COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre sociale
ARRET DU 28 Mai 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 08 / 00013
ARRET n° 1103
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 DECEMBRE 2007
CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE MONTPELLIER
N° RGF 06 / 1009
APPELANT :
Monsieur Alex X...
...
11100 NARBONNE
Représentant : Me KIRKYACHARIAN de la SCP KIRKYACHARIAN-YEHEZKIELY (avocats au barreau de MONTPELLIER)
INTIMEES :
Me E... MANDATAIRE LIQUIDATEUR DE L'ASSOCIATION REGIONALE DE FORMATION DE L'ARTISANAT DU BATIMENT
...
...
34000 MONTPELLIER
Représentant : Me GARCIA de la SELAFA CAPSTAN-BARTHELEMY (avocats au barreau de MONTPELLIER)
AGS (CGEA TOULOUSE)
72 rue Riquet, BP 848
31015 TOULOUSE CEDEX 6
Représentant : Me PIERCHON (avocat au barreau de MONTPELLIER)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 08 AVRIL 2008, en audience publique, Monsieur Pierre D'HERVE ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Pierre D'HERVE, Président
Madame Bernadette BERTHON, Conseiller
Madame Marie CONTE, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Christine CHABBERT-LACAS
ARRET :
- contradictoire.
- prononcé publiquement le 28 MAI 2008 par Monsieur Pierre D'HERVE, Président.
- signé par Monsieur Pierre D'HERVE, Président, et par Mademoiselle Sylvie DAHURON, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE
Alex X... a été embauché par l'Association Régionale de formation de l'artisanat du batiment (ARFAB) du Languedoc Roussillon selon contrat à durée indéterminée, à compter du 13 décembre 2004, en qualité de directeur, moyennant une rémunération mensuelle de 2 200 €, le contrat prévoyant un forfait mensuel d'heures de travail limité à 177 heures.
Après convocation à un entretien préalable qui s'est tenu le 24 mars 2006, et placement en mise à pied conservatoire, l'employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 avril 2006 ainsi libellée :
" Comme suite à l'entretien que nous avons eu le 24 mars 2006 et après décision prise à l'unanimité par notre Conseil d'Administration du 11 Avril 2006, nous vous notifions par la présente votre licenciement sans préavis ni indemnité pour faute grave et ceci pour les motifs exposés lors de cet entretien à savoir :
Vous avez été embauché en qualité de directeur de l'ARFAB LR.
A ce titre, vous deviez assurer la bonne marche de l'association tant d'un point de vue économique, financier et commercial que d'un point de vue administratif.
1) Or, vous avez refusé à au moins trois reprises y compris devant huissier de fournir les pièces comptables à l'expert comptable dûment mandaté par l'ARFAB LR.
Nous avons constaté de graves manquements de votre part au niveau de la comptabilité. Ainsi, la comptabilité 2004 fait l'objet de réserves de la part du Commissaire aux comptes et la comptabilité 2005 est qualifiée par l'expert comptable d'« inexploitable ». : « le dossier est intraitable et nécessite de nombreuses heures de travail pour régulariser la situation »
2) En termes de gestion financière, nous avons découvert de graves dysfonctionnements dus à vos fautes répétées
Ainsi nous avons découvert que, dans la plupart des cas, vous avez fait de manière incomplète, hors délais ou pas fait du tout, les démarches auprès des Fonds d'Assurance Formation pour obtenir le remboursement des stages réalisés par l'ARFAB LR en 2004 et 2005. De ce fait l'ARFAB LR accuse une perte irréversible de recettes de 430 000 € à notre connaissance à ce jour et au seul titre de 2005.
Vous ne pouviez, à votre poste, ignorer les procédures et les délais à respecter pour obtenir ces financements.
De façon concomitante, nous avons découvert que de nombreux formateurs qui avaient travaillé pour l'ARFAB LR n'étaient pas payés.
Ainsi, par exemple, il s'avère que l'ARFAB LR est débitrice de 122 285,50 euros pour la formation GRETA « mise à niveau pré BTS assistante de gestion PME-PMI » alors que les formations sont achevées depuis juillet 2005.
De même, il reste à devoir aux formateurs 13 468 euros depuis mars 2004 et 22 398 euros pour les périodes d'octobre à décembre 2005 pour les formations AFPA.
Mais encore, sans que la liste puisse être exhaustive : 4 850 euros depuis mai 2005 pour les compagnons du devoir, 1 614, 60 euros depuis novembre 2005 pour H/S informatique, 4 440 euros depuis décembre 2005 pour ECF, plus de 114 029 euros pour les formations du GEAB avec des factures datant même de janvier 2005.
Des retards sont également à déplorer pour le paiement des restaurants ayant accueilli les stagiaires de l'ARFAB LR.
Aussi, nous avons encore reçu le 13 mars 2006 un courrier du FAFAB s'interrogeant sur « le grand nombre de provisions émanant de notre ARFAB au titre de l'exercice 2005 » alors même que « toute facture parvenue (au FAFAB) 3 mois après la réalisation du stage ne peut plus faire l'objet d'une prise en charge » en nous rappelant qu'une « remise en cause de la convention faisant bénéficier l'ARFAB LR de souplesse de la procédure de subrogation peut être actionnée à notre encontre »,
En tant que Directeur de l'ARFAB LR, vous ne pouvez vous exonérer de votre responsabilité concernant cette gestion financière catastrophique qui porte gravement atteinte à la pérennité de notre association.
3) Nous avons découvert de graves manquements notamment aux obligations d'employeurs dont vous deviez assurer la mise en œuvre.
- Vous avez précompté les cotisations retraite obligatoire (AG2R) sans les inscrire et surtout sans les reverser à cet organisme.
- Vous avez également précompté une cotisation de 1, 5 % prévoyance et indemnités journalières sans aucune inscription à une quelconque caisse correspondante et, a fortiori, sans reversement des montants ainsi collectés.
Il ressort que le taux de cotisations mentionné sur les bulletins de salaires est erroné : AGS à 0, 45 alors que ce taux est actuellement de 0, 25 et de 0, 35 en 2005. Actuellement le taux ASSEDIC est de 4, 04 pour la part employeur et 2, 44 pour la part salarié. Or sur les bulletins de salaires 2006 les taux sont restés ceux de 2005, c'est-à-dire 4 % pour l'employeur et 2, 4 pour le salarie.
- Vous n'avez pas appliqué l'abattement Fillon alors que certains salaires permettent le bénéfice de cette mesure.
- Vous n'avez pas non plus établi les attestations de salaires à la CPAM pour permettre à l'ARFAB LR de percevoir les DSS avancées aux salariées. La taxe sur les salaires 2005 n'a pas été déclarée et ni payée aux impôts.
- En revanche, alors que vous n'avez pas réglé l'ensemble des dettes de I'ARFAB et que vous ne payiez pas les organismes sociaux au détriment des salariés, vous avez fait augmenter substantiellement votre salaire.
Ainsi, votre salaire est passé en :
octobre 2005 salaire brut : 2 200 €
novembre 2005 salaire brut : 2 811, 08 €
décembre 2005 salaire brut : 3 162, 46 €
janvier 2006 salaire brut : 3 194, 31 €.
4) Gestion des moyens humains
Bien que vous ayez procédé à l'achat d'un serveur, de PC, d'un logiciel de gestion de formation dans la version réseau, de modems pour un montant de 20 554 euros, l'informatique - et le réseau en particulier - est totalement inopérante si bien que l'on ne peut même pas envoyer ou recevoir des mails.
L'ensemble du personnel a suivi une formation à l'utilisation dudit logiciel de gestion de formation qui n'a jamais été opérationnel, obligeant le personnel à travailler dans des conditions précaires sur simple tableur Excel.
Vous n'avez donné aucune suite à ce dossier dont le poids de l'investissement est important pour une structure comme la nôtre.
