N° RG 21/05572 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NXEQ
Décision du
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LYON
Au fond
du 07 avril 2021
RG : 17/10322
ch n°1 cab 01 A
[R]
[K]
C/
Société ALLIANCE MJ
S.A. MMA IARD
S.A. MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 27 Juin 2023
APPELANTS :
M. [B] [O] [W] [R]
né le 11 Décembre 1973 à [Localité 7]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Gilles DUMONT-LATOUR de la SCP D'AVOCATS DUMONT-LATOUR, avocat au barreau de LYON, toque : 260
Représenté par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547
Mme [P] [C] [A] [K] épouse [R]
née le 26 Février 1976 à [Localité 7]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Gilles DUMONT-LATOUR de la SCP D'AVOCATS DUMONT-LATOUR, avocat au barreau de LYON, toque : 260
Représentée par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547
INTIMEES :
MMA IARD venant aux droits de la SA COVEA RISKS, ès qualité d'assureur des sociétés CABINET DE CONSEIL HERIONS FINANCE ET ERIVAM GESTION.
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Denis WERQUIN de la SAS TUDELA WERQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1813
ayant pour avocat plaidant Me Guillaume REGNAULT de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES venant aux droits de la SA COVEA RISKS, ès qualité d'assureur des sociétés CABINET DE CONSEIL HERIONS FINANCE ET ERIVAM GESTION
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentée par Me Denis WERQUIN de la SAS TUDELA WERQUIN & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1813
ayant pour avocat plaidant Me Guillaume REGNAULT de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
SELARL [J] [Z], représentée par Maître [J] [Z], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société HERIOS FINANCE
[Adresse 2]
[Localité 5]
Défaillante
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 02 Juin 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 24 Avril 2023
Date de mise à disposition : 27 Juin 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Olivier GOURSAUD, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Réputé contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
Aux termes d'un bulletin de souscription du 15 septembre 2010 à l'en-tête des sociétés Erivam et Herios finance, M. [B] [R] et Mme [P] [K] épouse [R] (les époux [R]) ont apporté à des sociétés en participation (SEP), dans le cadre d'un programme de défiscalisation de type « Girardin industriel » monté par la société Erivam, des fonds destinés à être investis dans le domaine de la production d'énergie renouvelable outre-mer, puis ont imputé sur le montant de leur impôt sur le revenu pour l'exercice 2010 des réductions d'impôt du fait de ces investissements, en application des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts.
L'administration fiscale a remis en cause ces réductions d'impôt aux motifs qu'aucune des centrales photovoltaïques acquises par les SEP dans lesquelles ils avaient investi ne bénéficiait de l'attestation de conformité du consuel et n'était raccordée au réseau EDF au 31 décembre 2010.
Les époux [R], estimant que les sociétés Herios finance et Erivam avaient manqué à leurs obligations, ont déclaré leur créance entre les mains du liquidateur judiciaire de la société Erivam puis ont assigné les sociétés MMA iard et MMA iard assurances mutuelles venant toutes les deux aux droits de la société Covea risks, ès qualités d'assureurs de responsabilité civile des deux sociétés (les assureurs), ainsi que la société Alliance MJ, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Herios finance (le liquidateur judiciaire), en réparation de divers préjudices.
Par jugement du 7 avril 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a rejeté toutes leurs demandes et les a condamnés à payer aux assureurs la somme de 2 000 euros au total au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par déclaration du 30 juin 2021, les époux [R] ont relevé appel du jugement.
Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 1er avril 2022, ils demandent à la cour de :
- déclarer leur appel recevable et fondé,
à titre principal,
- dire et juger qu'il existe un lien contractuel entre eux et la société Herios finance,
- dire et juger que la société Herios finance a commis une faute contractuelle dans l'exercice de la mission qui lui a été confiée, en lien direct avec le préjudice qu'ils ont subis,
subsidiairement,
- dire et juger que la société Herios finance a commis une faute quasi-délictuelle à l'origine et en lien direct avec leur préjudice,
- dire et juger que la société Erivam a également commis une faute à leur préjudice, à l'origine de leur entier préjudice,
en conséquence,
- réformer le jugement dont appel en toutes ses dispositions,
- dire et juger que les assureurs sont tenus de garantir les sociétés Herios finance et Erivam,
- condamner les assureurs à leur payer la somme en principal de 102 300 euros, outre capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil,
- dire et juger l'arrêt à intervenir opposable au liquidateur judiciaire,
- condamner les assureurs à leur payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les mêmes aux entiers dépens.
