RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
N° RG 21/02666 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FTTO
Minute n° 22/00201
[C] EPOUSE [K]
C/
MINISTERE PUBLIC
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de METZ, décision attaquée en date du 18 Octobre 2021, enregistrée sous le n° 21/00018
COUR D'APPEL DE METZ
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU 01 DECEMBRE 2022
APPELANTE :
Madame [P] [C] EPOUSE [K]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Stéphane FARAVARI, avocat au barreau de METZ
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2021/009171 du 26/11/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de METZ)
INTIMÉ :
MINISTERE PUBLIC
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par M. Le Procureur Général près de la cour d'appel de Metz
DATE DES DÉBATS : A l'audience publique du 21 Juin 2022 tenue par Mme Anne-Yvonne FLORES, Magistrat rapporteur, qui a entendu les plaidoiries, les avocats ne s'y étant pas opposés et en a rendu compte à la cour dans son délibéré, pour l'arrêt être rendu le 01 Décembre 2022.
GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Mme Jocelyne WILD
MINISTÈRE PUBLIC PRÉSENT AUX DÉBATS : M. Goueffon
COMPOSITION DE LA COUR :
PRÉSIDENT : Mme FLORES, Présidente de Chambre
ASSESSEURS : Mme DEVIGNOT,Conseillère
Mme DUSSAUD, Conseillère
ARRÊT : Contradictoire
Rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme FLORES, Présidente de Chambre et par Mme Jocelyne WILD, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE
Par requête reçue au greffe le 18 février 2021, Mme [P] [C], épouse [K], a sollicité du tribunal judiciaire de Metz son admission au bénéfice de la liquidation judiciaire.
Par jugement du 11 mai 2021, le tribunal judiciaire a ordonné une mesure d'enquête et désigné la SELARL Gangloff et [Z], prise en la personne de Me [H] [Z], en qualité d'enquêteur. Le rapport a été déposé le 2 septembre 2021.
Le ministère public a requis le rejet de la requête, soulevant la mauvaise foi de Mme [C].
Par jugement du 18 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Metz a :
- constaté la mauvaise foi de Mme [C] ;
- rejeté en conséquence sa requête tendant à son admission au bénéfice de la procédure de liquidation judiciaire ;
- dit que les frais d'enquête seront à la charge du Trésor Public conformément à l'article R. 93, II, 2°, du code de procédure pénale.
Pour retenir la mauvaise foi dans le traitement de son endettement, le tribunal a constaté que Mme [C] avait déjà bénéficié d'une procédure de liquidation judiciaire, clôturée pour insuffisance d'actif le 8 octobre 2007, et vu une nouvelle requête rejetée pour absence de bonne foi en 2015. Il a retenu que Mme [C] avait été à plusieurs reprises mise en garde quant à la nécessité de mettre en place une gestion plus stricte de son budget mais qu'elle a généré de nouvelles dettes, contracté de nouveaux crédits et émis de nouveaux chèques sans provision. Le tribunal a également constaté que Mme [C] percevait l'allocation adulte handicapé (AAH) et des allocations logement, ce qui devait lui permettre de supporter ses charges courantes, qu'elle ne justifiait pas des sommes qu'elle affirme avoir versées à ses enfants à titre d'aide financière, et qu'en tout état de cause, le choix d'apporter une aide financière à ses enfants majeurs ne pouvait se faire au détriment de ses créanciers.
Par déclaration au greffe de la cour d'appel de Metz en date du 28 octobre 2021, Mme [C] a interjeté appel aux fins d'annulation et subsidiairement d'infirmation du jugement en ce qu'il a constaté sa mauvaise foi et rejeté sa requête tendant à l'admission au bénéfice de la procédure de liquidation judiciaire.
Par ses dernières conclusions du 28 décembre 2021, auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des prétentions et moyens, l'appelante demande à la cour de :
- annuler le jugement entrepris pour non-respect du principe du contradictoire ;
Subsidiairement,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté sa mauvaise foi et a rejeté sa requête tendant à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire ;
Statuant à nouveau :
Vu l'article L. 670-1 du code de commerce,
- constater que son domicile est situé en Moselle ;
- lui donner acte de sa déclaration d'insolvabilité notoire ;
- ordonner l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son encontre ;
- fixer la date de cessation des paiements ;
- désigner tel huissier, tel juge commissaire et tel liquidateur judiciaire qu'il plaira à la cour de nommer ;
Subsidiairement,
- renvoyer l'affaire et les parties devant le tribunal pour la mise en 'uvre de cette procédure de liquidation judiciaire ;
- dire que les frais et dépens d'instance et d'appel seront considérés comme frais privilégiés de la procédure collective.
Mme [C] sollicite l'annulation du jugement pour non-respect du contradictoire au motif que les réquisitions du ministère public visées dans le jugement ne lui ont pas été communiquées. Elle fait valoir que la bonne foi est toujours présumée et que c'est à celui qui l'allègue de la prouver. À ce titre, elle indique que le ministère public n'était pas présent à l'audience de sorte que le tribunal ne pouvait pas retenir la mauvaise foi.
Sur le fond, elle fait valoir que la condition de bonne foi est remplie. À ce titre, elle expose qu'elle ne travaille plus suite à un problème de santé, qu'elle perçoit l'AAH à hauteur de 902,53 euros par mois, qu'elle a un enfant encore à charge et qu'elle ne possède pas de bien immobilier. Elle convient que son passif est constitué de nombreux crédits à la consommation mais qu'il appartient aux organismes de crédit de ne pas accorder aussi facilement des prêts à une personne ne bénéficiant que des aides sociales. Elle affirme faire l'objet de poursuites infructueuses et que sa situation est irrémédiablement compromise. Elle indique enfin que les difficultés trouvent leur origine dans la situation d'une succession de crédits à la consommation et de nombreux rejets de chèques, suivis d'une interdiction d'émettre des chèques, et qu'elle essaie autant que possible d'aider ses enfants.
Par conclusions écrites régulièrement communiquées aux parties le 16 mai 2022, le ministère public conclut à la confirmation du jugement.
Le ministère public expose que sa présence à l'audience n'est pas toujours obligatoire et que ses réquisitions lui ont été adressées mais qu'une lettre recommandée avec accusé de réception a été retournée avec la mention « avisé et non réclamé ».
Sur le fond, le ministère public considère que Mme [C] est de mauvaise foi, qu'elle avait été mise en garde sur sa gestion de budget mais qu'elle n'a pas hésité à aggraver son endettement. Il note qu'elle savait quelles dettes pouvaient être prise en compte ou non en raison de ses précédentes demandes. Il relève que l'analyse du passif démontre que les achats effectués ne peuvent être considérés comme des achats de première nécessité, que les loyers auraient dû pouvoir être réglés avec ses ressources et qu'elle ne justifie pas de l'aide financière apportée à ses enfants.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 mai 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la nullité du jugement
L'article 431 du code de procédure civile dispose que le ministère public n'est tenu d'assister à l'audience que dans les cas où il est partie principale, dans ceux où il représente autrui ou lorsque sa présence est rendue obligatoire par la loi. Dans tous les autres cas, il peut faire connaître son avis à la juridiction soit en lui adressant des conclusions écrites qui sont mises à la disposition des parties, soit oralement à l'audience.
En l'espèce, le ministère public a rendu des réquisitions écrites et n'était pas présent à l'audience du 12 octobre 2021 devant le tribunal judiciaire. Le dossier de première instance, communiqué à la cour conformément aux dispositions de l'article 968 du code de procédure civile, comporte des réquisitions du procureur de la République datée du 11 octobre 2021, mais contrairement à ce qu'affirme le ministère public, la lettre recommandée non réclamée présente dans le dossier ne concerne pas la communication de ses réquisitions à Mme [C].
En l'absence de preuve de la communication des réquisitions du ministère public à Mme [C], le manquement au principe du contradictoire est avéré et il y a lieu de prononcer la nullité du jugement entrepris.
L'article 561 du code de procédure civile dispose que l'appel remet la chose jugée en question devant la juridiction d'appel. Il est statué à nouveau en fait et en droit. Ainsi, par application de l'effet dévolutif de l'appel, il sera statué sur les prétentions des parties.
Sur le fond
Les articles L. 670-1 et suivants du code de commerce organisent l'application des règles en matière de difficulté des entreprises aux personnes physiques domiciliées dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, et à leur succession, qui ne sont ni des agriculteurs, ni des personnes exerçant une activité commerciale, artisanale ou toute autre activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire, lorsqu'elles sont de bonne foi et en état d'insolvabilité notoire.
L'état d'insolvabilité notoire se caractérise par des faits et des circonstances extérieurs, notamment des mesures d'exécution demeurées infructueuses, révélant non seulement un arrêt matériel des paiements, mais également une situation irrémédiablement compromise et ne pouvant trouver d'autres issues, notamment par l'obtention par le débiteur de garanties, crédits ou délais de paiement.
Il n'est pas discuté du fait que Mme [C] remplit les conditions de domiciliation et d'absence d'exercice de l'une des activités précitées.
L'état d'insolvabilité notoire n'est pas contesté. Il ressort des conclusions et pièces de Mme [C], et notamment du document « Liste des créanciers » (pièce n°5) qu'elle fait face à un passif de plus de 25 000 euros et qu'elle perçoit seulement l'allocation aux adultes handicapés (AAH) pour un montant de 903,60 euros en octobre 2021. Elle est également bénéficiaire de l'aide personnalisée au logement (APL), versée directement à son bailleur, pour un montant de 226,93 euros à la même date.
La bonne foi condition nécessaire à l'instauration d'une faillite civile de droit local, est présumée en application de l'article 2274 du code civil et il n'appartient pas à la débitrice d'en rapporter la preuve. Si le juge ne peut relever d'office le moyen tiré de la mauvaise foi, il ressort des conclusions du ministère public qu'à hauteur de cour il est soutenu par Monsieur le procureur général la mauvaise foi de Mme [C].
Mme [C] ne conteste pas avoir déjà bénéficié d'une procédure de liquidation judiciaire, clôturée pour insuffisance d'actif le 8 octobre 2007, et avoir vu une nouvelle requête à ce titre rejetée pour absence de bonne foi en 2015, ces faits étant mentionnés dans le jugement entrepris.
S'il n'est pas contesté que Mme [C] présente une situation précaire, le listing des créances fait apparaitre des opérations qui ne correspondent pas, à l'exception de quelques factures d'électricité et de nourriture, à des achats de première nécessité et qui ne se retrouvent pas dans l'inventaire des biens qu'elle produit notamment : La Fnac : 1 935,42 euros, Orchestra : 1 753,74 euros, Vorverk 1658,05 euros, Nature et Plein Air 569,25 euros .
Il apparait ensuite 19 avis d'interdiction d'émettre des chèques pour 5 ans, émis entre le 24 décembre 2018 et le 12 février 2019.
Son passif est constitué également par de nombreux crédits à la consommation et alors qu'elle se sait endettée et disposant de faibles ressources, elle ne peut soutenir la faute des organismes de crédit pour justifier de sa bonne foi.
Si elle indique avoir apporté de l'aide à ses enfants, elle n'en justifie pas, pas plus que la nécessité pour elle de subvenir à leurs besoins sachant qu'un seul des enfants est à sa charge.
Au regard de ces éléments, la mauvaise foi de Mme [C] au sens de l'article L. 670-1 du code de commerce est établie.
En conséquence, il convient de débouter Mme [C] de sa demande tendant à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son égard et de ses demandes afférentes.
Sur les frais et dépens
Les frais d'enquête resteront à la charge de l'État conformément à l'article R. 93, II, 2° du code de procédure pénale.
Mme [C], partie perdante, supportera les dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Annule le jugement du tribunal judiciaire de Metz du 18 octobre 2021 ;
Statuant sur effet dévolutif de l'appel,
Rejette la demande de Mme [P] [C] tendant à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à son égard ;
Dit que les frais d'enquête resteront à la charge de l'État conformément à l'article R. 93, II, 2° du code de procédure pénale ;
Condamne Mme [P] [C] aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente de Chambre