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11/06/2024 | FRANCE | N°23/04514

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 11 juin 2024, 23/04514


N° RG 23/04514 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PAH5









Décisions :



Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE

Au fond

du 07 novembre 2016

RG : 13/00649



Cour d'Appel de GRENOBLE

Au fond du 20 novembre 2018

RG 16/5468



Cour de Cassation

Civ1 du 13 avril 2023

Pourvoi N19-10.253

Arrêt 283 F-D







[W]

[V]



C/



S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD)





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 11 Juin 2024



statuant sur renvoi après cassation







APPELANTS :



M. [D] [W]

né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 8] (38)

[Adresse 10...

N° RG 23/04514 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PAH5

Décisions :

Tribunal de Grande Instance de GRENOBLE

Au fond

du 07 novembre 2016

RG : 13/00649

Cour d'Appel de GRENOBLE

Au fond du 20 novembre 2018

RG 16/5468

Cour de Cassation

Civ1 du 13 avril 2023

Pourvoi N19-10.253

Arrêt 283 F-D

[W]

[V]

C/

S.A. CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD)

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 11 Juin 2024

statuant sur renvoi après cassation

APPELANTS :

M. [D] [W]

né le [Date naissance 3] 1959 à [Localité 8] (38)

[Adresse 10]

[Localité 4]

Mme [E] [V] épouse [W]

née le [Date naissance 1] 1969 à [Localité 6] (38)

[Adresse 10]

[Localité 4]

Représentés par Me Géraldine DUSSERRE-ALLUIS, avocat au barreau de LYON, toque : 955

ayant pour avocat plaidant Me Valérie GABARRA de la SELARL GABARRA GUIEU PRUD'HOMME - AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE, toque : B83

INTIMEE :

Le CREDIT IMMOBILIER DE FRANCE DEVELOPPEMENT (CIFD) venant aux droits de la société BANQUE PATRIMOINE IMMOBILIER (BPI)

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Alban POUSSET-BOUGERE de la SELARL CVS, avocat au barreau de LYON, toque : 215

ayant pour avocat plaidant Me Jean-François PUGET de la SELARL C.V.S. - CORNET VINCENT SEGUREL, avocat au barreau de PARIS, toque : P 98

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 26 Février 2024

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 Mars 2024

Date de mise à disposition : 11 Juin 2024

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Stéphanie LEMOINE, conseiller

- Bénédicte LECHARNY, conseiller

assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier

A l'audience, un des membres de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Le 11 janvier 2006, les époux [D] [W] et [E] [V] ont signé en qualité de réservataires un contrat préliminaire de vente en l'état futur d'achèvement portant sur un appartement T3 à [Localité 7] (31) au prix de 218.620 €.

Le 6 février 2006, ils ont accepté l'offre de prêt de la Banque patrimoine et immobilier (la banque) pour le montant de 218.620 €.

En raison d'échéances impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme du prêt.

Par exploit d'huissier de justice du 26 mai 2010, elle a assigné les époux [W] devant le tribunal de grande instance de Grenoble pour obtenir leur condamnation à lui payer la somme de 226.818,12 €, outre intérêts contractuels. Elle sollicitait également l'allocation de dommages-intérêts à hauteur de 40.000 €.

Par jugement du 7 novembre 2016, le tribunal de grande instance de Grenoble a rejeté la demande de sursis à statuer formée par les époux [W], dit la demande de la Banque patrimoine et immobilier recevable, débouté les époux [W] de leur demande de déchéance du droit aux intérêts et les a condamnés à payer à la Banque patrimoine et immobilier la somme de 226.818,12 € outre intérêts au taux contractuel de 3,5 %.

Le tribunal a déclaré irrecevable l'exception de litispendance et débouté les époux [W] et la banque patrimoine et immobilier de leurs demandes de dommages-intérêts.

Par déclaration du 22 novembre 2016, les époux [W] ont interjeté appel.

Par un arrêt du 20 novembre 2018, la cour d'appel de Grenoble a :

- confirmé le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer formée par les époux [W],

- y ajoutant, déclaré recevable la demande du Crédit immobilier de France développement venant aux droits de la banque patrimoine et immobilier,

- infirmé le jugement sur le surplus et statuant à nouveau,

- condamné les époux [W] à payer au Crédit immobilier de France développement venant aux droits de la banque patrimoine et immobilier la somme de 207.506,06 €, outre intérêts au taux légal à compter du 4 février 2010,

- dit que les intérêts se capitaliseront dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,

- débouté le Crédit immobilier de France développement de sa demande en paiement de la somme de 35.827 € au titre de la TVA versée par le trésor public aux époux [W],

- condamné le Crédit immobilier de France développement à payer aux époux [W] la somme de 210.000 € à titre de dommages-intérêts,

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que chacune des parties conservera la charge des dépens qu'elle a exposés.

La société Crédit immobilier de France développement a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Par un arrêt du 13 avril 2023 (1re Civ., 13 avril 2023, pourvoi n° 19-10.253), la Cour de cassation a :
- cassé et annulé, sauf en ce qu'il confirme le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de sursis à statuer formée par les époux [W] et y ajoutant, déclare recevable la demande du Crédit immobilier de France développement venant aux droits de la Banque patrimoine immobilier, et débouté le Crédit immobilier de France développement de sa demande en paiement de la somme de 35 827 € au titre de la TVA versée par le Trésor public aux époux [W], l'arrêt rendu le 20 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble,
- remis, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon,
- condamné M et Mme [W] aux dépens,
- en application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.

La Cour de cassation a retenu, au visa de l'article L. 312-3 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, que « pour prononcer la déchéance du droit de la banque aux intérêts conventionnels en application des articles L. 312-10 et L. 312-33 du code de la consommation, l'arrêt retient que l'immatriculation de [D] [W] au registre du commerce et des sociétés a été faite le 28 avril 2006, soit postérieurement à l'acceptation de l'offre de prêt le 6 février 2006. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les emprunteurs, qui avaient contracté dix emprunts auprès de différents établissements de crédit afin d'acquérir des logements destinés à la location meublée, n'avaient pas souscrit l'emprunt litigieux pour financer une activité professionnelle, peu important que l'immatriculation de l'un d'eux au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur en meublé professionnel ait été postérieure de deux mois à l'acceptation de l'offre de prêt, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision. »

Par déclaration de saisine du 31 mai 2023, les époux [W] ont saisi la cour d'appel de Lyon.

Aux termes de leurs dernières conclusions, notifiées le 23 février 2024, les époux [W] demandent à la cour de :

- juger les consorts [W] recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et conclusions,

à titre principal,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Grenoble le 07 novembre 2016,

- débouter le CIFD BPI de son exception de litispendance et la juger irrecevable,

- juger que les consorts [W] sont des consommateurs,

- juger en tout état de cause que les parties ont volontairement soumis le contrat de prêt aux dispositions du code de la consommation,

- juger que la violation manifeste du délai Scrivener est ici caractérisée,

- juger que les dispositions de la loi Scrivener, et des dispositions légales impératives touchant à la détermination du TEG ont ici été violées,

à ces différents visas :

- prononcer la déchéance du droit aux intérêts des emprunts consentis par le CIFD BPI à M et Mme [W], au visa des dispositions de la loi Scrivener, comme encore eu égard à l'existence d'un TEG erroné au contrat de prêt,

- subsidiairement, juger que le taux légal devra être appliqué à la dette des concluants à l'égard de la CIFD BPI,

- plus subsidiairement, juger que le taux d'intérêts applicable est un taux d'intérêts variable,

- juger que le montant de l'indemnité contractuelle doit être ramené à l'euro symbolique,

en tout état de cause :

- condamner le CIFD BPI à payer à M et Mme [W] une somme de 216.500 € à titre de dommages et intérêts pour les causes sus-énoncées,

- débouter le CIFD BPI de sa demande de dommages et intérêts,

- débouter purement et simplement le CIFD BPI de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions contraires ou complémentaires,

- condamner encore la BPI à verser aux consorts [W] une somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

- condamner enfin la BPI aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées le 23 février 2024, la banque demande à la cour de :

- confirmer le jugement du TGI de Grenoble du 7 novembre 2016 (RG n°13/00649) en ce qu'il a :

- rejeté la demande d'ordonner la demande de communication de pièces du dossier pénal,

- dit n'y avoir lieu à solliciter l'autorisation du ministère public aux fins d'obtenir la communication de pièces du dossier pénal,

- débouté M et Mme [W] de leur demande de déchéance du droit aux intérêts au taux conventionnel et de leurs demandes accessoires,

- condamné M et Mme [W] à payer à Crédit immobilier de France développement la somme de 226.818,12 €, outre intérêts au taux contractuel de 3,50 % à compter du 4 février 2010,

- débouté M et Mme [W] de leurs demandes en dommages-intérêts,

- condamné Mr et Mme [W] aux dépens,

- infirmer le jugement du TGI de Grenoble du 7 novembre 2016 en ce qu'il a :

- débouté le Crédit immobilier de France développement de sa demande de dommages-intérêts,

- dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

- ordonner la capitalisation des intérêts légaux par application de l'article 1154 du code civil,

- condamner M et Mme [W] à verser à la société Crédit immobilier de France développement la somme de 21.800 € à titre de dommages-intérêts,

- débouter M et Mme [W] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- condamner M et Mme [W] à payer à la concluante la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M et Mme [W] aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 26 février 2024.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DECISION

1. Sur l'application du code de la consommation

M et Mme [W] sollicitent que leur qualité de consommateur soit reconnue. Ils font notamment valoir que :

- l'article liminaire du code de la consommation issu de l'ordonnance du 16 mars 2016 reprenant la jurisprudence antérieure définit le consommateur comme « toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole », -ils sont respectivement médecin et infirmière et n'auraient pas pu vivre des revenus locatifs qu'ils auraient pu tirer de cette opération, ils cherchaient à s'assurer un complément de retraite et non à se reconvertir professionnellement,
- leur inscription au RCS qui n'est pas gage de commercialité, n'est qu'un référencement fiscal, afin de déterminer les avantages applicables en fonction des revenus locatifs annuels,
- cette inscription est postérieure à la souscription du prêt litigieux, or la qualité de consommateur s'apprécie au jour de la rencontre des volontés,
- le nombre de prêts qu'ils ont souscrit est indifférent à leur qualité de consommateur, d'autant qu'ils ignoraient l'ampleur de l'opération montée par Apollonia,
- l'offre de prêt se réfère au code de la consommation et y a été soumise, - la banque avait conscience de financer un bien destiné à la location or l'offre portant sur un bien de pure habitation est soumise au code de la consommation, - en vertu des articles 1161 et 1162 anciens du code civil, il n'est pas possible d'écarter uniquement les clauses se référant au code de la consommation qui ont été rédigées par la banque elle-même,

La banque fait valoir en réplique que :
- les époux [W] n'ont pas souscrit un seul emprunt, mais 10 prêts pour un montant total de près de 2.050.000 d' euros, afin d'acquérir des biens immobiliers destinés à la location et ils sont inscrits au registre du commerce et des sociétés comme loueur en meublé professionnel,
- il y a lieu de les considérer comme des emprunteurs avertis agissant en qualité de professionnels, - lorsque la banque est tenue dans l'ignorance de l'intégralité des opérations de défiscalisation projetées, du statut de loueur professionnel adopté par les emprunteurs, la simple mention pré imprimée visant les dispositions du code de la consommation sur les prêts et dans les conditions générales ne caractérise pas une soumission volontaire de la banque aux dispositions de ce code.

Réponse de la cour

Les dispositions du code de la consommation ne s'appliquent pas aux emprunteurs qui, bien qu'exerçant une activité professionnelle principale, exercent à titre accessoire de manière habituelle celle de loueur en meublé professionnel dans le cadre d'une inscription au registre du commerce et des sociétés et que, lorsque le prêt a été souscrit pour financer l'acquisition de lots destinés à la location, il constitue un prêt destiné à financer cette activité professionnelle accessoire.

S'il n'est pas interdit aux parties de soumettre volontairement l'opération qu'elles concluent aux dispositions du code de la consommation relatives au prêt immobilier même si ladite opération n'entre pas dans leur champ d'application, il est alors nécessaire que soit caractérisée l'acceptation par la banque prêteuse de soumettre volontairement le contrat aux dispositions du code de la consommation de manière non équivoque.