Au terme de leurs dernières conclusions notifiées le 21 décembre 2021, les assureurs demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
subsidiairement, si par impossible la responsabilité de la société Herios finance était retenue et qu'il était fait application du contrat souscrit par la société Herios finance,
- dire et juger qu'il sera fait application de la franchise d'un montant de 15 000 euros, cette somme devant alors être déduite de l'éventuelle condamnation,
concernant les demandes dirigées à leur encontre ès qualité d'assureurs de la société Erivam,
- dire et juger que le contrat d'assurance de responsabilité civile souscrit par la société Erivam a cessé ses effets au moment de la réclamation des époux [R],
- dire et juger par conséquent qu'aucune garantie n'est due,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que les époux [R] ne rapportent pas la preuve d'une faute qui aurait été commise par la société Erivam,
- dire et juger que les époux [R] ne rapportent pas la preuve d'un préjudice né, actuel et certain, tant dans son principe que dans son quantum,
- dire et juger que les époux [R] ne rapportent pas la preuve d'une créance de responsabilité civile à l'encontre de la société Erivam,
- dire et juger sans objet, par conséquent, la demande de condamnation formée à leur encontre, ès qualités d'assureurs de la société Erivam,
à titre plus subsidiaire si par impossible, la cour retenait la responsabilité de la société Erivam,
- dire et juger que les conséquences de l'obligation de résultat contractée par la société Erivam sont exclues de la garantie,
- dire et juger que les conséquences d'engagement ayant pour objet de mettre à la charge de l'assuré la réparation de dommages qui ne lui auraient pas incombé en vertu du droit commun, soit la preuve d'une démonstration de la responsabilité civile, sont également exclues de la garantie,
- dire et juger, encore, que les conséquences d'une faute intentionnelle ou dolosive sont exclues de la garantie,
- dire et juger par conséquent mal fondée toute demande de garantie formée à leur encontre, ès qualités d'assureurs de responsabilité civile de la société Erivam,
à titre infiniment subsidiaire,
- constater qu'ils assurent la responsabilité civile professionnelle de la société Erivam dans la limite globale de 1 500 000 euros dans le cadre du sinistre sériel résultant de la souscription des produits de défiscalisation qu'elle a élaborés, et ce après déduction du montant des règlements qui auraient pu être effectués par elles au titre des autres réclamations répondant du même sinistre, au sens contractuel, intervenu au jour de ladite réclamation,
- designer tel séquestre qu'il plaira à la cour avec pour mission, dont la durée sera fixée par la cour, de conserver les fonds dans l'attente des décisions définitives tranchant les différentes réclamations formées à l'encontre de la société Erivam concernant le même sinistre et pour, le cas échéant, procéder à une répartition au marc le franc des fonds séquestrés,
- dire et juger que la somme correspondant à la franchise par sinistre, soit 50 000 euros, à charge de la société Erivam, doit être déduite du montant de la condamnation éventuellement prononcée à leur encontre dans le cadre où la cour devait retenir la responsabilité de la société Erivam,
- dire et juger que ce même montant serait déduit de chacune des condamnations prononcées au profit de chacun des investisseurs si la cour ne retenait pas une globalisation des sinistres dans le cas présent,
en tout état de cause,
- condamner les époux [R], ou tout autre succombant à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les époux [R] ou tout autre succombant aux entiers dépens de la première instance et d'appel, ces derniers étant recouvrés au profit de la société Tudela Werquin & associés, avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le liquidateur judiciaire, à qui la déclaration d'appel a été signifiée à personne habilitée par acte d'huissier de justice du 8 septembre 2021, n'a pas constitué avocat.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 juin 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens, ces demandes n'étant pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
1. Sur l'action en responsabilité
1.1. Sur l'existence d'une relation contractuelle avec la société Herios finance
Les époux [R] font valoir que, contrairement à l'analyse des premiers juges, ils rapportent bien la preuve de l'existence de relations contractuelles avec la société Herios finance pour le choix, la mise en place et le paiement des investissements effectués dans le cadre du dossier Erivam « Girardin industriel ». Ils ajoutent que l'établissement d'une lettre de mission n'est pas nécessaire.
