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15/11/2022 | FRANCE | N°19/06518

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 15 novembre 2022, 19/06518


N° RG 19/06518 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MTDF









Décision du

Tribunal de Grande Instance de Lyon

Au fond du 09 septembre 2019



RG : 16/12836

ch n°4







[C]



C/



S.A.R.L. GROUPE [L] AVENIR

S.A.S. SFMI





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 15 Novembre 2022







APPELANT :



M.

[M] [C]

né le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 8] (69)

[Adresse 5]

[Localité 4]



Représenté par Me Laure MATRAY, avocat au barreau de LYON, toque : 1239

Assisté de la SELARL FALGA-VENNETIER, avocats au barreau de NANTES, toque : 138









INTIMEES :



La soc...

N° RG 19/06518 - N° Portalis DBVX-V-B7D-MTDF

Décision du

Tribunal de Grande Instance de Lyon

Au fond du 09 septembre 2019

RG : 16/12836

ch n°4

[C]

C/

S.A.R.L. GROUPE [L] AVENIR

S.A.S. SFMI

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 15 Novembre 2022

APPELANT :

M. [M] [C]

né le [Date naissance 2] 1979 à [Localité 8] (69)

[Adresse 5]

[Localité 4]

Représenté par Me Laure MATRAY, avocat au barreau de LYON, toque : 1239

Assisté de la SELARL FALGA-VENNETIER, avocats au barreau de NANTES, toque : 138

INTIMEES :

La société GROUPE [L] AVENIR SARL, prise en la personne de son gérant en exercice M. [L] [U]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocats au barreau de LYON, toque : 1547

Assistée de la SELARL CABINET SEBASTIEN PLUNIAN, avocats au barreau de VALENCE

La société SFMI SAS (SOCIETE FRANCAISE DE MAISONS INDIVIDUELLES), société ayant absorbée : la Société ARIA au 1er janvier 2019 (anciennement AMBITION LOIRE AIN LYONNAIS, la Société ADAG au 1er janvier 2019 (anciennement AMBITION DROME ARDECHE), la Société AISH au 1er janvier 2019 (anciennement AMBITION ISERE SAVOIE), la Société AIFB au 1er janvier 2019 (anciennement AUXEROISE DE CONSTRUCTION), et la Société AMBITION PACA au 1er janvier 2019

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocats au barreau de LYON, toque : 1547

Assistée de la SELARL CABINET SEBASTIEN PLUNIAN, avocats au barreau de VALENCE

* * * * * *

Date de clôture de l'instruction : 02 Septembre 2021

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 27 Septembre 2022

Date de mise à disposition : 15 Novembre 2022

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Olivier GOURSAUD, président

- Bénédicte LECHARNY, conseiller

- Dominique DEFRASNE, conseiller magistrat honoraire

assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier

A l'audience, Bénédicte LECHARNY a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Olivier GOURSAUD, président, et par Elsa SANCHEZ, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

* * * *

EXPOSÉ DE L'AFFAIRE

La société Groupe [L] Avenir est une société mère de filiales exerçant l'activité de constructeur de maisons individuelles. Elle préside la société SFMI qui vient aux droits de la société Ambition Loire Ain Lyonnais.

Par contrat du 12 novembre 2010, M. [M] [C] a confié à la société Ambition Loire Ain Lyonnais la construction d'une maison individuelle d'habitation avec fourniture de plan sur un terrain situé à [Localité 7] (Isère), moyennant un coût total de 116 056 euros.

Un contentieux civil, toujours en cours, est né entre les parties en raison de malfaçons affectant l'immeuble en construction. Alors qu'un premier rapport d'expertise judiciaire déposé le 5 février 2014 avait chiffré à 1 600 euros les travaux de reprise, un second rapport rédigé le 25 août 2020 par le même expert a fait état d'une aggravation des fissures, conclu à la responsabilité de la société SFMI venant aux droits de la société Ambition Loire Ain Lyonnais et estimé le coût total des travaux nécessaires à remédier aux désordres à la somme de 102 500 euros, outre 1 500 euros au titre des frais de relogement, de sondages et d'inspection vidéo du réseau.

Les 4 décembre 2012 et 12 mars 2013, les sociétés Groupe [L] Avenir et Ambition Loire Ain Lyonnais ont déposé plainte et se sont constituées partie civile auprès du doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Privas des chefs d'injures publiques et diffamation pour des propos postés sur le site Internet «faire construire.com» par un internaute utilisant le pseudonyme «projettigneu». L'information a permis d'établir que l'auteur des écrits est M. [C].

Par jugement du 11 février 2014, le tribunal correctionnel de Privas a renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et a débouté les parties civiles de leurs demandes.

Sur appel des parties civiles, la cour d'appel de Nîmes a confirmé le jugement en ses dispositions civiles par un arrêt du 21 octobre 2014.

Par arrêt du 12 avril 2016 (Crim, 12 avril 2016, n° 14-87.959), la chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté les pourvois formés par les sociétés Groupe [L] Avenir et Ambition Loire Ain Lyonnais, aux motifs que :

- dès lors qu'elles ne concernent pas la personne physique ou morale, les appréciations, même excessives, touchant les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881,

- la cour d'appel a exactement apprécié le sens et la portée des propos litigieux, qui ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression,

- la cour d'appel a justifié sa décision d'admettre l'excuse de provocation en retenant que l'expression outrageante a directement répondu à l'initiative des sociétés (le jour de cette publication, les demanderesses avaient fait apposer sur la façade de la maison, objet par ailleurs d'un contentieux civil entre les parties en raison de malfaçons, une banderole sur laquelle était apposée la mention 'porte ouverte') qui, eu égard aux circonstances dans lesquelles elle est intervenue, était de nature à porter atteinte aux intérêts moraux de M. [C].

Entre temps, par jugement du 10 avril 2015, le tribunal correctionnel de Lyon a notamment déclaré la société Ambition Loire Ain Lyonnais coupable de l'infraction d'acceptation anticipée de fonds ou d'effets par le constructeur d'une maison individuelle et l'a condamnée à payer une amende de 2 000 euros et une somme de 310 euros à titre de dommages-intérêts à M. [C] et sa compagne, parties civiles.

Par acte du 14 novembre 2016, les sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI ont fait assigner M. [C] devant le tribunal de grande instance de Lyon aux fins qu'il soit condamné à leur verser la somme de 100 000 euros au titre du préjudice économique pour perte de chance de réaliser des constructions, outre celle de 50 000 euros en réparation du préjudice moral et de l'atteinte à leur image, et que soit ordonnée la publication du jugement sur la page Facebook du défendeur à ses frais.

Par jugement du 9 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Lyon a :

- écarté les fins de non-recevoir soulevées par M. [C] tenant à la prescription et à l'autorité de chose jugée,

- condamné M. [C] à verser la somme de 5 000 euros à la société Groupe [L] Avenir et celle de 5 000 euros à la société SFMI en réparation de leur préjudice moral et d'atteinte à leur image,

- débouté les parties pour le surplus de leurs demandes,

- condamné M. [C] à supporter le coût des entiers dépens de l'instance,

- condamné M. [C] à verser à la société Groupe [L] Avenir et à la société SFMI la somme de 600 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire.

Par déclaration du 23 septembre 2019, M. [C] a relevé appel du jugement.

Par conclusions notifiées le 2 juin 2021, il demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il :

* a écarté les fins de non-recevoir tenant à la prescription et à l'autorité de chose jugée,

* l'a condamné à verser la somme de 5 000 euros à la société Groupe [L] Avenir et celle de 5 000 euros à la société SFMI en réparation de leur préjudice moral et d'atteinte à leur image,

* a débouté les parties pour le surplus de leurs demandes,

* l'a condamné à supporter les coûts des entiers dépens de l'instance,

* l'a condamné à verser aux sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI la somme de 600 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau :

- déclarer irrecevables l'action et les demandes des requérantes,

- subsidiairement, les déclarer mal fondées et les débouter de l'ensemble de leurs demandes,

- en toute hypothèse, condamner solidairement les sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI à lui payer :

* 10 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice moral pour procédure abusive,

* 10 000 euros au titre des frais irrépétibles,

* les dépens de l'instance dont l'intégralité des droits proportionnels de recouvrement ou d'encaissement prévus à l'article L. 111-8 du code des procédures civiles d'exécution.

Par conclusions notifiées le 2 mars 2021, les sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a écarté tant le moyen relatif à l'autorité de la chose jugée que le moyen relatif à la prétendue prescription,

- confirmer le jugement en tant qu'il dit que les propos et écrits laissés en ligne par M. [C], de par leur nature et leur importance, constituent un dénigrement fautif engageant la responsabilité civile de son auteur sur le fondement des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil,

- réformer le premier jugement en tant qu'il écarte toute indemnisation pour le préjudice économique et matériel subi par les sociétés SFMI et Groupe [L] Avenir,

statuant à nouveau,

- condamner M. [C] à leur verser solidairement la somme de 100 000 euros au titre du préjudice économique pour perte de chance de réaliser des constructions,

- confirmer le premier jugement en ce qu'il a considéré qu'un préjudice moral et d'atteinte à l'image était caractérisé, mais le réformer en ce qu'il a cantonné la réparation du préjudice afférent à hauteur de 5 000 euros pour chacune des sociétés intimées,

statuant à nouveau,

- condamner M. [C] à verser à chacune d'elles la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts au titre de la réparation de leur préjudice moral et d'atteinte à l'image,

- réformer le jugement en tant qu'il n'a pas ordonné la publication de l'arrêt à intervenir sur la page Facebook de M. [C],

statuant à nouveau,

- ordonner à titre de réparation intégrale du préjudice la publication par extrait de l'arrêt à intervenir sur la page Facebook de M. [C], le tout aux frais avancés de M. [C], le tout dans un délai de 15 jours à compter de la signification du jugement à intervenir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard,

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté toutes les demandes présentées par M. [C], et notamment la demande de condamnation à lui verser 10 000 euros pour procédure abusive,

- rejeter également toutes les demandes de condamnations aux frais irrépétibles (article 700 du code de procédure civile) présentées par M. [C], ainsi qu'aux dépens dont les droits proportionnels,

- condamner M. [C] à verser à chacune d'entre elles la somme de 4 500 euros au titre des frais prévus par l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [C] aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais afférents au constat d'huissier de justice du 29 juin 2016.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 septembre 2021.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1. Sur la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée

M. [C] fait valoir que l'action des sociétés intimées est irrecevable car elle se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal correctionnel de Privas du 11 février 2014 et à l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes du 21 octobre 2014, les conditions d'identité de demandes, de cause et de parties étant remplies ; que c'est à tort que le tribunal a retenu la recevabilité des demandes des intimées au motif que les fondements des demandes seraient différents, une telle différence n'étant pas de nature à faire obstacle à l'autorité de la chose jugée ; que l'autorité de chose jugée attachée aux décisions correctionnelles définitives, ainsi que le principe de concentration des moyens de droit, font obstacle à toute nouvelle action des sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI contre lui sur les mêmes faits, peu important que les parties civiles se fondent à présent sur la faute civile délictuelle (le dénigrement), en lieu et place de la diffamation et de l'injure ; que ces principes sont également applicables lorsque la première demande est formulée devant le juge pénal qui, saisi d'une constitution de partie civile, est chargé de statuer sur l'action civile, les voies pénale et civile n'étant pas cumulatives ; qu'en l'espèce, il existe bien identité des demandes (demandes d'indemnisation des préjudices «économiques», «matériels», «moral» et «d'atteinte à l'image» des sociétés intimées), identité de cause (les demandes sont fondées sur les mêmes faits et ont donc bien la même cause : les propos tenus par M. [C], identiques dans l'une et l'autre des procédures) et identité de parties.

Les sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI font valoir que l'autorité de chose jugée ne s'oppose pas à la recevabilité de leur action, puisque les conditions d'identité de parties et d'identité de cause ne sont pas remplies ; qu'en effet, si la société Aria, devenue SFMI et la société Groupe [L] Avenir s'étaient constituées partie civile dans le cadre des instances pénales, il n'en était rien des sociétés Adag, Aish, Aifgb, et Ambition PACA, de sorte que pour ces dernières, qui ont été absorbées par la Société SFMI, l'autorité de la chose jugée du pénal sur le civil ne pourra être retenue ; qu'en outre, l'autorité de la chose jugée ne peut être retenue que si la demande, rejetée par la juridiction répressive était fondée sur la même cause ; qu'or, en l'espèce, le juge pénal n'a relaxé M. [C] que parce qu'il a considéré que les propos tenus en ligne constituaient un dénigrement des sociétés du groupe constructeur, indépendants de toute atteinte à l'honneur et à la considération de la personne ; que le juge pénal n'a nullement considéré que la matérialité des faits n'étaient pas rapportés mais a simplement estimé que cette matérialité ne pouvait pas caractériser les infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, qui doivent porter atteinte à l'honneur et à la considération des personnes, et non de leurs produits ou prestations ; qu'il n'y a donc pas identité de cause entre les deux actions, de sorte que le juge civil est parfaitement à même, sans contrariété, de statuer sur une demande de dommages et intérêts pour dénigrement des produits et services, fondée sur les articles 1240 et 1241 du code civil sur lesquels le juge pénal n'a jamais statué.

Réponse de la cour

Selon l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Et selon l'article 1355 du même code, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

Il résulte de ce texte que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

En l'espèce, M. [C] n'est pas fondé à arguer du principe de concentration des moyens pour faire obstacle à l'action des sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI devant le juge civil, alors que devant le juge répressif, les sociétés ne pouvaient fonder leur demande d'indemnisation que sur les qualifications juridiques retenues dans la prévention, à savoir l'injure et la diffamation publiques.

En outre, les sociétés intimées soutiennent à bon droit l'absence d'identité de cause, la demande de dommages-intérêts pour dénigrement des produits et services, fondée sur l'article 1382, devenu 1240, du code civil, reposant sur une cause différente de celle visant à obtenir l'indemnisation du préjudice résultant de l'injure et la diffamation publiques. En effet, alors que les infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse sanctionnent les atteintes à l'honneur et à la considération d'une personne physique ou morale, le dénigrement concerne les produits, les services ou les prestations d'une entreprise industrielle ou commerciale, ce dont il résulte que les intérêts protégés sont différents.

En l'absence d'identité de cause entre les deux actions, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [C], tirée de l'autorité de la chose jugée.

2. Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

M. [C] fait valoir que l'action relative au dénigrement, faute civile, est soumise à la prescription quinquennale de droit commun ; que c'est à tort que le tribunal a repoussé le point de départ du délai de prescription au motif qu'il était nécessaire d'identifier l'auteur des messages, alors que son identification ne posait pas la moindre difficulté ; que l'interruption de la prescription par la citation en justice est non-avenue si l'action est définitivement rejetée, et la plainte avec constitution de partie civile ne peut ainsi avoir eu un effet interruptif alors que la procédure pénale qu'elle a introduite a mené à une relaxe générale et au rejet des demandes civiles d'indemnisation des intimées ; que la signification volontairement réalisée à la mauvaise adresse, doublée d'une volonté de dissimulation de l'ensemble de la procédure en cours, ne saurait avoir valablement interrompu l'action en dénigrement ; qu'ainsi, les propos publiés avant le 4 décembre 2012 ne peuvent pas servir de base à une action en dénigrement, prescrite, alors qu'ils représentent la plupart des propos dénoncés.

Les sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI font valoir que leur action n'est pas prescrite, le point de départ du délai de prescription étant nécessairement postérieur à l'audition de M. [C] dans le cadre de l'instruction judiciaire, puisqu'elles ne pouvaient pas agir à l'encontre de l'auteur des propos avant de connaître son identité ; que même si elles avaient pu identifier le chantier concerné, M. [C] n'était pas le seul maître de l'ouvrage ; que les actions pénales ont interrompu la prescription, l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel constituant une acceptation de la demande rendant irrévocable le bénéfice de l'interruption de la prescription, même en cas de relaxe ultérieure ; que la citation initiale devant le tribunal de grande instance de Lyon, qui a été délivrée de bonne foi à l'ancienne adresse de M. [C] et n'a pas fait l'objet d'une annulation, a interrompu le cours de la prescription ; que la nullité éventuelle d'une assignation est une exception de procédure qui ne peut être soulevée qu'in limine litis, avant toute défense au fond, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Réponse de la cour

C'est à bon droit et par des motifs pertinents adoptés par la cour que les premiers juges ont retenu, après avoir rappelé les dispositions de l'article 2224 du code civil, que les sociétés intimées devaient nécessairement attendre l'identification incontestable du rédacteur des messages litigieux avant de saisir le juge civil, ladite identification ayant été réalisée postérieurement au dépôt de la plainte avec constitution de partie civile effectuée par la société Groupe [L] Avenir le 4 décembre 2012.

Il en résulte que le point de départ du délai de prescription quinquennale, qui se situe au jour où la société a été en mesure de connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, ne saurait être antérieur au 4 décembre 2012.

Contrairement à ce que soutient M. [C], l'assignation du 14 novembre 2016, dont la nullité n'a été ni demandée ni prononcée, a valablement interrompu la prescription.

Aussi convient-il de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que l'action engagée par les demanderesses au moyen d'un exploit du 14 novembre 2016 est recevable.

3. Sur le bien-fondé des demandes des sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI

3.1. Sur la responsabilité de M. [C]

Citant les dispositions des articles 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, M. [C] rappelle que la liberté d'expression est l'un des principes fondamentaux de l'état de droit et fait valoir qu'historiquement, le dénigrement s'inscrit dans une stratégie commerciale entre opérateurs économiques ; que s'il est vrai que la notion s'est par la suite émancipée de cette seule situation de concurrence pour s'étendre à des propos tenus par des particuliers à l'égard de produits commerciaux, cet assouplissement s'est accompagné d'une évolution de l'appréciation de la faute en la matière, la juridiction devant alors apprécier si les propos sont exacts et s'ils sont proportionnés au regard des circonstances qui les entourent ; qu'en l'espèce, il a simplement partagé des avis ou alerté les membres d'un forum de discussion relatif à la construction de maison individuelle de ses difficultés ; que le tribunal correctionnel puis la cour d'appel, dont l'arrêt a été confirmé par la Cour de cassation, ont exclu toute faute de sa part sur le fondement de l'injure, en jugeant qu'il pouvait légitimement se prévaloir de l'excuse de provocation ; qu'au regard du contexte des publications, lié à ses déboires avec ce constructeur, et de la nécessité d'alerter les consommateurs sur les pratiques nuisibles de ce Groupe, aucune faute n'est caractérisée à son encontre ; que ses propos sont proportionnés compte tenu de son expérience déjà particulièrement négative au moment de leur publication et qu'il a même fait preuve d'une grande mesure dans d'autres messages soulignant des aspects positifs ; que les propos qui n'ont pas été constatés par huissier et qui ne sont donc pas établis par les intimées ne sauraient servir de base à une condamnation ; que c'est à tort que le tribunal lui a fait grief d'avoir publié des commentaires disproportionnés quant aux sociétés visées, du fait qu'ils étaient dirigés contre le Groupe Avenir et non contre la seule société SFMI, alors que cette confusion est entretenue par les intimées qui se présentent comme une entité unique et que la société contractante a changé de forme et de dénomination au cours du chantier.

Les sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI font valoir que le dénigrement est une faute civile qui ne repose pas sur la loi de 1881 et vise les produits, services ou prestations d'une société ; qu'il est caractérisé indépendamment de la véracité des informations diffusées et peut être le fait d'un client de la société ou d'un tiers non-concurrent ; qu'il peut être caractérisé par de nombreux actes et écrits, dès lors qu'ils sont abusifs par leur nombre ou leur caractère peu modérés ; qu'en l'espèce, M. [C] a procédé à une critique systématique et méthodique à leur encontre, sans établir de comparaison avec les pratiques des autres constructeurs et en ciblant indifféremment l'ensemble des sociétés du Groupe [L] Avenir ; que le comportement de M. [C] est d'autant plus abusif que le rapport d'expertise judiciaire établi à sa demande a retenu des malfaçons pour un montant de 1 600 euros ; que ses propos dépassent le cadre de la liberté d'expression dès lors qu'ils ne poursuivent pas un but légitime, ne sont pas formulés avec prudence ni proportionnés, et qu'ils n'étaient pas fondés sur des éléments objectifs au moment de leur publication ; que la réitération des propos incriminés sur une période de sept mois démontre leur absence de proportionnalité ; que l'association qui a attribué un mauvais classement au Groupe [L] Avenir a perdu son agrément compte tenu d'un risque de conflit d'intérêt bénéficiant au conseil de l'appelant.

Réponse de la cour

Selon l'article 1382, devenu 1240, du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Et selon l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d'expression.

La liberté d'expression est un droit dont l'exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi. Il s'ensuit que, hors restriction légalement prévue, l'exercice du droit à la liberté d'expression ne peut, sauf dénigrement de produits ou services, être sanctionné sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.

Même en l'absence d'une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l'une, d'une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l'autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l'information en cause ne se rapporte à un sujet d'intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu'elle soit exprimée avec une certaine mesure.

L'existence d'une situation de concurrence n'est pas nécessaire à la qualification d'une faute de dénigrement.

En l'espèce, il ressort de pièces de la procédure pénale et du procès-verbal de constat dressé le 29 juin 2016 par Maître [F] [Z], huissier de justice associé à [Localité 6], que M. [C], sous le pseudonyme « projettigneu », a, notamment, entre septembre 2012 et mars 2013, posté sur le site Internet « faire construire.com » les propos suivants :

- « Groupe avenir à fuir »

- « Ils sont simplement incompétents !!!!!!! »

- « Evitez le groupe avenir ils sont très très mauvais »

- « Eviter ambition du groupe avenir il y a les maisons terre et pierre, tradi confort, primo house et beaucoup d'autre à fuir !!!!!!!! »

- « Oui ils ont été reprit par Ambition Loire Ain Lyonnais du groupe avenir qui sont aussi mauvais et incompétents que Beaumont voici les preuves venez visiter ma maison »

- « Eviter le groupe avenir ils sont mauvais »

- « Ils sont ridicules affirment fournir du travail de qualité remarquable »

- « Ils sont trop drôles »

- « Le point commun entre votre groupe et le cirque Pinder '' Réponse on y trouve de nombreux clowns !!! »

- «Bonjour je vous présente les maisons terre et pierre d'Ambition Loire Ain Lyonnais du groupe avenir : mal-façon, non façon, dépassement des délais de livraison, motifs d'arrêts de chantier injustifiées et illégaux, clauses illicites dans les contrats, conducteur de travaux inexistants, aucun suivis de chantier, appel de fonds anticipés, levés des réserves via la justice ; si vous leur tenez tête vous aurez droit aux menaces de leur service juridique (même pas peur MDR). Ils sont prêt à vous livrer votre ouvrage inachevé. Je vous invite à voir les récits sur le forum construire les concernant, ou le top constructeur de I'AAMOi. Leur réputation est bien fondé par de nombreux récits et je confirme leur profonde incompétence. Ma maison fait partie des vrais maisons témoins de l'AAMOI ci-dessous (aamoifr). J'apporterais mon dossier complet afin de justifier de mes dires. Les solutions pour évitez ces problèmes sont : fuyez ce groupe pendant qu'il est encore temps, sinon résilier le contrat dans les 7 jours prévu, adhérez à l'aamoi au plus tôt, et avoir un gros budget huissier, expert, avocat. En conclusion 'c'est du rêve au cauchemar pour grand nombre de leurs clients' (...) 'J'espère que vos problèmes ce sont réglé j'ai ma maison truffé de malfaçon vive le groupe avenir mais j'ai refusé la réception'».

C'est à bon droit et par des motifs pertinents adoptés par la cour que les premiers juges ont retenu que par l'entremise de ses messages, M. [C] a fait le choix de remettre en cause de façon globale le professionnalisme du Groupe [L] Avenir, nommément désigné, usant pour cela de propos à caractère général et portant des appréciations péremptoires sur sa compétence.

Le tribunal a encore justement considéré que l'appelant s'était employé à dissuader de potentiels clients nourrissant un projet de construction de s'adresser aux sociétés intimées et qu'il avait incité ceux qui pouvaient être en contact avec elles à s'adresser à des concurrents.

Les propos tenus publiquement par M. [C], dénigrant l'activité des sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI, étaient incontestablement de nature à jeter le discrédit sur leurs produits et prestations en incitant une partie de leur clientèle à s'en détourner.

Or, force est de constater qu'ils ne se rapportent pas à un sujet d'intérêt général, «la nécessité d'alerter les consommateurs sur les pratiques nuisibles» du Groupe [L] Avenir étant insuffisant à caractériser un tel intérêt. En outre, compte tenu des termes employés, il ne peut être soutenu qu'ils ont été exprimés avec une certaine mesure. Enfin, s'agissant de la base factuelle sur laquelle ils reposent, il convient d'observer, d'une part, qu'à la date de diffusion des propos litigieux, la procédure civile relative aux désordres affectant la construction de M. [C] était à peine engagée et qu'aucun rapport d'expertise n'avait encore été déposé, et, d'autre part, ainsi que l'ont justement relevé les premiers juges, que l'intéressé est allé jusqu'à dénier par avance tout savoir-faire à plusieurs sociétés du seul fait de leur intégration au Groupe [L] Avenir, alors même qu'il n'avait pu jauger la qualité de leurs prestations.

Au vu de ce qui précède, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a considéré que la démarche de M. [C] est constitutive d'une campagne de dénigrement et a jugé que sa responsabilité se trouve engagée.

3.2. Sur l'indemnisation du préjudice des sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI

M. [C] fait valoir que les intimées ne subissent pas le préjudice d'image allégué du fait de ses messages alors que leur réputation est, quoi qu'il en soit, désastreuse ; qu'elle n'établissent pas davantage leurs préjudices ; qu'aucune atteinte à l'image, ni aucun préjudice commercial n'est caractérisé, le Groupe Avenir bénéficiant d'une excellente santé financière ; que s'il existait une atteinte à l'image, elle ne serait lui être imputée, ses commentaires étant noyés dans la masse des publications de clients mécontents.

Les sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI font valoir que leur préjudice économique qui résulte de la permanence et de l'accessibilité des propos publiés en ligne, correspond à une perte de clientèle très importante et à l'abandon de pourparlers en cours ; que ce préjudice peut être réparé par la condamnation de M. [C] à leur verser solidairement la somme de 100 000 euros ; qu'elles subissent également un préjudice moral et une atteinte à leur image du fait des propos abusifs ; que ce préjudice moral doit être intégralement réparé par l'allocation d'une somme de 50 000 euros à chacune d'entre elles ; que la juste réparation de leur préjudice passe également par la publication de l'arrêt à intervenir en en-tête de la page Facebook de M. [C], sur laquelle il publie des propos dénigrants à leur encontre, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

Réponse de la cour

Ainsi que l'a justement retenu le tribunal, la diffusion par M. [C] de multiples propos dénigrant l'activité des sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI a nécessairement terni la réputation des sociétés visées en salissant leur renommée et en entachant leur réputation commerciale, de sorte que celles-ci sont en droit de réclamer réparation du préjudice moral subi.

Au regard de l'ampleur des propos péjoratifs tenus à leur encontre, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné l'appelant à payer à chacune des sociétés la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de ce préjudice moral.

C'est encore à bon droit et par une exacte appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont retenu que les sociétés ne produisaient aucun élément permettant d'établir et d'évaluer le préjudice économique allégué. Le tribunal a notamment relevé que si les demanderesses prétendaient dans leurs conclusions fournir en pièce n° 3 deux mails émanant de personnes indiquant avoir renoncé à choisir le Groupe Avenir pour leur projet de construction au vu de l'avis formulé par M. [C], la pièce concernée était tout à fait différente.

Dans leurs conclusions en appel, les sociétés intimées font référence à la même pièce n° 3 censée établir « les nombreuses défections de clients suite à la lecture par ces derniers des propos tenus par M. [C] sur Internet ». Or, la pièce n° 3 versée aux débats correspond à une décision de désistement rendue par le tribunal d'instance de Villeurbanne le 11 mai 2012 sans lien avec la pièce annoncée. Aussi convient-il de considérer que les sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI ne justifient pas du préjudice économique qu'elles allèguent.

Le préjudice moral subi par les sociétés étant suffisamment indemnisé par l'allocation à chacune d'elle d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication du présent arrêt sur la page Facebook de l'appelant.

4. Sur la demande d'indemnisation pour procédure abusive

Compte tenu de la solution donnée au litige, M. [C] est nécessairement débouté de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive. Le jugement est confirmé sur ce point.

5. Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement est encore confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens de première instance.

M. [C], qui succombe en son appel, est condamné aux dépens, qui ne comprendront pas les frais du constat du huissier dressé le 29 juin 2016, et à verser aux sociétés Groupe [L] Avenir et SFMI la somme de 1 500 euros chacune au titre des frais irrépétibles qu'elles ont dû engager en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [M] [C] à payer à la société Groupe [L] Avenir et à la société SFMI la somme de 1 500 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [M] [C] aux dépens d'appels qui ne comprendront pas le coût du constat du huissier de justice du 29 juin 2016.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile b
Numéro d'arrêt : 19/06518
Date de la décision : 15/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-15;19.06518 ?
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