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28/03/2024 | FRANCE | N°23/08348

France | France, Cour d'appel de Lyon, Audience solennelle, 28 mars 2024, 23/08348


R.G : N° RG 23/08348 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PI64





































































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aux parties le



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE LYON



AUDIENCE SOLENNELLE



ARRET DU 28 Mars 2024











Décision déférée à la Cour : Conseil de l'ordre des avocats de LYON du 02 octobre 2023 rectifiée par arrêté du 24 octobre 2023





DEMANDEUR AU RECOURS :



Monsieur [H] [I]

[Adresse 3]

[Adresse 3]



avocat postulant : la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocats au barreau de LYON



avocat plaidant : Me Jean-pierre MAISONNAS, avocat au bar...

R.G : N° RG 23/08348 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PI64

notification

aux parties le

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

AUDIENCE SOLENNELLE

ARRET DU 28 Mars 2024

Décision déférée à la Cour : Conseil de l'ordre des avocats de LYON du 02 octobre 2023 rectifiée par arrêté du 24 octobre 2023

DEMANDEUR AU RECOURS :

Monsieur [H] [I]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

avocat postulant : la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocats au barreau de LYON

avocat plaidant : Me Jean-pierre MAISONNAS, avocat au barreau de LYON

DEFENDEUR AU RECOURS :

CONSEIL DE L'ORDRE RESTREINT DES AVOCATS DE LYON

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Me Gaëlle CERRO substituant Me Alban POUSSET BOUGERE, bâtonnier

EN PRESENCE DE :

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

En application de l'article 16 du décret du 27 novembre 1991, l'affaire a été prise en chambre du conseil le 22 Février 2024, M. [I] n'ayant pas demandé que les débats soient tenus en audience publique.

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

- Anne WYON, première présidente de chambre

- Olivier GOURSAUD, président

- Isabelle BORDENAVE, présidente

- Stéphanie LEMOINE, conseillère

- Bénédicte LECHARNY, conseillère

assistés pendant les débats de Sylvie NICOT, greffier

lors de l'audience ont été entendus :

- Anne WYON, en son rapport

- Me Jean-pierre MAISONNAS, en sa plaidoirie

- Jean-Daniel REGNAULD, avocat général, en ses réquisitions

- [V] [N], représentant le bâtonnier, en ses observations

- [H] [I] ayant eu la parole en dernier

Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel le 28 Mars 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne WYON, première présidente de chambre , agissant par délégation du premier président,selon l'ordonnance du 31 janvier 2024 et par Sylvie NICOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****************

M. [H] [I] a été embauché en qualité de juriste dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 19 mars 2015 par le cabinet d'avocats M & L Avocats devenu Triptik Avocats.

Par arrêté du 02 octobre 2023 rectifié par arrêté du 24 octobre 2023, le conseil de l'ordre restreint du barreau de Lyon a rejeté la demande d'inscription au barreau de Lyon qu'il a formée sur le fondement de l'article 98 6° du décret du 27 novembre 1991 qui prévoit que sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les juristes salariés d'un avocat, d'une association ou d'une société d'avocats, d'un office d'avoué ou d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle en cette qualité postérieurement à l'obtention du titre ou diplôme mentionné au 2° de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée, soit d'une maîtrise en droit ou de titres et fonctions reconnus comme équivalents pour l'exercice de la profession.

Le conseil a constaté que M. [I] justifiait d'activités d'assistant juridique et administratif au sein d'un cabinet d'avocats depuis plus de huit ans mais ne démontrait pas que durant toute cette période, en particulier pendant celle où il ne disposait que du coefficient 240 et d'un salaire correspondant à une rémunération de secrétaire ou d'assistant, il aurait exercé en toute autonomie un véritable travail de juriste.

M. [I] a relevé appel de cette décision par lettre de son avocat remise au greffe le 2 novembre 2023.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 22 février 2024 par lettres recommandées avec accusé de réception du 2 janvier 2024.

Suivant conclusions déposées le 25 janvier 2024, M. [I] indique que l'article 98 du décret du 27 novembre 1991 est d'interprétation stricte et qu'il ne peut être exigé des conditions qui ne figurent pas au texte, tels l'autonomie ou des pouvoirs propres du salarié, un haut degré de responsabilité ou un coefficient d'emploi dans la convention collective.

Il rappelle qu'il remplit toutes les conditions légalement requises et fait valoir que son contrat de travail énonce ses attributions de juriste, ce que confirment ses bulletins de salaire qui comportent la mention de la qualification de juriste, les attestations de ses employeurs, un mémoire sur les principales affaires qu'il a traitées et une notice décrivant la journée type du juriste collaborateur du cabinet où il travaille.

Il conclut à la réformation de la décision critiquée, et sollicite son intégration comme avocat au barreau de Lyon et la condamnation de l'ordre des avocats à lui régler 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.

Par conclusions déposées au greffe le 19 février 2024, le conseil de l'ordre des avocats fait valoir que :

- l'appréciation de la qualification de juriste doit être réalisée in concreto,

- il convient de rechercher quelle a été l'activité effective du postulant sans s'arrêter à la dénomination de l'emploi exercé,

- il incombe à l'intéressé de démontrer qu'il effectuait de façon autonome le travail de conception et d'analyse juridique qui incombe au juriste salarié d'un avocat,

- la rémunération constitue un indice susceptible d'être pris en considération parmi les éléments d'appréciation de la situation réelle du salarié.

Il fait observer qu'après avoir exercé les fonctions d'assistant juridique au sein du groupe Interflora, M. [I] a été embauché dans un cabinet d'avocats en qualité de juriste à compter du 19 mars 2015 mais qu'il pouvait avoir notamment pour mission d'accomplir des tâches administratives telles que de la frappe, de la gestion du courrier, du classement, de l'archivage, le coefficient de sa rémunération correspondant à des fonctions d'assistant juridique débutant et l'intéressé n'atteignant le niveau correspondant à un poste de juriste qu'au 1er janvier 2019.

Il précise que M. [I] a lui-même indiqué dans le cadre de la notice descriptive d'une journée type qu'après deux années au cabinet, il a commencé à mener seul quelques entretiens clients et qu'il a produit un courriel du 2 février 2016 confirmant qu'il recevait des instructions très précises pour la rédaction d'un acte, instructions que l'on n'adresse pas à un juriste.

Il rappelle que M. [I] ne justifiant pas d'un exercice de huit années en qualité de juriste, il a été invité à compléter son dossier mais n'a pas apporté d'éléments nouveaux, et conclut à la confirmation de l'arrêté contesté.

Le ministère public a indiqué par soit transmis du 8 février 2024 qu'il ne formulait pas d'observations.

À l'audience du 22 février 2024, M. [I] a précisé qu'il a quitté la société Interflora à la suite de la responsable juridique de cette société, Me [K], qui a intégré le cabinet d'avocats en qualité de collaboratrice en décembre 2014, qu'il n'a pas négocié les conditions de sa rémunération et qu'il a immédiatement exercé en qualité de juriste, une assistante ayant été recrutée pour effectuer les tâches administratives.

L'appelant et le conseil de l'ordre se sont expressément référés à leurs écritures.

Le représentant du bâtonnier a rappelé que l'application de l'article 98 du décret de 1991 doit être stricte et que cette position rejoint celle du conseil de l'ordre.

Monsieur l'avocat général représentant le procureur général s'en est rapporté.

MOTIVATION

M. [I] justifie qu'il satisfait aux conditions de diplôme et de durée d'exercice professionnel, ce qui n'est pas contesté ; il convient donc d'examiner si son exercice professionnel a recouvert des fonctions de juriste durant l'entière période considérée, nonobstant sa rémunération, calculée sur le coefficient 240, niveau III, échelon 1 pendant les premières années de son activité.

Le conseil de l'ordre a retenu que cette classification correspond à une rémunération de secrétaire ou d'assistant juridique débutant dans la profession. Il s'appuie sur l'avenant à la convention collective des avocats et de leur personnel n°50 du 14 février 2017 relatif à la classification qui le confirme.

M. [I] produit son contrat de travail aux termes duquel il exerce les fonctions de juriste et précise qu'il aura notamment pour attributions de réaliser tous travaux de recherches juridiques au profit des avocats du cabinet, préparer et analyser des dossiers, assurer le suivi et la tenue des différents dossiers juridiques et assistés les avocats dans la rédaction de tous écrits juridiques et judiciaires, cette liste n'étant nullement exhaustive. Il est ajouté que M. [I] peut notamment accomplir toutes autres tâches administratives (frappe, gestion du courrier, classement, archivage...) et qu'il l'accepte par avance.

Il produit également ses bulletins de paie qui font état de son niveau de rémunération, à savoir III échelon 1 coefficient 240, mais également de son emploi de 'juriste'.

M. [I] se prévaut du témoignage de Me [K], avocate, dont il résulte qu'il a exercé dès ses débuts les fonctions de juriste collaborateur auprès des deux avocats associés et d'elle-même, qu'il dirigeait deux assistantes juridiques et administratives, et assurait notamment la production d'actes dans tous les domaines d'intervention du cabinet en droit des sociétés, en droit commercial et en droit fiscal, en contentieux et pré- contentieux, et assurait une veille juridique en droit des affaires et fiscalité.

Me [K] ajoute que M.[I] assistait aux rendez-vous avec les clients en présence de l'avocat associé puis, après une période de formation, a réalisé seul des rendez-vous client et la tenue d'assemblées générales.

M. [I] produit également une attestation de Me [E], associé et co-gérant de la Selarl Triptik Avocats, qui certifie que l'appelant a directement et personnellement traité et suivi les dossiers qui lui ont été confiés dès son embauche en mars 2015, de façon autonome, dans le cadre et les limites de ses fonctions de juriste et sous sa responsabilité et signature finale ou celle de son associé, ou de Me [K].

Ces témoignages prouvent que M. [I] exerçait une activité de juriste salarié, et que, comme tout professionnel débutant, il a continué à se former et ne s'est vu confier des responsabilités particulières, telle la réception des clients hors la présence des avocats du cabinet, qu'après avoir acquis auprès de ces derniers une expérience suffisante.

Ils ne sont pas contredits par les courriels adressés les 2 février 2016 et 7 novembre 2017 par Me [E] à M. [I], dont se prévaut le conseil de l'ordre pour soutenir que M. [I] ne disposait pas de l'autonomie et de l'indépendance requises.

Par le premier courriel posté à 23 h 23, Me [E] demande à M. [I] de préparer pour le lendemain avant 16 heures un projet de bail commercial, en faisant état du bail précédent et en précisant le lien entre les deux contrats, le second contrat englobant un bâtiment supplémentaire ; l'avocat précise le montant du nouveau loyer et sa durée, et recommande à M. [I] de protéger les intérêts du bailleur dans la limite légale. Le second courriel concerne un projet de compromis de cession de fonds de commerce; Me [E] demande à M. [I] de se référer sur certains points à un contrat précédemment rédigé au cabinet.

M. [I] n'était alors pas avocat collaborateur mais juriste salarié du cabinet ; en conséquence, il ne pouvait bénéficier d'une autonomie totale et d'une entière indépendance, et le fait que l'un des associés lui donne des orientations précises pour rédiger en urgence un projet d'acte traduit davantage un souci d'efficacité qu'une étroite subordination, de même que pour le second acte la référence à un précédent, ceci visant à faciliter le travail de l'intéressé hors toute instruction particulière.

Ces courriels confirment au surplus que M. [I] effectuait bien des tâches de juriste, conformément à l'emploi indiqué sur tous ses bulletins de paie, et non des tâches administratives.

Enfin, la rédaction du contrat de travail en ce qu'il vise les tâches administratives susceptibles d'être effectuées par le salarié induit que ces tâches n'ont pas vocation à occuper une partie importante de son temps de travail et qu'elles sont accessoires à ses fonctions; la cour relève que l'exercice professionnel procure parfois à son titulaire l'occasion d'accomplir de telles tâches sans que cela ne modifie pour autant la nature de son activité.

Ainsi, c'est à tort que le conseil de l'ordre a déduit du faible salaire mentionné sur les bulletins de salaire de M. [I] au début de son exercice, sa classification professionnelle, qui est démentie par l'indication sur ces mêmes bulletins de paie qu'il occupait un poste de juriste, ainsi que par les tâches qui lui étaient confiées.

Il y a donc lieu de retenir que M. [I] justifie d'une activité de juriste salarié d'avocat pendant plus de huit années et se trouve en droit de bénéficier de la dispense prévue à l'article 98 6° du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

La décision critiquée sera en conséquence infirmée.

La conseil de l'ordre supportera les dépens. L'équité ne commande pas de faire en l'espèce application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et en dernier ressort, par mise à disposition au greffe ;

Infirme la décision du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lyon en date du 02 octobre 2023 rectifiée par arrêté du 24 octobre 2023 ;

Statuant à nouveau,

Enjoint au conseil de l'ordre des avocats de Lyon de procéder à l'inscription de M. [H] [I] au tableau de l'ordre des avocats de Lyon, sous condition de sa réussite à l'examen prévu par l'article 98-1 du décret du 27 novembre 1991 ;

Rejette la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Lyon aux dépens, s'il s'en révèle.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Audience solennelle
Numéro d'arrêt : 23/08348
Date de la décision : 28/03/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-03-28;23.08348 ?
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