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18/06/2024 | FRANCE | N°22/01212

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 18 juin 2024, 22/01212


N° RG 22/01212 - N° Portalis DBVX-V-B7G-ODY7









Décision du

Tribunal Judiciaire de BOURG EN BRESSE

Au fond

du 03 février 2022



RG : 20/01900





[C]

[Z] [K]



C/



S.A. SOCIETE GENERALE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 18 Juin 2024







APPELANTS :



Mme [B] [C] épouse [Z] [K]r>
née le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 7] (21)

[Adresse 9]

[Adresse 1] (Suisse)



M. [D] [Z] [K]

né le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 8] (Tunisie)

[Adresse 9]

[Adresse 1] (Suisse)



Représentés par Me Benoît DE BOYSSON, avocat au barreau d'AIN






...

N° RG 22/01212 - N° Portalis DBVX-V-B7G-ODY7

Décision du

Tribunal Judiciaire de BOURG EN BRESSE

Au fond

du 03 février 2022

RG : 20/01900

[C]

[Z] [K]

C/

S.A. SOCIETE GENERALE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 18 Juin 2024

APPELANTS :

Mme [B] [C] épouse [Z] [K]

née le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 7] (21)

[Adresse 9]

[Adresse 1] (Suisse)

M. [D] [Z] [K]

né le [Date naissance 4] 1972 à [Localité 8] (Tunisie)

[Adresse 9]

[Adresse 1] (Suisse)

Représentés par Me Benoît DE BOYSSON, avocat au barreau d'AIN

INTIMEE :

S.A. SOCIETE GENERALE

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Me Jean-claude DESSEIGNE de la SCP J.C. DESSEIGNE ET C. ZOTTA, avocat au barreau de LYON, toque : 797

ayant pour avocat plaidant Me Pierre BREGMAN, avocat au barreau d'ANNECY

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 01 Juin 2023

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 19 Mars 2024

Date de mise à disposition : 18 Juin 2024

Audience tenue par Stéphanie LEMOINE, président, et Bénédicte LECHARNY, conseiller, qui ont siégé en rapporteurs sans opposition des avocats dûment avisés et ont rendu compte à la Cour dans leur délibéré,

assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

A l'audience, un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [D] [Z] [K] a été salarié de la Société générale (la banque) de 2012 à 2015, date à laquelle il est devenu salarié de la société CIC Lyonnaise de Banque, son épouse ayant accepté un emploi en Suisse.

Le couple était titulaire de trois comptes dans les livres de la banque : un compte « salarié » en euros, un compte de dépôt à vue en euros et un compte de dépôt à vue en francs suisses.

Suivant offre acceptée le 26 mai 2015, M. [Z] [K] et Mme [B] [C] épouse [Z] [K] (les emprunteurs) ont souscrit auprès de la banque un prêt immobilier n° 814081674757 destiné à racheter un prêt souscrit auprès d'un autre établissement bancaire pour financer l'acquisition d'un bien immobilier sis à [Localité 6] (Seine-et-Marne) d'un montant de 277 225,62 euros.

Par acte sous seing privé signé le 11 octobre 2016, réitéré par acte authentique du 10 novembre 2016, les emprunteurs ont souscrit auprès de la banque un deuxième prêt immobilier n° 916309000044 destiné à financer l'acquisition d'un terrain et la construction d'une résidence principale à [Localité 10] (Ain), d'un montant de 540 095 CHF, soit une contre-valeur de 495 500 euros, d'une durée de 324 mois, au taux d'intérêt débiteur de 1,28 % l'an hors assurance.

Par plusieurs courriers de 2017 et 2018, la banque a alerté les emprunteurs sur le fonctionnement en position débitrice de leur compte de dépôt en euros et sur l'existence d'échéances impayées des contrats de prêts.

Par courriers recommandés du 20 octobre 2018, elle leur a adressé un préavis de clôture des deux comptes à vue sous 60 jours, soit le 20 décembre 2018.

Par courriel du 3 novembre 2018, les emprunteurs ont transmis à la banque leurs nouvelles coordonnées bancaires auprès de la société CIC Lyonnaise de banque.

