N° RG 22/05634 - N° Portalis DBVX-V-B7G-OOXA
Décision du
Tribunal de Commerce de LYON
Référé
du 04 juillet 2022
RG : 2022R00318
S.A.S. FARJOT CONSTRUCTIONS
C/
Société Publique Locale LYON CONFLUENCE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 20 Juin 2023
APPELANTE :
Société FARJOT CONSTRUCTIONS
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Gaël SOURBE de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547
ayant pour avocat plaidant Me Laurent BROQUET de la SELARL ITHAQUE- AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 125
INTIMEE :
Société Publique Locale LYON CONFLUENCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Vincent DE FOURCROY de la SELARL DE FOURCROY AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1102
ayant pour avocat plaidant Me Michaël KARPENSCHIF de la SELAS Fiducial Legal by LAMY, avocat au barreau de LYON, toque : 659
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 27 Mars 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 03 Avril 2023
Date de mise à disposition : 20 Juin 2023
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Olivier GOURSAUD, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Elsa SANCHEZ, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
La société publique locale Lyon Confluence (la SPL), société régie par les dispositions de l'article L. 1531-1 du code général des collectivités territoriales et du livre II du code de commerce, a pour objet l'aménagement du projet urbain de reconversion du sud de la presqu'île de Lyon.
Dans le cadre d'un projet de démolition partielle et de réhabilitation d'un ancien bâtiment industriel, la halle Girard, situé [Adresse 6] à [Localité 5], elle a confié la maîtrise d''uvre du programme à un groupement d'opérateurs économiques momentané dont le mandataire est la société Vurpas architectes (le maître d'oeuvre) et a attribué à la société Farjot constructions (la société) le lot n°2 « maçonnerie - dallage », suivant marché de travaux du 29 juin 2017.
Ce lot était divisé en :
une tranche ferme, d'un montant initial de 855 673,53 euros HT,
et de deux tranches optionnelles :
la tranche optionnelle 1 « Télésurveillance du chantier » d'un montant de 11 900 euros HT,
et la tranche optionnelle 2 « Création porte de communication avec l'Hôtel 71» d'un montant de 850 euros HT.
La durée d'exécution des travaux était fixée à quinze mois.
Le marché renvoie expressément au cahier des clauses administratives générales (CCAG) Travaux 2009, sauf dérogations expresses.
La SPL arguant de l'existence de nombreux désordres, la réception des travaux a été prononcée avec réserves le 31 janvier 2019.
Par courrier du 5 juin 2019, l'assureur protection juridique de la société a soutenu que les réserves avaient été levées et a sollicité le paiement de la somme de 134 335,13 euros.
En l'absence de versement, la société a assigné la SPL devant le juge des référés du tribunal de commerce en paiement des situations de travaux n°11, n°12 et n°17 pour la somme totale de 99 985 euros TTC, outre celle de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Par ordonnance du 4 juillet 2022, le juge des référés a rejeté l'ensemble des demandes de la société et l'a condamnée à payer à la SPL la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Par déclaration du 1er août 2022, la société a relevé appel de l'ordonnance.
Par conclusions notifiées le 23 mars 2023, elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance et, statuant de nouveau, de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en son action en référé et en ses entières demandes,
et
- condamner à titre provisionnel la SPL à lui verser la somme de 99 985 euros TTC en principal, au titre de ses situations de travaux impayées n° 11 du 25 mai 2018, n° 12 du 30 juin 2018 et n° 17 du 31 décembre 2018, outre intérêts à compter de la date d'échéance de chacune des situations impayées conformément à l'article 6.1 de l'acte d'engagement et 6.3 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP), au taux appliqué par la Banque centrale européenne à son opération de financement la plus récente majorée de 8 points de pourcentage,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner à titre provisionnel la SPL à lui verser une indemnité forfaitaire de 40 euros par situation impayée pour frais de recouvrement,
- condamner à titre provisionnel la SPL à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, à raison de l'abus de droit et de la résistance abusive au paiement de la SPL,
- condamner la SPL à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SPL aux entiers dépens, dont tous frais d'exécution en ce compris la part réglementaire qui serait mise à la charge habituelle du créancier,
- ordonner en conséquence qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées à son encontre par la décision à intervenir et qu'en cas d'exécution par voie extra judiciaire ou judiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application des dispositions du décret du 26 février 2016 et de l'arrêté du 26 février 2016 fixant les tarifs réglementés des huissiers de justice seront supportées par la SPL,
- débouter, en tout état de cause, la SPL de l'ensemble de ses allégations, demandes, fins et prétentions, comme étant irrecevables, infondées et pour le moins injustifiées, d'autant en référé comme ne justifiant pas de créance certaine, liquide et exigible, au contraire de la concluante, ni de compte de compensation opposable,
- rejeter toutes fins et argumentations contraires comme étant irrecevables, infondées et pour le moins injustifiées.
Par conclusions notifiées le 16 novembre 2011, la SPL demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance,
- dire et juger les demandes de la société irrecevables,
- rejeter l'ensemble des demandes de la société compte tenu de leur irrecevabilité,
A titre subsidiaire,
- dire et juger les demandes de la société sérieusement contestables,
- débouter la société de l'ensemble de ses demandes,
En tout état de cause,
- condamner la société à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 27 mars 2023.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action en référé
La société fait valoir essentiellement :
- que le premier juge procède par confusion, puisqu'elle ne sollicite pas le règlement du solde de ses marchés mais sollicite, en référé, le règlement de ses situations de travaux impayées-; qu'il s'agit dès lors de deux réclamations différentes, n'ayant pas le même objet ;
- qu'elle conteste la notion même de « différend » ; qu'aucun différend n'est caractérisé en présence d'une demande de condamnation provisionnelle au titre de situations de travaux impayées à bonne date et suivant échéance contractuelle, s'agissant d'une créance certaine, liquide et exigible, et non d'une discussion au fond, dans le cadre de la clôture des comptes;
- que si par extraordinaire un « différend » devait être caractérisé, l'obligation d'une réclamation préalable ne saurait la concerner sauf à dénier au juge des référés l'essence même de sa compétence ;
- que les dispositions relatives aux demandes de paiement mensuelles et acomptes n'envisagent pas ce préalable en cas de désaccord sur les situations, ce qui confirme que ce préalable n'a pas vocation à s'appliquer au présent litige ;
- que dans son courrier daté du 13 juillet 2022, la SPL reconnaît expressément qu'elle est débitrice de la société ; que la cour doit constater cet aveu judiciaire.
La SPL réplique que c'est à bon droit que le président du tribunal de commerce de Lyon a rejeté les prétentions de la société en l'absence d'envoi préalable d'un mémoire en réclamation. Elle fait valoir à cet égard :
- que la société était tenue de respecter les règles procédurales prévues au contrat qui fixent l'obligation d'émettre un mémoire en réclamation avant toute saisine du juge d'un différend entre les parties ; que la présentation d'un mémoire en réclamation constitue une exigence procédurale obligatoire devant être accomplie par le titulaire préalablement à la saisine du juge compétent ; qu'à défaut, la saisine du juge est irrecevable ;
- qu'un tel mémoire est exigé pour tout différend s'élevant entre les parties et que, contrairement à ce qu'expose l'appelante, un différend est bien né entre les parties ; que le juge judiciaire du référé provision a admis qu'un différend, au sens des CCAG, résulte d'une prise de position écrite, explicite et non équivoque traduisant un désaccord, lequel est matérialisé par l'envoi d'une mise en demeure restée sans effet ; qu'en l'espèce, la société a expressément reconnu avoir adressé une mise en demeure à la SPL, laquelle n'y a pas donné de suite favorable, de sorte qu'un différend est né entre les parties ; que la naissance d'un différend est incontestable puisque les parties ne sont pas d'accord sur le montant des sommes dues ;
- que la jurisprudence judiciaire retient clairement que l'obligation prévue au CCAG Travaux 2009 consistant à adresser un mémoire en réclamation préalablement à la saisine du juge trouve à s'appliquer même dans l'hypothèse d'un marché privé de la commande publique et même dans le cadre d'une procédure devant le juge des référés ;
- que si le contrat conclu entre les parties est soumis au droit privé, même si ses modalités de passation et d'exécution restent régies par les dispositions du code de la commande publique, les parties ont librement convenu ont librement choisi d'ériger le CCAG Travaux 2009 au rang de pièce contractuelle ayant force de loi entre elles ;
- qu'il importe peu que le litige porte ou non sur le solde du marché ; qu'un mémoire en réclamation est toujours exigé et doit être adressé avant de saisir la juridiction au sujet du différend qui oppose les parties ; qu'en tout état de cause, le litige concerne bien la question du « solde du marché ».
Réponse de la cour
L'article 50 du CCAG applicables aux marchés publics de travaux approuvé par l'arrêté du 8 septembre 2009, dans sa rédaction modifiée par l'arrêté du 3 mars 2014 applicable au marché conclu entre la SPL et la société, sous réserve du paragraphe 50.3.1 relatif au tribunal compétent, dispose :
« 50.1.1. Si un différend survient entre le titulaire et le maître d''uvre, sous la forme de réserves faites à un ordre de service ou sous toute autre forme, ou entre le titulaire et le représentant du pouvoir adjudicateur, le titulaire rédige un mémoire en réclamation.
Dans son mémoire en réclamation, le titulaire expose les motifs de son différend, indique, le cas échéant, les montants de ses réclamations et fournit les justifications nécessaires correspondant à ces montants. Il transmet son mémoire au représentant du pouvoir adjudicateur et en adresse copie au maître d''uvre.
Si la réclamation porte sur le décompte général du marché, ce mémoire est transmis dans le délai de trente jours à compter de la notification du décompte général.
Le mémoire reprend, sous peine de forclusion, les réclamations formulées antérieurement à la notification du décompte général et qui n'ont pas fait l'objet d'un règlement définitif.
50.1.2. Après avis du maître d''uvre, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire sa décision motivée dans un délai de trente jours à compter de la date de réception du mémoire en réclamation.
50.1.3. L'absence de notification d'une décision dans ce délai équivaut à un rejet de la demande du titulaire.
50.2. Lorsque le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas donné suite ou n'a pas donné une suite favorable à une demande du titulaire, le règlement définitif du différend relève des procédures fixées aux articles 50.3 à 50.6.
50.3. Procédure contentieuse :
50.3.1. A l'issue de la procédure décrite à l'article 50.1, si le titulaire saisit le tribunal administratif compétent, il ne peut porter devant cette juridiction que les chefs et motifs énoncés dans les mémoires en réclamation. [...] ».
En application de ces dispositions, c'est à bon droit que le premier juge a rejeté les demandes de la société après avoir relevé que cette dernière n'avait pas respecté la procédure fixée au CCAG travaux 2009.
Pour confirmer l'ordonnance déférée, la cour relève, d'une part, que, contrairement à ce que soutient la société, les dispositions précitées n'ont pas vocation à s'appliquer uniquement aux différends liés au solde du marché mais également à ceux découlant des demandes de règlement des situations de travaux impayées, une disposition spécifique (le paragraphe 50.3.2.) étant d'ailleurs prévue pour « les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché ».
La cour ajoute, d'autre part, que le refus de règlement opposé par la SPL au motif de l'existence de nombreux désordres caractérise bien un différend au sens de l'article 50 précité.
Enfin, c'est vainement que la société soutient que le courrier du 13 juillet 2022 de la SPL devrait être qualifié d'aveu judiciaire, alors qu'il ne s'agit aucunement d'une déclaration faite en justice par la société intimée conformément à l'article 1356 du code civil. Par ailleurs, s'il est exact que la SPL reconnaît dans ce courrier, et dans la proposition de décompte général annexé à celui-ci, ne pas avoir réglé à la société une somme de 101'663,98 euros TTC, cette reconnaissance ne saurait davantage être qualifiée d'aveu extra judiciaire dans la mesure où la SPL fait également état de réserves qui « n'ont toujours pas été levées » et propose un projet de décompte général prenant « en compte un montant estimatif pour lever les dernières réserves, montant à recaler au réel des frais engagés, dans l'hypothèse où [elle serait] contraint[e] de faire lever les réserves [aux] frais et risques » de la société, de sorte qu'elle ne reconnaît absolument pas rester devoir à la société la somme de 101'663,98 euros.
Au vu de ce qui précède, la cour confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté l'ensemble des demandes de la société.
L'ordonnance est encore confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
En cause d'appel, la société, partie perdante, est condamnée aux dépens et à payer à la SPL la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la société Farjot constructions à payer à la société publique locale Lyon Confluence la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens d'appel
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT