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09/04/2024 | FRANCE | N°22/02129

France | France, Cour d'appel de Metz, 6ème chambre, 09 avril 2024, 22/02129


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS













N° RG 22/02129 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZZX

Minute n° 24/00075





[Y], S.A.R.L. MARTIN IMMOBILIER

C/

[U]









Jugement Au fond, origine TJ à compétence commerciale de METZ, décision attaquée en date du 05 Juillet 2022, enregistrée sous le n° 19/00929





COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE COMMERCIALE



ARRÊT DU 09 AVRIL 2024





APPELANTS :



Monsieur [M] [Y]

[Adresse 5]

[Localité 3]



Représenté par Me Gilles ROZENEK, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Arnaud Métayer-Mathieu, avocat plaidant du barreau de PARIS



S.A.R.L. MARTIN IMMOBILIER , représ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 22/02129 - N° Portalis DBVS-V-B7G-FZZX

Minute n° 24/00075

[Y], S.A.R.L. MARTIN IMMOBILIER

C/

[U]

Jugement Au fond, origine TJ à compétence commerciale de METZ, décision attaquée en date du 05 Juillet 2022, enregistrée sous le n° 19/00929

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 09 AVRIL 2024

APPELANTS :

Monsieur [M] [Y]

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représenté par Me Gilles ROZENEK, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Arnaud Métayer-Mathieu, avocat plaidant du barreau de PARIS

S.A.R.L. MARTIN IMMOBILIER , représentée par son représentant légal.

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Gilles ROZENEK, avocat postulant au barreau de METZ et par Me Arnaud Métayer-Mathieu, avocat plaidant du barreau de PARIS

INTIMÉ :

Monsieur [X] [U]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Armelle BETTENFELD, avocat au barreau de METZ

DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 1er Février 2024 tenue en double rapporteur par Mme Anne-Yvonne FLORES, Présidente de chambre et par Mme Catherine DEVIGNOT, Conseillière, qui ont entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en ont rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 09 Avril 2024.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Cindy NONDIER

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre

ASSESSEURS : Mme DEVIGNOT,Conseillère

Mme DUSSAUD, Conseillère

ARRÊT : Contradictoire

Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme Anne-Yvonne FLORES, Présidente de Chambre et par Mme Cindy NONDIER, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

M. [M] [Y] et M. [X] [U] sont tous deux agents immobiliers. Ils sont associés chacun pour moitié et cogérants de la SARL Martin Immobilier qui exerce une activité d'agent immobilier et de gestion locative.

Différents désaccords sont apparus entre M. [Y] et M. [U] concernant la gestion de leur société.

Par ordonnance du 10 juillet 2018, le président du tribunal de grande instance de Metz, statuant en référé, a ordonné une expertise judiciaire afin de déterminer si M. [U] était bien l'auteur des signatures qui lui sont attribuées sur les procès-verbaux des deux assemblées générales extraordinaires de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017.

L'expert judiciaire a rendu son rapport le 5 février 2020.

Par actes d'huissier des 9 et 11 juillet 2019 remis à personne habilitée et présente, M. [U] a fait assigner la SARL Martin Immobilier et M. [Y] devant la chambre commerciale du tribunal de grande instance de Metz aux fins de le voir :

annuler les deux assemblées générales extraordinaires de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017 ayant décidé d'une part l'augmentation de capital et d'autre part du transfert du siège social,

annuler l'assemblée générale ordinaire de la SARL Martin Immobilier du 30 juin 2018,

condamner M. [Y] à lui payer une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [Y] aux entiers frais et dépens de la procédure en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile,

ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par ordonnance sur requête du 1er juillet 2020, le président du tribunal judiciaire de Thionville a autorisé Mme [H] [W], expert en graphologie auprès de la cour d'appel de Paris et/ou Mme [E] [T], expert en graphologie auprès de la cour d'appel de Metz, à pouvoir consulter auprès du RCS de Thionville les originaux des procès-verbaux des deux assemblées générales de la SARL Martin Immobilier en date du 2 octobre 2017 et les signatures apposées sur ces procès-verbaux, sous le contrôle d'un fonctionnaire du RCS. Il a également dit que les éléments et déclarations recueillies pourraient être versés aux débats dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Par ses dernières conclusions récapitulatives du 25 janvier 2021, M. [U] a demandé au tribunal de :

débouter la SARL Martin Immobilier et M. [Y] de l'ensemble de leurs demandes

lui allouer le bénéfice des conclusions contenues dans son assignation,

annuler les deux assemblées générales extraordinaires de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017 ayant décidé d'une part l'augmentation de capital et d'autre part du transfert du siège social,

annuler les assemblées générales ordinaires de la SARL Martin Immobilier des 30 juin 2018 et 20 juin 2019 et l'intégralité des résolutions prises lors de celles-ci,

condamner M. [Y] à lui payer une somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

condamner M. [Y] aux entiers frais et dépens de la procédure en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile,

ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Selon leurs dernières conclusions récapitulatives du 17 mars 2021, M. [Y] et la SARL Martin Immobilier ont demandé au tribunal de :

débouter M. [U] de toutes ses demandes,

condamner M. [U] à leur verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

Subsidiairement,

ordonner une contre-expertise et commettre tel expert qu'il lui plaira de nommer avec pour mission, après avoir pris connaissance des pièces versées aux dossiers, de celles qui pourraient lui être remises par les parties ou même des tiers et en général de tout document utile à sa mission et après avoir convoqué les parties, de:

examiner les signatures attribuées à M. [U] figurant sur les deux procès-verbaux d'assemblées générales extraordinaires de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017,

dire si les signatures émanent de la main de M. [U] ou si elles sont falsifiées,

autoriser en tant que de besoin l'expert judiciaire à se faire remettre les originaux des procès-verbaux détenus par le registre du commerce et des sociétés de Thionville ou le cas échéant par les services fiscaux ou la SARL Martin Immobilier,

dire que les frais d'expertise seront à la charge des deux parties,

dire que l'expert devra déposer son rapport au greffe dans le délai que le tribunal voudra bien 'xer.

Par jugement du 5 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Metz a:

déclaré M. [U] recevable en ses demandes comme étant non prescrites,

annulé les deux assemblées générales extraordinaires de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017 et leurs résolutions,

annulé les assemblées générales ordinaires de la SARL Martin Immobilier des 30 juin 2018 et 20 juin 2019 et leurs résolutions,

débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

condamné M. [Y] aux frais et dépens ainsi qu'à payer à M. [U] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Metz du 26 août 2022, la SARL Martin Immobilier et M. [Y] ont interjeté appel aux fins d'annulation, subsidiairement d'infirmation de ce jugement dans toutes ses dispositions.

Par conclusions déposées le 29 janvier 2024, auxquelles il sera référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, M. [Y] et la SARL Martin Immobilier demandent à la cour de :

infirmer le jugement en ce qu'il a:

déclaré M. [U] recevable en ses demandes comme étant non prescrites,

annulé les deux assemblées générales de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017 et leurs résolutions,

annulé les assemblées générales ordinaires de la SARL Martin Immobilier des 30 juin 2018 et 20 juin 2019 et leurs résolutions,

débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes,

condamné M. [Y] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens,

Statuant à nouveau,

débouter M. [U] de toutes ses demandes et de tous ses moyens,

condamner M. [U] à leur verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

Subsidiairement,

ordonner une contre-expertise et commettre tel expert qu'il lui plaira de nommer avec pour mission, après avoir pris connaissance des pièces versées aux dossiers, de celles qui pourraient lui être remises par les parties ou même des tiers et en général de tout document utile à sa mission et après avoir convoqué les parties, de:

examiner les signatures attribuées à M. [U] figurant sur les deux procès-verbaux d'assemblées générales extraordinaires de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017,

dire si les signatures émanent de la main de M. [U] ou si elles sont falsifiées,

autoriser en tant que de besoin l'expert judiciaire à se faire remettre les originaux des procès-verbaux détenus par le registre du commerce et des sociétés de Thionville ou le cas échéant par les services fiscaux ou la SARL Martin Immobilier,

dire que les frais d'expertise seront à la charge des deux parties,

dire que l'expert devra déposer son rapport au greffe dans le délai que le tribunal voudra bien 'xer.

Par conclusions déposées le 15 janvier 2024, auxquelles il sera renvoyé un plus ample exposé des prétentions et des moyens, M. [U] demande à la cour de:

rejeter l'appel de M. [Y] et de la SARL Martin Immobilier,

confirmer le jugement du 5 juillet 2022 en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

déclarer M. [Y] et la SARL Martin Immobilier irrecevables et subsidiairement mal fondés en leur demande subsidiaire de contre-expertise,

très subsidiairement, et si une contre-expertise était ordonnée, juger que les frais y afférents seront exclusivement mis à la charge de M. [Y],

En tout état de cause,

ajoutant au jugement, préciser, sinon juger que M. [Y] sera condamné à supporter l'ensemble des frais d'expertise, compris dans les dépens de première instance,

déclarer M. [Y] et la SARL Martin Immobilier irrecevables et subsidiairement mal fondés en l'ensemble de leurs demandes et les rejeter,

condamner M. [Y] aux dépens d'appel et à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la recevabilité

Il y a lieu de relever au préalable que si la déclaration d'appel concerne la disposition du jugement ayant déclaré M. [U] recevable en ses demandes comme étant non prescrites, les appelants n'invoquent aucun moyen tendant à remettre en cause cette disposition.

Dès lors, celle-ci sera confirmée.

Par ailleurs, si M. [U] conclut à l'irrecevabilité de la demande de contre-expertise formée par les appelants, il n'invoque aucun moyen à l'appui de cette demande.

En conséquence, il y a lieu de déclarer cette prétention recevable.

II- Sur la demande en nullité des assemblées générales extraordinaires du 2 octobre 2017

L'annulation de ces assemblées générales sollicitée par M. [U] est fondée d'une part sur l'existence d'irrégularités dans sa convocation dont l'existence est aussi contestée et, d'autre part, sur le fait qu'il ne serait pas le signataire des deux procès-verbaux des assemblées générales.

L'article L223-27 du code de commerce (dans sa version applicable au litige) relatif aux SARL dispose que toute assemblée générale irrégulièrement convoquée peut être annulée. Cet article précise toutefois que « l'action en nullité n'est pas recevable lorsque tous les associés étaient présents ou représentés »

Dès lors, avant d'examiner les moyens soulevés au titre de la régularité de la convocation adressée à M. [U], il convient de déterminer si ce dernier était présent ou représenté lors des assemblées générales de la SARL Martin Immobilier le 2 octobre 2017.

L'article L235-1 du code de commerce dans sa version applicable au litige dispose : «La nullité d'une société ou d'un acte modifiant les statuts ne peut résulter que d'une disposition expresse du présent livre ou des lois qui régissent la nullité des contrats. (...)

La nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre ou des lois qui régissent les contrats. »

En l'espèce il convient de relever que la première assemblée générale extraordinaire de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017 a adopté notamment des résolutions tendant à augmenter le capital social de la société de 8.000 euros à 65.008 euros par l'émission de 3.563 parts sociales et de modifier l'article 6 des statuts relatif à la répartition du capital, M. [Y] étant désormais propriétaire de 3.376 parts au lieu de 250 et M. [U] de 687 parts au lieu de 250. Il est précisé que chacun des associés fait un apport en compte courant, que la libération du capital est réalisée par compensation des comptes courant d'associés et s'effectue avec des créances liquides et exigibles.

La seconde assemblée générale extraordinaire tenue le même jour a décidé de transférer à compter du 2 octobre 2017 le siège social de la société au [Adresse 1] à [Localité 6] et de modifier en ce sens l'article 4 des statuts de la société. Elle a également pris acte de la démission de M. [U] de ses fonctions de co-gérant de la société à compter du 2 octobre 2017, M. [Y] restant seul gérant, ce qui emporte modification de l'article 13 des statuts.

Il y a lieu de constater ainsi que les assemblées générales litigieuses ont modifié les statuts de la société.

L'action en nullité des assemblées générales engagées par M. [U] invoquant la falsification de ses signatures sur chacun des procès-verbaux des deux assemblées générales s'analyse en une action fondée sur son absence de consentement et renvoie aux dispositions de l'article 1128 du code civil qui rappelle que le consentement est nécessaire à la validité d'un contrat.

Sur l'authenticité de la signature apposée au nom de M. [U] sur les procès-verbaux

Sur les contestations relatives au déroulement de l'expertise

Il convient de relever au préalable que les appelants ne forment aucune demande en nullité du rapport d'expertise établi par M. [V], dès lors les moyens invoqués au titre de la violation par ce dernier du principe du contradictoire, qui est sanctionnée par la nullité du rapport d'expertise par application des dispositions de l'article 16 du code de procédure civile, sont inopérants et sans objet.

Il en est de même des moyens soulevés par les appelants relatifs à une absence de réponse aux dires qu'ils avaient formulés dans la mesure où l'obligation de répondre aux dires des parties relève du principe du contradictoire devant être respecté par l'expert lors des opérations d'expertise.

En tout état de cause, la cour constate d'une part, que l'expert a produit en annexe de son rapport les documents qui lui avaient été transmis par le conseil de M. [U], ce qui a permis aux parties d'en débattre contradictoirement, et, d'autre part, que l'expert a également répondu de manière circonstanciée aux dires formulés par les appelants notamment pages 10 à 12 de son rapport définitif.

Sur les conclusions du rapport d'expertise de M. [V]

Dans son rapport définitif du 14 mai 2020, M. [V] conclut que les signatures de question apposées sur les procès-verbaux des assemblées générales extraordinaires du 2 octobre 2017 « émanent sans conteste de la main d'un seul et unique scripteur ».

Il précise que :

« - la confrontation des signatures litigieuses et des divers éléments graphiques de comparaison de M. [U] [X] nous permet d'observer des discordances graphiques fondamentales de caractéristiques générales et de formes de nature à mettre hors de cause ce scripteur.

M. [U] [X] n'est en aucun cas l'auteur des diverses signatures contestées (') des dissemblances scripturales essentielles ayant été principalement décelées dans la micrographie des détails morphologiques, liées à des idiotismes significatifs (signes graphiques personnels, habituels et inconscients)

les signatures de question sont sans conteste des faux par imitation servile des paraphes authentiques de M. [U] [X]

mentionnons que le paraphe de M. [U] [X] semble particulièrement aisé à reproduire dans sa forme générale mais non dans la configuration individuelle qui présente des discordances graphiques fondamentales

en conséquence, les signatures de question ne sont pas à attribuer à M. [U] [X] mais à la main d'un tiers ».

Si les appelants produisent deux expertises privées, l'une de Mme [H] [W] du 20 août 2020 et l'autre de Mme [E] [T] du 8 septembre 2020, ainsi qu'un «avis technique succinct» de M. [R] [Z] du 14 octobre 2020 qui concluent tous les trois que toutes les signatures apposées sur les deux procès-verbaux des assemblées générales du 2 octobre 2017 émanent de M. [U], il convient toutefois d'observer que les méthodes et le matériel utilisés par ces experts ne sont pas les mêmes.

Ainsi, M. [Z] indique que les pièces de question (soit les procès-verbaux des assemblées générales faisant l'objet du litige) lui ont été communiquées en fichier PDF. Il reconnaît ainsi qu'il n'a pas travaillé sur les originaux des documents produits et ajoute qu'il a eu connaissance du rapport de Mme [T] qui a eu l'occasion d'examiner les originaux. Dès lors, les conclusions de M. [Z] doivent être considérées avec réserves.

De même, si Mme [W] indique avoir eu accès aux originaux des procès-verbaux des assemblées générales litigieuses en les consultant au registre du commerce et des sociétés (RCS), elle ne précise pas quel est le matériel qu'elle a utilisé, ce qui ne permet pas d'apprécier la précision et la fiabilité de son analyse. En outre, son expertise est plus succincte, moins argumentée et moins précise que celle de M. [V] ou celle de Mme [T].

S'agissant de l'expertise de Mme [T], il convient de relever qu'elle a utilisé un zoom avec une gamme de grossissement de 1 à 300 fois alors que M. [V] indique avoir utilisé un microscope digital numérique avec grossissement allant jusqu'à 500 fois, ce qui a permis à ce dernier d'avoir une analyse plus fine puisqu'il indique avoir ainsi pu observer les traits en relief avec leur « rugosité » ou leur « pâtosité ».

Il convient de relever que M. [V] a pu ainsi faire des observations très précises notamment sur le point situé au-dessus des signatures (sa forme, sa position dans l'espace, son cheminement graphique), sur le trait d'attaque et sa situation au sein de chaque signature, ainsi qu'une observation plus détaillée et circonstanciée sur l'inclinaison des signatures en question et en comparaison et sur la place de la signature lorsque le patronyme de M. [U] est pré-apposé. Les autres rapports n'évoquent pas ou très peu ces aspects.

Contrairement aux affirmations des appelants, d'une part le rapport de M. [V] ne comporte pas de contradictions d'analyse, d'autre part cet expert a utilisé différentes sources au titre des signatures de comparaison puisqu'il a utilisé à la fois un document établi devant lui le jour de l'expertise rempli de 15 signatures de M. [U], la feuille de présence signée par M. [U] le jour de l'expertise, mais aussi plus d'une dizaine de documents concomitants aux 2 assemblées générales et conclus avec des tiers dont l'authenticité n'est pas remise en cause, tels que des mandats ou des contrats.

Ainsi que le relève l'expert, des discordances graphiques apparaissent entre les signatures en question (celles des procès-verbaux des assemblées générales) et les signatures en comparaison. Il indique que les paraphes en comparaison « affichent un cheminement plus mouvementé et plus amplifié, les traits étant très clairement dédoublés et non pincés et effilés comme en question ». Il relève également que l'orientation graphique des signatures en comparaison est constituée d'une valeur angulaire plus fermée et nettement moins ouverte à droite, que l'inclinaison graphique est nettement plus conséquente en question qu'en comparaison. Il ajoute que les signatures de question ne sont pas placées de la même manière que les signatures de comparaison par rapport à la mention dactylographiée du nom de M. [U].

Il observe en outre que sur les documents de comparaison, les points sont majoritairement tracés vers la gauche alors qu'en question ils vont vers la droite, avec un tracé relativement appuyé et ralenti. Il précise que le point est construit en forme de rond ou en oiseau avec un angle de forme particulière dans les signatures en comparaison ce qui diffère des signatures de question. De même la position du point n'est pas la même en question et en comparaison.

Au regard de l'ensemble de ces éléments et du fait que le rapport d'expertise de M. [V] est détaillé, circonstancié et argumenté, il convient d'en retenir les conclusions et de considérer ainsi que M. [U] n'est pas le signataire des deux procès-verbaux. Une nouvelle expertise n'est donc pas nécessaire (étant rappelé que 4 rapports de graphologues ont déjà été versés aux débats). Il n'y a dès lors pas lieu d'examiner les demandes formées sur ce point.

Les conclusions de l'expert [V] sont en outre corroborées par d'autres éléments.

En effet, la cour observe tout d'abord que dans les autres procès-verbaux d'assemblées générales produits par les parties, M. [U] n'a signé que sur la dernière page et a seulement apposé ses initiales sur les autres contrairement aux procès-verbaux du 2 octobre 2017 où une signature est apposée en son nom sur toutes les pages.

Ensuite, il résulte des mentions portées sur les procès-verbaux des assemblées générales de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017 que la première assemblée générale a commencé à 9h et la seconde à 9h10. Le second procès-verbal indique que « la séance est levée à 9h20 ».

Or, M. [U] produit une attestation de Mme [S] datée du 19 janvier 2018, par laquelle celle-ci déclare : « Je me suis rendue à l'agence Batimo située [Adresse 4] à [Localité 3] le lundi 2 octobre 2017 à 9 h pour rencontrer M. [X] [U]. Nous avons discuté de la mise en vente des biens appartenant à mon père décédé. Je suis repartie entre 9 heures et demie et 10 heures ».

Il y a lieu de constater que M. [U] affirme qu'il faut 36 mn de trajet en voiture pour relier son agence de [Localité 3] à [Localité 6] tandis que M. [Y] évalue le temps de trajet à 30 mn. Il est donc constant que le délai de route entre les deux lieux est d'au moins 30 mn.

Les assemblées générales s'étant déroulées entre 9h et 9h20, M. [U] ne pouvait être présent au même moment aux assemblées générales et à son rendez-vous avec Mme [S]. L'horaire de fin des assemblées ne lui permettait pas non plus d'honorer son rendez-vous avec Mme [S] après celles-ci, ce qui repoussait le début du rendez-vous avec Mme [S] à au moins 9h 50, voire 9h 55 le temps que l'intimé rejoigne son véhicule à la fin des assemblées générales et se rende à [Localité 3]. Le rendez-vous n'aurait alors pas pu s'achever entre 9h30 et 10h comme l'affirme cette cliente, étant observé que l'objet du rendez-vous était la mise en vente des biens d'une succession, ce qui nécessite un temps d'échange supérieur à 5 mn. En outre, celle-ci ne mentionne pas que M. [U] aurait été en retard et ne serait pas arrivé à 9h.

Si les appelants soutiennent que cette attestation est de complaisance, ils ne produisent aucun élément permettant de l'établir.

Ce témoignage remet donc en cause la présence de M. [U] aux assemblées générales litigieuses et confirme le fait que M. [U] n'est pas le signataire des procès-verbaux litigieux.

Enfin, il convient de relever, au regard du bulletin de vote produit par les appelants, que le 6 mars 2017, M. [U] avait voté contre l'augmentation de capital de la SARL Martin Immobilier ainsi que sur le transfert du siège social de la société au [Adresse 1] à [Localité 6].

Il n'est produit aucune pièce permettant d'établir que des discussions avaient été engagées et qu'il avait été envisagé la signature d'un protocole d'accord entre le 6 mars 2017 et le 2 octobre 2017, comme le soutient M. [Y].

En conséquence, l'absence de signature par M. [U] des procès-verbaux des assemblées générales du 2 octobre 2017 signifie une absence de consentement de ce dernier aux résolutions mentionnées comme étant adoptées. Ces délibérations doivent donc être considérées comme étant inexistantes. Les procès-verbaux susvisés et dès lors les deux assemblées générales du 2 octobre 2017 doivent ainsi être annulées sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les moyens invoqués au titre de l'irrégularité de la convocation adressée à M. [U].

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a annulé les deux assemblées générales extraordinaires de la SARL Martin Immobilier du 2 octobre 2017 et leurs résolutions,

III- Sur la demande en nullité des assemblées générales ordinaires des 30 juin 2018 et 28 juin 2019

Il résulte tant de l'article 19 §3 des statuts de la SARL Martin Immobilier (non modifiés par les assemblées générales extraordinaires du 2 octobre 2017) que des dispositions de l'article L223-28 du code de commerce applicable aux SARL que chaque associé a le droit de participer aux décisions et dispose d'un nombre de voix égal à celui des parts sociales qu'il dispose.

L'article L 223-29 du code de commerce précise que dans les assemblées, les décisions sont adoptées par un ou plusieurs associés représentant plus de la moitié des parts sociales.

En l'espèce, il est constant que deux assemblées générales ordinaires de la SARL Martin Immobilier ont eu lieu postérieurement aux assemblées générales extraordinaires du 2 octobre 2017, l'une le 30 juin 2018 et l'autre le 28 juin 2019 (et non le 20 juin 2019 comme indiqué par erreur par le tribunal et les parties).

Les procès-verbaux de ces assemblées générales démontrent que les résolutions qui étaient évoquées ont été soumises aux votes des associés sur la base de la modification des parts sociales résultant de l'assemblée générale extraordinaire du 2 octobre 2017 soit 3.376 parts sociales pour M. [Y] et 337 pour M. [U].

Les assemblées générales du 2 octobre 2017 étant annulées, la répartition des parts devait respecter les précédents statuts avant augmentation du capital, soit 250 parts pour chacun des deux associés.

Dès lors, il y a lieu de constater que les votes réalisés lors des assemblées générales du 30 juin 2018 et du 28 juin 2019 ont été effectués en violation des statuts applicables et de l'article L223-29 susvisé et ce, à l'encontre des intérêts de M. [U], qui a voté contre chacune des résolutions des assemblées générales du 30 juin 2018 et du 28 juin 2019.

En conséquence, et par application des dispositions de l'article L235-1 du code de commerce, les délibérations et les assemblées générales du 30 juin 2018 et du 28 juin 2019 doivent être annulées.

Le jugement qui comporte une erreur matérielle sera infirmé en ce sens.

IV- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

M.[Y] succombant principalement, le jugement sera confirmé dans ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Succombant également principalement en appel, M. [Y] sera condamné aux dépens ainsi qu'aux frais de l'expertise judiciaire.

Au regard de l'équité et par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile M. [Y] sera condamné à payer à M. [U] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Les appelants seront déboutés de leur demande formée sur ce même fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Déclare recevable la demande de contre-expertise formée par M. [M] [Y] et la SARL Martin Immobilier ;

Déboute M. [M] [Y] et la SARL Martin Immobilier de leur demande de contre-expertise;

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 5 juillet 2022 dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a annulé les assemblées générales ordinaires de la SARL Martin Immobilier des 30 juin 2018 et 20 juin 2019 et leurs résolutions, disposition qui est infirmée,

Statuant à nouveau,

Annule les délibérations et les assemblées générales ordinaires de la SARL Martin Immobilier du 30 juin 2018 et du 28 juin 2019 ;

Y ajoutant,

Condamne M. [M] [Y] aux dépens qui comprendront notamment les frais de l'expertise judiciaire ;

Condamne M. [M] [Y] à payer à M. [X] [U] la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute M. [M] [Y] et la SARL Martin Immobilier de leur demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente de chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22/02129
Date de la décision : 09/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-04-09;22.02129 ?
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