COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre sociale
ARRÊT DU 24 Septembre 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 08 / 02077
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 FEVRIER 2008 CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE BEZIERS
No RG 07 / 257
APPELANT :
Monsieur Elie X...
...
11100 MONTREDON DES CORBIERES
Représentant : la SCP PECH DE LACLAUSE-GONI-CAMBON (avocats au barreau de NARBONNE)
INTIMEE :
Société Coopérative AGRICOLE DE VINIFICATION DE CESSENON
34460 CESSENON-SUR-ORB
Représentant : Me Laurent TESOKA (avocat au barreau de BEZIERS)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 JUIN 2008, en audience publique, Monsieur Pierre D'HERVE ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Pierre D'HERVE, Président
Madame Myriam GREGORI, Conseiller
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Conseiller
Greffier, lors des débats : Mademoiselle Sophie LE SQUER
ARRÊT :
- Contradictoire.
- prononcé publiquement le 24 SEPTEMBRE 2008 par Monsieur Pierre D'HERVE, Président.
- signé par Monsieur Pierre D'HERVE, Président, et par Madame Brigitte ROGER, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE :
Elie X... a été engagé par la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon à compter du 2 août 1982 en qualité de directeur de cave.
Il a fait l'objet d'une condamnation par le Tribunal Correctionnel de NARBONNE en date du 10 novembre 2006 pour des faits de complicité, par aide et assistance, des infractions d'usurpation d'appellations d'origine des vins commercialisés, de tromperies sur la nature, l'origine et les qualités substantielles des vins commercialisés, de falsifications par coupages des vins blancs avec des vins rouges ou rosés destinés à la vente, reprochées à la SARL RIEUX et à Bernard Z....
Cette juridiction prononçait à son égard, notamment, une interdiction de se livrer à l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction avait été commise.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 13 mars 2007 la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon le convoquait à un entretien préalable pour le 21 mars suivant, en vue de son éventuel licenciement.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 16 avril 2007, Elie X... se voyait notifier son licenciement pour faute lourde en ces termes :
"... En votre qualité de directeur vous avez commis des fautes totalement inexcusables et qui sont les suivantes :
Vous avez émis un chèque de 29.174,77 € qui a été rejeté par la banque le 14 décembre 2006. Ce
chèque a par la suite été régularisé mais nous venons d'apprendre par la banque qui nous a transmis la
photocopie du chèque que vous l'aviez rédigé et signé. Ceci est totalement inadmissible d'autant plus
que vous ne pouviez ignorer la situation de la cave.
D'autre part, lors de l'Assemblée Générale de la cave coopérative en février 2006, vous avez indiqué à
plus de 300 personnes que la cave coopérative avait prés de 2 millions d'euros placés et que la cave
serait soit disant la plus riche du Languedoc ; cependant, les adhérents n'ont plus été payés à partir de
septembre 2006 et lorsque le Conseil d'Administration vous a demandé des explications à ce sujet vous
nous avez alors indiqué que du fait que les cuves de la SARL RIEUX auraient été cassées depuis prés
d'un an et que les assurances n'auraient toujours pas réglé, l'argent faisait défaut mais que normalement
le montant payé aux adhérents au mois d'octobre serait doublé. Toujours au mois de septembre 2006,
vous nous avez donné le prix de la récolte et du fait du prix très bas de celle-ci le Conseil
d'Administration (pensant aux 2 millions qui seraient placés) vous a demandé d'augmenter le prix de
l'hecto d'environ 66 et le lendemain de cette réunion vous nous avez confirmé qu'il serait possible
d'augmenter le pris à l'hecto. Cependant, en octobre nos adhérents n'ont pas reçu le prix augmenté
comme vous nous l'aviez indiqué. Nous vous avons alors demandé de nouvelles explications et vous
avez une nouvelle fois mis cet élément sur les difficultés rencontrées au sein de la SARL Rieux.
En novembre 2006, nous vous avions demandé une nouvelle fois le paiement et nous nous sommes
aperçus alors qu'il ne restait en fait que 2 300 006 placés mais bloqués par un crédit. Vous demandant
une nouvelle fois des explications concernant le reste (2 millions), vous nous avez alors répondu que
vous aviez payé les adhérents avec notre propre argent sans en avertir le Conseil d'Administration afin
de ne pas " affoler la base ". Eu égard à votre situation au sein de la SARL Rieux vous ne pouviez
ignorer " les difficultés " et malgré tout vous avez fait envoyer une partie de la récolte 2006 sachant
pertinemment que la SARL Rieux et l'UPS ne régleraient pas la totalité de ce qu'elles devaient. Ces
faits ont aujourd'hui de graves conséquences sur notre situation.
De même, depuis votre absence maladie, nous venons de découvrir qu'il restait plus de 2 500 006 de
factures impayées. Ce fait est totalement inadmissible et nous a d'ailleurs été caché ce qui témoigne de
votre volonté de nuire à la cave peut-être à travers les problèmes que vous avez rencontré au sein de la
SARL Rieux...
Que de même, vous vous êtes fait octroyer une gratification au titre des années 2000-2001-2002-2003-
2004-2005 d'un montant de 914 706 alors que ces gratifications exceptionnelles n'étaient normalement
que le résultat de votre " bon travail effectué " selon délibération du mois d'octobre 1998 alors que cela
ne se justifiait pas.
De même, nous venons de découvrir que vous avez payé à deux personnes à savoir M. A... et M.
Y... en 2005, M. B...et M. A... en 2006 des indemnités kilométriques au mois d'août qui ne
correspondent strictement à aucun élément comptable avec aucun justificatif. Cependant il vient de
nous être rapporté que ces personnes auraient travaillé pour cette période. Si celles-ci ont été payées à
traversées indemnités kilométriques, cela constitue du travail dissimulé et en votre qualité de directeur
vous ne pouvez l'ignorer.
De même, vos agissements au sein de la SARL Rieux qui ont eu un écho très important au niveau
départemental et votre condamnation devant le Tribunal Correctionnel constituent un trouble objectif
caractérisé qui ne nous permet plus de maintenir votre contrat de travail ceci d'autant plus que l'activité
de la cave est en relation directe avec la SARL Rieux.
Nous découvrons tous les jours de nouveaux éléments que vous nous avez cachés et l'intégralité des
motifs invoqués constituent une faute lourde.
D'autre part vous avez outrepassé vos fonctions de directeur puisque vous avez pris des décisions sans
autorisation du Conseil d'Administration qui était pourtant obligatoire en 2006... "
Le 23 avril 2007 Elie X... a saisi le Conseil de Prud'hommes de BEZIERS aux fins de voir juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et irrégulier et d'obtenir paiement de diverses sommes notamment à titre de dommages et intérêts, indemnités de préavis et de licenciement, et de rappel de salaire.
Par décision de départage en date du 20 février 2008 le Conseil de Prud'hommes a :
- condamné la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon à payer à Elie X... les sommes de 4 648,00 euros à titre de rappel de salaire du mois d'avril 2007 et de 2 000,00 euros à titre d'indemnité pour irrégularité de la procédure de licenciement,
- débouté Elie X... de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires et travail dissimulé, rappel de gratifications et de frais de déplacement,
- jugé que le délai de prescription des faits reprochés dans la lettre de licenciement n'avait commencé de courir que fin janvier 2007,
- sursis à statuer en ce qui concerne l'appréciation des causes du licenciement jusqu'à ce que soient tranchées définitivement les poursuites pénales engagées contre Elie X....
Elie X... a relevé appel de ce jugement.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Par conclusions écrites réitérées oralement à l'audience, Elie X... expose que, tenant son absence pour maladie depuis le 16 novembre 2006, et tenant la date de sa condamnation par le Tribunal Correctionnel, les faits qui lui sont reprochés dans la lettre de licenciement sont prescrits.
Par ailleurs, il soutient que les faits qui lui sont ainsi reprochés sont imprécis comme non datés ; qu'en outre les deux présidents successifs de la cave coopérative avaient une parfaite connaissance des pratiques illicites de la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon, et ce tenant notamment l'interdépendance existant entre les structures UNION PLEIN SUD, la Société Coopérative et la cave coopérative.
Il avance une escroquerie au jugement commise par le fait pour la cave d'avoir indiqué qu'une plainte pénale avait été déposée à l'encontre de l'expert comptable et du commissaire aux comptes, et ce alors qu'aucune plainte n'avait été enregistrée au Parquet de BEZIERS en ce sens.
Il reprend point par point les neuf griefs visés dans la lettre de licenciement pour démontrer qu'il s'agit de fausses accusations et fait valoir que s'il s'est exposé à une condamnation pénale c'est à la demande expresse de la cave coopérative de Cessenon.
Il avance que la référence à sa condamnation pénale constitue une atteinte au respect de sa vie privée et ajoute que, tenant l'appel formé, puis le recours en Cassation, cette décision n'était pas définitive au moment de son licenciement et qu'il a ainsi été porté atteinte au principe de la présomption d'innocence.
Il avance enfin que la procédure de licenciement est irrégulière faute de respect du délai entre la réception de la convocation à l'entretien préalable et la date prévue pour ledit entretien, au cours duquel 12 personnes l'ont interrogé.
Par ailleurs, il fait valoir que son salaire du mois d'avril 2007 ne lui a toujours pas été versé, que le paiement de frais de déplacement lui reste dû ainsi que celui de gratifications.
Il demande par conséquent à la Cour de réformer la décision entreprise, de juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de condamner la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon à lui verser les sommes de :
- 49 458,00 euros au titre du préavis, outre les congés payés afférents,
- 192 886,00 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
- 192 886,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 8 243,00 euros pour non-respect de la procédure de licenciement,
- 8 243,00 euros représentant ses congés payés non pris,
- 4 648,00 euros en paiement de son salaire d'avril 2007,
- 42 000,00 euros en paiement de ses frais de déplacement,
- 64 028,00 euros pour gratifications.
Il réclame en outre la remise, sous peine d'une astreinte, du certificat de travail, de l'attestation ASSEDIC et des bulletins de salaire rectifiés, et sollicite la condamnation de son employeur à lui verser une somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, il demande à la Cour de désigner un expert en écriture, deux conseillers rapporteurs et un expert comptable.
En réplique, la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon soutient que la procédure de licenciement est régulière dans la mesure où le salarié s'est présenté à l'entretien préalable et a pu préparer sa défense.
Elle conteste la prescription des faits reprochés au salarié et soutient n'avoir eu connaissance de la réalité, la nature et l'ampleur des faits fautifs qu'à la lecture du jugement du Tribunal Correctionnel.
Elle entend démontrer la réalité des faits qui lui sont reprochés et qui ont motivé son licenciement, et rappelle que la condamnation pénale lui interdisait la poursuite de son contrat de travail.
Elle demande par conséquent à la Cour de confirmer la décision entreprise, de juger que le licenciement d'Elie X... est régulier et qu'il repose bien sur une faute grave et lourde, de débouter Elie X... de l'intégralité de ses prétentions et de le condamner au paiement d'une somme de 3 000,00 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Elle indique également ne pas s'opposer à une mesure d'expertise en écriture.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la demande de rappel de salaire :
Si Elie X..., licencié le 20 avril 2007, peut prétendre à l'intégralité de son salaire jusqu'à cette date, il ressort des pièces produites par l'employeur que son salaire pour cette période lui a effectivement été versé.
Il conviendra de rejeter cette demande.
Sur la demande en paiement des frais de déplacement :
Les premiers juges ont relevé à juste titre que les sommes réclamées par Elie X... de ce chef ne constituent en rien une rétribution justifiée de frais réels de déplacement.
C'est à juste titre qu'ils ont rejeté cette demande.
Sur la demande pour gratifications :
En cause d'appel, Elie X... ne justifie pas davantage cette demande que les premiers juges ont, à juste titre, rejetée comme n'étant étayée par aucune des pièces du dossier.
Sur le licenciement :
Sur la régularité de la procédure :
En application des dispositions de l'article L 122-14 (devenu L 1232-2) du Code du Travail l'employeur qui envisage de licencier un salarié doit, avant toute décision, le convoquer à un entretien préalable qui ne peut avoir lieu moins de cinq jours ouvrables après la présentation de la lettre recommandée.
En l'espèce, la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon ne conteste pas la réception par Elie X... de sa convocation à entretien préalable le 19 mars 2007, soit moins de cinq jours ouvrables avant la date effective de l'entretien fixé au 21 mars suivant.
C'est ainsi à juste titre que le Conseil de Prud'hommes a constaté l'existence d'une irrégularité dont il a fixé la juste réparation à la somme de 2 000,00 euros.
Sur le bien-fondé du licenciement :
- Sur la prescription des faits visés à la lettre de licenciement :
L'article L 122-44 (devenu L 1332-4) du code du travail prévoit qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.
Le point de départ de ce délai est constitué par le jour où l'employeur a eu une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié.
Lorsque le fait fautif a donné lieu à des poursuites pénales, ledit délai est interrompu jusqu'à la décision définitive de la juridiction pénale.
En l'espèce, force est de constater qu'à la date où l'employeur a mis en place la procédure de licenciement, soit le 13 mars 2007, la décision pénale de condamnation d'Elie X... n'était pas encore définitive ; que dès lors les faits qui ont donné lieu à condamnation et qui sont visés à la lettre de licenciement n'encourent pas la prescription.
- Sur l'existence des faits fautifs invoqués à l'encontre du salarié :
Si la faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié constituant une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis, la faute lourde s'analyse comme celle commise par le salarié dans l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise.
En l'espèce, en visant expressément dans la lettre de licenciement les agissements frauduleux d'Elie X... au sein de la SARL Rieux et sa condamnation par le Tribunal Correctionnel, le 10 novembre 2006, pour des faits de complicité des infractions d'usurpation d'appellations d'origine des vins commercialisés, de tromperies sur la nature, l'origine et les qualités substantielles des vins commercialisés, et de falsifications par coupages des vins destinés à la vente, comme constituant un trouble objectif caractérisé ne permettant pas de maintenir son contrat de travail, l'employeur a suffisamment motivé et établi les faits fautifs constituant, tenant la nature de son poste (directeur de cave) et la réalisation des infractions dans le cadre de ses fonctions (lui ayant valu une interdiction de se livrer à son activité professionnelle), la faute grave exclusive de l'indemnité de licenciement et de préavis.
L'argument avancé par Elie X... suivant lequel l'employeur avait connaissance de la réalisation de ces infractions n'est pas, à le supposer établi, de nature à le soustraire à sa responsabilité, pénalement reconnue.
En revanche la Société Coopérative ne démontre par aucune des pièces du dossier que lesdits faits fautifs aient été commis par le salarié dans l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise.
Il convient par conséquent de juger le licenciement d'Elie X... fondé sur une faute grave et non sur une faute lourde et de le débouter de l'intégralité de ses prétentions du chef du licenciement.
Sur la demande au titre des congés payés non pris :
Tenant le licenciement justifié par la faute grave et non la faute lourde du salarié il convient de faire droit à sa demande, non contestée en son principe ni en son montant par l'employeur, au titre de ses congés payés non pris à hauteur de la somme réclamée de 8 243,00 euros.
Sur les frais irrépétibles :
Il n'y a pas lieu en la cause à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et après avoir délibéré,
En la forme, reçoit l'appel principal d'Elie X....
Au fond,
confirme le jugement entrepris en ce qu'il a constaté l'irrégularité de procédure et condamné la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon à verser à Elie X... de ce chef la somme de 2 000,00 euros et en ce qu'il a jugé non prescrits les faits visés à la lettre de licenciement ;
réforme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon à verser à Elie X... la somme de 4 648,00 euros au titre du salaire d'avril 2007 et le déboute de cette demande ;
Y ajoutant :
- JUGE le licenciement d'Elie X... fondé sur une faute grave et non sur une faute lourde ;
- DEBOUTE Elie X... de l'intégralité de ses demandes du chef du licenciement ;
- CONDAMNE la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon à lui verser la somme de 8 243,00 euros au titre de ses congés payés non pris ;
DIT n'y avoir lieu en la cause à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Société Coopérative Agricole de Vinification de Cessenon aux éventuels dépens d'appel.