COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1 Chambre Section D
ARRET DU 14 MARS 2007
Numéro d'inscription au répertoire général : 06 / 02665-
Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 MARS 2006 TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER No RG 03 / 4989
APPELANTE :
CPAM DE MONTPELLIER LODEVE, prise en la personne de son directeur, domicilié en cette qualité au siège social sis 29 cours Gambetta 34934 MONTPELLIER CEDEX 9 représentée par la SCP NEGRE-PEPRATX-NEGRE, avoués à la Cour assistée de la SCP BENE, avocats au barreau de MONTPELLIER
INTIMES :
Mademoiselle Florence X... née le 01 Mars 1968... 34340 MARSEILLAN PLAGE assignée à personne le 22 / 08 / 2006
Monsieur Laurent Y... né le 12 Juillet 1967 à ASNIERES (27260) de nationalité Française... 48400 FLORAC représenté par la SCP ARGELLIES-TRAVIER-WATREMET, avoués à la Cour assisté de la SCP DESSALCES RUFFEL, avocats au barreau de MONTPELLIER
Monsieur François Y...... 45140 ST JEAN DE LA RUELLE représenté par la SCP DIVISIA-SENMARTIN, avoués à la Cour assisté de Me BREUKER loco la SCP GRILLON, avocats au barreau de MONTPELLIER
ORDONNANCE DE CLOTURE DU 02 Février 2007
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 07 FEVRIER 2007, en audience publique, M. Jean-Marc ARMINGAUD ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Nouveau Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
M. Mathieu MAURI, Président de Chambre M. Jean-Marc ARMINGAUD, Conseiller Monsieur Georges TORREGROSA, Conseiller qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Josiane MARAND
ARRET :
-Réputé contradictoire
-prononcé publiquement par M. Mathieu MAURI, Président de Chambre.
-signé par M. Mathieu MAURI, Président de Chambre, et par Mme Josiane MARAND, présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE
Le 28 septembre 1990, lors d'un déménagement, François Y... a remis un fusil à son fils Laurent Y..., en lui précisant qu'il était chargé. Laurent Y... a, à son tour, remis ce fusil à André B..., mais sans lui préciser que cette arme était chargée.
André B... a blessé involontairement avec ce fusil Florence X....
Le 19 octobre 1992, le tribunal correctionnel de Montpellier a : condamné pénalement, pour blessures involontaires, André B..., Laurent Y... et François Y..., reçu la constitution de partie civile de Florence X..., ordonné une expertise médicale, constaté l'intervention volontaire de la CPAM de Montpellier-Lodève, sursis à statuer sur la demande de la CPAM, déclaré le jugement opposable à la CPAM, et renvoyé l'affaire à une audience sur intérêts civils.
A l'audience du 14 février 1994 où la CPAM de Montpellier-Lodève n'était pas comparante, le tribunal correctionnel de Montpellier, statuant sur intérêts civils, a constaté l'absence de Florence X..., et a déclaré que cette absence valait désistement de sa part.
Par actes en date des 18 août 2003, 3 septembre 2003 et 15 septembre 2003, la CPAM de Montpellier, qui précise qu'André B... est décédé et que ses héritiers ont renoncé à sa succession, a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Montpellier, Laurent et François Y..., en présence de Florence X..., aux fins de les entendre condamnés, solidairement, à lui rembourser la somme de 28. 265, 89 €, correspondant aux prestations versées à Florence X..., sur le fondement de l'article L 376-1 du code de la Sécurité Sociale et des articles 28 et suivants de la loi du 5 juillet 1985, outre la somme de 760 €, au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'ordonnance du 24 janvier 1996, et la somme de 760 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions en date du 25 février 2004, Laurent Y... a rappelé que la CPAM de Montpellier-Lodève les a déjà assignés devant le tribunal de grande instance de Montpellier, par assignation du 4 juin 1998, et que par ordonnance du 5 mai 2003, cette juridiction a déclaré l'instance périmée, en l'absence de diligence de la CPAM pendant plus de deux ans.
Il a soutenu qu'en vertu du principe " electa una via ", la CPAM, qui a été partie à l'instance pénale, ne peut agir devant la juridiction civile et que faute pour la CPAM d'avoir fait appel, les deux jugements pénaux du 19 octobre 1992 et du 14 février 1994 ont acquis la force de la chose jugée.
Il a souligné que la CPAM n'a pas plus demandé la nullité du jugement pénal, ainsi que le prévoit l'article L 736-1 du code de la sécurité sociale sur lequel se fonde la CPAM.
Il a conclu à l'irrecevabilité de l'action de la CPAM, et à sa condamnation au paiement de la somme de 1. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
A titre subsidiaire, il a demandé que François Y... produise les conditions générales et particulières de son contrat d'assurance civile.
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Par conclusions récapitulatives en date du 18 octobre 204, la CPAM de Montpellier-Lodève a maintenu ses demandes.
Elle a soutenu que, d'une part, le désistement de la partie civile, lors du jugement rendu le 14 février 1994, ne lui interdit pas d'agir au civil, puisqu'elle est subrogée dans les droits de la victime, à laquelle a versé des prestations, et que, d'autre part, la prescription a été interrompue par la réclamation adressée à Mr Y... le 7 juillet 1995.
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Par conclusions récapitulatives en date du 28 décembre 2005, François Y... a conclu à titre principal, que la demande de la CPAM soit déclarée irrecevable, en raison de la prescription décennale sur le fondement de l'article 2270-1 du code civil.
Il a exposé que l'accident est survenu le 28 septembre 1990, que la CPAM a introduit une première instance civile par acte du 4 juin 1998, que par ordonnance du 5 mai 2003, le juge de la mise en état a déclaré cette action périmée, en raison de l'absence de diligences de la CPAM, et que, de ce fait, le délai de 10 ans, qui court depuis le 28 septembre 2000, n'a pas été interrompu ; que la jurisprudence sur laquelle se fonde la CPAM, pour dire que la prescription est interrompue n'est pas en son cas, car il s'agissait, pour elle, dans l'espèce, de recouvrer un trop versé à un des affiliés ; à titre subsidiaire, il a rappelé qu'il n'était pas présent au moment des faits, et que la CPAM ne démontre par la faute civile qui peut lui être reprochée.
Il a conclu au rejet des demandes de la CPAM et à sa condamnation au paiement de la somme de 1. 500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Florence X..., régulièrement assignée, n'a pas constitué avoué et n'a pas conclu.
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Par jugement en date du 8 mars 2006, le Tribunal a statué en ces termes :
Vu l'article 2270-1 du code civil, Vu l'article 376-1 du code de la sécurité sociale, déclare l'action de la CPAM de Montpellier-Lodève irrecevable, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne la CPAM de Montpellier-Lodève aux entiers dépens.
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La CPAM de Montpellier-Lodève, qui a fait appel le 18 avril 2006, a, par conclusions en date du 14 août 2006, demandé à la cour d'infirmer, de condamner Laurent Y... à lui payer :
-prestations en nature14. 504, 62 €-prestations en espèce 3. 564, 55 €-prestations viagères10. 196, 72 € total28. 265, 89 €
-910 € au titre de l'ordonnance du 24 janvier 1996 et de la loi du 19 décembre 2005-750 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens.
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Vu les conclusions prises le 23 janvier 2007 par Laurent Y... qui a demandé à la cour :
Vu la règle " electa una via ", Vu l'autorité de la chose jugée attachée aux jugements du 19 octobre 1992 et du 14 février 1994, Vu l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale, l'article 2270-1 du code civil, de confirmer purement et simplement le jugement de première instance, de déclarer irrecevable l'action de la CAISSE à l'encontre de Mr Laurent Y..., Subsidiairement, Vu les articles 138 et suivants du nouveau code de procédure civile, d'ordonner à Mr François Y... qu'il produise les conditions générales et particulières de son contrat d'assurance civile, Et, Vu les articles 695 et suivants du nouveau code de procédure civile, de condamner la CAISSE primaire à payer à Mr Laurent Y... la somme de 1. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile et aux dépens.
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Vu les conclusions prises le 4 janvier 2007 par François Y... qui a demandé à la cour :
Vu les articles 2270-1 et 2247 du code civil, Vu le principe de l'autorité de la chose jugée et la règle " electa una via " 1-à titre principale sur la forme de confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Montpellier du 8 mars 2006, de débouter la CPAM de l'ensemble de ses demandes, de condamner la CPAM aux entiers dépens et au versement d'une somme de 1. 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
2-à titre subsidiaire sur le fond si par extraordinaire, la cour déclarait l'action de la CPAM recevable, de dire et juger qu'au regard des principes de la responsabilité civile délictuelle, la responsabilité de Mr François Y... ne peut être retenue, En conséquence, de débouter la CPAM de l'ensemble de ses demandes comme étant infondées.
SUR CE
Le premier juge a déclaré irrecevables l'action et les demandes de la CPAM, motif pris de ce que la CPAM de Montpellier-Lodève est intervenue volontairement devant le juge pénal, dès le premier jugement rendu le 19 octobre 1992, et qu'elle y a formulé des demandes ; que le 14 février 1994, le tribunal correctionnel de Montpellier a constaté le désistement tacite de Florence X..., et que la CPAM, qui n'était pas davantage présente, n'a pas cru utile de faire appel de ce jugement, lequel est devenu définitif ; qu'en conséquence, en application du principe " electa una via ", la demande de la CPAM, qui est intervenue devant la juridiction pénale, est irrecevable.
La CPAM de Montpellier-Lodève combat la mise en oeuvre de cette fin de non-recevoir, en faisant valoir que si sa comparution volontaire a été actée dans le jugement du 19 octobre 1992, qui a sursis à statuer sur ses demandes, pour autant, elle n'a pas comparu à l'audience du 14 février 1994, lors de laquelle le juge pénal aurait du statuer sur intérêts civils ;
que, n'ayant pas choisi elle-même la voie pénale, et en l'état du désistement constaté par le jugement du 14 février 1994, elle reste recevable à saisir le juge civil, au même titre que la victime.
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Il est constant que tant que le juge pénal saisi par la partie civile, n'a pas statué au fond sur l'action civile, la victime peut porter son action devant le juge civil, sans se heurter à l'adage " electa una via... " ; que la seule condition est qu'elle se soit désistée préalablement à l'introduction de l'action devant la juridiction civile.
Or, en l'espèce, le jugement pénal du 19 octobre 1992 a seulement sursis à statuer sur les demandes de la CPAM de Montpellier-Lodève, partie intervenante, qui ne réclamait que 55. 986, 69 f. " à titre provisoire ", et, avant dire droit sur le préjudice corporel, ordonné une expertise médicale de la victime.
La procédure sur intérêts civils a subi plusieurs renvois, les 3 mai, 17 mai et 18 octobre 1993, 14 février 1994, sans qu'intervienne la rédaction des jugements.
Le jugement du 14 février 1994 constate que la CPAM n'est ni comparante ni représentée, au même titre que la victime.
Le dispositif de ce jugement se borne à constater " la non-comparution du demandeur sur intérêts civils ", et à déclarer cette absence " valoir désistement de sa part... ".
Même si ce dispositif ne vise pas expressément la CPAM, il ne peut que lui profiter aussi, au même titre qu'à la victime, la CPAM n'agissant qu'en qualité de subrogée aux droits de la victime.
Ce désistement résultant du jugement du 14 février 1994 rend donc la CPAM recevable à agir devant la juridiction civile, au même titre que la victime.
Le jugement sera donc réformé de ce chef.
Les demandes de la CPAM seront donc reçues à cet égard.
Le tribunal a, ensuite, déclaré cette action atteinte par la prescription décennale, au motif, que l'accident a eu lieu le 20 septembre 1990, que la première instance civile introduite le 4 juin 1998, à l'intérieur du délai de 10 ans, a été périmée le 5 mai 2003, ce qui n'est pas discutable, a donc perdu son effet interruptif, que l'assignation délivrée en 2003 l'a donc été, hors délai.
L'appelante combat cette motivation en faisant valoir que cette prescription a été interrompue par l'exercice de son recours contre les tiers responsables, exercé par deux lettres datées du 7 juillet 1995, adressées à Laurent Y... ... à FLORAC, et à André B... ;
que ces lettres valent commandement au sens de l'article 2244 du code civil.
Toutefois, François Y... souligne justement que la CPAM ne produit pas de lettre de recours établie à son nom, alors qu'il est domicilié St Jean de la Ruelle 45410, et donc, a fortiori n'établit pas qu'il aurait été destinataire d'une lettre de recours.
Par ces motifs substitués, le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré les demandes de la CPAM prescrites en ce qui concerne François Y... seul.
De son côté, Laurent Y..., qui ne conteste pas l'envoi de la lettre de recours en date du 7 juillet 1995, qui le vise personnellement, se borne à faire objecter qu'" il appartiendra à la CAISSE d'établir à quelle date cette lettre aurait été réceptionnée par Mr Y.... A défaut de preuve de la réception de cette lettre, le délai n'a pas été interrompu ".
Or, la lettre officielle adressée le 30 novembre 2004 par la SCP BENE, avocat de la CAISSE, à la SCP ARMANDET-LE TARGAT-GELER, avocat de Y..., présume à suffisance de cette réception, dès lors que, dans cette lettre, répondant au courrier officiel de la SCP ARMANDET en date du 22 novembre 2004, la SCP BENE lui fournit les références de la jurisprudence qu'elle lui oppose, notamment, celle de l'arrêt de la chambre sociale du 9 octobre 1985, ces arrêts assimilant à des commandements des ordres de versement émanant de la CPAM, le questionnement de cet avocat sur la portée des pièces vantées par la CPAM n'ayant de sens que si ces pièces ont bien été reçues par Laurent Y..., aucune autre raison n'ayant été fournie concernant le sens du courrier du 22 novembre 2004, qui n'a pas été versé aux débats.
Par infirmation du jugement, la Cour dira que la forclusion biennale n'est pas atteinte au regard des demandes visant Laurent Y....
Laurent Y... ne conteste pas les sommes de :
• 14. 504, 62 € prestations en nature • 3. 564, 55 € prestations en espèces • 10. 196, 72 € prestations viagères qui résultent des pièces no 8 (notification de débours de 118. 526 F.) et no 2 (rente pour problème oculaire : 66. 886, 12 F.) Produites par la CPAM.
Ces sommes seront donc retenues comme constituant des éléments du préjudice corporel subi par Florence X..., soumis au recours de l'organisme payeur.
La CPAM, subrogée à la victime, se verra donc allouer cette somme, à la charge de Laurent Y....
François Y... ne contestant pas être titulaire d'une police d'assurance responsabilité civile, il sera fait droit à la demande de Laurent Y... tendant à la production de cette police.
La demande de la CPAM au titre de l'indemnité forfaitaire sera rejetée, comme échappant à la compétence de la Cour, la CPAM disposant du pouvoir d'établir et de recouvrer elle-même cette indemnité, après la décision de justice passée en force de chose jugée.
Les errements procéduraux sus rappelés, auxquels la CPAM a largement contribué, commandent de la débouter de ses demandes au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Enfin, il serait inéquitable d'allouer à François Y... des sommes de ce chef, eu égard notamment au jugement du 19 octobre 1992.
Succombant, Laurent Y... supportera les dépens sauf ceux liés à la mise en cause de François Y..., qui resteront à la charge de la CPAM.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
STATUANT publiquement, par réputé contradictoire, après en avoir délibéré,
DIT l'appel de la CPAM de Montpellier-Lodève fondé à l'égard de Laurent Y... seulement.
CONFIRME mais par substitution de motifs le jugement de débouté au profit de François Y....
RÉFORME au regard de Laurent Y....
REJETTE les fins de non recevoir tirées de la saisine du juge pénal et de la prescription biennale.
EVALUE comme suit le préjudice corporel soumis à recours de Florence X..., pour ce qui est des seuls postes intéressant la CPAM :
• prestations en nature 14. 504, 62 € • prestations en espèces 3. 564, 55 € • prestations viagères10. 196, 72 € • TOTAL28. 265, 89 €
CONDAMNE Laurent Y... à payer à la CPAM de Montpellier-Lodève la somme de 28. 265, 89 €.
REJETTE le surplus des demandes de la CPAM.
CONDAMNE François Y... à produire à Laurent Y... les conditions générales et particulières de sa police d'assurance responsabilité civile.
DÉBOUTE François Y... de sa demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
CONDAMNE Laurent Y... aux dépens de première instance et d'appel, sauf ceux liés à la mise en cause de François Y..., qui restent à la charge de la CPAM.
ACCORDE aux avoués le bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.