A ce titre, la référence dans l'acte de prêt aux dispositions du code de la consommation est insuffisante.

En l'espèce, il résulte de la fiche de renseignement bancaire que M et Mme [W] ont déclaré à la banque solliciter le crédit dans le cadre d'une activité de loueur meublé non professionnel (LMNP).

Or, ils ont souscrit dans le même laps de temps que le prêt en question dix crédits aux fins de financer des investissements dans des résidences para hôtelières, similaires au prêt en litige destiné à financer un lot en VEFA en vue de sa location.

Il est également établi que M. [W] est inscrit comme loueur en meublé professionnel au RCS de Grenoble, l'extrait Kbis versé au dossier mentionnant comme date de commencement d'activité le 10 avril 2006.

Si le crédit mentionne les dispositions du code de la consommation, il ressort de la fiche de renseignements bancaires que la banque était alors dans l'ignorance de l'inscription, projetée et imminente de M. [W] au RCS en qualité de loueur de meublés professionnel et dans l'ignorance des autres crédits souscrits concomitamment finançant à 100% l'acquisition d'appartements en vue de leur location pour un montant total de 2 046 569 euros, ainsi que les appelants le reconnaissent dans leurs conclusions.

Ainsi, la situation de M et Mme [W] renvoie à une opération de prêts conclus à des fins professionnelles, les emprunteurs ne s'étant pas limités à la seule acquisition du lot financé par la banque mais entendant louer plusieurs biens, finançant par là même une activité professionnelle accessoire, étant précisé que Mme [W] est en l'espèce co-emprunteur du prêt dont l'objet professionnel l'emporte puisqu'il était destiné à financer l'activité accessoire de son mari.

En l'état de la méconnaissance par la banque de l'ensemble des acquisitions immobilières similaires réalisées concomitamment auprès d'établissements financiers différents, la mention dans les offres de prêt de dispositions du code de la consommation est donc insuffisante à démontrer une volonté non-équivoque de celle-ci de se soumettre au code de la consommation.

En conséquence, il convient de débouter M et Mme [W] de leur demande tendant à voir prononcer la déchéance du droit aux intérêts de la banque, fondée sur les dispositions du code de la consommation.

Le jugement est donc confirmé de ce chef par substitution de motifs.

2. Sur le devoir de mise en garde

M et Mme [W] sollicitent la condamnation de la banque à leur verser la somme 216.500 € à titre de dommages et intérêts, faisant valoir que :
- les investissement défiscalisant sont des opérations à risque et en leurs qualités de médecin et infirmière, ils sont des profanes, la banque était débitrice d'une obligation de conseil et de mise en garde à leur égard,
- la banque ne les a jamais rencontrés ni n'est entrée en contact avec eux, elle a placé Apollonia un intermédiaire non agréé et sans aucun contrôle, entre eux en violation de l'article L519-2 du code monétaire et financier et du règlement CRBF,
- elle n'a pas vérifié et analysé les documents relatifs à leur capacité financière qui lui aurait permis de relever certaines anomalies apparentes : la fiche de renseignements préalable n'est pas signée à son dépôt et datée de janvier 2005, soit un an avant l'émission de l'offre de prêt du 23 janvier 2006, le document de demande de prêt n'est pas signé, pas daté, et ne mentionne ni leurs revenus ni leurs charges alors qu'ils avaient fait un emprunt et avaient 3 enfants à charge, ce qui ressortait de leur avis d'imposition et de l'acte de demande de prêt,
- du fait du manquement de la banque à son obligation de conseil et de mise en garde, ils ont subi un préjudice certain de perte de chance de ne pas contracter le contrat litigieux.

La banque fait valoir en réplique que :
- aucun contact direct entre elle et l'emprunteur n'est imposé au moment de la conclusion du contrat,

- il y a eu une rencontre de la volonté des parties qui est matérialisée par la transmission par les époux [W] à la banque des informations et justificatifs dans le cadre de l'examen de la demande de prêt, la réception à leur domicile de l'offre de prêt transmise par la banque, qu'ils ont ensuite renvoyé signée de leurs mains,
- en présence d'un emprunteur averti, elle n'est pas tenue d'un devoir de mise en garde, - à l'époque de la conclusion du contrat litigieux, ils avaient déjà signé ce type de contrat de prêt pour acquérir leur résidence principale et un bien locatif à [Localité 9],

- M [W] est inscrit au RCS en qualité de loueur en meublé professionnel, ils ont procédé aux remboursements des échéances pendant des années (3 ans),
- les emprunteurs n'ont pas informé la banque des nombreux prêts qu'ils avaient déjà contractés et de ceux qu'ils projetaient de contracter, l'empêchant d'exercer pleinement son examen du risque d'endettement,
- subsidiairement si la cour considérait les époux [W] comme des emprunteurs profanes, la banque n'a pas manqué à son devoir de conseil et de mise en garde, se fiant aux informations fournies par les emprunteurs et transmises par Apollonia, leur intermédiaire, qu'elle n'était pas dans l'obligation de remettre en question,

- elle disposait de leurs charges et revenus mensuels et le prêt proposé n'était pas disproportionné compte tenu de leur capacité financière,
- ils n'ont subi aucun préjudice,
- le comportement des époux [W] démontre qu'ils ont agi de manière téméraire en concluant de nombreux contrats de prêt sans en informer les différentes banques avec lesquels ils contractaient,

-rien ne démontre qu'une mise en garde de sa part les aurait dissuadés de contracter ce prêt, la chance perdue de ne pas contracter étant extrêmement faible,
- la demande est excessive puisqu'elle est supérieure à la somme qu'elle réclame, alors qu'ils ont enrichi leur patrimoine par l'acquisition d'un bien immobilier grâce aux fonds prêtés et les revenus locatif qu'ils ont perçus durant 16 ans.

Réponse de la cour

L'exception de litispendance soulevée par la banque au motif que M et Mme [W] l'auraient préalablement assignée devant une autre juridiction - qui n'est pas précisée- n'est justifiée par aucun document, de sorte qu'elle doit être écartée, étant au surplus relevé que si la juridiction en question est le tribunal de grande instance de Marseille, comme il était déjà invoqué devant la cour d'appel de Grenoble, cette exception n'aurait pu prospérer que devant la juridiction de degré inférieur, en application de l'article 102 du code de procédure civile.

Sur le fond, il y a lieu de rappeler que la banque est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard de l'emprunteur non averti dès lors que le crédit consenti risque d'entraîner un endettement excessif au regard de ses capacités financières.

Pour apprécier la qualité de personne avertie ou non, il convient de tenir compte des capacités de l'emprunteur à mesurer le risque pris en fonction de ses capacités intellectuelles, de son expérience dans le secteur considéré, de son habitude des affaires, de sa profession, de la complexité plus ou moins grande de l'opération.

En l'espèce, ainsi qu'il a été précédemment énoncé, les emprunteurs exercent respectivement les professions de médecin et d'infirmière et l'emprunt en cause ne présentait pas de complexité particulière s'agissant du financement d'un immeuble d'habitation en vue de sa location.

A l'époque de la souscription du prêt en litige, il n' est pas contesté que M et Mme [W] étaient propriétaires de leur résidence principale, ainsi que d'un appartement en location à [Localité 9], de sorte qu'il ne s'agissait pas d'une première expérience en la matière et ils connaissaient les conséquences de leurs engagements.

Par ailleurs, un an avant la souscription du prêt en litige, en 2005, M et Mme [W] avaient, ainsi qu'il résulte de leurs conclusions, déjà souscrit d'autres prêts similaires, auprès de la BNP et la CAMEFI, en vue de défiscaliser et optimiser leur patrimoine.

Il ressort de l'ensemble de ces éléments que les appelants avaient acquis la compétence et l'expérience du financement de logements locatifs et plus largement du crédit immobilier au moment de la souscription du crédit.

En conséquence, M et Mme [W] sont des emprunteurs avertis et à ce titre, ils ne peuvent se prévaloir d'une violation du devoir de mise en garde par la banque.

Le jugement les ayant déboutés de leur demande indemnitaire est donc confirmé.

3. Sur les demandes en paiement de la banque

La banque demande la condamnation de M et Mme [W] à lui verser la somme de 226 818,12 €, outre intérêts au taux de 3,50% à compter du 4 février 2010 au titre du solde du prêt, ainsi que la capitalisation des intérêts.

Elle sollicite également la somme de 21.800€ à titre de dommages et intérêts. Elle fait notamment valoir qu'en lui dissimulant leur état d'endettement réel au moment de la souscription du prêt, les emprunteurs l'ont privée d'une chance de ne pas contracter lui causant un préjudice certain et important.

M et Mme [W] sollicitent que le taux d'intérêt applicable soit le taux légal et non le taux conventionnel demandé. Ils font notamment valoir que le taux mentionné dans l'offre est un taux variable, dont ils demandent l'application à titre subsidiaire. Ils ajoutent que la capitalisation est prohibée par les articles L312-23, L321-21, L321-22 anciens du code de la consommation.

Ils demandent une réduction de l'indemnité contractuelle à l'euro symbolique et s'opposent à la demande indemnitaire de la banque.

Réponse de la cour

A défaut pour la banque d'avoir repris dans le dispositif de ses conclusions le montant actualisé de sa créance dont elle réclame le paiement dans le coeur de ses conclusions, la cour n'est saisie au titre du solde du prêt, que de sa demande de confirmation du jugement, en ce qu'il a condamné M et Mme [W] à lui payer la somme de 226 818, 12 €, outre intérêts au taux de 3,50% à compter du 4 février 2010.

M et Mme [W] n'émettant aucune contestation sur le montant du capital restant dû et des échéances impayées réclamées par la banque pour la période antérieure à l'année 2010, dont le détail figure sur le décompte de créance produit arrêté au 4 février 2010, il convient de faire droit à sa demande, étant précisé qu'elle a ramené l'indemnité contractuelle à la somme de 100 euros, de sorte qu'elle n'est pas manifestement excessive et n'a donc pas lieu d'être réduite.

Ainsi, au titre du solde du crédit, il convient de condamner M et Mme [W] à payer à la banque la somme de 3 915 euros au titre des échéances impayées, outre 203 491,06 euros au titre du capital restant dû au 15 janvier 2010 et la somme de 100 euros au titre de l'indemnité contractuelle, soit la somme totale de 207 506,06 euros.

Les intérêts demandés ne sont pas retenus à défaut d'avoir été calculés sur le taux variable prévu au contrat.

Ainsi, il y a lieu de prévoir que la somme de 207 506,06 euros porte intérêts à compter du 4 février 2010, au taux variable prévu au contrat de prêt accepté le 6 février 2006, obtenu en majorant de 1, 550 point la dernière moyenne mensuelle de l'EURIBOR 3 mois, auquel les parties doivent se reporter.

Le jugement est donc infirmé de ce chef.

Il convient d'ordonner la capitalisation des intérêts dus pour une année entière, les dispositions du code de la consommation invoquées par M et Mme [W] ne leur étant pas applicables.

En revanche, il convient de débouter la banque de sa demande indemnitaire à défaut de rapporter la preuve qu'à la date de souscription du prêt en litige, les ressources des emprunteurs les empêchaient de faire face au remboursement des échéances prévues.

Le jugement est donc confirmé de ce chef.

4. Sur les autres demandes

Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens d'appel sont à la charge de M et Mme [W].

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il condamne M et Mme [W] à payer la société Crédit immobilier de France, venant aux droits de la banque patrimoine immobilier la somme de 226 818,12 euros, outre intérêts au taux contractuel de 3,50 % à compter du 4 février 2010,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Rejette l'exception de litispendance,

Condamne M et Mme [W] à payer à la société Crédit immobilier de France, venant aux droits de la banque patrimoine immobilier, la somme de 207 506,06 euros, outre intérêts à compter du 4 février 2010, au taux variable prévu au contrat de prêt accepté le 6 février 2006, auquel les parties doivent se reporter, obtenu en majorant de 1, 550 point la dernière moyenne mensuelle de l'EURIBOR 3 mois,

Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,

Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de toutes leurs autres demandes,

Condamne M et Mme [W] aux dépens de la procédure d'appel, et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.

La greffière, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile b
Numéro d'arrêt : 23/04514
Date de la décision : 11/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-11;23.04514 ?
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