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05/01/2023 | FRANCE | N°20/02361

France | France, Cour d'appel de Metz, 6ème chambre, 05 janvier 2023, 20/02361


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS













N° RG 20/02361 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FMW3

Minute n° 23/00004





[T]

C/

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORR AINE









Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SARREGUEMINES, décision attaquée en date du 08 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 18/01425





COUR D'APPEL DE METZ



CHAMBRE COMMERCIALE

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ARRÊT DU 05 JANVIER 2023









APPELANT PRINCIPAL ET INTIME A TITRE INCIDENT :



Monsieur [Y] [T]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représenté par Me François RIGO, avocat au barreau de METZ









INTIMÉE PRINCIPAL...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

N° RG 20/02361 - N° Portalis DBVS-V-B7E-FMW3

Minute n° 23/00004

[T]

C/

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORR AINE

Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SARREGUEMINES, décision attaquée en date du 08 Décembre 2020, enregistrée sous le n° 18/01425

COUR D'APPEL DE METZ

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU 05 JANVIER 2023

APPELANT PRINCIPAL ET INTIME A TITRE INCIDENT :

Monsieur [Y] [T]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représenté par Me François RIGO, avocat au barreau de METZ

INTIMÉE PRINCIPALE ET APPELANTE A TITRE INCIDENT :

Société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DE LORRAINE Prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié audit siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Laure-anne BAI-MATHIS, avocat au barreau de METZ

DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 07 Juin 2022 tenue par Mme Catherine DEVIGNOT, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 05 Janvier 2023.

GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Jocelyne WILD

COMPOSITION DE LA COUR :

PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre

ASSESSEURS : Mme DUSSAUD,Conseillère

Mme DEVIGNOT, Conseillère

ARRÊT : Contradictoire

Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme Jocelyne WILD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 18 juillet 2011, M. [Y] [T] a accepté une offre de prêt immobilier de la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Lorraine (désignée ci-après la CRCA) d'un montant de 220.000 euros remboursable en 120 mensualités au taux contractuel de 4,05% l'an.

Par acte d'huissier du 4 août 2014, la CRCA a fait assigner M. [T] devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines aux fins de le voir notamment lui rembourser la somme de 176.243,81 euros au titre du prêt immobilier.

Par jugement du 3 mai 2016, le tribunal de grande instance de Sarreguemines a fait droit à cette demande.

Par un arrêt du 21 décembre 2017, la cour d'appel de Metz a infirmé ce jugement et rejeté les demandes de la CRCA au motif que la déchéance du terme n'ayant pas été régulièrement notifiée à M. [T], la créance de la CRCA n'était pas exigible.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 mars 2018 signifiée par voie d'huissier le 18 avril 2018, la CRCA a mis M. [T] en demeure de s'acquitter des échéances du prêt et l'a informée qu'à défaut la déchéance du terme serait prononcée. Par acte d'huissier du 20 juin 2018, elle lui a signifié la déchéance du terme du prêt.

Par acte d'huissier du 7 août 2018 la CRCA a fait assigner M. [T] devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines. Aux termes de ses dernières conclusions, elle a demandé au tribunal de  :

- débouter M. [T] de l'intégralité de ses prétentions,

- condamner M. [T] à lui payer une somme de 157.028,88 euros, outre intérêts au taux de 4,05  % sur le principal restant dû à compter du 26 mai 2018,

- ordonner la capitalisation annuelle des intérêts

- condamner M. [T] aux dépens ainsi qu'à lui payer une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles,

- ordonner l'exécution provisoire du jugement,

Par conclusions du 22 août 2019, M. [T] a demandé au tribunal, vu les articles L218-1 du code de la consommation et 122 du code de procédure civile, de:

- dire que la demande est irrecevable à hauteur de la somme de 42.419,78 euros,

- prononcer la déchéance des intérêts

- ordonner à la banque de rembourser les intérêts et de justifier de sa créance après déduction des intérêts et à défaut d'y satisfaire, la débouter de l'intégralité de ses prétentions

- à titre subsidiaire, réduire la clause pénale

- en tout état de cause, la condamner aux dépens ainsi qu'à lui payer une indemnité de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par jugement du 8 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Sarreguemines a:

- déclaré irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la CRCA à hauteur de 11.834,84 euros en principal, intérêts et intérêts de retard,

- déclaré recevable la demande pour le surplus,

- déclaré irrecevable pour cause de prescription la demande de déchéance du droit aux intérêts formulée par M. [T],

- condamné M. [T] à payer à la CRCA une somme de 134.921,13 euros en capital, intérêts et intérêts de retard, outre intérêts au taux de 4,05% sur la somme de 120.996,79 euros à compter du 5 juin 2018

- débouté la CRCA de sa demande de capitalisation annuelle des intérêts,

- condamné M. [T] à payer à la CRCA une somme de 1 euro au titre de la clause pénale,

- condamné M. [T] aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Le tribunal a relevé que l'assignation du 7 août 2018 était le premier acte interruptif de prescription de l'action de la CRCA, de sorte que son action était prescrite pour toutes ses créances antérieures au mois d'août 2016 conformément aux dispositions de l'article L218-2 du code de la consommation. Il a donc déclaré la banque irrecevable en sa demande à hauteur de la somme de 11.834,84 euros en principal, intérêts ainsi qu'intérêts de retard.

En outre, le tribunal a considéré que la demande de déchéance du droit aux intérêts pour manquement de la banque aux obligations de l'article L312-10 du code de la consommation formulée par M. [T] était prescrite, faute d'avoir été intentée dans les cinq années ayant suivi la conclusion du contrat de prêt du 18 juillet 2011.

Le tribunal a considéré que la banque était fondée à demander à M. [T] le paiement d'une somme de 134.921,13 euros en capital, intérêts et intérêts de retard, outre intérêts au taux de 4,05% sur la somme de 120.996,79 euros à compter du 5 juin 2018, la déchéance du terme du prêt ayant été régulièrement prononcée par celle-ci. Il a en revanche rejeté la demande de capitalisation des intérêts en application de l'article L312-50 du code de la consommation, cette demande étant prohibée en matière de crédit immobilier. Il a réduit enfin l'indemnité forfaitaire de 7%, celle-ci étant une clause pénale paraissant manifestement excessive compte tenu de l'absence de préjudice subi par la banque.

Par déclaration déposée au greffe de la cour d'appel de Metz le 23 décembre 2020, M. [T] a interjeté appel aux fins d'infirmation de ce jugement en ce qu'il  :

- avait déclaré recevable la demande en paiement de la CRCA au-delà des 11.834,84 euros en principal, intérêts et intérêts de retard (partie de la demande déclarée prescrite),

- avait déclaré irrecevable pour cause de prescription sa demande de déchéance du droit aux intérêts

- l'avait condamné à payer la somme de 134.921,13 euros en capital intérêts et intérêts de retard outre intérêts au taux de 4,05% sur la somme de 120.996,79 euros à compter du 5 juin 2018,

- l'avait condamné à payer la somme de 1 euro au titre de la clause pénale,

- l'avait condamné aux entiers dépens.

Par conclusions du 4 mai 2022, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, M. [T] demande à la cour de  :

- dire son appel recevable et bien fondé,

- dire l'appel incident de la CRCA mal fondé,

En conséquence,

- débouter la CRCA de son appel incident, et faisant droit au seul appel de la caisse régionale de crédit agricole,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau,

- débouter la CRCA de l'ensemble de ses demandes

En tant que de besoin,

- dire et juger que le caractère totalement disproportionné des sommes réclamées dans la mise en demeure, signifiée par la CRCA, équivaut à une absence de mise en demeure,

Ou si mieux n'aime la cour,

- constater que la mise en demeure qui lui a été signifiée le 18 avril 2018 par la CRCA l'a été avec mauvaise foi,

En conséquence,

- déclarer la mise en demeure inopposable à son égard,

Subsidiairement,

- dire et prononcer la déchéance des intérêts du prêt, objet du litige,

- inviter la CRCA à recalculer l'ensemble de son décompte, en tenant compte de la déchéance des intérêts et ce à compter du jour de la conclusion du contrat,

- confirmer dans cette hypothèse les autres dispositions du jugement non contraires,

- condamner en toute hypothèse la CRCA au paiement des entiers frais et dépens des deux instances, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions, M. [T] expose que la déchéance du prêt n'a pas été régulièrement prononcée, car aucune mise en demeure valable n'a été réalisée.

Il soutient que la banque ne justifie pas dans sa mise en demeure de la somme réclamée. Il explique également qu'en tant que professionnelle du crédit, elle ne pouvait ignorer que les échéances impayées avant le 18 avril 2016, soit deux ans avant la mise en demeure du 18 avril 2018, étaient prescrites en application de l'article L218-2 du code de la consommation et de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Metz le 21 décembre 2017. Il ajoute qu'aucune indemnité de retard n'est due. Il en conclut donc que le montant réclamé par la banque au titre de l'arriéré d'échéances est erroné.

Ensuite, M. [T] souligne que la banque ne peut lui réclamer la somme de 18.000 euros, un tel montant ayant selon lui uniquement vocation à compenser les conséquences négatives pour la banque découlant de l'infirmation du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Sarreguemines le 3 mai 2016 par l'arrêt rendu par la cour d'appel de Metz le 21 décembre 2017.

Enfin, M. [T] affirme que la mise en demeure a été réalisée de mauvaise foi, cette dernière prévoyant un délai insuffisant pour qu'il puisse rembourser ses dettes.

Dès lors, il conclut au vu de tous ces éléments à l'inopposabilité de la mise en demeure.

Sur les conclusions de la banque, M. [T] soutient que la réalisation ou non d'une démarche de sa part en vue du financement de sa dette est sans emport sur l'irrégularité de la mise en demeure de la banque, la mauvaise foi de cette dernière étant caractérisée.

A titre subsidiaire, sur le montant de la dette, M. [T] expose qu'il y a lieu de prononcer la déchéance des intérêts du prêt en application de l'ancien article L312-33 du code de la consommation au motif que l'acceptation de l'offre de crédit n'a pas été effectuée conformément au formalisme édicté par l'article L312-10 du même code. Il souligne que cette demande n'est pas prescrite, ce moyen constituant une défense au fond ayant été régulièrement soulevée par voie d'exception en première instance.

En parallèle, il soutient que l'article 1185 du code civil soulevé par la banque n'est pas applicable en l'espèce, le contrat de prêt ayant déjà été exécuté.

Sur l'appel incident de la banque, M. [T] expose que la banque ne justifie pas de sa demande relative aux intérêts de retard et rappelle en outre que de tels intérêts sont prescrits pour la période antérieure au 16 juillet 2018.

Sur l'indemnité de résiliation, il soutient que la demande de la banque à ce titre n'est pas justifiée, tant dans son principe que dans son quantum, et qu'une indemnité de 7% apparaît dans tous les cas manifestement excessive, de sorte qu'il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point.

Par conclusions du 6 avril 2022, auxquelles il sera expressément référé pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens, la CRCA demande à la cour de:

- dire et juger l'appel de M. [T] recevable en la forme mais non fondé,

En conséquence, le rejeter,

- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- dire et juger son appel incident recevable en la forme et bien fondé,

En conséquence, y faire droit,

- infirmer le jugement en ses dispositions relatives à la recevabilité de sa demande en paiement, au montant de la condamnation mise à la charge de M. [T] et à la réduction du montant de l'indemnité de résiliation à la somme de 1 euro,

Et statuant à nouveau,

- dire et juger sa demande prescrite à hauteur de la somme de 10.261,64 euros seulement,

- dire et juger sa demande en paiement recevable pour le surplus,

- dire n'y avoir lieu à réduction du montant de l'indemnité de résiliation à l'euro symbolique,

En conséquence,

- condamner M. [T] à lui payer la somme de 146.767,24 euros avec les intérêts au taux de 4,05% à compter du 5 juin 2018,

- condamner M. [T] à lui payer une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et une somme de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

- débouter M. [T] de sa demande à ce titre,

- condamner M. [T] aux frais et dépens de la procédure d'appel et confirmer le jugement ayant condamné M. [T] aux dépens de la procédure de première instance.

Au soutien de ses prétentions, la CRCA affirme que la mise en demeure adressée à M. [T] le 18 avril 2018 était régulière, en ce qu'elle visait bien la clause contractuelle stipulant les conditions de déchéance du prêt, le délai de régularisation de 15 jours à défaut duquel la déchéance du prêt serait prononcée ainsi que le montant de la créance réclamée. La banque souligne que nonobstant l'absence de contestation de M. [T] quant à sa défaillance au règlement des échéances dues, ce dernier n'a toutefois justifié d'aucune démarche visant au remboursement de ces sommes, de sorte que la déchéance du terme a régulièrement été prononcée.

Par ailleurs, la banque rappelle que les intérêts majorés ne sont dus qu'à compter de la défaillance du débiteur et jusqu'à la déchéance du terme.

La CRCA reprend la motivation du premier juge qui a retenu que la demande déchéance du droit aux intérêts pour manquement aux obligations de l'article L312-10 du code de la consommation est prescrite, faute d'avoir été intentée par dans les cinq années ayant suivi la conclusion du contrat de prêt du 18 juillet 2011.

Elle reconnaît que les échéances du prêt antérieures au 15 juillet 2016 sont prescrites et que le premier juge a exactement retenu au titre du capital restant dû la somme de 41.163,69 euros. En revanche, elle soutient que le calcul des intérêts ordinaires et de retard effectué par le premier juge est incorrect, les premiers s'élevant à la somme de 7.677,55 euros et les seconds à celle de 9.  972,10 euros. Elle précise enfin que sa demande n'est prescrite qu'à hauteur de 10.261,64 euros et non de 11.834,84 euros.

La CRCA rappelle que l'indemnité de résiliation a pour but de sanctionner l'emprunteur ayant laissé intervenir la déchéance du terme de son prêt sans agir en vue de la prévenir. Elle expose ainsi que le montant de cette indemnité n'est pas manifestement excessif ou inéquitable et qu'il n'y a pas lieu de la réduire. Elle demande, en conséquence, la condamnation de M. [T] à lui payer la somme de 146.767,24 euros avec intérêts au taux de 4,05% à compter du 5 juin 2018.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 juin 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité

* Sur la recevabilité de la demande en paiement formée par la CRCA

Il convient de relever que la CRCA ne remet pas en cause les dispositions du jugement ayant retenu, sur le fondement de l'article L218-2 du code de la consommation, que toutes les échéances du prêt objet du litige antérieures au 7 août 2016 étaient prescrites, l'assignation ayant interrompu le délai de prescription ayant été délivrée le 7 août 2018.

Si l'intimée conteste le mode de calcul des intérêts de retard prescrits pour cette même période et retenu par le premier juge, elle ne démontre pas en quoi la méthode adoptée serait fausse. En effet, les chiffres qu'elle avance non explicités pour certains (notamment la référence aux sommes de 61.405,11 euros et 51.143,46 euros) ne permettent pas de démontrer l'existence d'une erreur dans la motivation du jugement.

Dès lors celui-ci sera confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la CRCA à hauteur de 11.834,84 euros en principal, intérêts et intérêts de retard.

* Sur la recevabilité de la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par M. [T]

L'article 71 du code de procédure civile dispose que constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire.

Une défense au fond, au sens de cet article, échappe à la prescription.

Or, le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé par l'emprunteur constitue une défense au fond. En revanche la demande tendant à la restitution d'intérêts trop perçus sur le fondement de la déchéance du droit aux intérêts est une demande reconventionnelle.

En l'espèce, M. [T] ne forme pas de demande tendant à la restitution d'intérêts trop perçus.

Dès lors, sa demande tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts s'analyse comme une défense au fond et échappe à la prescription, étant observé que, contrairement à ce que soutient l'intimée, la demande de l'appelant n'est pas une demande en nullité.

Elle est donc recevable.

Le jugement entrepris sera donc infirmé à ce titre.

Sur le fond

* Sur l'opposabilité de la déchéance du terme

Les conditions générales du prêt stipulent page 7 sous l'intitulé «exigibilité» qu'en cas notamment de défaillance dans le remboursement des sommes dues par l'emprunteur, le prêteur pourra se prévaloir de l'exigibilité immédiate du prêt en capital, intérêts et accessoire sans qu'il soit besoin d'aucune formalité judiciaire et après mise en demeure restée infructueuse pendant 15 jours.

Or la CRCA justifie avoir signifié par acte d'huissier du 18 avril 2018 une lettre datée du 30 mars 2018 par laquelle elle mettait en demeure M. [T] de régler la somme de 105.282,10 euros et qu'à défaut de régularisation dans un délai de 15 jours, la déchéance du terme serait prononcée. Cette mise en demeure respecte donc les conditions générales susvisées.

La mauvaise foi ne se présume pas et M. [T] ne justifie pas que cette lettre de mise en demeure lui a été adressée sciemment, de mauvaise foi, avec la volonté de le tromper sur le montant des sommes dues, étant observé que M. [T] ne conteste pas ne pas avoir réglé le montant des échéances depuis le 15 janvier 2015, comme le rappelle la mise en demeure.

Si le montant total dû de 105.282,10 euros est erroné au regard de la prescription d'une partie de cette somme, la mise en demeure reste cependant valable pour le montant exigible. Or M. [T] ne justifie d'aucun versement dans les 15 jours de cette mise en demeure, ni d'aucune contestation par ailleurs sur le montant de la créance.

Dès lors, il faut considérer que la déchéance du terme a ensuite été valablement prononcée par la CRCA dans son courrier daté du 5 juin 2018 et signifié à M. [T] le 20 juin 2018.

La déchéance du terme est donc opposable à M. [T] et la créance de la CRCA est bien exigible.

* Sur la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par M. [T]

L'article L312-10 du code de la consommation, dans sa version antérieure à l'ordonnance du 14 mars 2016 applicable au litige, sur lequel M. [T] fonde sa demande de déchéance du droit aux intérêts dispose:

« L'envoi de l'offre oblige le prêteur à maintenir les conditions qu'elle indique pendant une durée minimale de trente jours à compter de sa réception par l'emprunteur.

L'offre est soumise à l'acceptation de l'emprunteur et des cautions, personnes physiques, déclarées. L'emprunteur et les cautions ne peuvent accepter l'offre que dix jours après qu'ils l'ont reçue. L'acceptation doit être donnée par lettre, le cachet de la poste faisant foi. »

L'appelant soutient que ces dispositions sont sanctionnées par la déchéance du droit aux intérêts par application des dispositions de l'ancien article L312-33 du code de la consommation.

Or ce dernier article dans sa version applicable au litige dispose:

«Le prêteur ou le bailleur qui ne respecte pas l'une des obligations prévues aux articles L. 312-7 et L. 312-8, à l'article L. 312-14, deuxième alinéa, ou à l'article L. 312-26 sera puni d'une amende de 3 750 euros.

Le prêteur qui fait souscrire par l'emprunteur ou les cautions déclarées, ou reçoit de leur part l'acceptation de l'offre sans que celle-ci comporte de date ou dans le cas où elle comporte une date fausse de nature à faire croire qu'elle a été donnée après expiration du délai de dix jours prescrit à l'article L. 312-10, sera puni d'une amende de 30 000 euros.

La même peine sera applicable au bailleur qui fait souscrire par le preneur ou qui reçoit de sa part l'acceptation de l'offre sans que celle-ci comporte de date ou dans le cas où elle comporte une date fausse de nature à faire croire qu'elle a été donnée après l'expiration du délai de dix jours prescrit à l'article L. 312-27.

Dans les cas prévus aux alinéas précédents, le prêteur ou le bailleur pourra en outre être déchu du droit aux intérêts, en totalité ou dans la proportion fixée par le juge».

Il en résulte que ce texte ne sanctionne pas, comme le soutient M. [T], le fait que «l'acceptation de l'offre n'ait pas été donnée par lettre, le cachet de la poste faisant foi», mais sanctionne une offre non datée ou une fausse date de nature à faire croire qu'elle a été donnée après expiration du délai de 10 jours prescrit à l'article L312.10.

Or l'offre de prêt mentionne que M. [T] l'a reçue le 5 juillet 2011 et qu'il l'a acceptée le 18 juillet 2011 et l'appelant ne soutient pas que ces dates sont fausses et sont de nature à faire croire que l'offre a été donnée après l'expiration du délai de 10 jours prescrit par l'article L312.10.

La déchéance du droit aux intérêts n'est pas encourue dans le cas où l'acceptation n'a pas été donnée par lettre.

Par conséquent, M. [T] sera débouté de sa demande tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts.

* Sur le montant de la créance de la CRCA

Il y a lieu de relever que la différence entre le montant sollicité au titre de sa créance par la CRCA dans le cadre de ses conclusions (146.767,24 euros) et le montant auquel a été condamné M. [T] par le jugement entrepris (134.921,13 euros) correspond :

- à la somme de 1.573,20 euros sollicitée au titre d'intérêts jugés non prescrits par l'intimée

- à la somme de 10.272,91 euros sollicitée par la CRCA au titre de l'indemnité de 7%

Ainsi qu'il l'a été jugé dans les motifs ci-dessus, le jugement entrepris est confirmé en ce qu'il a estimé que la demande en paiement d'intérêts à hauteur de 1.573,20 euros était prescrite.

Par ailleurs, sur le fond, M. [T] n'invoque que des moyens tendant à contester les intérêts appliqués par la CRCA.

Les conditions générales du prêt stipulent page 7 dans un paragraphe intitulé «défaillance de l'emprunteur» qu'en cas de déchéance du terme, «le prêteur pourra exiger le remboursement immédiat du capital restant dû majoré des intérêts échus mais non payés. Jusqu'à la date du remboursement effectif, les sommes restant dues produiront un intérêt de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre une indemnité égale à 7% des sommes dues en capital et intérêts échus sera demandée».

Ces conditions générales ne prévoient un intérêt majoré de 3 points se substituant au taux d'intérêt annuel pendant toute la période du retard que lorsque le prêteur n'invoque pas la déchéance du terme et n'exige pas le remboursement immédiat du capital restant dû.

En l'espèce, la déchéance du terme ayant été prononcée, la CRCA ne peut solliciter que le remboursement du capital restant dû majoré des intérêts échus non payés, avec intérêts au taux contractuel, soit 4,05% l'an.

Au regard des sommes prescrites, du décompte de la créance ainsi que du tableau d'amortissement versé aux débats M. [T] reste débiteur des sommes de:

- 41.163,69 euros au titre des mensualités échues impayées d'août 2016 à mai 2018 comprenant capital et intérêts contractuels échus impayés (somme retenue par le premier juge et non remise en cause par les parties)

- 85.352,86 euros au titre du capital restant dû à la déchéance du terme

soit un total de 126.516,55 euros.

Il convient donc d'infirmer le jugement entrepris sur le montant de la condamnation prononcée contre M. [T] et de condamner ce dernier à payer à la CRCA la somme de 126.516,55 euros avec intérêts au taux contractuel de 4,05% l'an à compter du 20 juin 2018, date de la signification de la déchéance du terme, par application de l'ancien article 1153 du code civil devenu 1231-6 du même code.

Il convient de relever que la CRCA ne remet pas en cause les dispositions du jugement l'ayant déboutée de sa demande de capitalisation des intérêts.

Il ne peut être fait application de l'ancien article 1152 du code civil devenu l'article 1231-5 du code civil dès lors que le taux contractuel n'apparaît pas abusif et qu'il est prévu par les dispositions mêmes des anciens articles L312-22 et R312-3 du code de la consommation qu'en cas de déchéance du terme le prêteur pourra exiger de l'emprunteur une indemnité contractuelle, celle-ci ne pouvant dépasser 7 % des sommes dues au titre du capital restant dû ainsi que des intérêts échus et non versés.

En l'espèce le taux contractuel de 4,05% n'est pas excessif. Il n'y a donc pas lieu de réduire l'indemnité contractuelle de 7% prévue. Dès lors, M. [T] sera condamné à payer à la CRCA à ce titre la somme de 8.856,15 euros (soit 7% de 126.516,55 euros) avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt par application de l'ancien article 1153-1 du code civil devenu l'article 1231-7 du même code. Le jugement ayant réduit cette clause à un euro sera infirmé en conséquence.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Il convient de confirmer le jugement entrepris dans ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'appelant, qui succombe, sera condamné aux dépens.

Au regard de l'équité, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de laisser à chacune des parties la charge des frais engagés par elle et non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, contradictoire

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Sarreguemines du 8 décembre 2020 en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable comme prescrite la demande en paiement de la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Lorraine à hauteur de 11.834,84 euros en principal, intérêts et intérêts de retard,

- déclaré recevable la demande pour le surplus,

- débouté la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Lorraine de sa demande de capitalisation annuelle des intérêts,

- condamné M. [Y] [T] aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

L'infirme en ce qu'il a :

- déclaré irrecevable pour cause de prescription la demande de déchéance du droit aux intérêts formulée par M. [Y] [T]

- condamné M. [Y] [T] à payer à la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Lorraine une somme de 134.921,13 euros en capital, intérêts et intérêts de retard, outre intérêts au taux de 4,05% sur la somme de 120.996,79 euros à compter du 5 juin 2018

- condamné M. [T] à payer à la CRCA une somme de 1 euro au titre de la clause pénale

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

Et, statuant à nouveau,

Déclare recevable la demande de déchéance du droit aux intérêts formée par M. [Y] [T] ;

Condamne M. [Y] [T] à payer à la caisse régionale de crédit agricole mutuel de Lorraine les sommes de :

- 126.516,55 euros avec intérêts au taux contractuel de 4,05% l'an à compter du 20 juin 2018

- 8.856,15 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt ;

Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;

Condamne M. [Y] [T] aux dépens ;

Laisse à chacune des parties la charge des frais engagés par elle et non compris dans les dépens.

Le Greffier La Présidente de Chambre


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Metz
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20/02361
Date de la décision : 05/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-05;20.02361 ?
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