COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
1 Chambre Section D
ARRET DU 24 JANVIER 2007
Numéro d'inscription au répertoire général : 06 / 02688-
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 AVRIL 2006
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PERPIGNAN
No RG 05 / 2607
APPELANTS :
Monsieur Rémy X...
né le 19 Mars 1951 à ST LAURENT DE CERDANS (66260)
de nationalité Française
...
...
représenté par la SCP SALVIGNOL-GUILHEM, avoués à la Cour
assisté de la SCP CODOGNES, avocat au barreau de PERPIGNAN
Madame Maria de Y... Remedios Z... épouse X...
née le 13 Mars 1955 à OTIVAR-ESPAGNE
de nationalité Française
...
...
représentée par la SCP SALVIGNOL-GUILHEM, avoués à la Cour
assistée de la SCP CODOGNES, avocat au barreau de PERPIGNAN
INTIMES :
Monsieur Didier A... agissant en qualité d'ayant droit de sa mère Madame Héléna B...
C... veuve A... décédée
le 14 / 02 / 2006
né le 18 Mars 1936 à FONTAINEBLEAU (77300)
de nationalité Française
...
...
représenté par la SCP AUCHE-HEDOU AUCHE AUCHE, avoués à la Cour
assisté de la SCP POUJADE-FAVEL, avocats au barreau de PERPIGNAN
Madame Danièle A... épouse D... agissant en qualité d'ayant droit de sa mère Madame Héléna B...
C... veuve A...
décédée le 14 / 02 / 2006
née le 10 Juin 1948 à PARIS 16 (75116)
de nationalité Française
...
...
représentée par la SCP AUCHE-HEDOU AUCHE AUCHE, avoués à la Cour
assistée de la SCP POUJADE-FAVEL, avocats au barreau de PERPIGNAN
ORDONNANCE DE CLOTURE DU 15 Décembre 2006
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 20 DECEMBRE 2006, en audience publique, M. Georges TORREGROSA ayant fait le rapport prescrit par l'article 785 du Nouveau Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
M. Mathieu MAURI, Président de Chambre
M. Jean-Marc ARMINGAUD, Conseiller
Monsieur Georges TORREGROSA, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Josiane E...
ARRET :
-contradictoire
-prononcé publiquement par M. Mathieu MAURI, Président de Chambre.
-signé par M. Mathieu MAURI, Président de Chambre, et par Mme Josiane E..., présent lors du prononcé.
Par jugement en date du 10 / 04 / 2006, le Tribunal de Grande Instance de PERPIGNAN a donné acte aux consorts A... de ce qu'ils souscrivaient en qualité d'héritiers de leur mère l'action entreprise par cette dernière, Héléna B...
C... veuve A....
Les époux X... ont été déboutés de leurs demandes tendant à l'irrecevabilité ou au débouté de l'action en résolution du contrat de rente viagère.
Le Tribunal a prononcé la résolution de l'acte de vente du 07 / 02 / 1992 portant sur l'immeuble de CERET, sis rue des Capucins.
Il a donné acte à Didier et Danièle A... de ce qu'ils restitueront dés le prononcé du jugement la somme de 400000F, soit 60979,61 € perçue lors de la vente, et les a condamnés en tant que de besoin à restituer cette somme.
Les consorts A... ont été déboutés de leur demande tendant au remboursement de la somme de 8662,29 € correspondant aux taxes foncières et aux travaux afférents à l'immeuble.
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Les époux X... ont relevé appel et demandent à la Cour de réformer le jugement de premier ressort au visa des articles 1134,1157,1158 du code civil.
L'action en résolution de la vente authentique du 07 / 02 / 1992 sera déclarée infondée, et les prétentions des consorts A... rejetées.
Une somme de 3500 € est réclamée au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile (conclusions du 18 / 08 / 2006).
***
Les consorts A... demandent à la Cour de confirmer le jugement dont appel, avec allocation d'une somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile (conclusions du 05 / 12 / 2006).
***
SUR CE :
-Sur l'exception d'irrecevabilité :
Attendu que l'action en résolution de la vente a été initiée par Mme veuve A..., en sa qualité de venderesse ;
Attendu que cette dame est décédée en cours d'instance, le 14 / 02 / 2006 ;
Attendu que Didier et Danièle A... sont héritiers de Mme veuve A... leur mère, et sont saisis de plein droit des droits et actions de leur de cujus ;
Attendu que leur poursuite de l'instance est donc parfaitement recevable, en leur qualité d'héritiers, et non pas de titulaires d'un contrat de rente viagère ou de bail à nourriture conclu intuitu personae ;
-Sur l'action en résolution :
Attendu que l'assignation initiale de Mme veuve A... demande la résolution de l'acte de vente du 07 / 02 / 1992, le Tribunal constatant que " les époux X... n'ont pas satisfait à leur obligation de soins conformément aux dispositions de l'acte de vente " ;
Attendu que cet acte authentifie une vente de la maison de Mme veuve A... au profit des époux X..., pour un prix de 650000F ;
Attendu que ce prix a été payé comptant à hauteur de 300000F, à terme pour 100000F, selon règlements qui sont justifiés et non contestés ;
Attendu que le solde, soit 250000F a été converti pour l'acquéreur en une obligation de :
" recevoir le vendeur dans sa maison, le loger, chauffer, éclairer, nourrir à sa table avec lui et comme lui, entretenir, vêtir, blanchir, raccommoder et soigner le vendeur tant en santé qu'en maladie, en ayant pour lui les meilleurs soins et de bons égards comme aussi, en cas de maladie, à lui faire donner tous les soins médicaux, chirurgicaux que sa position pourra réclamer et à lui faire administrer tous les médicaments préscrits ; l'acquéreur, toutefois, ne devant avoir à sa charge, en ce qui concerne les frais médicaux, chirurgicaux et pharmaceutiques, que la fraction de ces frais non remboursés au vendeur par la caisse de sécurité sociale à laquelle il est affilié ; le tout, à partir de ce jour jusqu'au jour de son décès ".
Attendu qu'un droit d'usage et d'habitation était réservé par le vendeur, l'acquéreur devenant propriétaire du bien au jour de la vente mais n'en prenant la jouissance qu'à compter de l'extinction du droit d'usage et d'habitation (page 3) ;
Attendu que ce droit d'usage et d'habitation s'éteignait logiquement au décès de la venderesse qui se l'était réservé, ou par suite de " la conversion de l'obligation de nourrir en rente " viagère payable annuellement, conversion qui entraînait renonciation de la venderesse à son droit d'usage et d'habitation (page 11 de l'acte) ;
Attendu que dans ce cadre reprécisé, l'action ne peut prospérer que si la venderesse (ou les héritiers titulaires de son action initiale) rapporte la preuve d'un manquement à l'obligation de soins ci-dessus reprise in extenso et qualifié comme telle dans l'assignation ;
Attendu qu'il convient donc d'examiner tout d'abord la teneur de cette obligation, tant il est vrai qu'un manquement ne peut se caractériser que référence faite à un engagement qui seul constitue la loi des parties ;
Attendu qu'en première lecture, la clause litigieuse ne souffre aucune ambiguïté et n'a nul besoin d'être interprétée, l'acquéreur ayant l'obligation de recevoir le vendeur " dans sa maison, le loger, chauffer, éclairer, nourrir à sa table... " ;
Attendu que dans cette première hypothèse, et à première mise en demeure en date du 23 / 03 / 2005 par le biais du conseil de Mme veuve A..., il est juridiquement cohérent que les époux X... aient offert à cette dernière de venir vivre chez eux " dans les termes stipulés dans la convention ", sachant que le courrier précité les mettait en demeure, certes, de bien vouloir respecter " l'obligation de soins " mais ne précisait pas comment, sinon en demandant " de quelle manière vous-entendez y satisfaire compte tenu de votre éloignement " ;
Attendu que le premier juge a certes estimé que Mme veuve A... n'avait jamais entendu quitter son domicile, dés lors qu'elle se réservait un droit d'usage et d'habitation ne s'éteignant qu'à son décès ou lors d'une conversion à sa demande de l'obligation de nourrir en rente viagère (comme exposé supra) ;
Mais attendu que même dans cette hypothèse, force est de constater que l'interprétation possible ne porte que sur ce volet de la clause litigieuse, et qu'à admettre que la commune volonté des parties a été de maintenir Mme veuve A... à son domicile, la teneur de la sommation interpellative du 08 / 04 / 2005 en réponse à la mise en demeure ne vaut nullement la démonstration d'un manquement à l'obligation de soins litigieuse ;
Attendu qu'en effet, et que les soins soient prodigués au domicile de l'acquéreur (selon les termes littéraux de l'acte authentique) ou portés au domicile de la venderesse (après interprétation d'une partie de la clause), l'obligation probatoire d'un manquement à ces soins demeure dont le premier juge a estimé :
" Qu'elle n'était pas remplie puisque Mme veuve A... a été contrainte d'employer à son service contre rémunération Mme Z... mère de 1992 à 1996. En outre, les époux X... ne justifient d'aucun service effectif rendu ou prestation acquittée de nature à établir qu'ils ont satisfait à cette obligation " ;
Mais attendu que force est de constater que personne ne disconvient des facultés intellectuelles de Mme veuve A... qui, jusqu'au nouvel an 2006 avant son décès un mois plus tard, tenait son courrier de façon parfaite en maîtrisant son écriture ; que la parfaite conscience de ses intérêts en 1992 est tellement évidente qu'elle a pris soin, selon document non contesté du 12 / 08 / 1991 (pièce 9 des appelants) de faire signer à sa fille, aujourd'hui héritière, la déclaration suivante :
" Je soussigné, Hélène A..., déclare avoir accepté, en présence de ma fille Danièle D..., le principe de la vente de ma maison... aux conditions suivantes : Frs 400000, versés par tranches de 4 versements de 100000F chacun... avec obligation de prendre soin de moi en cas de nécessité et de fournir la main d'oeuvre concernant l'entretien de la propriété. Il reste entendu que jusqu'à mon décès Madame Maria Z... aura la jouissance de la maison... jusqu'à son propre décès " ;
Attendu que dans un tel contexte, qui ressort aussi des termes même de l'assignation (" elle souhaita vendre à Mme Z..., dans les conditions préférentielles, sa maison et ses dépendances. Néanmoins, cette dernière préféra que ce soit sa fille et son gendre qui se portent acquéreurs, avec obligation de s'occuper d'elle pour l'avenir "), la Cour ne peut que constater que de1992 au 23 / 03 / 2005, pas une seule demande n'a été formulée au titre de l'obligation litigieuse, alors même que les époux X... vivaient à CERET jusqu'en 2002, et que ni l'emploi de leur mère ni la cessation de cet emploi en 1996 n'a soulevé le moindre problème ;
Attendu que l'on cherchera vainement dans la clause litigieuse une obligation pour les époux X... de prendre en charge, dés lors qu'ils sont exposés, des frais d'aide ménagère ; a fortiori qu'une absence de prise en charge de ces frais puisse en tout cas fonder une résolution dés lors qu'ils n'ont jamais été réclamés, que ce soit avant 1996, après 2002, ou même dans la mise en demeure de mars 2005 ;
Attendu qu'à l'évidence, une obligation de soins n'a vocation qu'à subvenir aux besoins de la crédirentière ; qu'en l'espèce, Mme veuve A... ou ses héritiers sont dans l'incapacité de démontrer un quelconque besoin en termes de chauffage, éclairage, nourriture, entretien, vêtements, blanchisserie, et donc un quelconque manquement aux obligations des époux X... ;
Attendu que Mme veuve A... elle-même, dans le document signé le 12 / 08 / 1991, disait bien l'essentiel de sa volonté, à savoir la vente pour une valeur en liquide de 400000F, et une " obligation de prendre soin de moi en cas de nécessité " ;
Attendu que les certificats médicaux établis alors qu'elle avait 92 ans, quelques mois avant son décès, n'ont rien que de banal (" contre indication à tout déplacement hors du domicile ", " nécessité de soins constants ") et ne démontrent nullement que les époux X... n'aient pas satisfait aux soins qu'ils devaient et aux bons égards, sachant-élément essentiel-que les " signes de décompensation cardio-vasculaire " ont sans doute donné lieu à des soins coûteux, mais que sur ce volet financier l'obligation ne débutait qu'en cas de prise en charge financière insuffisante par l'organisme social, insuffisance que rien ne démontre au dossier ;
Attendu que pour en terminer sur ce volet, la Cour estime que l'attestation par le médecin traitant (depuis 2000) de l'absence au domicile des époux X... lors de ses visites, mensuelles ou bi-mensuelles, ne suffit nullement à démontrer un manquement à l'obligation de soins, pas plus que l'attestation de la Dame F... (employée de février 2002 au décès) qui indique n'avoir jamais vu les époux X... ni reçu aucun coup de téléphone de leur part ;
Attendu qu'en effet, les époux X... ont déménagé en 2002, ce que Mme veuve A... non seulement n'ignorait pas, mais ce dont elle les a félicités, jusqu'à ses voeux de 2006, après la sommation interpellative de l'huissier en 2005, dans les termes suivants, de sa main, quelques jours avant son décès :
" Héléna A... et Danièle vous remercient de vos voeux et vous adressent les leurs afin que 2006 voit se réaliser vos souhaits dans votre belle demeure D'HAON LE CHÂTEAU. Je ne reçois plus de visite. Je suis très fatiguée. Bien sincèrement. "
Attendu que la Cour relève la mention de la main de Mme Danièle A... " Et Danièle. Bonne année " ;
Attendu que si l'on tente de démontrer que les X... ne téléphonaient pas, force est de constater qu'ils envoyaient leurs voeux, et que cette querelle n'est pas opératoire au plan juridique car l'obligation de soins qui leur est opposée n'est pas une obligation de comportement ou de bienséance ;
Attendu qu'au surplus, sur le point précis des attestations soumises à l'examen de la Cour, il y a quelque audace à reprocher à des propriétaires, soumis à un droit d'habitation viager consenti à leur venderesse, de ne pas avoir pris contact avec le médecin traitant de cette dernière, par ailleurs soumis au secret professionnel ;
Attendu qu'enfin, les frais immobiliers payés par Mme veuve A... ne sauraient servir de fondement à la résolution sollicitée dés lors que :
l'assignation n'en fait pas état ; seules les conclusions du 05 / 01 / 2006 demandent remboursement de certaines sommes, mais non résolution à ce titre,
il ne résulte nullement de l'acte authentique que la mise en demeure préalable à l'action résolutoire (cf. Page 12) englobe les " conditions d'exercice du droit d'habitation " (page 3) où sont réparties les réparations dites locatives et celles incombant à l'acquéreur, non assimilables à des " prestations en nature " ou à un " paiement de rente ", seuls fondements contractuellement prévus pour rechercher la résolution ;
il apparaît bien des courriers échangés que Mme veuve A... prenait sur elle de ne pas réclamer certaines dépenses incombant aux acquéreurs selon le contrat, ou de les partager (cf. Son courrier du 15 / 01 / 2003 pièce 18 des appelants) ;
Attendu que le retour en France en 2001 de Mme Danièle A... ne démontre nullement que sa mère ait été délaissée ; sachant que Mme Marie Z... a cessé de travailler en 1996, et qu'une nouvelle dame n'a été employée qu'en 2002 ; que Mme veuve A... décrit elle-même en 2003 une fille se consacrant à une licence en droit et au chinois ; que les conclusions X... ne sont pas contestées dont il ressort qu'elle a quitté le Brésil pour des raisons personnelles ;
Attendu qu'en conclusion, et alors même que la mise en demeure initiale portait sur les modalités de l'obligation de soins suite à l'éloignement des époux X..., la Cour estime que la preuve n'est pas rapportée d'un manquement de ces derniers aux soins auxquels ils s'étaient obligés et dont Mme veuve A... aurait été privée, que ce soit pour la période postérieure à leur déménagement en 2002, événement qui a motivé les précisions sollicitées dans la mise en demeure initiale, ou a fortiori pour la période antérieure, l'exécution du contrat n'ayant de fait soulevé aucune observation de 1992 à 2005, y compris lors de l'emploi rémunéré de Mme Marie Z... ;
Attendu que c'est donc une réformation qui s'impose, avec débouté de la demande de résolution, l'acte de vente authentique conservant son plein et entier effet ;
Attendu que la demande de frais irrépétibles est justifiée à hauteur de 3000 €, celle de dommages intérêts pour procédure abusive n'étant pas suffisamment caractérisée, la même exigence probatoire ne permettant pas à la Cour de considérer avec certitude que seul le retour en France de Mme Danièle A... est à l'origine de ce litige ;
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
STATUANT contradictoirement,
REÇOIT l'appel régulier en la forme ;
AU fond, y fait droit, et statuant à nouveau,
INFIRME le jugement de premier ressort ;
DÉBOUTE les héritiers de Mme veuve A... de toutes leurs demandes, fins et prétentions ;
LES CONDAMNE au paiement aux époux X... de 3000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et laisse à leur charge les entiers dépens,
ALLOUE aux Avoués de la cause le bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
GT / MD