Docteur Bernard E...,
- que compte tenu des lésions de brûlure par de l'eau bouillante à 120°, projetée sur la victime la brûlant gravement au 5ème degré sur une surface corporelle importante, le pretium doloris peut être qualifié d'important, et quantifié 6 sur une échelle de 0 à 7 et le préjudice esthétique (séquelles cutanées des lésions de brûlures initiales) pouvant être qualifié de léger et quantifié 2 sur une échelle de 0 à 7,
- que du fait des lésions constatées initialement, il existe une atteinte permanente d'une ou plusieurs fonctions dont le taux d'IPP global définitif peut être fixé à 15 % (quinze pour cent),
- que l'état de la victime est susceptible de modifications ultérieures en aggravation,
- que du fait de son incapacité permanente, la victime est au plan médical physiquement et intellectuellement inapte à reprendre dans les conditions antérieures ou autres l'activité qu'elle exerçait lors de l'accident ; en pratique, Monsieur Jean-Louis X... a bénéficié d'un aménagement du poste de travail avec reprise définitive du travail depuis le 10/06/2003, au Service des expéditions de commandes, à mi-temps thérapeutique jusqu'au 11/04/2005, puis à temps plein depuis cette date.
Le rapport d'expertise doit servir de base à l'évaluation du préjudice subi par la victime et à l'indemniser sur les seuls postes visés à l'article L. 452-3 ci-dessus rappellé.
Il n'y a pas lieu en l'état ni d'ordonner une nouvelle expertise ni un complément à confier à un nouvel expert comme sollicité en dernier lieu.
Certes, la mission de l'expert ne portait pas spécifiquement sur le préjudice sexuel, la perte de chance de promotion professionnelle ou le préjudice d'agrément ; pour autant il n'est pas justifié de recourir à une autre mesure et ce dès lors que le préjudice sexuel n'est pas compris en tant que tel dans les préjudices indemnisables que la perte de chance de promotion professionnelle et le préjudice d'agrément relèvent spécifiquement de l'appréciation de la juridiction, au vu des éléments produits par le salarié, l'expert ayant précisé les incidences professionnelles notamment l'aménagement de poste.
D'autre part, pas plus que devant les premiers juges, l'appelant n'apporte aucun élément sérieux permettant d'écarter le travail de l'expert judiciaire.
Corrélativement au débouté du complément d'expertise la demande de provision sera rejetée.
II. Sur les conséquences à en tirer
S'agissant des souffrances endurées, eu égard à l'importance du taux retenu par l'expert, l'indemnisation accordée par les premiers juges à hauteur de 30 000 € paraît satisfactoire, l'appelant ne justifiant d'aucun élément pour qu'il soit fait droit à sa réclamation exorbitante à ce titre.
L'indemnisation d'un préjudice moral, indépendamment des souffrances endurées liées aux traitement et soins doit être également retenue ; l'accident qui a entraîné des brûlures aux 2ème et 3ème degrés a eu des conséquences morales dans sa vie personnelle, familiale, voire dans son couple ; les 8 000 € octroyés par le tribunal s'avèrent une juste évaluation.
En ce qui concerne le préjudice esthétique sans qu'il y ait lieu d'opérer une disctinction entre le temporaire et le permanent, la fixation à 5 000 € figurant dans le jugement ne saurait être critiquée.
Quant au préjudice d'agrément, il ne saurait être contesté sur le principe et là encore il n'y a pas lieu de faire de distinction entre le temporaire et le permanent, la victime opérant cette disctinction dans le seul but de multiplier les demandes étant précisé que ce type de préjudice ne peut se limiter aux doléances de la victime.
En l'état, cette dernière qui s'est vue reconnaître une incapacité permanente de 15 % a présenté des lésions notamment au pied gauche qui a nécessité une greffe de peau et qui doit prendre des précautions par rapport aux risques de cancer de la peau, subit une gène dans ses activités courantes de loisirs telles que la marche, la plage, la pêche et la chasse étant précisé que pour cette dernière activité, l'appelant produit au débat son permis de chasse et la justification de ce qu'il a été antérieurement à son accident garde-chasse particulier sur la commune de SETE.
Les 5 000 € acordés en première instance sont justifiés sans qu'il y ait lieu d'aller au-delà.
Pour le préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotions professionnelles seul visé dans l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale, la confirmation du jugement déféré qui a rejeté la réclamation à ce titre s'impose également, le salarié ne rapportant pas d'élément sur les chances sérieuses qu'il aurait eues de promotions professionnelles avant l'accident sur son poste d'origine.
Sur ce point, il convient en outre de relever que même si le salarié a changé d'emploi, il apparaît au vu de l'ensemble des pièces produites que ce dernier n'a même pas subi la moindre perte de salaire et a bénéficié d'une indemnité compensatrice pour la " perte de son salaire liée aux vendanges ".
Rien ne peut non plus être alloué au titre du préjudice sexuel qui n'est pas visé comme il a été rappelé ci-dessus à l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité Sociale.
III. Sur les autres demandes
L'équité ne commande pas vu le résultat du premier litige de faire application de l'article 700 du Code de Procédure Civile à l'instance d'appel, l'indemnité allouée à ce titre pour la première instance étant confirmée.
L'employeur sera tenu de rembourser l'organisme social qui fera l'avance des sommes ci-dessus fixées.
L'employeur devra prendre en charge les frais d'expertise avancés par la Mutualité Sociale Agricole.
L'appelant sera dispensé de l'article R. 144-10 alinéa 2 du Code de la Sécurité Sociale.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Déclare recevable en la forme l'appel de Jean Louis X...,
Sur le fond
Confirme le jugement déféré,
Et y ajoutant,
Rejette la demande de complément d'expertise,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour l'instance d'appel et de l'article R. 144-10 alinéa 2 du Code de la Sécurité Sociale,
Rappelle que les indemnités ci-dessus fixées seront versées à Jean Louis X... par la Mutualité Sociale Agricole de l'Hérault qui en fera l'avance et qui en récupérera le montant auprès de la SA DES DOMAINES DE LISTEL,
Condamne la SA DES DOMAINES DE LISTEL aux frais d'expertise judiciaire avancés par la Mutualité Sociale Agricole de l'Hérault.