Les assureurs répliquent que les époux [R] ne communiquent aucun document de nature à établir la nature de la mission qu'ils auraient confiée à la société Herios finance.
Réponse de la cour
Si les appelants ne produisent aucun contrat de mandat signé avec la société Herios finance ni aucune lettre de mission, les pièces qu'ils versent aux débats (courriels de la société Herios des 15 et 20 juillet 2010 de confirmation et de rappel du rendez-vous du 21 juillet 2010 avec « [son] conseiller en gestion de patrimoine », dossier de souscription et attestation d'assurance à l'en-tête, notamment, de la société Herios finance, courriel de la société du 23 mai 2011 transmettant aux époux [R] « l'attestation relative à [leur] investissement en loi Girardin Industrielle », courriel du 3 octobre 2011 de la société de transmission de l'attestation de risque fiscal) constituent un faisceau d'indices suffisant pour établir la preuve de l'existence d'une relation contractuelle entre les époux [R] et la société Herios finance, les premiers ayant donné mandat à la seconde de rechercher pour leur compte des solutions de placements en défiscalisation, puis ayant, par l'intermédiaire de la seconde, souscrit au programme de défiscalisation de type « Girardin industriel » monté par la société Erivam.
C'est donc à tort que les premiers juges ont retenu que les époux [R] ne rapportent aucun élément de preuve d'une quelconque relation entre eux et la société Herios finance.
1.2. Sur la faute de la société Herios finance
Les époux [R] font valoir que bien qu'exerçant la profession d'avocat, ils sont profanes en matière de défiscalisation ; que la société Herios finance a été défaillante, d'une part, dans son obligation de moyen ayant trait à l'exercice de sa mission, d'autre part, dans l'obligation d'information, de conseil, de vigilance et de prudence qui lui incombe au titre, notamment, des risques encourus à travers ce type d'opérations ; qu'elle n'a pas attiré leur attention sur le risque d'échec de l'opération et le risque de remise en cause par l'administration fiscale de la réduction d'impôt espérée dans l'hypothèse notamment du non-raccordement au réseau EDF avant le 31 décembre 2010 ; que s'ils avaient été informés d'un tel risque, ils n'auraient jamais souscrit à cette opération ; que la société Herios finance ne pouvait ignorer les risques de l'opération ; qu'elle savait, dès 2008, que le dispositif « Girardin industriel » pour la mise en 'uvre de panneaux photovoltaïques était risqué.
Les assureurs répliquent que l'obligation de conseil à laquelle est tenu un conseil en gestion de patrimoine est une simple obligation de moyens ; que le manquement à l'obligation de conseil ne saurait être établi par la non-réalisation de l'avantage escompté, les conseils en gestion de patrimoine n'ayant pas vocation à supporter les conséquences de l'aléa inhérent à tout investissement ; que seule la responsabilité du monteur de l'opération peut être recherchée lorsque l'échec du projet de défiscalisation n'est pas imputable à une inadéquation du produit proposé par le conseiller financier mais à une défaillance du monteur de l'opération qui n'a pas été en mesure de réaliser l'opération telle que prévue par le contrat; qu'en l'espèce la faute de la société Herios finance n'est pas démontrée.
Réponse de la cour
En application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, le conseiller en gestion de patrimoine ou prestataire de services d'investissement est tenu d'une obligation d'information et de conseil envers son client quant aux caractéristiques de l'investissement et des choix à effectuer.
Dans le cadre du mandat qui lui est donné par son client de rechercher des cocontractants susceptibles de donner une suite effective à son projet d'investissement, le conseiller en gestion de patrimoine a l'obligation de s'enquérir du sérieux et de la fiabilité du montage financier proposé. S'il est exact, ainsi que le soutiennent les assureurs, qu'il n'a pas vocation à supporter les conséquences de l'aléa inhérent à tout investissement, il est en revanche tenu, à l'égard de son client, d'une obligation d'information portant, le cas échéant, sur les risques inhérents au placement proposé.
En l'espèce, le dossier de souscription « Erivam Girardin industrielle 2010 » remis aux époux [R] indique notamment que « le régime fiscal de [l']opération est défini par la loi de finances 2010 et [l]es dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts » et décrit les conditions pour en bénéficier. Les avantages fiscaux, financiers et économiques de l'opération sont présentés à l'investisseur, mais non le risque d'une remise en cause de la réduction d'impôt à défaut de mise en service de l'installation avant le 31 décembre de l'année au cours de laquelle l'investissement est réalisé. Or, il est constant que la remise en cause par l'administration fiscale de la réduction d'impôt dont ont bénéficié les époux [R] au titre des investissements réalisés en Guadeloupe en 2010 tient au fait que les centrales photovoltaïques ainsi financées, acquises par les sept SEP, n'ont pas été raccordées au réseau EDF au 31 décembre 2010, aucune d'entre elles n'ayant, à cette date, reçu l'attestation de conformité du Consuel.
En tant que conseiller en investissement financier, la société Herios finance a, lors de la réalisation de l'investissement en cause, qu'elle avait proposé aux époux [R], omis d'attirer l'attention de ses clients sur le risque de remise en cause de la réduction d'impôt à défaut de mise en service effective des installations avant le 31 décembre 2010, alors qu'il lui appartenait de conseiller efficacement ses clients sur le choix d'un investissement adapté à leur situation et au but poursuivi et de leur présenter les avantages comme les inconvénients de l'opération.
En sa qualité de professionnelle spécialisée dans la recherche d'investissements permettant la défiscalisation, la société Herios Finance ne pouvait ignorer le risque de remise en cause de la réduction d'impôt la position de l'administration fiscale, alors que l'année de réalisation de l'investissement prévue par l'article 199 undecies B du code général des impôts était déjà interprétée, par divers arrêts du Conseil d'État rendus le 4 juin 2008, comme étant la date à laquelle l'investissement pouvait faire l'objet d'une exploitation effective et par suite être productif de revenus, ce dont il résultait que l'exploitation d'une centrale photovoltaïque supposait que l'ensemble des matériels nécessaires à son fonctionnement soient livrés à l'exploitant et que la centrale soit effectivement raccordée au réseau EDF. À supposer même que cette professionnelle ait eu un doute sur la position de l'administration, cette prétendue incertitude devait à tout le moins, justifier une information spécifique donnée aux investisseurs sur le risque existant, qui n'a pas été fournie en l'espèce.
Faute d'avoir été dûment informés de ce que l'absence de mise en service effective des centrales photovoltaïques au 31 décembre 2010 ne leur permettrait pas de bénéficier de l'avantage fiscal pour l'année considérée, les époux [R] n'ont pas pu contracter dans des conditions éclairées de sorte que la faute de la société Herios finance doit être retenue.
1.3. Sur la faute de la société Erivam
Les époux [R] font valoir que la société Erivam est à l'initiative du montage juridique et financier de l'opération de défiscalisation ; qu'alors qu'elle savait, dès 2008, que le dispositif « Girardin industriel » pour la mise en 'uvre de panneaux photovoltaïques était risqué, elle ne les a pas informés d'un éventuel risque d'absence de réalisation de l'opération escomptée; qu'elle ne leur a pas fourni un produit répondant aux conditions d'éligibilité au dispositif de défiscalisation présenté pour leurs revenus 2010, à défaut de raccordement au réseau EDF avant le 31 décembre 2010 ; que ce manquement est constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité civile.
Les assureurs font valoir que le montage fiscal et juridique mis en place par la société Erivam était parfaitement valide ; que les sociétés en participation créées par la société Erivam avaient pour seule obligation de délivrer le matériel ; que l'administration fiscale a rajouté une condition en considérant que l'exploitation effective par le raccordement au réseau EDF serait nécessaire pour obtenir la réduction fiscale, ce qui n'était pas conforme à la doctrine administrative applicable au moment où la société Erivam a conçu le produit fiscal litigieux; qu'à cette date, la condition imposée a posteriori par l'administration fiscale n'existait pas ; qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dès lors que l'administration fiscale et les tribunaux administratifs n'ont pas la même conception de la notion de livraison ; qu'en tout état de cause, une opération de défiscalisation comportant nécessairement des risques, ceux-ci doivent être assumés par l'investisseur et ne doivent pas être mis à la charge de la société Erivam.
Réponse de la cour
Il ressort du dossier de souscription signé par les époux [R] le 15 septembre 2010 que la société Erivam, présenté comme experte « dans le montage d'opérations de location longue durée de matériels industriels dans les Dom-Com », avait notamment pour « mission de rechercher et de [leur] présenter, avant le 30 décembre de l'année en cours, une ou plusieurs opérations, auxquelles [ils] pourrai[en]t souscrire, de prise de participation dans une ou plusieurs sociétés en participation (SEP) ayant pour activité principale la location de longue durée » et de « réaliser les investissements avant le 31 décembre de l'année de défiscalisation », afin que les investisseurs bénéficient des avantages fiscaux résultant des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts.
Il ressort encore du courrier adressé le 10 mai 2011 à M. [R] par la société Erivam, portant transmission de l'attestation fiscale 2010 et des détails des investissements 2010, que la société lui confirme que son « investissement dans le cadre de la loi Girardin industrielle [lui a] permis d'investir pour [son] compte un montant total éligible de 125'000 € dans des équipements photovoltaïques destinés à la production d'électricité » et que «ces investissements [lui] permettent de prétendre à une réduction d'impôt de 75'000 euros à reporter dans la case 7QF de [sa] déclaration de revenus ».
Or, ainsi qu'il a été rappelé plus avant, la réduction d'impôt dont ont bénéficié les époux [R] au titre des investissements réalisés en Guadeloupe en 2010 a été remise en cause par l'administration fiscale au motif que les centrales photovoltaïques ainsi financées et acquises par les sept SEP n'ont pas été raccordées au réseau EDF au 31 décembre 2010, aucune d'entre elles n'ayant, à cette date, reçu l'attestation de conformité du Consuel.
Il en résulte que la société Erivam a manqué à son engagement contractuel de « réaliser les investissements avant le 31 décembre de l'année de défiscalisation », afin que les investisseurs bénéficient des avantages fiscaux résultant des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts. Elle a encore commis une faute en délivrant aux époux [R] une attestation fiscale détaillant le montant de leur investissement et le montant de la réduction d'impôt auquel ils pouvaient prétendre, sans s'être assurée, une fois l'investissement réalisé, que les conditions étaient réunies pour obtenir l'avantage fiscal recherché, et notamment que les centrales photovoltaïques financées étaient raccordées en temps utile au réseau de distribution d'électricité.
C'est vainement que les assureurs invoquent la doctrine administrative 5b-2-07 du 30 janvier 2007, renvoyant à la notion de livraison de l'article 1604 du code civil pour l'appréciation de l'achèvement de l'investissement, et prétendent que la doctrine administrative n'a été modifiée que postérieurement à la date d'exécution du contrat de sorte que la société Erivam ne pouvait anticiper la position prise par l'administration, alors qu'ainsi qu'il a été rappelé précédemment, l'année de réalisation de l'investissement prévue par l'article 199 undecies B du code général des impôts était déjà interprétée, par divers arrêts du Conseil d'État rendus le 4 juin 2008, comme la date à laquelle l'investissement pouvait faire l'objet d'une exploitation effective et par suite être productif de revenus, ce dont il résultait que l'exploitation d'une centrale photovoltaïque supposait que l'ensemble des matériels nécessaires à son fonctionnement soient livrés à l'exploitant et que la centrale soit effectivement raccordée au réseau EDF.
Au vu de ce qui précède, il convient, par infirmation du jugement déféré, de retenir qu'en ne fournissant pas aux époux [R] un produit répondant aux conditions d'éligibilité au dispositif de défiscalisation, malgré son engagement en ce sens, et en leur délivrant une attestation fiscale sans s'être assurée que les conditions étaient réunies pour obtenir l'avantage fiscal recherché, la société Erivam a manqué à son obligation contractuelle.
1.4. Sur le lien de causalité et les préjudices
Les époux [R] soutiennent qu'ils ont subi un préjudice incontestable, certain et actuel d'un montant de 87 300 euros au titre du redressement fiscal ; qu'ils ont en outre subi un préjudice moral du fait de l'échec de l'opération et de ses conséquences, ainsi qu'un préjudice financier en raison d'une privation de trésorerie et des frais d'avocat fiscaliste qu'ils ont engagés ; que ces préjudices complémentaires justifient l'allocation d'une somme de 15 000 euros.
Les assureurs répliquent que les appelants ne rapportent pas la preuve d'un préjudice réparable, c'est-à-dire certain et actuel ; qu'ils n'établissent pas avoir réglé les causes du redressement fiscal ; que le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale ou les intérêts de retard ne constituent pas un préjudice indemnisable ; que les majorations opérées ne sont que la conséquence de la position adoptée par le redevable de l'impôt ; que surtout, les majorations de 10 % ont fait l'objet d'une remise ; qu'ils ne produisent aucun justificatif de nature à établir le préjudice allégué au titre des frais d'avocat fiscaliste ; que le préjudice résultant du fait de ne pas avoir été suffisamment informés pour décider de ne pas opter pour une opération ne peut correspondre qu'à une perte de chance, et que la réparation du préjudice, en pareil cas, ne peut jamais être égale au montant du gain ou de l'avantage espéré ou de la perte subie ; qu'alors qu'il appartient aux demandeurs de caractériser la perte de chance prétendument subie, ceux-ci ne démontrent pas qu'ils auraient pu investir autrement.
Réponse de la cour
Il a été jugé plus avant que la société Herios finance a manqué à son obligation d'information et de conseil.
Le préjudice né du manquement d'un intermédiaire en investissement à une obligation d'information ou de conseil dont il est débiteur s'analyse en la perte d'une chance, pour l'investisseur, de mieux investir ses capitaux. Plus particulièrement, si l'intermédiaire a fautivement omis d'alerter l'investisseur sur l'existence d'un risque, le préjudice analyse en la perte d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé. En outre, dans ce cadre, le paiement de l'impôt mis à la charge d'un contribuable à la suite d'une rectification fiscale ne constitue pas un dommage indemnisable sauf s'il est établi que, dûment informé ou dûment conseillé, il n'aurait pas été exposé au paiement de l'impôt rappelé ou aurait acquitté un impôt moindre.
Or, en l'espèce, force est de constater que les époux [R] n'établissent pas qu'ils disposaient d'une autre solution de placement de nature à leur permettre de ne pas être exposés au paiement de l'impôt rappelé ou d'acquitter un impôt moindre. La demande d'indemnisation présentée au titre de la faute commise par la société Herios finance est donc rejetée.
Il a encore été jugé qu'en ne fournissant pas aux époux [R] un produit répondant aux conditions d'éligibilité au dispositif de défiscalisation et en leur délivrant une attestation fiscale sans s'être assurée que les conditions étaient réunies pour obtenir l'avantage fiscal recherché, la société Erivam a manqué à son obligation contractuelle. Ces fautes sont directement à l'origine de la perte par les époux [R] de l'avantage fiscal escompté.
Selon l'article 1149 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé.
Il résulte des pièces contractuelles que les époux [R] devaient, dans le cadre de l'investissement envisagé, bénéficier d'une réduction d'impôt de 75'000 euros, supérieure à leur investissement d'un montant de 55'000 euros, qu'ils ne récupéraient pas. Il est donc établi que les appelants ont investi des sommes à fonds perdu dont ils ne peuvent poursuivre le recouvrement, sans avoir bénéficié de la contrepartie promise, à savoir une réduction de leur impôt sur le revenu. Ils ont donc subi un préjudice actuel et certain correspondant au montant de l'avantage fiscal escompté et perdu, soit 75'000 euros, augmenté des pénalités d'un montant de 11'501 euros, dont les époux [R] rapportent bien la preuve du paiement.
En revanche, ils n'établissent pas la preuve d'un préjudice moral qui serait résulté pour eux de la faute de la société Erivam et ne démontrent pas le préjudice de trésorerie allégué. Enfin, les frais de consultation d'un avocat fiscaliste font partie des frais irrépétibles.
La cour observe que les époux [R] qui justifient avoir déclaré leur créance dans le cadre de la procédure collective ouverte au bénéfice de la société Erivam, ne sollicitent pas, dans le dispositif de leurs conclusions, la fixation de leur créance au passif de la liquidation judiciaire de la société.
2. Sur la garantie des assureurs
Les époux [R] soutiennent que la responsabilité de la société Herios finance et de la société Erivam gestion devant être consacrée, et ces sociétés étant en liquidation judiciaire, il convient de mettre en 'uvre la garantie des compagnies d'assurance. Ils font valoir :
- que la société Covea risks assurait les sociétés Herios finance et Erivam au titre de leur responsabilité civile professionnelle pour leurs activités respectives ;
- qu'aucun élément versé aux débats ne permet d'établir que la société Herios finance a résilié son contrat d'assurance ;
- que les assureurs ne peuvent valablement soutenir que la société Erivam aurait connu le fait dommageable après la réalisation du contrat en date du 25 mai 2012 dès lors que, dans un courrier du 22 octobre 2012, la société Erivam explique que la loi de finances pour l'année 2011 a remis en cause ce type d'investissement rétroactivement au 29 septembre 2010 et au 14 octobre 2010, de sorte que la société Erivam était parfaitement informée qu'un redressement fiscal allait leur être imposé ;
- que le délai de 10 ans pour porter une déclaration devant l'assureur ou son assuré a été respecté puisqu'ils ont adressé leur réclamation à la société Covea risks le 7 novembre 2012, quelques mois seulement après la résiliation du contrat d'assurance par la société Erivam.
Les assureurs répliquent :
- qu'est exclu de la garantie tout engagement concernant un résultat fiscal fixé à l'avance, de sorte que les époux [R] ne peuvent solliciter le paiement du résultat fiscal promis ;
- que la garantie est également exclue en cas de faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré de sorte que, les époux [R] soutenant que le gérant de la société Erivam savait que l'opération n'était pas éligible au dispositif de la loi Girardin, la garantie doit être écartée ;
- que le plafond de garantie stipulé au contrat d'assurance responsabilité civile souscrit par la société Erivam est fixé à 1 500 000 euros « par sinistre et par année d'assurance », ce qui regroupe l'ensemble des réclamations formées contre la société Erivam au titre de la souscription du produit de défiscalisation ; que ce plafond global est opposable aux époux [R] ; qu'or, les assureurs sont mis en cause dans le cadre de différentes procédures et/ou réclamations dont les enjeux sont supérieurs à ce plafond ; que toute éventuelle condamnation devrait donner lieu à un versement dans le cadre d'un séquestre permettant, le cas échéant et en temps voulu, une répartition au marc le franc ;
- qu'enfin, une franchise de 50 000 euros est opposable aux tiers et devra être déduite de toute éventuelle condamnation.
Réponse de la cour
Selon l'article L. 124-3 du code des assurances, le tiers lésé dispose d'un droit d'action directe à l'encontre de l'assureur garantissant la responsabilité de la personne responsable.
La demande d'indemnisation présentée au titre de la faute commise par la société Herios finance ayant été rejetée, la cour n'examine que la demande de garantie formée au titre de la responsabilité de la société Erivam.
