R.G : N° RG 23/03094 - N° Portalis DBVX-V-B7H-O5HR
notification
aux parties le
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
AUDIENCE SOLENNELLE
ARRET DU 22 Juin 2023
Décision déférée à la Cour : Conseil de l'ordre des avocats de SAINT-ETIENNE du 06 mars 2023
DEMANDEUR AU RECOURS :
Madame [J] [O]
[Adresse 2]
[Localité 5]
comparante
DEFENDEUR AU RECOURS :
CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE SAINT ETIENNE
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Maître Olivier BOST, bâtonnier
EN PRESENCE DE :
Mme LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 1]
[Localité 6]
L'affaire a été débattue en chambre du conseil le 25 Mai 2023
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
- Anne WYON, première présidente de chambre
- Olivier GOURSAUD, président de chambre
- Anne-Claire ALMUNEAU, présidente de chambre
- Raphaële FAIVRE, vice-présidente placée
- Stéphanie LEMOINE, conseillère
assistés pendant les débats de Sylvie NICOT, greffier
lors de l'audience ont été entendus :
- Anne WYON, en son rapport
- [J] [O] en sa plaidoirie
- Olivier NAGABBO, avocat général, en ses réquisitions
- Olivier BOST, bâtonnier, en ses observations
- [J] [O] ayant eu la parole en dernier
Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel le 22 Juin 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Anne WYON, première présidente de chambre , agissant par délégation du premier président,selon l'ordonnance du 25 mai 2023 et par Sylvie NICOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
Mme [O] a saisi le conseil de l'ordre du barreau de Saint-Étienne d'une demande d'inscription au tableau de l'ordre sur le fondement de l'article 98 3° du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, aux termes duquel sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat [...] les juristes d'entreprise justifiant de huit ans au moins de pratique professionnelle au sein du service juridique d'une ou plusieurs entreprises.
Après avoir désigné un rapporteur qui a entendu l'intéressée le 3 février 2023, le conseil de l'ordre, après débats en présence de Mme [O] le 6 mars 2023, a rejeté sa demande par arrêté du même jour.
Le conseil de l'ordre a essentiellement relevé dans sa décision que Mme [O], salariée de la société Locam, a occupé le poste d'assistante recouvrement contentieux jusqu'en 2014, puis à compter de janvier 2015, celui de chargée d'affaires juridiques et juriste d'entreprise jusqu'en septembre 2019 et depuis le 1er octobre 2019 celui de responsable conformité, dans le cadre duquel elle consacre la plus grande partie de son temps au pilotage et au suivi des dispositifs réglementaires, des dispositifs contre la fraude et la corruption, au respect du RGPD, aux obligations à l'égard de la clientèle et à la veille réglementaire.
Il a estimé que depuis le 1er octobre 2019, Mme [O] n'exerce plus l'activité de juriste à titre exclusif et qu'elle n'est pas rattachée au service juridique de son entreprise mais à la direction générale et qu'en conséquence, elle ne satisfait pas à la condition de durée prévue par le texte.
Par lettre recommandée avec avis de réception déposée le 6 avril 2023, Mme [O] a relevé appel de cette décision.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 25 mai 2023.
Par conclusions déposées au greffe le 22 mai transmises à M. le bâtonnier de Saint-Étienne et à Mme la procureure générale, Mme [O] expose qu'elle fait partie des effectifs de la société Locam depuis février 2013, que cette société propose des opérations de location financière et conformément à l'article L511-10 du code monétaire et financier, dispose d'un agrément délivré par l'autorité de contrôle prudentiel et que dans le cadre de cette activité fortement réglementée, elle exerce depuis fin 2019 des activités d'information et de conseil vis-à-vis de la gouvernance d'entreprise et par conséquent traite des problèmes juridiques posés par l'activité de l'ensemble des services qui constituent l'entreprise. Elle conclut à l'infirmation de la décision critiquée.
Par conclusions déposées au greffe le 17 mai 2023 et transmises aux autres parties, le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Saint-Étienne sollicite la confirmation de la décision dont appel.
Rappelant qu'un des membres du conseil de l'ordre a été chargé de l'étude de la requête et a vainement demandé à Mme [O] les avenants au contrat de travail initial et ses dernières fiches de salaire, il fait observer que si celle-ci satisfait aux conditions de nationalité française et de diplôme, elle n'est plus rattachée à un service juridique depuis le 1er octobre 2019 et ne remplit pas la condition de durée d'exercice de huit ans au moins posée par le texte.
M. l'avocat général n'a pas déposé de conclusions écrites.
A l'audience, Mme [O], se référant expressément à ses conclusions écrites a fait valoir que son exercice professionnel depuis le 1er octobre 2019 satisfait aux exigences de l'article 98 3° du décret du 27 novembre 1991. Elle a indiqué que l'article 30 de l'arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services d'investissement soumis au contrôle de l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution précise que les fonctions de conformité doivent être rattachées directement aux dirigeants effectifs de l'entreprise afin de garantir leur exercice indépendant et que c'est afin de se conformer à ce texte qu'elle exerce ses fonctions au sein de la direction générale de l'entreprise et qu'elle n'est plus rattachée au service juridique.
M. le bâtonnier, se référant expressément à ses conclusions écrites, a soutenu que n'exerçant plus d'activité de juriste depuis le 1er octobre 2019, Mme [O] ne justifie pas de huit années au moins d'exercice au sein d'un service juridique.
Sollicités sur ce point, Mme [O] et M. le Bâtonnier n'ont pas souhaité que la procédure fasse l'objet d'un renvoi pour qu'ils puissent répondre à l'argumentation du ministère public qui a conclu à la confirmation de la décision critiquée.
Mme [O] a eu la parole en dernier et a indiqué qu'elle souhaite créer un cabinet de conseil spécialisé dans la protection des données personnelles.
Pendant le cours du délibéré, elle a adressé à la cour ses bulletins de paie de janvier 2015 à mai 2023 inclus.
MOTIVATION
Après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l'appui de leurs observations, si ce n'est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444 du code de procédure civile (article 445 du même code). En l'espèce, les pièces produites en cours de délibéré par Mme [O] n'ayant pas fait l'objet d'un débat contradictoire à l'audience, elles seront écartées.
Il est constant que Mme [O] satisfait aux autres conditions posées par le texte, et qu'il convient uniquement d'examiner si elle justifie de huit années au moins de pratique professionnelle juridique.
Mme [O] exclut de la durée professionnelle qu'elle revendique l'activité en qualité d'assistante de recouvrement et de contentieux qu'elle a exercée du 4 février 2013 au 4 janvier 2015.
Il résulte de la décision dont appel que le conseil de l'ordre a considéré que du 5 janvier 2015 au 30 septembre 2019, dans le cadre de son activité de juriste puis de son poste de chargée d'affaires juridiques, Mme [O] a négocié les contrats avec les partenaires fournisseurs de la société Locam, a traité la gestion de la phase pré-contentieuse des litiges en assurant la relance des clients et en décidant de la délivrance des assignations au nom de son employeur, tâches qui relèvent effectivement des fonctions permettant la mise en 'uvre de l'article 98 3° du décret de 1991. La cour constate que tel est bien le cas.
En ce qui concerne la période postérieure au 1er octobre 2019, Mme [O] justifie qu'outre les fonctions de responsable conformité qu'elle exerce depuis cette date, elle a été désignée par la société Locam auprès de la CNIL en qualité de déléguée à la protection des données à compter du 9 janvier 2020 (sa pièce 6).
Elle produit un document intitulé 'Dispositif LCB-FT : obligations de vigilance à l'égard de la clientèle, procédure générale', qui présente la réglementation à mettre en 'uvre dans le cadre des relations entre les sociétés Locam et Sircam et leurs clients, en reproduisant pour chaque item les dispositions du code monétaire et financier applicables, et en récapitulant les vérifications à effectuer. Mme [O] est citée en qualité d'auteur de ce document de 14 pages daté du 10 août 2022 et destiné à l'ensemble des collaborateurs de la société Locam. Ce fascicule témoigne de l'appréhension du dispositif légal par l'intéressée et de sa capacité à le décliner de manière claire et didactique en vue de sa mise en 'uvre par les salariés de l'entreprise (p 7).
Il en est de même du fascicule intitulé 'procédure KYC : formalités à l'entrée en relation et actualisation' élaboré le 10 octobre 2022 et complété le 17 novembre suivant par Mme [O], qui est un complément du document précédent (p 8 ).
Mme [O] justifie en outre essentiellement qu'elle :
-prend en charge le suivi de ces règles et leur mise à jour (p 9), et intervient régulièrement en la matière (p 11- 12), en lien avec l'association française des sociétés financières (p 28) ;
-s'assure de la diffusion et du suivi des règles posées en matière de lutte contre la corruption (p 12 bis) par la loi du 19 décembre 2016 dite Sapin II,
- a contribué à la détermination du préjudice dans le cadre de la constitution de partie civile de la société Locam devant le tribunal de Bobigny en janvier 2023,
- a effectué le 23 novembre 2022 une déclaration de soupçon en application de l'article L561-15 du code monétaire et financier (p15),
- a rédigé en 2022 et en 2023 quatre fascicules en matière de Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), intitulés respectivement : 1- principes et modalités d'application, procédure générale, 2-la conduite d'analyses d'impact, 3-les principes de privacy by design et privacy by default, 4-procédures de traitement des violations de données (p 16 à 19), qui s'appliquent à toutes les relations de l'entreprise avec ses partenaires extérieurs ;
- a renseigné les collaborateurs d'autres services sur les règles applicables en matière de protection des données et être ainsi intervenue dans le cadre de l'évolution de la messagerie interne à l'entreprise (p20), de son site web (p 21), du contrat de collaboration informatique avec les sous-traitants (p 22 à 23), des logiciels RH (p24), des contrats liant son employeur à ses partenaires( p25-26), du code de déontologie du groupe (p30) ;
- est destinataire de la veille réglementaire en provenance du groupe du Crédit Agricole auquel appartient la société Locam, qui cite les décisions de jurisprudence utiles des juridictions françaises et de la Cour de Justice de l'Union Européenne avec leurs références et parfois l'indication du contenu de la décision (p 27).
Il en résulte que dans le domaine spécifique qui lui est confié, Mme [O] exerce des responsabilités exigeant une bonne connaissance de la réglementation prudentielle qui est fort complexe, une capacité à la mettre en application dans l'ensemble des activités de l'entreprise, en lien avec les autres services, à assurer la mise à jour des règles et leur respect, et qu'en conséquence elle est appelée à répondre aux problèmes juridiques posés par l'activité de l'entreprise non seulement en interne mais également avec ses partenaires, ce qui correspond à l'activité d'un juriste d'entreprise au sens du texte susvisé.
Mme [O] démontre en conséquence qu'elle exerce en qualité de juriste d'entreprise depuis janvier 2015, soit depuis plus de huit ans à la date du 6 mars 2023 à laquelle a statué le conseil de l'ordre, dont la décision sera infirmée.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant après débats en chambre du conseil, contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe :
Ecarte les pièces adressées à la cour par Mme [J] [O] après la clôture des débats ;
Infirme la décision du conseil de l'ordre des avocats du barreau de Saint-Etienne en date du 6 mars 2023 ;
Statuant à nouveau,
Enjoint au conseil de l'ordre des avocats de Saint-Etienne de procéder à l'inscription de Mme [J] [O] au tableau de l'ordre des avocats de Saint-Etienne sous condition de sa réussite à l'examen prévu par l'article 98-1 du décret du 27 novembre 1991 ;
Dit que le conseil de l'ordre supportera les dépens.
LE GREFFIER LE PRESIDENT