Votre carence fautive est d'autant plus à déplorer qu'en raison de l'éclatement de notre structure, des évolutions technologiques et de la rapidité à laquelle il nous est demandé de répondre, l'outil informatique est indispensable, ne serait-ce qu'en termes de rationalisation des tâches à accomplir ainsi que pour la bonne gestion de la structure.
5) Volonté de nuire à la structure
Il ressort que le bilan pédagogique et financier de l'année 2004 adressé à la cellule de contrôle de la Direction Régionale du Travail, de l'Emploi et de la Formation Professionnelle est antidaté puisqu'il porte la date du 6 mai 2005 alors que la balance générale jointe porte la date du 16 novembre 2005. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il s'agit là d'une pratique illégale vis-à-vis de la réglementation sur la formation professionnelle.
Par ailleurs, vous avez transmis au Commissaire aux comptes, sans en informer le Président, un pseudo-rapport de gestion rejeté à l'unanimité, sauf son auteur, en Assemblée Générale de I'ARFAB LR le 10 février 2005 et dont vous ne pouviez ignorer qu'il contenait de fausses informations et des faits erronés.
Dans ces conditions, vous saviez pertinemment que ce rapport serait automatiquement transmis au Procureur de la République par le Commissaires aux comptes et qu'immanquablement cela porterait atteinte à la moralité de la structure et des membres fondateurs.
L'ensemble de ces constatations sont gravissimes tant au regard de vos obligations contractuelles que des incidences que cela génère pour les salariées et pour la structure ARFAB LR.
Ce licenciement prenant effet immédiatement, nous vous indiquons par ailleurs que la période conservatoire de mise à pied ne donnera pas lieu à versement de rémunération.
Nous tenons à votre disposition votre certificat de travail, le solde de votre compte et l'attestation ASSEDIC au siège de l'ARFAB LR. "
Contestant la légitimité de cette rupture le salarié a, le 27 juin 2006, saisi le Conseil de Prud'hommes de MONTPELLIER.
Par jugement du 5 juillet 2006, le Tribunal de Grande Instance de MONTPELLIER a prononcé la liquidation judiciaire de l'ARFAB LANGUEDOC ROUSSILLON et désigné Maître E... en qualité de liquidateur.
Par jugement du 3 décembre 2007, le Conseil de Prud'hommes de MONTPELLIER a débouté le salarié de ses demandes.
Alex X... a interjeté appel de cette décision.
MOYENS ET PRETENTIONS DES PARTIES
Par voie de conclusions écrites réitérées oralement à l'audience auxquelles il convient de se référer pour l'exposé complet de ses moyens et arguments, l'appelant sollicite la fixation de sa créance dans la procédure collective aux sommes suivantes :
- 2 500 € montant du salaire afférent à la période de mise à pied
- 250 € de congés payés afférents
- 7 500 € d'indemnité compensatrice de préavis
- 750 € de congés payés afférents
- 25 000 € de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Il précise en premier lieu que deux avenants contractuels lui ont en 2005 conféré des avantages salariaux témoignant de la confiance que lui portait l'employeur. Il prétend que son licenciement est en réalité la conséquence de l'éviction de l'ancien président de l'ARFAB et de la reprise en main de l'association par le nouveau président Monsieur F... .
Il conteste l'ensemble des griefs énoncés dans la lettre de licenciement et soutient que les faits relatés dans le courrier de rupture ne lui sont pas imputables, alléguant à cet effet une surcharge de travail, l'absence de délégation de signature à son profit lui interdisant l'engagement de dépenses, et notamment l'augmentation de son propre salaire.
Maître E... ès qualités de mandataire liquidateur de l'ARFAB LANGUEDOC ROUSSILLON conclut pour sa part à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelant au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Il précise qu'en février 2006, à la suite du changement de présidence, de nombreuses irrégularités ont été découvertes par le nouveau président qui n'a pu obtenir du directeur la communication des éléments comptables indispensables au fonctionnement de la personne morale.
Il relève que le contrat de travail définissait clairement les missions du Directeur, en matière administrative, économique, financière et commerciale et que celui-ci, encadrant six salariés, disposait des moyens humains nécessaires pour les mener à bien.
Il observe que les faits relatés dans la lettre de licenciement sont parfaitement établis et font obstacle, compte tenu du niveau de responsabilité du salarié, à son maintien dans l'entreprise, dans la mesure où ils étaient susceptible d'engager les responsabilités civile et pénale de l'association qu'ils ont au demeurant conduite à la liquidation judiciaire.
L'AGS, après avoir rappelé les limites de sa garantie, conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelant au paiement de la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elle se fonde sur une argumentation similaire à celle que développe Maître E... ès qualités.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le mérite de l'appel
Il incombe à l'employeur qui a procédé au licenciement pour faute grave de rapporter la preuve d'un fait ou d'un ensemble de faits imputable au salarié et constituant un manquement à ses obligations d'une gravité telle qu'elle interdit son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
La lettre de licenciement énonce une série de cinq griefs, à savoir :
- le refus persistant et constaté par huissier de justice opposé par le salarié à la demande formulée par le Président et le Conseil d'administration de l'association de communication des pièces comptables en vue de la réalisation d'un contrôle de gestion confié à un cabinet d'expertise comptable,
- des dysfonctionnements dans la gestion financière caractérisés par l'absence de démarche en vue de l'obtention du remboursement des stages assurés par l'ARFAB en 2004 et 2005, occasionnant une perte de 430. 000 € et le non-paiement de factures adressées à l'association,
- des manquements aux obligations de l'employeur résidant dans l'absence de reversement à la caisse AG2R des cotisations précomptées, l'application de taux de cotisations erronées,
- l'absence de mise en oeuvre et d'utilisation du matériel informatique acquis par l'ARFAB pour un prix de 20 554 €, alors que les salariés auraient bénéficié d'une formation en vue de l'utilisation du logiciel de gestion,
- la remise d'un bilan pédagogique et financier pour l'année 2004 antidaté et pourtant adressé à la cellule de contrôle de la direction régionale du travail et de l'emploi.
Les faits allégués par l'employeur sont établis par les pièces versées aux débats.
Le salarié n'en conteste au demeurant pas la matérialité mais estime qu'ils ne lui sont pas imputables, ou les justifie par sa fidélité à l'ancien président de l'association ou sa surcharge de travail.
Il convient à cet égard de relever que le contrat de travail définit les pouvoirs du directeur et précise que :
- en matière économique, financière et commerciale, il dispose du choix des moyens à mettre en oeuvre pour l'organisation des services.
Il proposera au conseil d'administration... toutes mesures nécessaires au fonctionnement de tous les programmes d'investissement et de développement visant à assurer l'avenir de l'entreprise,
-en matière administrative, il assure la gestion de l'entreprise... dispose de l'autorité sur l'ensemble du personnel... proposera au conseil d'administration et procédera aux recrutements et embauches.
Il s'ensuit que les carences énoncées dans la lettre de licenciement relèvent des différents domaines de compétence du Directeur.
S'agissant de la surcharge de travail invoquée, le directeur avait pour mission d'encadrer six salariés, recrutés à l'origine par les CAPEB départementales et devenus par la suite salariés de l'ARFAB, qui assuraient donc une charge de travail identique, bien avant l'embauche du directeur.
Celui-ci disposait donc des moyen humains nécessaires à l'accomplissement des diverses missions et, de surcroît, du pouvoir de proposer le recrutement de personnel supplémentaires, qu'il n'a pas utilisé.
Les faits énumérés dans la lettre de licenciement, en l'état des responsabilités de cadre dirigeant de Alex X..., des pouvoirs dont il était investi, et du préjudice considérable qu'ils ont généré pour l'employeur dont la liquidation judiciaire a été prononcée, faisaient obstacle au maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
La décision déférée mérite dès lors entière confirmation.
Sur l'article 700 du Code de Procédure Civile
L'équité ne commande pas en l'espèce de faire application, tenant les situations des parties, des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme le jugement,
Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
Condamne Alex X... aux dépens.