Dans le dispositif de leurs conclusions, les assureurs demandent à la cour de dire et juger que le contrat d'assurance de responsabilité civile souscrit par la société Erivam a cessé ses effets au moment de la réclamation des époux [R] et que, par conséquent, aucune garantie n'est due. Toutefois, ils ne font valoir, dans le corps de leurs conclusions, aucun moyen au soutien de cette demande et ne démontrent pas que les conditions de l'article L. 124-5 du code des assurances ne seraient pas remplies, en l'espèce.
Selon l'article L. 112-6 du code des assurances, l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur originaire.
S'agissant de la première cause d'exclusion de garantie soulevée par les assureurs, il est stipulé, en page 5, paragraphe B « Exclusions », du contrat d'assurance de responsabilité civile souscrit par la société Erivam, que sont exclues de la garantie « les réclamations et dommages découlant d'une obligation de résultat ou de performance commerciale, financière des services rendus, sur laquelle l'assuré se serait engagé expressément ».
Toutefois, la responsabilité civile de la société Erivam n'est pas engagée sur le seul manquement à une obligation de résultat fiscal, mais également sur le fait qu'elle a par la suite délivré à tort aux époux [R] une attestation fiscale détaillant le montant de leur investissement et le montant de la réduction d'impôt auquel ils pouvaient prétendre, sans s'assurer que les conditions étaient réunies pour obtenir l'avantage fiscal recherché, exposant ces derniers à un redressement fiscal. La responsabilité découlant de la faute ainsi commise échappe à l'exclusion de garantie précitée.
S'agissant de l'exclusion de garantie tenant au caractère intentionnel ou dolosif de la faute de l'assuré, le contrat stipule, conformément à l'article L. 113-1, alinéa 2, du code des assurances, que sont exclus de la garantie souscrite « les dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré ». Alors qu'il incombe à l'assureur opposant une clause d'exclusion de garantie de rapporter la preuve de la réunion des conditions de fait de celle-ci, force est de relever, en l'espèce, que les assureurs ne démontrent pas que la société Erivam ait eu la volonté de causer aux époux [R] le dommage tel qu'il est survenu ni qu'elle ait commis un manquement délibéré dont elle ne pouvait ignorer qu'il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre, de nature à faire perdre à l'opération d'assurance son caractère aléatoire. La faute intentionnelle ou dolosive n'est donc pas caractérisée.
S'agissant du plafond de garantie, si la réclamation des époux [R] s'inscrit dans un sinistre présentant un caractère sériel, la cour retient que les assureurs ne justifient pas que la demande des appelants se heurte à l'épuisement du plafond global. Il n'y a pas lieu, dans ces conditions, de désigner un séquestre.
Enfin, les sinistres étant globalisés, aucune franchise ne peut être opposée individuellement aux époux [R].
Au vu de ce qui précède, il convient, par infirmation du jugement déféré, de condamner les assureurs à payer aux époux [R] la somme de 86 501 euros en réparation de leur préjudice.
Les intérêts courront sur cette somme à compter du prononcé de l'arrêt et seront capitalisés par année entière, conformément à la demande qui en est faite, en application de l'article 1154, devenu 1343-2, du code civil.
3. Sur les demandes accessoires
Le liquidateur judiciaire est partie à l'instance de sorte qu'il n'est pas nécessaire de lui déclarer commun le présent jugement, lequel lui est par principe opposable en raison de sa qualité de parties.
Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
Compte tenu de la solution donnée au litige en appel, les assureurs sont condamnés aux dépens de première instance et d'appel et à payer aux époux [R] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne les sociétés MMA iard et MMA iard assurances mutuelles à payer à M. [B] [R] et Mme [P] [K] épouse [R] la somme de 86 501 euros en réparation de leur préjudice, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt,
Dit que les intérêts échus, dus pour une année entière, produiront intérêt,
Condamne les sociétés MMA iard et MMA iard assurances mutuelles à payer à M. [B] [R] et Mme [P] [K] épouse [R] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne les sociétés MMA iard et MMA iard assurances mutuelles aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT