No RG 19/01386
No Portalis DBVX - V - B7D - MG2R
Décision du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse
Au fond du 18 décembre 2018
chambre civile
RG : 18/00959
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRET DU 25 Mars 2021
APPELANT :
M. [T] [U]
né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 1] (SAONE ET LOIRE)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représenté par la SELARL LALLEMENT et ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 374
INTIME :
M. LE COMPTABLE DU POLE DE RECOUVREMENT SPÉCIALISÉ DE L'AIN
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par la SELARL BERNASCONI-ROZET-MONNET SUETY-FOREST-DE BOYSSON, avocat au barreau de l'AIN
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Date de clôture de l'instruction : 19 Novembre 2019
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 Janvier 2021
Date de mise à disposition : 25 Mars 2021
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne WYON, président
- Françoise CLEMENT, conseiller
- Annick ISOLA, conseiller
assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier
A l'audience, Annick ISOLA a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CLEMENT, conseiller pour le président empêché, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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M. [T] [U] était le dirigeant de la société Techni service, qui vendait du matériel agricole.
Le 7 septembre 2016, le tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la société, convertie en liquidation judiciaire le 16 novembre 2016.
Le 23 mars 2018, le comptable du pôle de recouvrement spécialisé de l'Ain a assigné M. [U] devant le président du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse sur le fondement des dispositions de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales.
Par jugement du 18 décembre 2018, le président du tribunal a :
- déclaré M. [U] solidairement tenu au paiement des impositions de TVA dues par la société Techni service pour la période de décembre 2014 à juillet 2016 à hauteur de 643 880,76 euros,
- condamné M. [U] à payer au comptable du pôle de recouvrement spécialisé de l'Ain la somme de 643 880,76 euros,
- condamné M. [U] à payer au comptable du pôle de recouvrement spécialisé de l'Ain la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
M. [U] a relevé appel de cette décision le 21 février 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 5 novembre 2019, il demande, en substance, à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions,
- dire et juger que les poursuites engagées sont irrecevables et dénuées de fondement,
- débouter le comptable public de toutes ses demandes, fins et prétentions,
- condamner le comptable public au paiement de 5 000 euros par application de l'article 700 du « NCPC » et de le condamner en tous les frais et dépens.
Il fait principalement valoir que :
- la demande du comptable public est irrecevable, faute d'avoir fait l'objet au préalable d'une procédure contradictoire prévue par l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration
- ainsi, la décision de le poursuivre a été prise en considération de sa personne
- les décisions administratives prises en considération de la personne sont, sauf exceptions non applicables en l'espèce, soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable.
- la violation de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration constitue une violation substantielle des droits de la défense car le débat judiciaire ne supplée pas à l'absence de débat contradictoire préalable.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 23 juillet 2019, le comptable du pôle de recouvrement spécialisé de l'Ain demande, en substance, à la cour de confirmer le jugement et de condamner M. [U] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de la Selarl Bernasconi, Rozet, Monnet Suety, Forest, de Boysson.
Il fait essentiellement valoir que :
- la société a gravement méconnu les obligations qui lui incombaient puisqu'elle a procédé au dépôt sans paiement de neuf déclarations de TVA sur la période de décembre 2014 à juillet 2016,
- l'article L. 121-1 définit le champ des décisions individuelles dont l'édiction doit être précédée d'une procédure contradictoire ; que tel n'est pas le cas de l'autorisation du directeur départemental des finances publiques préalable à l'engagement de la responsabilité solidaire du dirigeant social,
- les omissions constatées constituent par leur nombre et la durée de la période sur lesquels elles portent, des manquements graves et répétés
- il a mis en œuvre des actes de poursuites pour obtenir en temps utile le paiement des impositions par la personne morale mais ces actions se sont révélées vaines, ce qui caractérise l'impossibilité de recouvrer les créances
- le dirigeant a cherché en toute connaissance de cause à faire perdurer son activité malgré la connaissance de difficultés insurmontables
- l'octroi d'un délai de paiement n'empêche pas la mise en cause d'un dirigeant si ce dernier a été informé de cette possibilité, ce qui est le cas en l'espèce.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 septembre 2019.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il sera rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater » ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile et ne saisissent pas la cour ; il en est de même des « demandes » tendant à voir « dire et juger » lorsque celles-ci développent en réalité des moyens.
L'article L. 267 du livre des procédures fiscales (LPF), dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance no 2019-964 du 18 septembre 2019 applicable à l'espèce, dispose que lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manoeuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal de grande instance du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement.
Aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable.
Aux termes de l'article L. 122-1 du même code, les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique.
Il ressort de l'article 80 A du LPF que sont opposables à l'administration les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales.
En application de l'instruction du 12 septembre 2012 (BOI-REC-SOLID-10-10-30-20120912), depuis remplacée par l'instruction du 19 août 2020 (BOI-REC-SOLID-10-10-30), le comptable public territorialement compétent, seul investi du mandat d'exercer en justice l'action prévue par l'article L. 267 du LPF, doit agir sur autorisation du responsable départemental des finances publiques, laquelle autorisation doit être produite avec l'assignation.
Il est constant que l'autorisation du responsable départemental des finances publiques, si elle n'a pas à être motivée, doit être prise en connaissance de la situation particulière du contribuable et qu'elle constitue une garantie pour celui-ci.
Cependant, comme le soutient l'administration fiscale, cette autorisation ne crée en elle-même aucune obligation à la charge du contribuable mais se borne à permettre un débat devant le juge judiciaire, peu important que certains moyens de défense soient inopérants dans ce cadre.
Elle ne peut dès lors être considérée comme entrant dans le champ d'application de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration.
Il n'y a donc pas lieu de déclarer irrecevables les demandes de l'administration fiscale comme le sollicite M. [U].
Par ailleurs, l'intéressé ne présente aucun moyen pour obtenir l'infirmation du jugement et faire juger que les poursuites engagées contre lui sont « dénuées de fondement ».
Le tribunal a caractérisé l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales de la société Techni service qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par elle au titre de la TVA.
Les conditions de l'article L. 267 du LPF étant réunies, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions.
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit du comptable du pôle de recouvrement spécialisé de l'Ain.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Rejette la fin de non-recevoir présentée par M. [T] [U] ;
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [T] [U] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de la Selarl Bernasconi, Rozet, Monnet Suety, Forest, de Boysson, avocat, par application de l'article 699 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de M. [T] [U] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et le condamne à payer à ce titre au comptable du pôle de recouvrement spécialisé de l'Ain la somme de 2 000 euros.
LE GREFFIERpour LE PRESIDENT empêché