Par un courrier recommandé du 4 janvier 2019, la banque a informé les emprunteurs qu'elle avait décidé de ne pas donner suite aux courriers de préavis de clôture de leurs comptes à 60 jours, ceux-ci étant donc toujours ouverts et devant être alimentés afin de régulariser les échéances impayées et d'honorer les échéances à venir.

De nouveaux courriers ont été échangés entre les parties courant 2019.

Notamment, par courriers recommandés du 20 juin 2019, la banque a informé les emprunteurs de ce qu'elle venait de procéder à leur inscription au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP).

Puis par courrier du 5 juillet 2019, elle s'est prévalue de l'exigibilité anticipée du prêt en devises, mettant en demeure les emprunteurs de lui rembourser dans les huit jours la somme de 529'141,48 euros.

Des échanges épistolaires ont ensuite eu lieu entre le conseil des emprunteurs et celui de la banque.

Parallèlement, la banque a fait procéder à des mesures d'exécution forcée afin d'obtenir le paiement de la somme due au titre du prêt en devises.

Reprochant à la banque d'avoir multiplié les incidents, d'avoir adopté à leur égard une attitude vexatoire et d'avoir fait preuve d'une déloyauté grave et manifeste en dénonçant leurs comptes, support du remboursement de leurs prêts, en leur demandant de faire le nécessaire pour une nouvelle domiciliation bancaire puis en refusant de prendre en compte cette nouvelle domiciliation pour affirmer que les prêts n'étaient plus remboursés, les emprunteurs l'ont assignée devant le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse en résolution des prêts immobiliers et en indemnisation de leur préjudice moral.

Par jugement du 3 février 2022, le tribunal :

- a débouté les emprunteurs de leurs demandes tendant à voir prononcer la résolution des deux prêts immobiliers d'un montant initial respectif de 277 225,62 euros et 540 095 CHF aux torts exclusifs de la banque et à voir condamner cette dernière à restituer l'ensemble des intérêts et frais perçus en vertu de ces contrats, ceux-ci devant venir en compensation avec la restitution du capital,

- les a déboutés de leur demande en paiement de dommages et intérêts,

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes des emprunteurs tendant à voir ordonner la mainlevée des mesures d'exécution forcée pratiquées à leur encontre à la demande de la banque en vertu de l'acte notarié exécutoire du 10 novembre 2016 contenant prêt bancaire d'un montant initial de 540 095 CHF, ainsi qu'à voir ordonner la radiation de leur inscription au FICP,

- a renvoyé les emprunteurs à mieux se pourvoir de ces deux chefs de demandes,

- les a condamnés à payer à la banque la somme de 505 374,26 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,28 % l'an à compter du 20 août 2019, au titre du prêt immobilier de 540 095 CHF,

- a ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,

- a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- a condamné les emprunteurs aux dépens de l'instance,

- a autorisé Maître [I] [G] à recouvrer directement les dépens dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile,

- a débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

- a rappelé que le jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.

Par déclaration du 10 février 2022, les emprunteurs ont relevé appel du jugement.

Par ordonnance du 2 février 2023, le conseiller de la mise en état a rejeté la demande de radiation de l'affaire formulée par la banque, retenant que le bien immobilier appartenant aux emprunteurs avait été vendu en vue de régler le montant des condamnations mises à leur charge et qu'ils versaient aux débats un avis d'opéré établi par la Caisse des dépôts et consignations confirmant l'inscription au débit de leur compte de la somme de 517'976,31 euros au profit de la banque.

Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 13 mars 2023, les emprunteurs demandent à la cour de :

- les accueillir en leur appel, régulier en la forme,

et sur le fond, y faisant droit,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement,

statuant à nouveau,

vu les articles 1104, 1224, 1227 et 1231-1 du code civil,

- débouter la banque de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- dire et juger que la banque a fait preuve de déloyauté dans l'exécution des prêts immobilier 0044 (540 095 CHF) et 757 (277 552,62 €),

- prononcer la résolution de ces contrats aux torts de la banque,

- condamner la banque à leur restituer l'ensemble des intérêts et frais perçus en vertu de ces contrats,

- condamner la banque à leur payer à chacun la somme de 50 000 au titre de leur préjudice moral,

- condamner la banque à donner mainlevée de l'ensemble des actes d'exécution sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard passé le délai de 8 jours après la signification de la décision à venir,

- ordonner la radiation du fichage FICP ou, si celle-ci est intervenue à la suite du règlement des sommes après la vente du domicile, la justification de cette demande de radiation,

en tout état de cause,

- condamner la banque à leur payer la somme de 20 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance et l'appel,

- condamner la banque en tous les dépens de première instance et d'appel avec application, au profit de Maître de Boysson, des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 7 juillet 2022, la banque demande à la cour de :

confirmant le jugement entrepris,

- débouter les emprunteurs de l'ensemble de leurs demandes,

reconventionnellement,

- condamner les emprunteurs à lui régler la somme de 505 374,26 euros avec intérêts de retard au taux contractuel de 1,28 % l'an, courant à compter du 20 août 2019, sous réserve d'actualisation,

- dire et juger que les intérêts seront capitalisés par année entière en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

- condamner les défendeurs à régler, chacun, la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les défendeurs aux entiers dépens dont la distraction interviendra au profit de Maître Jean-Claude Desseigne, en application de l'article 699 du CPC.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er juin 2023.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIVATION

1. Sur la résolution des contrats de prêt aux torts de la banque

Les emprunteurs sollicitent la résolution des prêts immobiliers souscrits en devises (prêt de 540 095 CHF) et en euros (prêt de 277 252,62 euros) aux torts de la banque, ainsi que la restitution des frais et intérêts perçus, lesquels viendront en compensation avec la restitution du capital. Ils font valoir essentiellement que la banque a fait preuve de négligences multiples et répétées entre 2015 et 2020, d'une attitude vexatoire à leur égard et d'une véritable déloyauté. Ils soutiennent que la gravité des manquements est caractérisée a minima par la multiplication des incidents, que l'ensemble des difficultés alléguées sont en lien avec la demande de résolution des prêts puisqu'elles se sont déroulées dans le cadre d'une même relation contractuelle, et qu'en considérant que la banque avait pu valablement renoncer à la clôture des comptes, le tribunal a fait preuve d'une particulière mansuétude à son égard et a manifesté que la banque pouvait se comporter de façon purement unilatérale et léonine.

La banque réplique essentiellement que :

- les explications présentées par les emprunteurs traduisent une relecture des faits ayant pour but de masquer l'inexécution délibérée de leurs engagements avec pour finalité une tentative de « forçage » des contrats de prêts mis en place ;

- les premiers impayés remontent au mois d'août 2018 et les emprunteurs ont tenté de les régulariser à chaque fois au moyen d'un prélèvement effectué sur un compte distinct de celui affecté au remboursement du prêt, puis par des versements en espèces en francs suisses, tout en refusant de prendre en charge les frais de change éventuels, créant ainsi artificiellement une difficulté et retardant le paiement des échéances ;

- la déchéance du terme et sa régularité ne sont pas contestées par les appelants ;

- les prétendus incidents et négligences répétés sont des faits anodins qui ne permettent pas d'établir la réunion des conditions d'application de l'article 1224 du code civil, exigeant la démonstration d'une inexécution suffisamment grave.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au prêt immobilier souscrit par les emprunteurs le 26 mai 2015, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Selon l'article 1184 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance précitée, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

En application de l'article 1217 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance précitée, applicable au prêt immobilier souscrit par les emprunteurs le 11 octobre 2016, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut, notamment, provoquer la résolution du contrat et demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Et selon, selon l'article 1224, dans sa rédaction issue de l'ordonnance précitée, la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

En l'espèce, à l'appui de leur demande de résolution des contrats de prêts, les emprunteurs soutiennent en premier lieu que la banque a fait preuve de négligences multiples et répétées entre 2015 et 2020 (en : ne libérant pas entièrement libéré le prêt immobilier en euros, percevant des remboursements sur des sommes non prêtées, égarant la première demande de prêt immobilier en francs suisses, élaborant un plan de financement manifestement inadapté puisqu'insuffisant pour la réalisation du projet, commettant une erreur de traitement d'un virement en francs suisses, réclamant plusieurs fois l'attestation notariée déjà fournie, les accusant à tort de fausses facturations, mettant en place une facilité de caisse non consentie, affectant abusivement un virement en francs suisses à un compte en euros, éditant tardivement une offre de prêt puis en la perdant, cherchant à décaisser les mêmes factures deux fois, exigeant illégalement le remboursement d'un prêt non affecté par un prêt affecté à des travaux, créant un impayé fictif en raison de la perception de frais imprévus, prétendant faussement qu'aucune suite n'avait été réservée à son courrier du 8 août 2019, créant un impayé pour 51 centimes, procédant à des opérations de rachat de francs suisses sur leurs comptes sans autorisation ni explication préalable ou postérieures, affirmant, par son conseil, que les courriers qu'elle envoie seraient « sans valeur juridique »).

Toutefois, c'est par des motifs détaillés et pertinents, justement déduits des faits de la cause et des pièces produites, que la cour adopte sans qu'il y ait lieu de les paraphraser, que les premiers juges, après avoir examiné et répondu à chacun des griefs soulevé, ont écarté ce premier moyen. En cause d'appel, les appelants ne font valoir aucun élément de fait ou de droit de nature à remettre en cause la décision rendue par le tribunal.

Pour confirmer l'appréciation des premiers juges, la cour ajoute seulement, s'agissant des quelques négligences établies, que, contrairement à ce que soutiennent les emprunteurs, la gravité du manquement d'une banque à ses obligations contractuelles, susceptible de justifier le prononcé de la résolution d'un contrat de prêt, ne saurait résulter de l'accumulation de difficultés insignifiantes.

Les emprunteurs soutiennent en deuxième lieu que la banque a fait preuve d'une attitude vexatoire à leur égard en prélevant des frais lors des virements en francs suisses provenant du compte ouvert dans leur nouvel établissement bancaire, contrairement à ce que leur avait indiqué l'ancien directeur de l'agence de la banque, et en imposant ensuite des conditions excessives pour les dissuader d'alimenter le compte en francs suisses par des règlements en espèces, les obligeant à supporter les frais de prélèvement.

Sur ce moyen, ainsi que l'a justement retenu le tribunal, force est de constater, d'une part, que les emprunteurs ne rapportent pas la preuve qu'ils avaient été dispensés par la banque du paiement d'éventuels frais de virements, d'autre part, qu'ils n'établissent pas avoir été l'objet d'un traitement défavorable par rapport aux autres clients de la banque se trouvant dans une situation similaire, enfin, que les conditions imposées par la banque aux règlements en espèces des échéances du prêt en devises ne sauraient constituer une quelconque inexécution grave par cette dernière de ses obligations.

En troisième lieu, les emprunteurs reprochent à la banque d'avoir fait preuve d'une véritable déloyauté en ordonnant, le 8 octobre 2018, la clôture de leurs comptes sous préavis de 60 jours, puis en refusant d'appliquer cette fermeture et en leur imposant le maintien de ces comptes alors qu'ils avaient pris leurs dispositions pour une nouvelle domiciliation bancaire, refusant de prendre en compte cette nouvelle domiciliation qu'elle avait pourtant sollicitée et créant ainsi fictivement leur défaillance.

Il ressort des pièces versées aux débats que :

- par courriers recommandés du 20 octobre 2018, la banque a adressé aux emprunteurs un préavis de clôture des deux comptes à vue, leur précisant, pour chacun des comptes, que la « relation de compte prendra fin dans 60 jours, soit le 20/12/2018, date à laquelle [leur] compte [...] sera clôturé » et les invitant à « bien vouloir prendre toutes dispositions pour que [leur] compte soit effectivement soldé à cette date » et « à veiller au changement de [leurs] domiciliations en temps utile »,

- par un courriel du 3 novembre 2018, les emprunteurs ont transmis à la banque leurs nouvelles coordonnées bancaires auprès de la société CIC Lyonnaise de banque, « afin de régulariser et continuer à prélever les échéances de [leurs] prêts en cours »,

- le 10 novembre 2018, le directeur d'agence de la banque leur a adressé un courriel en réponse rédigé ainsi qu'il suit : « Comme nous vous l'avons déjà indiqué lors de nos précédents échanges, vos échéances de prêts doivent être prélevées sur un compte SG, en EUR pour le prêt en EUR, en CHF pour le prêt en CHF. Il ne s'agit pas d'un refus ou d'une incapacité, mais du respect des conditions générales et particulières du prêt que vous avez signées et acceptées. La clôture des comptes à 60 jours interviendra dans le cas où vous ne régularisez par vos échéances impayées, pour lesquelles vous avez reçu les injonctions par courriers recommandés, sans aucune réaction de votre part. Si cette clôture intervenait, votre interlocuteur deviendra notre service contentieux, qui prendra alors les mesures nécessaires au recouvrement de la créance. Votre dossier ne serait alors plus géré en agence »,

- par un mail du 13 novembre 2018, les emprunteurs ont répliqué n'avoir « jamais contesté les conditions générales et particulières du prêt CHF, à savoir que les prélèvements se fassent sur un compte CHF SG, mais l'impossibilité d'alimenter ce compte CHF comme bon [leur] semble dans le respect des lois et des règles qui encadrent le fonctionnement d'un compte courant » et rappelé avoir effectué le changement de leur domiciliation bancaire en temps utile, s'interrogeant sur les motifs conduisant la banque à revenir sur « l'obligation de prélèvements des échéances du prêt sur un compte SG [qu'elle] même ne souhaite[...] plus maintenir »,

- par un mail du 30 novembre 2018, le directeur d'agence leur a confirmé la position de la banque, énonçant que « les conditions générales et particulières de [leurs] prêts ne permettent pas les prélèvements d'échéances sur un compte autre que Société Générale » et que leurs « échéances se présentent donc toujours sur [leurs] comptes Société Générale, qui doivent être alimentés en conséquence »,

- enfin, par un courrier recommandé du 4 janvier 2019 intitulé « maintien relation suite régularisation partielle échéances impayées », la banque a informé les emprunteurs que « le virement de 1922.65 CHF crédité le 05/12/2018 sur [leur] compte [de dépôt en francs suisses] a permis de régulariser partiellement les échéances impayées du prêt [en devises] », qu'elle considérait ce revirement comme une volonté de leur part de régulariser la situation et avait « décidé de ne pas donner suite aux courriers de préavis de clôture de comptes à 60 jours », ceux-ci étant donc toujours ouverts et devant être alimentés afin de régulariser les échéances impayées et d'honorer les échéances à venir, leur précisant que « si cette situation devait se reproduire (trois échéances impayées sur le même prêt), [elle serait] dans l'obligation de relancer le processus de clôture de compte (avec un préavis de 60 jours), sans pouvoir y déroger une nouvelle fois »,

- par un courriel du 8 janvier 2019, les emprunteurs ont considéré que leurs comptes et contrats auprès de la banque étaient clôturés depuis le 20 décembre 2018 et rappelé qu'ils restaient « dans l'attente des nouveaux mandats de prélèvements SEPA avec [leurs] coordonnées bancaires du CIC déjà transmis ».

Les emprunteurs ne reprochent pas à la banque d'avoir dénoncé les comptes de dépôt - cette dénonciation ayant d'ailleurs été faite dans les conditions de forme et de délais énoncées à l'article L. 312-1-1 du code monétaire et financier -, mais d'être revenue sur la résiliation annoncée alors qu'ils avaient pris leurs dispositions pour transférer leur domiciliation bancaire.

S'il est exact que les courriers de préavis de clôture des comptes ne mentionnaient aucune condition à celle-ci et que les emprunteurs avaient effectivement ouvert deux comptes dans un autre établissement bancaire et communiqué à la banque les relevés d'identité bancaire de ces comptes afin qu'elle procède au prélèvement des échéances des prêts sur ceux-ci, les appelants ne sont pas fondés à soutenir que la décision de la banque de ne pas donner suite à la clôture annoncée et le refus de celle-ci de prélever les échéances des prêts sur des comptes externes seraient constitutifs d'une inexécution contractuelle suffisamment grave pour justifier la résolution judiciaire des contrats de prêts, alors, d'une part, qu'ils n'ignoraient pas les clauses de domiciliation bancaire figurant dans les contrats de prêt, qui leur avaient été rappelées à plusieurs reprises par la banque, d'autre part, qu'ils avaient été informés par le mail du directeur d'agence du 10 novembre 2018 que la clôture des comptes à 60 jours n'interviendrait que dans le cas où les échéances impayées ne seraient pas régularisées, enfin, qu'ils ne justifient ni d'une clôture effective de leurs comptes supports des prêts immobiliers ni d'une quelconque impossibilité d'alimenter lesdits compte, ainsi que l'ont retenu à juste titre les premiers juges, l'absence d'alimentation des comptes résultant exclusivement de leur refus de procéder par virements depuis leur compte externe en francs suisses afin d'éviter des frais.

Encore, force est de constater que si la banque a effectivement prononcé la clôture à venir des comptes des emprunteurs avant de revenir sur cette décision, elle n'a, en revanche, jamais entendu permettre aux emprunteurs de déroger aux clauses des contrats imposant le prélèvement des échéances sur des comptes ouverts dans ses livres.

Au vu de ce qui précède, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que les emprunteurs ne caractérisent aucune exécution grave par la banque de ses obligations contractuelles et les a déboutés de leur demande tendant à voir prononcer la résolution des deux prêts immobiliers et, par suite, de leur demande subséquente en restitution de l'ensemble des intérêts et frais perçus en vertu de ces contrats, devant venir en compensation avec la restitution du capital.

2. Sur la demande de dommages-intérêts

Compte tenu de ce qui vient d'être jugé, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les emprunteurs de leur demande de dommages-intérêts pour préjudice moral.

3. Sur les demandes reconventionnelles de la banque

Compte tenu de la déchéance du terme, la banque sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné les emprunteurs à lui régler la somme de 505 374,26 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,28 % l'an à compter du 20 août 2019, au titre du prêt immobilier de 540 095 CHF, avec capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil.

Les emprunteurs sollicitent le rejet de la demande, faisant valoir que :
- la banque a renoncé à la déchéance du terme par ses propres écritures ;
- la demande de condamnation doit être rejetée en raison de la résolution des contrats, de l'absence d'exigibilité anticipée et du caractère abusif des frais et intérêts de retard ;
- par ailleurs, les sommes demandées ont déjà été payées.

Réponse de la cour

Le contrat de prêt d'une somme d'argent peut prévoir que la défaillance de l'emprunteur non commerçant entraînera la déchéance du terme, mais celle-ci ne peut, sauf disposition expresse et non équivoque, être déclarée acquise au créancier, sans la délivrance d'une mise en demeure préalable restée sans effet, précisant le délai dont dispose le débiteur pour régulariser sa situation et donc y faire obstacle. La déchéance du terme est acquise à l'expiration de ce délai sans obligation pour la banque de procéder à sa notification.

Par des motifs pertinents que la cour adopte, le tribunal a retenu, d'une part, que la banque a, par lettre recommandée du 19 juin 201, mis en demeure les emprunteurs d'avoir à régulariser, dans un délai de huit jours à compter de la réception du courrier, les échéances impayées du prêt en francs suisses, d'autre part, que les emprunteurs ne justifient pas avoir régularisé les échéances impayées dans le délai de huit jours, malgré l'avertissement qu'à défaut de paiement l'exigibilité du prêt serait prononcée, de sorte que celle-ci est bien acquise.

Il a encore justement écarté le moyen soulevé par les emprunteurs, tiré de la renonciation de la banque à la déchéance du terme, retenant que le courrier électronique qu'ils invoquent au soutien de leurs allégations (leur pièce n° 93) vise deux prêts autres que le prêt immobilier de 540'095 CHF, objet de la demande en paiement.

Enfin, il a rejeté à juste titre les moyens tirés de la résolution judiciaire des contrats, laquelle a été rejetée, et de l'absence d'exigibilité anticipée, cette dernière résultant de la déchéance du terme.

Selon l'article L. 313-51 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au prêt litigieux, lorsque le prêteur est amené à demander la résolution du contrat, il peut exiger le remboursement immédiat du capital restant dû, ainsi que le paiement des intérêts échus. Jusqu'à la date du règlement effectif, les sommes restant dues produisent des intérêts de retard à un taux égal à celui du prêt. En outre, le prêteur peut demander à l'emprunteur défaillant une indemnité qui, sans préjudice de l'application de l'article 1231-5 du code civil, ne peut excéder un montant qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat, est fixé suivant un barème déterminé par décret.

Et selon l'article L. 313-52, alinéa 1er, du même code, aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés à l'article L. 313-51 ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur dans les cas de défaillance prévus par les dispositions de cet article.

En application de ces dispositions, le tribunal a justement condamné les emprunteurs à payer à la banque la somme de 505 374,26 euros avec intérêts au taux contractuel de 1,28 % l'an à compter du 20 août 2019. Le jugement est confirmé sur ce point.

En revanche, l'article L. 313-52 précité faisant acte à l'application de la capitalisation des intérêts prévus par l'article 1343-2 du code civil, il convient d'infirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts et de débouter la banque de ce chef de demande.

4. Sur les demandes de mainlevée des mesures d'exécution et de radiation du fichier national des incidents de remboursement des crédits

Les emprunteurs sollicitent la condamnation de la banque à donner mainlevée des mesures d'exécution et la radiation du fichier national des incidents de remboursement des crédits (FICP). Ils font valoir que :

- la juridiction de première instance est déclarée incompétente mais ils sollicitent que ces demandes soient tranchées par évocation ;
- la banque a fait procéder à plusieurs mesures d'exécution à leur encontre ;
- l'inscription au FICP est abusive dès lors que les sommes dues ont toujours été réglées après chaque mise en demeure ; par ailleurs, l'exigence d'une preuve de règlement pour la radiation du FICP ne vaut que pour une inscription irrégulière.

La banque réplique que :
- la demande de mainlevée des mesures d'exécution relève du juge de l'exécution et les actes d'exécution concernés ont perdu toute actualité, datant de 2019 ;
- le « défichage » du FICP nécessite la preuve du remboursement de la créance ; or, il reste des sommes dues non contestées par les emprunteurs.

Réponse de la banque

La cour ayant confirmé le jugement en ce qu'il a condamné les emprunteurs à payer à la banque la somme de 505 374,26 euros au titre du solde du prêt immobilier en francs suisses, il y a lieu, évoquant ces demandes et ajoutant au jugement, de débouter les appelants de leurs demandes de condamnation de la banque à donner mainlevée des mesures d'exécution.

Par ailleurs, en l'absence de preuve du remboursement intégral de la somme susvisée augmentée des intérêts dus, la cour ne peut que débouter les emprunteurs de leur demande de radiation du FICP.

5. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

En cause d'appel, les emprunteurs, partie perdante, sont condamnés aux dépens et à payer à la banque la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

Déboute la Société générale de sa demande de capitalisation des intérêts,

Déboute M. [Z] [K] et Mme [B] [C] épouse [Z] [K] de leur demande de condamnation de la Société générale à donner mainlevée des mesures d'exécution et de leur demande de radiation du FICP,

Condamne M. [Z] [K] et Mme [B] [C] épouse [Z] [K] à payer à la Société générale la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [Z] [K] et Mme [B] [C] épouse [Z] [K] aux dépens d'appel,

Fait application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au profit des avocats qui en ont fait la demande.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile b
Numéro d'arrêt : 22/01212
Date de la décision : 18/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 24/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-18;22.01212 ?
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