COUR D'APPEL DE MONTPELLIER 4o chambre sociale
ARRET DU 02 Avril 2008
Numéro d'inscription au répertoire général : 07 / 05548
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 JUILLET 2007 CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE MONTPELLIER
No RG06 / 01275
APPELANT :
Monsieur Philippe X...
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Représentant : Maître RENVERSEZ Substituant Maître Alain CHEVILLARD (avocat au barreau de MONTPELLIER)
INTIMEE :
Association APAJH 34
prise en la personne de son représentant légal
284, ave du Profess. JL VIALA
Parc Euromédecine II
34193 MONTPELLIER CEDEX 5
Représentant : Maître MONSARRAT substituant Maître Michel PIERCHON (avocat au barreau de MONTPELLIER)
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 945-1 du Code de Procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 MARS 2008, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Jean- Luc PROUZAT, Conseiller, chargé d'instruire l'affaire, Monsieur Jean- Luc PROUZAT ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Code de Procédure Civile.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Pierre D'HERVE, Président
Monsieur Jean- Luc PROUZAT, Conseiller
Monsieur Eric SENNA, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Brigitte ROGER
ARRET :
- Contradictoire.
- prononcé publiquement le 02 AVRIL 2008 par Monsieur Pierre D'HERVE, Président.
- signé par Monsieur Pierre D'HERVE, Président, et par Mademoiselle Sylvie DAHURON, Greffier présent lors du prononcé.
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Philippe X... a été embauché à compter du 30 novembre 1995 comme médecin psychiatre à temps partiel (1 / 4 temps) par l'association 3AH gérant alors les établissements médico- sociaux du domaine de la Bruyère à Saint Christol (34).
Ces établissements ont été placés sous administration provisoire puis fermés par arrêté du préfet de l'Hérault en date du 11 août 2004 en l'état de dysfonctionnements constatés dans la prise en charge des adultes handicapés accueillis dans les établissements ; l'association APAJH 34 en a repris la gestion à compter du 1er septembre 2004.
Par courrier du 3 janvier 2006, le directeur général de l'APAJH a informé monsieur X... du déménagement provisoire de son bureau dans le bâtiment administratif, le temps des travaux de réaménagement de l'unité « la rotonde » où il était installé.
Ce déménagement ayant été effectué le 9 février, monsieur X... a, par lettre du 10 février 2006, fait savoir au directeur de l'APAJH qu'il n'était plus désormais en mesure d'assumer ses fonctions, qu'il dégageait toute responsabilité en raison de l'impossibilité dans laquelle il se trouvait d'exercer dans les règles de l'art et qu'il dénonçait l'ensemble des traitements prescrits aux malades, n'étant plus en mesure de s'assurer de leurs effets ou de l'apparition d'éventuels effets secondaires, ni par l'observation directe, ni à travers les observations faites par le personnel spécialisé ou rapportées par la psychologue et la chef de service.
Le 23 février 2006, monsieur X... a été convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement, une mise à pied conservatoire lui étant parallèlement notifiée.
Il a été licencié pour faute grave par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 28 mars 2006 pour avoir :
- refusé, par courrier du 10 février 2006, d'assumer ses fonctions de médecin psychiatre et dénoncé les traitements qu'il avait prescrits aux personnes lourdement handicapées,
- refusé de se soumettre à la hiérarchie inhérente à tout système organisé,
- dénigré les actions entreprises par l'association dans le cadre de la mise en conformité des établissements du domaine de la Bruyère en assurant une diffusion massive des courriers des 1er et 10 février 2006 à l'extérieur auprès des organismes de tutelle et financeurs que sont la DDASS et le conseil général,
- déstabilisé le personnel et les équipes éducatives par la diffusion du courrier du 10 février 2006.
Contestant le bien fondé de son licenciement, monsieur X... a saisi le conseil de prud'hommes de Montpellier qui, par jugement du 2 juillet 2007, après avoir considéré son licenciement pour faute grave justifié, a :
- condamné l'association APAJH à payer à lui payer la somme de 603, 03 euros à titre de rappel de salaire correspondant à 9 jours d'absence décomptés en 2005,
- débouté monsieur X... de ses autres demandes.
Par déclaration faite le 10 août 2007 au greffe de la cour, celui- ci a régulièrement relevé appel de ce jugement, notifié le 2 août 2007.
En l'état des conclusions qu'il a déposées et soutenues oralement à l'audience, monsieur X... demande à la cour de :
- juger que son licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
- infirmer sur ce point le jugement du conseil de prud'hommes,
- condamner en conséquence l'APAJH à lui verser les sommes de :
• 30 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
• 10 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement intervenu dans des conditions vexatoires,
• 21 741, 12 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
• 12 022, 74 euros à titre d'indemnité de préavis,
• 1202, 27 euros à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
• 2335, 20 euros à titre de rappel de salaire durant la mise à pied,
• 233, 52 euros à titre d'indemnité de congés payés sur la période de mise à pied,
- confirmer la condamnation de l'APAJH à lui verser la somme de 603, 33 euros à titre de rappel de salaire,
- condamner l'APAJH à lui verser la somme de 60, 30 euros à titre d'indemnité de congés payés sur le rappel de salaire,
- condamner l'APAJH à lui payer la somme de 2000, 00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonner la délivrance des bulletins de salaire et de l'attestation Assedic modifiés en conséquence,
- dire et juger que les sommes seront assorties des intérêts légaux depuis l'introduction de la demande.
Au soutien de son appel, il fait essentiellement valoir que :
- les griefs relatifs au refus de déménagement de son bureau et au dénigrement ont déjà été sanctionnés par un courrier de l'APAJH en date du 13 février 2006, constituant un avertissement,
- son statut de médecin lui conférant une totale autonomie dans l'appréciation des conditions d'exercice de son travail, il pouvait d'ailleurs estimer que le déménagement de son bureau dans les locaux administratifs nuisait à l'exercice de sa fonction,
- en outre, il a repris son travail le 23 février 2006, assurant ainsi le suivi des soins aux résidents,
- la lettre de licenciement ne contient aucun fait précis relativement à un refus de sa part de la hiérarchie et les divers évènements invoqués par l'APAJH ne peuvent être retenus, soit qu'ils ne sont pas établis ou datés, soit qu'ils ne sont pas fondés,
- il était parfaitement en droit d'informer les autorités de tutelle du différend l'opposant à l'association,
- le courrier du 10 février 2006 qui n'a été envoyé qu'aux délégués du personnel n'a pu provoquer une déstabilisation du personnel et des équipes éducatives et la note d'information du 16 février 2006 par laquelle il informait le personnel qu'il assurerait une permanence téléphonique ne fait aucune allusion au différend l'opposant à sa hiérarchie et n'a d'ailleurs pas été diffusée,
- les dispositions de l'article 33 de la convention collective des établissements et services pour personnes handicapées font obstacle à ce que la faute grave soit requalifiée en cause réelle et sérieuse puisqu'il n'avait pas fait l'objet antérieurement de deux sanctions disciplinaires.
L'APAJH demande, en premier lieu, qu'il soit procédé à la vérification de la note d'information du 16 février 2006 relativement à la mention manuscrite « vu par le directeur » que monsieur X... conteste avoir apposé ; formant appel incident, elle conclut au rejet de la demande tendant au remboursement de la somme de 603, 03 euros, correspondant à la régularisation de 9 jours de congé pris en sus des droits acquis ; elle sollicite la confirmation du jugement pour le surplus et la condamnation de monsieur X... à lui payer les sommes de 2000, 00 euros en raison de sa volonté délibéré d'entrave à la mise en conformité de l'établissement et 3000, 00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient que le comportement de monsieur X... qui dénote de sa part une volonté d'opposition systématique aux actions menées et aux décisions arrêtées par la direction en vue de la réorganisation des établissements, imposée par les autorités de tutelle, nécessaire au maintien des agréments, relève d'une violation manifeste des obligations découlant du contrat de travail, justifiant ainsi son licenciement pour faute grave.
MOTIFS DE LA DECISION :
La faute grave, qui peut seule justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise ; il appartient à l'employeur d'en rapporter la preuve.
En premier lieu, il convient de relever que le litige s'inscrit dans le cadre de la reprise par l'APAJH, à compter du 1er septembre 2004, des établissements médico- sociaux du domaine de la Bruyère qui avaient fait l'objet, tenant les dysfonctionnements constatés, d'une fermeture administrative et d'un retrait des agréments, imposant notamment au repreneur, d'après l'appel à projets publié par les autorités de tutelle, de prendre les mesures permettant de garantir la prise en charge continue des personnes handicapées, de mettre en place des outils de gestion et de préparer l'évolution et le développement des structures.
Monsieur X... ne peut sérieusement soutenir que le courrier lui ayant été adressé le 13 février 2006 par le directeur général de l'APAJH constitue un avertissement ; en effet, ce courrier n'est que la réponse à son courrier du 1er février 2006, faisant lui- même suite à un courrier de l'employeur daté du 3 janvier 2006, dont l'objet est de dénoncer les propos du médecin mettant en cause la prise en charge par l'établissement des personnes handicapées et insinuant qu'il serait responsable du décès de deux résidents, de réitérer sa demande tendant à la communication des horaires de travail de l'intéressé et de rappeler que le déménagement de 150 mètres de son bureau, justifié par la restructuration et le réaménagement des locaux, avait été fait de bonne foi, dans l'intérêt de l'établissement ; les termes dudit courrier ne permettent pas de considérer que l'APAJH ait entendu sanctionner les agissements de monsieur X..., considérés par elle comme fautifs, la lettre de licenciement ne visant que la diffusion à l'extérieur de l'établissement du courrier du 1er février 2006.
L'employeur n'a aucun droit de contrôle sur les décisions et prescriptions du médecin salarié, lequel doit disposer, conformément à l'article R 4127-71 du code de la santé publique, de locaux et de moyens techniques de nature à permettre l'exercice de sa profession dans des conditions garantissant le secret professionnel et la qualité des soins et actes médicaux ; selon l'article R 4127-47 du même code, il appartient également au médecin, d'assurer, quelles que soient les circonstances, la continuité des soins aux malades
Certes, monsieur X..., médecin psychiatre travaillant le jeudi au sein de l'établissement, était en droit, dans l'exercice de sa liberté d'expression, d'attirer l'attention de l'APAJH sur les difficultés qu'il allait rencontrer du fait du déplacement de son bureau au 2ème étage du bâtiment administratif, situé à 150 mètres de l'unité « la rotonde », l'éloignant ainsi de l'infirmerie, du bureau de la psychologue et de celui de la responsable de service ; pour autant, il n'ignorait pas le caractère momentané de son déménagement, nécessité par les travaux de réaménagement du bâtiment ; de plus, le bureau mis provisoirement à sa disposition, dans lequel il avait aménagé le 9 février 2006, s'avérait être fonctionnel et équipé du matériel nécessaire, ainsi qu'il ressort du constat d'huissier de justice produit aux débats ; dans ce contexte, il ne pouvait prétendre, dans son courrier du 10 février 2006, que son déménagement constituait, de la part de l'employeur, un agissement de harcèlement moral et l'empêchait d'assumer ses fonctions au point de l'amener, d'une part, à dégager toute responsabilité en raison de l'impossibilité dans laquelle il se trouvait d'exercer dans les règles de l'art et, d'autre part, à dénoncer l'ensemble des traitements prescrits aux malades, estimant ne plus être en mesure de s'assurer de leurs effets ou de l'apparition d'éventuels effets secondaires.
Dans le courrier litigieux, monsieur X... a donc affirmé, de façon tendancieuse, que l'APAJH, en lui imposant un déménagement de son bureau, entravait l'exercice de sa profession et le fait d'y dénoncer les traitements prescrits aux patients, dont il se disait dans l'impossibilité d'assurer le suivi, tendait également à en imputer la responsabilité à l'employeur, au mépris de ses propres obligations déontologiques ; il ressort à cet égard du compte rendu établi le 16 février 2006 par madame D..., chef de service, que lors de la réunion tenue à 9 heures 30 ce jour là, monsieur X... a refusé de signer les ordonnances de renouvellement des traitements déclarant ne plus être en mesure d'assurer le suivi des résidents et les effets des traitements prescrits ; même s'il a finalement accepté, dans l'après- midi, de signer les ordonnances préparées par l'infirmière, son attitude n'en traduit pas moins un refus injustifié de sa part de remplir ses fonctions, alors qu'il était tenu, en tant que médecin, d'assurer la continuité des soins.
En diffusant ce courrier auprès de diverses autorités (médecin inspecteur de la DDASS, directeur de la solidarité départementale, directeur départemental de l'action sanitaire et sociale, conseil de l'ordre des médecins, inspection du travail …), en même temps que celui du 1er février 2006 dans lequel il dénonçait une mise à l'écart dangereuse de la dimension psychiatrique de l'accompagnement des résidents, citant notamment le licenciement d'une infirmière, la disparition inexpliquée d'un chef de service et le décès récent par suicide de deux résidents, monsieur X... a ainsi colporté à l'extérieur de l'établissement l'idée selon laquelle l'APAJH négligeait gravement la prise en charge thérapeutique des personnes handicapées, ce qui constituait une accusation particulièrement lourde de conséquence dans le contexte de la reprise par l'association de la gestion des établissements médico- sociaux du domaine de la Bruyère.
Il ne peut prétendre que son courrier du 1er février 2006 n'a été envoyé qu'à l'APAJH, alors qu'est communiqué une lettre du directeur des établissements et prestations pour personnes handicapées du département de l'Hérault, organe de tutelle, adressée au directeur général de l'APAJH, faisant précisément état de la transmission de ce courrier.
Enfin, la diffusion aux délégués du personnel du courrier du 10 février 2006 dans lequel monsieur X... reprochait à l'employeur d'entraver l'exercice de ses fonctions de psychiatre, tout en lui annonçant qu'il dénonçait les traitements prescrits aux malades, était à l'évidence susceptible de provoquer des interrogations et des inquiétudes chez le personnel éducatif et soignant, propres à perturber le fonctionnement de l'établissement ; une telle initiative est d'autant plus dommageable qu'elle émane d'un cadre, tenu à une obligation de réserve.
Ainsi, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs énoncés dans la lettre de licenciement, il convient de considérer que le refus injustifié de monsieur X... de remplir ses fonctions de médecin et la divulgation, notamment auprès des autorités de tutelle et des délégués du personnel, de propos tendancieux et d'accusations infondées sur l'entrave apportée à l'exercice de ses fonctions ou les négligences de l'APAJH dans la prise en charge thérapeutique des personnes handicapées, constituent, malgré l'ancienneté du salarié et l'absence de toute sanction disciplinaire antérieure, des agissements suffisamment graves pour justifier son licenciement immédiat ; le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a estimé fondé son licenciement pour faute grave.
Une retenue de 603, 03 euros (bruts) a été appliquée sur le bulletin de salaire de monsieur X... du mois de janvier 2006 pour 9 jours d'absence payés à tort en plus des droits à congé acquis, comme expliqué par l'APAJH dans un courrier du 3 janvier 2006 adressé au salarié ; sur ce point, il est fourni le décompte non contesté des droits à congé pour les périodes 2003 / 2004 et 2004 / 2005, soit 62 jours, étant observé qu'une indemnité compensatrice des 27 jours de congé acquis en 2005 / 2006 a été réglée par l'employeur à hauteur de 2195, 33 euros (bruts) ; d'après la demande d'autorisation d'absence établie par monsieur X... lui- même, celui- ci a pris en 2005 un nombre de jours ouvrables de congé égal, non à 71, mais à 69, soit seulement 7 jours d'absence pris en plus des droits acquis à congé.
Il en résulte que la retenue que l'APAJH était fondée à appliquer était, non de 603, 03 euros (bruts), mais de 499, 02 euros (bruts) ; monsieur X... peut, dans ces conditions, prétendre au remboursement de la somme de 104, 01 euros (bruts), outre les congés payés afférents.
L'APAJH ne justifie pas du préjudice qu'elle invoque à l'appui de sa demande incidente en paiement de dommages et intérêts ; c'est dès lors à juste titre que le premier juge l'a déboutée d'une telle demande.
Monsieur X... qui succombe doit être en revanche condamné aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à l'APAJH la somme de 1500, 00 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Réforme le jugement du conseil de prud'hommes de Montpellier en date du 2 juillet 2007 mais seulement quant au montant du rappel de salaire,
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne l'association APAJH 34 à rembourser à Philippe X... la somme de 104, 01 euros (bruts) retenue à tort sur son bulletin de salaire de janvier 2006, outre la somme de 10, 40 euros (bruts) au titre des congés payés afférents,
Confirme le jugement entrepris pour le surplus,
Condamne monsieur X... aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à l'APAJH la somme de 1500, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.