N° RG 20/04819 - N° Portalis DBVX-V-B7E-NEC3
Décision du
TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de SAINT ETIENNE
Au fond
du 30 juin 2020
RG : 20/01273
CAISSE REGIONALE DE CREDITAGRICOLE MUTUEL LOIRE HAUTE-LOIRE
C/
[D]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 10 Janvier 2023
APPELANTE :
La société CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL LOIRE HAUTE-LOIRE
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
Assisté de Me Grégoire MANN de la SELARL LEX LUX AVOCATS, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE, toque : 1
INTIMEE :
Mme [C] [D]
née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 6] (42)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Simon LETIEVANT, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 20 Mai 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 10 Novembre 2022
Date de mise à disposition : 10 Janvier 2023
Audience présidée par Bénédicte LECHARNY, magistrat rapporteur, sans opposition des parties dûment avisées, qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assisté pendant les débats de Sylvie NICOT, greffier.
Composition de la Cour lors du délibéré :
- Olivier GOURSAUD, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties présentes ou représentées en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
La caisse régionale de crédit agricole mutuel Loire Haute-Loire (la banque) a consenti à Mme [C] [D], suivant offre préalable datée du 29 novembre 2017, un prêt d'un montant de 108'679 euros au taux d'intérêt de 1,64 %, remboursable en 240 échéances mensuelles de 531,45 euros, destiné à financer le rachat de deux prêts immobiliers souscrits auprès de la société CIC Lyonnaise de banque pour le financement d'un bien immobilier acheté par Mme [D] et son époux le 2 juin 2010, dont la jouissance devait lui être attribué dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial après divorce.
La banque a débloqué les fonds directement auprès de la société CIC Lyonnaise de banque le 13 janvier 2018.
L'acte notarié de liquidation de la communauté n'ayant pas été signé, Mme [D] a, par courrier de son conseil en date du 6 février 2019, sollicité la résolution du contrat de prêt et la restitution des sommes versées en exécution du prêt.
La banque s'étant opposée à la demande, Mme [D] l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Saint-Etienne, devenu le tribunal judiciaire de Saint-Etienne.
Par jugement du 30 juin 2020, ce tribunal a :
- prononcé la résolution du contrat de prêt,
- condamné la banque à rembourser à Mme [D] :
1 304,15 euros versés pour la garantie CAMCA,
450 euros de frais de dossier,
l'ensemble des intérêts conventionnels,
les primes d'assurance d'un montant mensuel de 28,58 euros,
- dit que la banque a commis une faute en délivrant les fonds du prêt à la société CIC Lyonnaise de banque,
- dit que Mme [D] ne sera pas tenue de restituer une somme équivalente aux fonds versés par la banque à la société CIC Lyonnaise de banque consécutivement à la résolution du contrat de prêt,
- condamné la banque à régler à Mme [D] une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la banque aux entiers dépens de l'instance dont distraction profit de Maître Simon Letievant.
Par déclaration du 4 septembre 2020, la banque a relevé appel du jugement.
Par conclusions notifiées le 3 décembre 2020, elle demande à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement et, statuant à nouveau :
- débouter Mme [D] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
à titre subsidiaire,
- condamner Mme [D] à lui rembourser les sommes versées au titre de l'offre de prêt du 29 novembre 2017, à savoir 108'679 euros,
en tout état de cause,
- condamner Mme [D] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées le 23 décembre 2020, Mme [D] demande à la cour de :
à titre principal,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il ne lui a accordé qu'une indemnité de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter la banque de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la banque à lui régler une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- condamner la banque aux entiers dépens d'instance, distraction au profit de Maître Simon Letievant, avocat sur son affirmation de droit,
à titre subsidiaire,
- prononcer la caducité du contrat de prêt,
- condamner la banque à lui rembourser :
1 304,15 euros versés pour la garantie CAMCA,
450 euros de frais de dossier,
l'ensemble des intérêts conventionnels,
les primes d'assurance d'un montant mensuel de 28,58 euros,
- débouter la banque de l'intégralité de ses demandes,
- condamner la banque à lui régler une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- condamner la banque aux entiers dépens d'instance, distraction au profit de Maître Simon Letievant, avocat sur son affirmation de droit.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 mai 2021.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la résolution du contrat de prêt
La banque fait valoir qu'une interprétation purement littérale de l'article L. 313-36 du code de la consommation suffit à se convaincre que les actes de partage sont exclus de la condition résolutoire prévue par les dispositions du code de la consommation ; que la régularisation de l'acte de partage ne peut être assimilée à un acte de vente avec transfert de propriété ; que la banque n'est en rien responsable de la non régularisation de l'acte de partage ; que la résolution du contrat de prêt ne peut être prononcée en raison de l'absence de conclusion d'un acte de partage.
Mme [D] réplique que la banque ne conteste pas que l'acte de partage constitue bien le contrat principal auquel est lié le contrat de prêt ; que l'article L. 313-36 du code de la consommation ne fait aucune distinction quant à la nature du contrat principal ; qu'en l'espèce, il ne fait aucun doute que les parties ont entendu se soumettre aux dispositions des articles L. 313-1 et suivants du code de la consommation, parmi lesquels l'article L. 313-36 ; qu'après avoir constaté qu'aucun acte de partage n'a été conclu, la cour d'appel n'aura d'autre choix que de prononcer la résolution du contrat de prêt sur le fondement de ces dispositions.
Réponse de la cour
Selon l'article L. 313-36 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016, applicable au litige, l'offre est toujours acceptée sous la condition résolutoire de la non-conclusion, dans un délai de quatre mois à compter de son acceptation, du contrat pour lequel le prêt est demandé. Les parties peuvent convenir d'un délai plus long que celui défini au premier alinéa.
Ces dispositions sont applicables aux prêts mentionnés à l'article L. 313-1 du même code, c'est-à-dire :
1° Aux contrats de crédit, définis au 6° de l'article L. 311-1, destinés à financer les opérations suivantes :
a) Pour les immeubles à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation :
- leur acquisition en propriété ou la souscription ou l'achat de parts ou actions de sociétés donnant vocation à leur attribution en propriété, y compris lorsque ces opérations visent également à permettre la réalisation de travaux de réparation, d'amélioration ou d'entretien de l'immeuble ainsi acquis ;
- leur acquisition en jouissance ou la souscription ou l'achat de parts ou actions de sociétés donnant vocation à leur attribution en jouissance, y compris lorsque ces opérations visent également à permettre la réalisation de travaux de réparation, d'amélioration ou d'entretien de l'immeuble ainsi acquis ;
- les dépenses relatives à leur construction ;
b) L'achat de terrains destinés à la construction des immeubles mentionnés au a ci-dessus;
2° Aux contrats de crédit accordés à un emprunteur défini au 2° de l'article L. 311-1, qui sont garantis par une hypothèque, par une autre sûreté comparable sur les biens immobiliers à usage d'habitation, ou par un droit lié à un bien immobilier à usage d'habitation. Ces contrats ainsi garantis sont notamment ceux destinés à financer, pour les immeubles à usage d'habitation ou à usage professionnel et d'habitation, les dépenses relatives à leur réparation, leur amélioration ou leur entretien ;
3° Aux contrats de crédit mentionnés au 1°, qui sont souscrits par les personnes morales de droit privé, lorsque le crédit accordé n'est pas destiné à financer une activité professionnelle, notamment celle des personnes morales qui, à titre habituel, même accessoire à une autre activité, ou en vertu de leur objet social, procurent, sous quelque forme que ce soit, des immeubles ou fractions d'immeubles, bâtis ou non, achevés ou non, collectifs ou individuels, en propriété ou en jouissance.
Toutefois, quand bien même le prêt ne vise pas à financer l'une de ces opérations, les parties conservent la faculté de se soumettre volontairement aux dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier.
En l'espèce, il est suffisamment établi par l'offre de prêt produite aux débats que les parties ont entendu se soumettre à ces dispositions.
En effet :
- l'offre s'intitule « offre de prêt immobilier »,
- la première page de l'offre comporte les mentions suivantes : « La présente offre [...] est soumise aux articles L 313-1 et suivants du code de la consommation »,
- en page 6/10 de l'offre, il est indiqué : « CONDITIONS RÉSOLUTOIRES - L'offre est toujours acceptée sous la condition résolutoire de la non-conclusion, dans un délai de quatre mois à compter de son acceptation, du contrat pour lequel le prêt est demandé (Article L. 313-36 du code de la consommation) ».
Au vu de ce qui précède, le premier juge a exactement retenu que les parties avaient expressément soumis l'offre de prêt aux dispositions du code de la consommation relatives au crédit immobilier et plus particulièrement à l'article L. 313-36.
C'est encore à bon droit et par une exacte appréciation des éléments de la cause que le tribunal a considéré que l'offre de prêt avait été acceptée par Mme [D] afin d'honorer l'acte de partage qui devait être régularisé par l'intermédiaire de Maître Rostaing-Mussio, notaire à Saint-Étienne, et que la banque ne contestait pas que l'acte de partage constituait bien le contrat principal auquel est lié le contrat de prêt.
Or, en l'absence de régularisation de l'acte de partage, la condition résolutoire doit recevoir application, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a prononcé la résolution du contrat de prêt.
2. Sur les conséquences de la résolution du contrat de prêt
A titre subsidiaire, la banque rappelle que l'emprunteur est tenu de rembourser la totalité des sommes que le prêteur lui a versées ou qu'il a versé pour son compte, ainsi que les intérêts y afférents, de sorte que le fait que les sommes aient été versées à la société CIC lyonnaise de banque est indifférent.
Mme [D] réplique que dans la mesure où le contrat principal n'a jamais été conclu, la banque n'aurait pas dû débloquer les fonds et qu'elle doit assumer les conséquences de la faute qu'elle a commise en débloquant le capital du prêt entre les mains de la société CIC lyonnaise de banque dès le 13 janvier 2018.
Réponse de la cour
Aux termes de l'article L. 313-38 du code de la consommation, lorsque le contrat en vue duquel le prêt a été demandé n'est pas conclu dans le délai fixé en application des dispositions de l'article L. 313-36, l'emprunteur rembourse la totalité des sommes que le prêteur lui aurait déjà effectivement versées ou qu'il aurait versées pour son compte ainsi que les intérêts y afférents ; le prêteur ne peut retenir ou demander que des frais d'étude dont le montant maximum est fixé suivant un barème déterminé par décret.
Le montant de ces frais ainsi que les conditions dans lesquelles ils sont perçus figurent distinctement dans l'offre.
Ainsi que l'a justement relevé le premier juge, la restitution des sommes versées par le prêteur n'est pas une condition mais une conséquence de la résolution du contrat de prêt.
Or, le tribunal a exactement retenu que la banque avait commis une faute en débloquant le capital du prêt entre les mains de la société CIC lyonnaise de banque le 13 janvier 2018, alors que rien ne l'autorisait à le faire, les conditions générales du crédit stipulant, en page 5, que « la mise à disposition des fonds du ou des présents prêts se fera à partir de la conclusion du contrat principal ».
Pour confirmer le jugement déféré, la cour ajoute que le contrat de prêt mentionne expressément, en sa page 6/10, que «l'emprunteur devra dans [le] délai [de quatre mois à compter de son acceptation] justifier de la conclusion dudit contrat » et que « le prêt ne sera définitivement conclu qu'après constatation de la réalisation des conditions suspensives et de la non réalisation des conditions résolutoires », ce dont il résulte qu'en débloquant les fonds entre les mains de la société CIC lyonnaise de banque avant d'avoir été destinataire de la justification de la signature de l'acte de partage, la banque a commis une faute qui la prive de son droit de solliciter auprès de Mme [D] le remboursement de la somme de 108'679 euros.
Le jugement est ainsi confirmé en ce qu'il a débouté la banque de sa demande en paiement et l'a condamné à rembourser à Mme [D] les sommes suivantes :
1 304,15 euros versés pour la garantie CAMCA,
450 euros de frais de dossier,
l'ensemble des intérêts conventionnels,
les primes d'assurance d'un montant mensuel de 28,58 euros.
3. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement est encore confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.
En cause d'appel, la banque, partie perdante, est condamnée aux dépens et à payer à Mme [D] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Maître Simon Letievant, avocat, qui en a fait la demande, est autorisé à recouvrer directement à l'encontre de la banque les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la caisse régionale de crédit agricole mutuel Loire Haute-Loire à payer à Mme [C] [D] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
La condamne aux dépens d'appel,
Autorise Maître Simon Letievant, avocat, à recouvrer directement à l'encontre de la caisse régionale de crédit agricole mutuel Loire Haute-Loire les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT