N° RG 21/00833 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NMHL
Décision du
TJ de LYON
Au fond
du 06 janvier 2021
RG : 17/01049
[N]
[K]
S.C.I. BERANGERE
C/
S.C.P. [X] [R] ET JEAN AUVOLAT SCP DE NOTAIRES ASSOC IES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 20 Décembre 2022
APPELANTS :
M. [D] [N]
né le [Date naissance 4] 1942 à [Localité 11] (71)
[Adresse 9]
[Localité 7]
Représenté par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
Assisté de Me Alexis CHABERT et Me Edouard DE MELLON de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocats au barreau de LYON, toque : 1132
Mme [C] [K]
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
Assistée de Me Alexis CHABERT et Me Edouard DE MELLON de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocats au barreau de LYON, toque : 1132
La SCI BERANGERE
[Adresse 9]
[Localité 7]
Représentée par Me Jacques AGUIRAUD de la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON, toque : 475
Assistée de Me Alexis CHABERT et Me Edouard DE MELLON de la SELARL DELSOL AVOCATS, avocats au barreau de LYON, toque : 1132
INTIMEE :
La SCP [X] [R] ET Jean AUVOLAT, Notaires associés
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée par Me Roger TUDELA de la SAS TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1813
Assistée de Me Jean-jacques RINCK de la SCP BAULIEUX-BOHE-MUGNIER-RINCK, avocat au barreau de LYON, toque : 719
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 18 Novembre 2021
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 26 Septembre 2022
Date de mise à disposition : 29 Novembre 2022 prorogée au 13 Décembre 2022, prorogée au 20 Décembre 2022, les avocats dûment avisés conformément au code de procédure civile
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Olivier GOURSAUD, président
- Stéphanie LEMOINE, conseiller
- Bénédicte LECHARNY, conseiller
assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier
A l'audience, un membre de la cour a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 13 février 1997, la SCI Bérangère, dont les associés sont M. [D] [N], gérant et Mme [C] [K], a acquis un local à usage de bureau d'une superficie de 299,15 m² ainsi que cinq parkings, composant les lots n°42 et 8 à 12 d'un ensemble immobilier, situé [Adresse 8] à [Localité 10].
Suivant un compromis de vente du 29 avril 2015, la SCI Bérangère s'est engagée, sous réserve de l'accomplissement de conditions suspensives, à vendre à la SARL [T] et associés et à M. [L] [T], les biens immobiliers, moyennant le prix principal de 690 000 euros, de la façon suivante :
- la cession à la SARL [T] et associés de l'usufruit temporaire pour une durée de 20 années, pour un prix de 470 000 euros,
- la cession à M. [T], ou toute société substituée, de la nue-propriété, pour y réunir l'usufruit à l'expiration des vingt années d'usufruit temporaire, pour un prix de 220 000 euros.
Il est indiqué dans cet acte que la vente n'entre pas dans le champ de la taxe sur la valeur ajoutée, le tarif applicable étant celui de l'article 1594 D du code général des impôts.
La réitération de la vente était prévue au plus tard le 15 juillet 2015, une fois levée la condition suspensive d'obtention d'un prêt par l'acquéreur.
Par courriel du 17 juin 2015, Me [R], notaire, a demandé à M. [N], représentant du vendeur, « pour valider la fiscalité liée à cette opération », de lui confirmer qu'il avait « bien fait le nécessaire pour anticiper l'impact de cette opération de cession, au regard des revenus fonciers, au regard de la cession de l'usufruit temporaire ».
Par courrier du 4 juillet 2015, la SCI Bérangère a indiqué aux acquéreurs qu'elle se trouvait dans l'impossibilité de réitérer la vente par acte authentique, compte tenu des nouveaux éléments portés à sa connaissance, qui entraînent une fiscalité très désavantageuse pour les associés de la SCI.
Par acte d'huissier de justice du 28 septembre 2015, M. [L] [T] et la SARL [T] et associés ont fait délivrer sommation aux vendeurs de réitérer l'acte.
Par acte authentique reçu par devant Me [R] le 30 septembre 2015, la vente a été réitérée. Un article intitulé « modification de la ventilation du prix » précise que le prix de vente global n'a pas été modifié mais que le bien est vendu à concurrence de 157 345 euros pour la nue-propriété et à concurrence de 532 655 euros pour l'usufruit temporaire.
Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception daté du 23 mai 2016, le conseil de la SCI Bérangère a sollicité de la SCP Quintana -[R] -Auvolat, l'indemnisation de son préjudice à hauteur de 50 000 euros, résultant de l'impôt qu'elle a dû payer et qu'elle n'aurait pas dû, selon elle, assumer si elle avait eu connaissance du régime fiscal.
Par acte du 23 janvier 2017, la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] ont fait assigner la SCP Quintana -[R] - Auvolat devant le tribunal de grande instance de Lyon, aux fins de mettre en cause sa responsabilité civile délictuelle et d'obtenir réparation de leurs préjudices.
Par jugement du 6 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a :
- débouté la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] de l'intégralité de leurs demandes,
- condamné la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] à verser à la SCP Quintana-[R]-Auvolat, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné in solidum la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] à supporter les entiers dépens de l'instance qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration du 4 février 2021, la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] ont relevé appel du jugement.
Au terme de conclusions notifiées le 4 mai 2021, la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement,
Statuant à nouveau,
- constater que la SCP Quintana-[R]-Auvolat a manqué à son obligation d'information et de conseil,
- dire et juger, en conséquence, que la SCP Quintana-[R]-Auvolat a engagé sa responsabilité à l'égard de M. [N] et Mme [K],
- condamner la SCP Quintana-[R]-Auvolat à payer à M. [N], les sommes de :
* 57 156 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant du surcroît d'impôt payé, subsidiairement la somme de 40 009,20 euros,
* 50 817,49 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant du coût des investissements Loi Malraux,
* 150 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant de la perte de chance de rentabiliser le prix de vente,
- condamner la SCP Quintana-[R]-Auvolat à payer à Mme [K], les sommes de :
* 38 885 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, résultant du surcroît d'impôt payé, subsidiairement la somme de 36 551,90 euros,
* 30 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, résultant de la perte de chance de rentabiliser le prix de vente,
- condamner la SCP Quintana-[R]-Auvolat à leur verser la somme de 7 000 euros à chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SCP Quintana-[R]-Auvolat aux entiers dépens de l'instance.
Au terme de conclusions notifiées le 27 juillet 2021, la SCP Quintana-[R]-Auvolat, notaires associés, demande à la cour de :
- dire l'appel non fondé et confirmer le jugement rendu le 6 janvier 2021, qui a débouté la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] de leurs prétentions,
- dire et juger que la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K], sont manifestement défaillants dans la démonstration d'une faute du notaire, directement génératrice pour eux d'un préjudice indemnisable,
- débouter la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] de l'intégralité de leurs prétentions, en ce qu'elles sont dirigées à son encontre,
A tout le moins, subsidiairement,
- dire et juger que la seule perte de chance évaluée à 10 % au vu des circonstances du dossier pourrait s'élever :
* pour M. [N] à 206 euros ;
* pour Mme [K] à 3 248 euros ;
En tout état de cause,
- condamner M. [N], Mme [K] et la SCI Bérangère, chacun, à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de la SAS Tudela & Associés, Avocat Associé, sur son affirmation de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 18 novembre 2021.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions précitées, en application de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
1. Sur la responsabilité du notaire
Selon la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K], la SCP de notaires a engagé sa responsabilité en raison de son manquement à son devoir de conseil et d'information, à défaut de les avoir informés sur les incidences juridiques et fiscales des actes qu'il a établis ou de leur avoir déconseillé la réalisation d'une opération dont les incidences fiscales étaient négatives.
Ils expliquent que les acquéreurs ayant souhaité acquérir le bien de la SCI Berangère en démembrement de propriété, le notaire a mentionné dans le compromis que la cession était soumise au régime d'imposition des plus-values immobilières, alors qu'un régime spécifique s'applique en matière de cession d'usufruit temporaire, et que celui-ci entraîne une imposition importante sur les revenus fonciers des vendeurs.
Ils soutiennent qu'ils n'en ont été informés que postérieurement à la signature du compromis, le 17 juin 2015, alors que la SCI Bérengère était tenue de réitérer la vente, puisque les conditions suspensives étaient levées. Selon eux, la SCI Berangère ne pouvait pas se désengager sans payer la clause pénale de 69 000 euros prévue au compromis, sans préjudice du droit pour les acquéreurs d'exiger la réitération de la vente.
Enfin, ils indiquent que le notaire a proposé, le 11 septembre 2015, un protocole de résiliation du compromis, prévoyant le paiement de la clause pénale par la SCI, mais les acquéreurs ont décidé d'exiger la vente, en sommant la SCI par acte extra judiciaire du 23 septembre 2015 de se présenter aux fins de réitération de l'acte de vente.
La SCP de notaires fait valoir que c'est hors de toute participation du notaire, que la SCI Berangère que la vente des locaux lui appartenant a été négociée avec M. [T].
Elle ajoute que postérieurement à la signature du compromis de vente le 29 avril 2015, dans le cadre du montage de leurs dossiers de financement, les acquéreurs ont voulu modifier la ventilation du prix s'appliquant aux droits démembrés. Cette modification dans la ventilation du prix de vente ayant un impact direct sur la fiscalité du vendeur, celui-ci en a été informé, ce qui l'a amené à annoncer aux acquéreurs par lettre du 4 juillet 2015 son intention de ne pas réitérer la vente dans ces nouvelles conditions.
Elle fait encore valoir que suite à une réunion entre les parties le 11 juillet 2015, le vendeur a décidé de réitérer la vente, en toute connaissance des conséquences fiscales, ce dernier s'étant entre temps renseigné pour effectuer différents investissements lui permettant d'absorber tout ou partie de la fiscalité afférente à la cession d'usufruit, notamment au moyen de déficits fonciers Loi Malraux.
Elle en déduit que les modifications imposées par l'acquéreur ayant un impact sur la fiscalité, ce dont M. [N] a été informé, il avait la possibilité de se désengager, ce qu'il n'a pas fait.
Réponse de la cour
Il résulte de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, que le notaire est tenu d'un devoir d'information et de conseil à l'égard de toutes les parties à l'acte pour lequel il prête son concours.
Ainsi, le notaire est tenu d'informer et d'éclairer les parties, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets, notamment quant aux incidences fiscales, de l'acte auquel il prête son concours.
En l'espèce, si la promesse synallagmatique de vente et d'achat conclue entre les parties le 29 avril 2015, mentionne que la négociation du prix et des modalités de la vente des locaux à usage de bureaux et des parkings a été réalisée par M. [E], mandataire, il résulte d'un courriel du 24 mai 2016 émanant de ce dernier, que l'acte sous seing privé a été rédigé par Me [R], ce qui est corroboré par la mention , en fin d'acte qu'il a été établi 'en un seul exemplaire qui, à la réquisition des parties, reste en la garde et possession de l'Office notarial [Adresse 1] à [Localité 6], constitué pour cette tâche mandataire commun des parties, qui sera habilité à en délivrer copies ou extraits aux parties ou à leurs conseils.'
Dès lors, il y a lieu de retenir que la promesse synallagmatique de vente et d'achat a bien été rédigée par Me [R], notaire.
Il est prévu un démembrement de la propriété des biens vendus, la société [T] et associés acquérant l'usufruit temporaire, pour une durée de 20 années, tandis que M. [T] ou toute société substituée, acquiert la nue-propriété, pour y réunir l'usufruit à l'expiration de 20 années.
Dans cette hypothèse, en application de l'article 13-5 du code général des impôts, le prix de cession de l'usufruit temporaire doit être déclaré aux revenus fonciers, cet impôt étant dû directement par les associés de la SCI, au titre de leur impôt sur le revenu.
Or, le compromis de vente ne fait pas référence à cette imposition particulière, mais à l'impôt sur les plus-values, comme pour une vente en pleine propriété, de sorte qu'il existe une erreur, qui est préjudiciable aux vendeurs puisque la fiscalité est plus défavorable.
Cependant, les vendeurs, qui reconnaissent dans un courrier émanant de leur avocat du 23 mai 2016, avoir été informés par le notaire des conséquences fiscales de l'opération le 17 juin 2015, ont accepté de signer l'acte réitératif de vente le 30 septembre 2015, alors même que ce dernier modifie les conditions initiales de vente, en augmentant la part d'usufruit temporaire, ce qui entraîne une augmentation des sommes à déclarer en revenus fonciers par rapport au compromis de vente.
Or, contrairement à ce qui est soutenu par les vendeurs, bien que les conditions suspensives soient réalisées, ils n'étaient plus tenus de signer l'acte réitératif de vente, dès lors qu'il comportait une modification substantielle des conditions prévues au compromis, puisque la ventilation des droits démembrés dans le prix de vente global n'était plus le même et entraînait, pour les vendeurs, une imposition plus conséquente, ce dont ils ont encore été expressément informés dans l'acte définitif de vente du 30 septembre 2015, qui mentionne que 'le vendeur déclare (...) être parfaitement informé des incidences fiscales liées à cette cession [en démembrement de propriété] et déclare prendre la décision de les réaliser en connaissance de cause' et précise que le prix de cession de l'usufruit temporaire doit être déclaré aux revenus fonciers.
De plus, en acceptant de réitérer l'acte de vente à ces conditions nouvelles, apparemment plus défavorables fiscalement, les vendeurs échouent à démontrer que si le notaire les avait informés dès le compromis, des conséquences fiscales de la vente en démembrement de propriété, ils y auraient renoncé.
En conséquence, en l'absence d'un lien de causalité certain entre la faute et le préjudice allégué, il convient, par confirmation du jugement, de débouter la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] de leurs demandes.
2. Sur les autres demandes
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour estime que l'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la SCP [X] [R] et Jean Auvolat en cause d'appel et lui alloue, à ce titre, la somme globale de 3.000 €.
Les dépens d'appel sont mis in solidum à la charge de la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] qui succombent en leur tentative de remise en cause du jugement.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] à payer à la SCP [X] [R] et Jean Auvolat, la somme globale de 3.000 €, en application de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,
Condamne in solidum la SCI Bérangère, M. [N] et Mme [K] aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La greffière, Le Président,