N° RG 21/02756 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NQYP
Décision du
Tribunal Judiciaire de LYON
Au fond
du 24 mars 2021
RG : 13/07722
ch n°9 cab 09G
S.A. AXA FRANCE IARD
C/
G.A.E.C. VIGNON
S.A.S. FREDIERE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 21 Mars 2023
APPELANTE :
Société AXA FRANCE IARD
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Caroline CERVEAU-COLLIARD de la SELARL C3LEX, avocat au barreau de LYON, toque : 205
INTIMEES :
LE GROUPEMENT AGRICOLE D'EXPLOITATION EN COMMUN (GAEC) VIGNON
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Valérie ORHAN-LELIEVRE de la SELARL SAINT-EXUPERY AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 716
La SAS FREDIERE.
[Adresse 6]
[Localité 2]
Représentée par Me Philippe BUSSILLET, avocat au barreau de LYON, toque : 1776
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 20 Janvier 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 24 Octobre 2022
Date de mise à disposition : 24 janvier 2023 prorogée au 14 mars 2023 prorogée au 21 Mars 2023, les avocats dûment avisés conformément au code de procédure civile
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Olivier GOURSAUD, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Le 1er juillet 2009, le GAEC Vignon a confié à la société Frédière, assurée auprès de la compagnie Axa France Iard (l'assureur), la rénovation de sa salle de traite pour un montant de 40 000€ HT avec reprise de l'ancien matériel.
En juillet 2010, une consommation anormalement élevée d'antibiotiques par les vaches, une augmentation du nombre de mammites et l'existence de cellules dans la production du lait a été constatée par le vétérinaire. En octobre 2010, des analyses ont montré la présence de staphylocoques dorés.
A la demande de la société Frédière, la société Boumatic, fabricant du matériel de traite, s'est rendue sur l'exploitation le 19 mai 2011 et a précisé au GAEC Vignon les améliorations qui pouvaient être apportées, notamment qu'il y ait une routine de traite ou encore de prendre des mesures d'hygiène et de salubrité.
Par acte d'huissier de justice en date des 6 et 24 juin 2013, le GAEC Vignon a fait assigner la société Frédière et son assureur, devant le tribunal de grande instance de Lyon aux fins d'obtenir la réparation de son préjudice.
Le juge de la mise en état, par ordonnance du 17 juin 2014, a ordonné une expertise judiciaire. M. [C], expert, s'est adjoint les services d'un sapiteur, le docteur [G], vétérinaire. L'expert a déposé son rapport le 22 novembre 2015.
Par jugement du 24 mars 2021, le tribunal de grande instance de Lyon a :
- Condamné in solidum la société Frédière et la compagnie Axa France Iard à verser au GAEC la somme de 43 722,04 € à titre de réparation des préjudices subis,
- Condamné in solidum la société Frédière et la compagnie Axa France Iard à verser au GAEC la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné in solidum la société Frédière et la compagnie Axa France Iard à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par déclarations des 16 et 21 avril 2021, la société Axa France Iard a relevé appel.
Par ordonnance du 16 décembre 2021, le conseiller de la mise en état a constaté que les procédures enregistrées sous les n° RG 21/2828 et 21/2756 concernaient la même décision, a ordonné la jonction des procédures et la poursuite de l'instance sous le n° RG 21/2756.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 13 décembre 2021, la compagnie Axa France Iard demande à la cour de :
- Joindre les procédures n°21/02756 et n°21/08828,
- Infirmer le jugement rendu le 24 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Lyon en ce qu'il a :
o Condamné in solidum la société Fredière et la compagnie Axa France Iard à verser au GAEC la somme de 43 722,04 € à titre de réparation des préjudices subis,
o Condamné in solidum la société Fredière et la compagnie Axa France Iard à verser au GAEC la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
o Condamné in solidum la société Fredière et la compagnie Axa France Iard à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- Juger que l'activité déclarée par la société Frédière aux conditions particulières de la police n°000002493684904 ne correspond pas à l'activité exercée par la société Frédière auprès du GAEC Vignon pour l'installation de la salle de traite,
- Juger n'y avoir lieu à sa garantie au bénéfice de la société Frédière,
- Débouter le GAEC Vignon et la société Frédière de toutes demandes à son égard,
- Condamner le GAEC Vignon à lui verser la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés directement par Maître Caroline Cerveau-Colliard, de la SELARL C3LEX, avocat.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 7 octobre 2021, la société Frédière demande à la cour de :
- Rejeter l'appel principal formé par la compagnie Axa à l'encontre de la partie du jugement qui l'a condamné à assumer ses obligations de garantie à son égard,
- Dire que son activité, développée dans le courant de l'année 2009, à savoir notamment l'installation de matériels de traite, rentrait dans l'activité couverte par le contrat d'assurance n°2396048904 à effet au 1er janvier 2007 applicable en cette affaire, celui revendiqué par la compagnie Axa n'étant applicable qu'ultérieurement, à partir du 1er avril 2010,
- Accueillir son appel incident à l'encontre du jugement en ce que celui-ci a accueilli les demandes présentées par le GAEC Vignon, même en limitant les effets à 50% des sommes réclamées initialement,
- Dire que le GAEC Vignon échoue à démontrer le lien de causalité entre les affections dont ses vaches sont restées affectées, avec hausse du taux de cellules dans le lait livré, phénomène dont l'origine remontait à minima à janvier 2008, et la mise en service au mois de décembre 2009 de la salle de traite rénovée,
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamné, ainsi que son assurance, à verser au GAEC Vignon la somme de 43 722,04 € en réparation des préjudices subis, outre la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens de l'instance,
- Débouter le GAEC Vignon de l'appel incident et des demandes qu'il présente à nouveau devant la cour visant à obtenir la condamnation de la concluante à lui payer la somme de 72.106,22 € outre 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et d'avoir à supporter les entiers dépens de l'instance,
- Condamner conjointement et solidairement le GAEC Vignon et la compagnie Axa à lui payer la somme de 6 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner les mêmes, sous les mêmes conditions de solidarité, à supporter les entiers dépens de l'instance.
Au terme de ses dernières conclusions notifiées le 29 septembre 2021, le GAEC Vignon demande à la cour de :
- Réformer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lyon en date du 24 mars 2021 en ce qu'il a condamné in solidum la société Frédière et la compagnie Axa à lui verser la somme de 43 722,04 € à titre de réparation des préjudices subis,
- Confirmer ledit jugement en toutes ses autres dispositions, notamment en ce qu'il a prononcé la condamnation in solidum de la société Frédière et de son assureur, la compagnie Axa,
Et, statuant à nouveau,
- Juger que la société Frédière est responsable à hauteur de 80% de préjudices qu'il a subis suite à la réfection de la salle de traite,
En conséquence,
- Condamner in solidum la société Frédière et son assureur, la compagnie Axa à lui verser la somme de 72 106,22 € HT en réparation de son préjudice,
- Débouter la société Axa de toutes ses demandes, fins et prétentions,
- Condamner la société Axa à lui verser la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner la même en tous les dépens de l'instance, distraits au profit de la SELARL Saint-Exupéry avocats, avocat, sur son affirmation de droit.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 janvier 2022.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la responsabilité de la société Frédière
Le GAEC Vignon, s'appuyant sur le rapport d'expertise, soutient que les infections ont été directement causées par l'installation de la salle de traite par la société Frédière et que ce sont les différentes améliorations qui ont été apportées par la suite, qui ont pu permettre un retour progressif à la normale.
Il demande que le jugement, en ce qu'il a retenu une indemnisation à hauteur de 50% de son préjudice, soit réformé, au motif que les carences de la société Frédière, tant dans la conception de la salle de traite, que dans l'installation des machines sont importantes. Il en conclut que sa part de responsabilité doit être limitée à 20% du préjudice, sauf la réfection de la salle de traite, pour laquelle la société Frédière serait responsable à hauteur de 100%.
La société Frédière fait valoir que l'existence d'un lien de causalité entre son intervention et le préjudice du GAEC n'est pas démontré. Elle considère que le GAEC, qui a voulu réduire la durée de la traite, a négligé les procédures. Elle ajoute que la qualité du lait était déjà problématique avant son intervention et se serait par la suite améliorée, en 2014, alors qu'elle n'est plus intervenue, mais qu'il aurait accepté d'appliquer les conseils du Dr [M].
L'assureur s'associe aux observations de la société Frédière et conteste les termes du rapport d'expertise, qui seraient trop favorables au GAEC Vignon, notamment les conclusions du Dr [G], sapiteur de M. [F].
Réponse de la cour
Tout comme les premiers juges, il y a lieu de retenir que le rapport d'expertise judiciaire établi par M. [C], complété par l'analyse de son sapiteur le Dr [G], répond objectivement et de façon détaillée à sa mission, de sorte qu'il doit servir de base pour apprécier les fautes, les responsabilité et l'étendue des préjudices.
Il est constant que le sinistre est constitué par l'infection du troupeau de vaches et le défaut de maîtrise par l'éleveur de la qualité du lait.
Selon l'expert judiciaire, trois facteurs de risques dans la survenue du sinistre doivent être retenus: 'l'effet bâtiment', qui est imputable à l'éleveur, 'le mauvais positionnement des griffes sous les vaches lors du branchement pendant la traite', qui est imputable à l'éleveur, 'la mauvaise position des vaches sur le quai lors de la traite', qui est imputable à la société Frédière.
L'expert précise que la qualité du lait ne peut être correcte et pérenne que si les trois facteurs précités sont modifiés à la fois, de sorte qu'aucun facteur ne peut être considéré comme étant prépondérant par rapport à un autre.
S'il est exact, ainsi que l'observe la société Frédière et l'ont constaté le dr [G], ainsi que l'expert de [F], que la volonté du GAEC était de gagner du temps et que l'existence de pathogènes avait pu être relevée préalablement à la modification de la salle de traite, sa mauvaise conception a participé dans une large mesure aux désordres, qui n'étaient que latents, de sorte que le lien de causalité est établi.
Or, la rénovation demandée à la société Fredière par le GAEC, consistant à faire passer 5 à 6 vaches par quai, devait faire l'objet d'une étude par la société procédant aux travaux afin, selon l'expert, de 'réfléchir aux aménagements qu'il fallait prévoir dans le local de traite pour obtenir un bon confort de traite' afin de conseiller le GAEC sur la faisabilité de son projet.
Il en résulte, ainsi que l'ont pertinemment retenu les premiers juges, par des motifs que la cour adopte expressément, que la société Frédière a manqué à son obligation de conseil sur la rénovation de la salle de traite et n'a pas respecté son obligation de résultat, en permettant le développement de pathogènes préexistants, de sorte qu'en sa qualité de professionnelle de l'installation de machines et de salle de traite, sa responsabilité doit être retenue pour moitié.
En effet, contrairement à ce qui est soutenu par la société Frédière, les difficultés n'ont pas cessé dès que le GAEC a modifié la pose des griffes sous les vaches, ainsi que lui a conseillé le Dr [M], alors, selon l'expert, que le positionnement des vaches sur les quais doit également être modifié.
Enfin, la société Frédière, qui a procédé à l'installation des machines de traite et à leur réglage, ne démontre pas que le GAEC a de sa propre initiative, ainsi qu'elle le soutient, modifié le taux de vide dans les tuyaux afin d'accélérer la traite.
Les différents postes de préjudices retenus par l'expert, ainsi que leur montant, n'étant pas discutés entre les parties, il y a lieu, compte tenu du partage de responsabilité entre le GAEC et la société Frédière, de condamner cette dernière à lui payer la somme totale de 43 722, 04 euros.
Le jugement est confirmé de ce chef.
2. Sur la garantie de la société Axa France Iard
L'assureur fait valoir que le sinistre ne rentre pas dans la police d'assurance souscrite par la société Frédière en raison d'une inadéquation entre l'activité qu'elle a déclarée(vente et réparation d'appareils agricole) et l'activité réellement exercée au bénéfice du GAEC Vignon (vente et installation des appareils de traite dans le cadre de l'aménagement de la salle de traite).
La société Frédière soutient que l'assureur doit sa garantie, le contrat d'assurance souscrit intéressant la vente ou la réparation de matériel agricole. Or, une machine de traite a bien une nature agricole.
Le GAEC Vignon fait valoir que la société Frédière a déclaré au registre du commerce et des sociétés, exercer une activité de commerce de gros de matériel agricole, laquelle comprend plusieurs sous-activités et, notamment, l'installation de matériel.
Réponse de la cour
La police versée aux débats indique que l'activité déclarée par l'assurée, est la vente et la réparation d'appareils agricoles.
Or, il est constant que la société Frédière a conclu avec le GAEC, un contrat de vente et d'installation d'appareils de traite, dans le cadre de la conception et de l'aménagement de la salle de traite.
Si une machine de traite a bien une nature agricole, ainsi que le soutient la société Frédière, l'activité qui consiste à installer cette machine et à concevoir une salle de traite, est distincte de la vente ou la réparation de matériel agricole, de sorte qu'elle n'est pas garantie, à défaut d'avoir été déclarée.
La publication du code NAF sous lequel la société est inscrite au registre du commerce et des sociétés, n'est pas de nature à pallier à cette absence de déclaration.
En conséquence, l'assureur ne peut être tenu de garantir le sinistre, qui résulte, outre de la vente du matériel de traite, de la conception, la rénovation et l'installation du matériel qu'elle n'a pas assurées, à défaut d'avoir été déclarées.
En conséquence de l'ensemble de ces éléments, il convient, par infirmation du jugement, de débouter la société Fredière de sa demande de garantie, ainsi que le GAEC Vignon de sa demande de condamnation de l'assureur, in solidum avec la société Frédière.
3. Sur les autres demandes
Le jugement est infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure.
La cour estime que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du GAEC Vignon et de l'assureur et condamne la société Frédière à leur payer, à chacun, la somme de 2.000 euros.
Les dépens de première instance et d'appel sont à la charge de la société Frédière.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il condamne la société Frédière à payer au GAEC Vignon, la somme de 43 722,04 euros, à titre de réparation des préjudices subis,
statuant de nouveau et y ajoutant,
Déboute la société Frédière et le GAEC Vignon de leurs demandes dirigées à l'encontre de la société Axa France Iard,
Condamne la société Frédière à payer au GAEC Vignon, la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Frédière à payer à la société Axa France Iard, la somme de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société Frédière aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats qui en ont fait la demande le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le Président,