N° RG 21/07846 - N° Portalis DBVX-V-B7F-N5DJ
Décision du Juge de la mise en état du TJ de BOURG EN BRESSE
du 14 octobre 2021
RG : 21/00330
Société Anonyme C.I.A.T.
C/
[Y]
[R]
Compagnie d'assurance MACIF
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
6ème Chambre
ARRET DU 5 MAI 2022
APPELANTE :
COMPAGNIE INDUSTRIELLE APPLICATIONS THERMIQUES (CIAT)
700 avenue Jean Falconnier
01350 CULOZ
Représentée par Me Emmanuelle BAUFUME de la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocat au barreau de LYON, toque : 1547
assistée de Me Julie CANTON, avocat au barreau de LYON
INTIMES :
M. [N] [Y]
né le 04 Juillet 1964 à LE COTEAU
79, impasse des Hortensias
74700 SALLANCHES
Mme [U] [R] épouse [Y]
née le 16 Novembre 1964 à COGNAC
79, impasse des Hortensias
74700 SALLANCHES
MACIF
2 et 4 rue du Pied de Fond
79000 NIORT
Représentée par Me Laurent LIGIER de la SCP ELISABETH LIGIER DE MAUROY & LAURENT LIGIER AVOUÉS ASSOCIÉS, avocat au barreau de LYON, toque : 1983
assisté de la SELAR FAVRE DUBOULOZ COFFY, avocat au barreau de THONON LES BAINS
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Date de clôture de l'instruction : 15 Mars 2022
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 22 Mars 2022
Date de mise à disposition : 5 mai 2022
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Dominique BOISSELET, président
- Evelyne ALLAIS, conseiller
- Stéphanie ROBIN, conseiller
assistés pendant les débats de Sylvie GIREL, greffier
A l'audience, Dominique BOISSELET a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Sylvie GIREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES
Le 4 mars 2019, les époux [N] [Y] et [U] [R] (les époux [Y]) ont été victimes d'un incendie dans leur maison située à Sallanches (Haute-Savoie). Leur assureur, la Mutuelle Assurance des Commerçants et Industriels de France et des Cadres et Salariés de l'Industrie et du Commerce (MACIF), les a partiellement indemnisés à hauteur de 116.908 euros.
Selon une expertise amiable, cet incendie serait parti du condensateur de démarrage de la pompe à chaleur fabriquée par la société Compagnie Industrielle d'Applications Thermiques (CIAT) et installée en décembre 2010 par la SAS Francenergies, qui en assurait la maintenance.
Par acte d'huissier de justice daté du 12 janvier 2021, les époux [Y] et la MACIF ont fait assigner la société CIAT à comparaître devant le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse en responsabilité et en paiement d'indemnités diverses.
Par conclusions incidentes, la société CIAT a saisi le juge de la mise en état aux fins de voir prononcer l'irrecevabilité des demandes des époux [Y] et rejeter l'ensemble des demandes formées contre elle comme irrecevables.
La défenderesse a contesté d'une part la qualité à agir des demandeurs, faute pour les époux [Y] de produire un justificatif de leur propriété et de justifier de la somme réellement versée par la MACIF.
Elle a aussi soutenu que leur action est forclose dès lors que, même s'il n'est pas justifié de la réception des travaux, il peut être déduit de la facture que la réception était antérieure au 31 décembre 2010 ou date de ce jour-là.
Les époux [Y] et la MACIF ont répondu qu'ils prennent en compte la qualité de fabricant de la CIAT et fondent leur demande sur les articles 1245 et suivants du code civil, de sorte que, même si le juge devait estimer que la CIAT n'a pas la qualité de constructeur ou que l'action serait prescrite, il pourra constater que les demandes sont également adressées contre la CIAT en qualité de fabricant.
Par ordonnance en date du 14 octobre 2021, le juge de la mise en état a, notamment, rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la société CIAT et l'a condamnée à payer aux époux [Y] et la MACIF, ensemble, la somme globale de 2.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'incident.
La CIAT a relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la Cour le 27 octobre 2021.
Par ordonnance du 2 novembre 2021, le président de la chambre, faisant application des dispositions de l'article 905 du code de procédure civile, a fixé l'examen de l'affaire à l'audience du 22 mars 2022 à 13h30.
En ses dernières conclusions du 8 février 2022, la société CIAT demande à la Cour ce qui suit, au visa des articles 122 et 789 du code de procédure civile et 1245 et 1792 et suivants du code civil :
- réformer l'ordonnance rendue le 14 octobre 2021 par le juge de la mise en état du tribunal
judiciaire de Bourg en Bresse en ce qu'il a rejeté les demandes de la société CIAT et condamné cette dernière aux dépens et au versement d'une indemnité de 2.000 euros aux époux [Y] et la MACIF sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
et, statuant à nouveau,
- prononcer l'irrecevabilité des demandes des époux [Y] et de la MACIF ;
- rejeter l'ensemble des demandes formées contre la société CIAT comme irrecevables
- condamner in solidum les époux [Y] et la MACIF aux entiers dépens, distraction faite au profit de maître Julie Canton du barreau de Lyon, outre à une indemnité de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 20 décembre 2021, les époux [Y] et la MACIF demandent à la Cour de statuer comme suit, au visa des articles L.121-12 al.1er du code des assurances et 1245 et 1245-16 du code civil :
- constater que le délai de prescription court à compter de l'installation de la pompe à chaleur soit le 16 décembre 2011 ;
- constater que l'assignation date du 12 janvier 2021 ;
à ce titre,
- juger que le délai de 10 ans n'est donc pas expiré ;
- débouter la CIAT de ses demandes et prétentions à cet égard ;
- constater au surplus que la MACIF justifie pleinement des sommes versées ;
par conséquent,
- juger que les demandes de la MACIF sont parfaitement recevables et que la compagnie ainsi que les époux [Y] ont bien qualité et vocation à agir contre la CIAT ;
- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 14 octobre 2021 et rejeter la fin de non-recevoir présentée par la CIAT de sa demande à ce titre ;
en ce qui concerne le fondement juridique,
- constater que les demandes sont fondées sur l'article 1792 du code civil pour le cas où la CIAT aurait été jugé constructeur et, à défaut, sur les articles 1245 et suivants du code civil dans la mesure où la CIAT se reconnait fabricant ;
par conséquent,
- juger que les demandes de la MACIF sont parfaitement recevables ;
- confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 14 octobre 2021 et rejeter la fin de non-recevoir présentée par la CIAT de sa demande à ce titre.
eu égard à l'attitude très discutable de la CIAT dans la gestion de ce dossier,
- condamner la société CIAT à payer respectivement aux époux [Y] et à la MACIF la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens de l'instance.
Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la qualité à agir des époux [Y]
Les époux [Y] ont justifié devant le premier juge de leur qualité de propriétaires de la maison incendiée et leur qualité à agir de ce chef n'est pas contestée par la société CIAT en cause d'appel.
Sur la qualité à agir de la MACIF
La société CIAT soutient que la MACIF ne justifie pas de la somme qu'elle aurait versée et ne bénéficie pas d'une subrogation légale ou conventionnelle.
Le juge de la mise en état a relevé que la MACIF a versé aux débats une quittance aux termes de laquelle M. [Y], reconnaissant avoir reçu d'elle la somme de 111.824 euros, déclare la subroger dans ses droits et actions pour répéter contre les responsables éventuels la somme ainsi versée.
Au vu des pièces produites par les demandeurs, le premier juge a exactement considéré que ce document justifie de la qualité à agir de l'assureur, subrogé dans les droits de son assuré. Le débat probatoire sur les sommes réellement versées par l'assureur relève de l'appréciation du montant de la créance par le juge du fond.
Sur l'absence de forclusion de l'action en garantie décennale
Il ressort de l'assignation introductive d'instance que les époux [Y] et la MACIF, qui n'ont pas attrait la société Francenergie, locateur d'ouvrage, ne recherchent pas la responsabilité solidaire du fabricant prévue par l'article 1792-4 du code civil, mais agissent contre la société CIAT sur le fondement exclusif de l'article 1792 du code civil.
S'il doit être reconnu par le juge du fond que celle-ci a la qualité de constructeur au sens de ce texte, elle peut prétendre être déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle dix ans après la réception des travaux.
La société CIAT soutient que la période de garantie décennale est expirée au 31 décembre 2020, dix ans après l'émission de la facture de l'installateur. L'assignation ayant été délivrée le 12 janvier 2021, elle en déduit que les demandeurs sont forclos en leur action fondée sur la garantie décennale du constructeur.
Le juge de la mise en état a dit que l'émission de la facture du 31 décembre 2010 des travaux d'installation de la pompe à chaleur fabriquée par la société CIAT ne peut, en soi, faire courir le délai de prescription de l'action fondée sur la garantie légale des constructeurs qui suppose une réception, c'est-à-dire l'acceptation de l'ouvrage par les maîtres de l'ouvrage, laquelle n'a pu raisonnablement intervenir que par le paiement de cette facture, donc postérieurement à son émission. Le caractère tardif de l'action que les demandeurs ont engagée au visa de l'article 1792 du code civil n'est, dans ces conditions, pas établi.
L'article 1792-6 al.1er du code civil définit la réception comme l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter celui-ci, avec ou sans réserves. A défaut de procès-verbal, la réception peut être tacite et découler de la prise de possession de l'ouvrage et du règlement de la facture. La date de réception ne se confond donc pas avec celle de l'achèvement des travaux.
Le premier juge a retenu avec justesse que l'émission de la facture par l'installateur ne fait pas preuve de la réception, dès lors que seul le règlement ou l'engagement à règlement de celle-ci par les époux [Y] a pu traduire leur acceptation de l'ouvrage.
Cela d'autant que, dans le rapport d'expertise amiable du cabinet Ermex, mandaté par la MACIF, il est indiqué : 'M. [Y], votre sociétaire, est propriétaire occupant total par construction depuis 2012, de la maison d'habitation [...]'. Il s'en déduit que les époux [Y] n'ont occupé les lieux qu'à compter de l'année 2012 et l'on ne peut donc considérer qu'ils ont réceptionné l'ouvrage le 31 décembre 2010 de manière tacite, par leur prise de possession.
Dans l'ignorance des circonstances du paiement, l'achèvement du délai décennal au jour de la délivrance de l'assignation n'est pas caractérisé. Contrairement à ce que soutient l'appelante, il appartient à la partie qui conteste la recevabilité de l'action de rapporter la preuve de ce que celle-ci a été engagée hors délai ; en l'état, cette preuve n'est pas rapportée par la société CIAT.
Sur la prescription de l'action en responsabilité du fabricant de produit défectueux
Par conclusions notifiées en cours d'instance devant le tribunal judiciaire, les époux [Y] et la CIAT ont déclaré agir également, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité du fabricant de produit défectueux, selon l'article 1245 du code civil.
Les appelants soutiennent que le point de départ du délai de prescription de trois ans prévu pour l'exercice de cette action par l'article 1245-16 du même code a pris effet avec le dépôt du rapport d'expertise qui a identifié la cause présumée du sinistre et le constructeur en date du 2 septembre 2019, soit moins de trois ans avant la saisine du tribunal judiciaire de Bourg en Bresse par l'assignation du 12 janvier 2021.
La société CIAT oppose néanmoins les dispositions de l'article 1245-15 du code civil dont il résulte que, sauf faute du producteur, la responsabilité de celui-ci fondée sur la défectuosité du produit s'éteint dix ans après sa mise en circulation à défaut d'interruption de ce délai par une action en justice.
Ce texte reprend celui de l'article 1386-16 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016. A défaut de faute commise par la société CIAT, il ferait effectivement obstacle à l'exercice de l'action des époux [Y] et de la MACIF dès lors que la pompe à chaleur a nécessairement été mise en circulation avant la fin de l'année 2010, plus de dix ans avant la délivrance de l'assignation introductive d'instance et, qui plus est, de la notification des conclusions de demandeurs alléguant de ce fondement.
Il ressort des conclusions des demandeurs en première instance qu'ils reprochent à la société CIAT de n'avoir pas donné suite à la transmission de leurs coordonnées par la société Francenergies, en réponse à une campagne de maintenance corrective du fabricant en date du 1er octobre 2018, relative à un défaut des condensateurs de ses pompes à chaleurs.
La détermination d'une éventuelle faute du fabricant relève de l'appréciation du juge du fond. Ce n'est que dans l'hypothèse où celui-ci ne retiendrait pas cette faute qu'il serait amené à rejeter l'action comme tardive. En l'état, l'allégation de cette faute conduit à écarter la fin de non-recevoir tirée de la prescription décennale prévue par l'article 1386-16, devenu 1245-15 du code civil. L'action subsidiaire des époux [Y] et la MACIF est, en l'état, recevable de ce chef.
Sur les demandes accessoires
La société CIAT, partie perdante en principal, supporte les dépens d'appel et ceux de l'incident.
En l'état, il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, l'ordonnance étant confirmée en ses dispositions allouant aux demandeurs 2.000 euros de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Confirme l'ordonnance rendue le 14 octobre 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bourg en Bresse ;
Condamne la SA CIAT aux dépens d'appel.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT