No RG 18/07364 - No Portalis DBVX-V-B7C-L7OX
Décision du Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond du 18 septembre 2018
Chambre 3 Cab 03 C
RG : 15/10963
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile A
ARRÊT DU 25 Mars 2021
APPELANTES :
Mme [U] [T]
née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
SASU JIL D'HOSTUN
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentées par la SELARL QG AVOCATS, avocat au barreau de LYON, toque : 748
INTIMÉE :
Mme [Q] [G]
née le [Date naissance 2] 1977 à [Localité 3] 4EME (RHONE)
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par l'AARPI MORTIMORE & DUZELET, avocat au barreau de VILLEFRANCHE-SUR-SAONE
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Date de clôture de l'instruction : 10 Septembre 2019
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 Janvier 2021
Date de mise à disposition : 25 Mars 2021
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Anne WYON, président
- Françoise CLEMENT, conseiller
- Annick ISOLA, conseiller
assistés pendant les débats de Séverine POLANO, greffier
A l'audience, Annick ISOLA a fait le rapport, conformément à l'article 804 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CLEMENT, conseiller pour le président empêché, et par Séverine POLANO, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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Mme [U] [T] a créé différents bijoux commercialisés par la société Jil d'Hostun.
Mme [Q] [G] fabrique et commercialise des bijoux par l'intermédiaire d'une autoentreprise exerçant sous l'enseigne « Adelou créations ».
Estimant que les bijoux confectionnés par cette dernière reproduisaient les caractéristiques originales des siens, Mme [T] a fait procéder le 24 avril 2015 à un constat par un huissier de justice sur la page Facebook « Adelou Créations » et sur celle d'un magasin commercialisant les bijoux proposés par Mme [G] et intitulée « 117villefranchesursaone ».
Le 5 juin 2015, Mme [T] a adressé une mise en demeure à Mme [G], qui ne l'a pas réceptionnée.
Le 7 juillet 2015, Mme [T] et la société Jil d'Hostun ont assigné Mme [G] devant le tribunal de grande instance de Lyon en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale.
Par jugement du 18 septembre 2018, le tribunal a, en substance, débouté Mme [T] et la société Jil d'Hostun de leurs demandes, débouté Mme [G] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et condamné Mme [T] et la société Jil d'Hostun à payer à Mme [G] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Mme [T] et la société Jil d'Hostun ont relevé appel de cette décision le 19 octobre 2018.
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 4 janvier 2019, elles demandent à la cour de :
- réformer,
- dire recevable leur action en contrefaçon de droits d'auteur et y faisant droit,
- dire et juger que Mme [G], en reproduisant « les bijoux susvisés » de la société Jil d'Hostun a commis des actes de contrefaçon, par imitation, et a porté atteinte aux droits patrimoniaux dont elle est titulaire et aux droits moraux de Mme [T],
- dire recevable l'action en concurrence déloyale intentée par la société Jil d'Hostun et y faisant droit,
- dire et juger que Mme [G] a commis des actes de concurrence déloyale en visant le réseau de revendeurs agréés « Jil d'Hostun »,
En conséquence,
- faire interdiction à Mme [G] de commercialiser les bijoux litigieux,
-condamner Mme [G] à payer à la société Jil d'Hostun des dommages et intérêts au titre de l'atteinte à ses droits patrimoniaux à hauteur de 20 000 euros,
- condamner Mme [G] à payer à Mme [T] des dommages et intérêts au titre de l'atteinte à ses droits moraux à hauteur de 10 000 euros,
- condamner Mme [G] à payer à la société Jil d'Hostun des dommages et intérêts à hauteur de 10 000 euros, en réparation du préjudice subi du fait de la concurrence déloyale,
- ordonner sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du huitième jour qui suivra la signification de l'arrêt à intervenir :
*de retirer de la vente les pièces contrefaisantes ;
*de communiquer le chiffre d'affaires exact réalisé grâce à la vente des pièces contrefaisantes, en fournissant des preuves comptables;
* de communiquer le nombre de pièces contrefaisantes restant en stock;
* de procéder à la destruction en présence d'un huissier des pièces contrefaisantes en stock et/ou retirées de la vente,
- ordonner la publication du « jugement » à intervenir dans trois journaux ou revues professionnelles au choix de la société Jil d'Hostun et aux frais de la défenderesse sans que ces frais n'excèdent 500 euros HT (cinq cents) par insertion supportée,
- dire et juger que la cour sera juge de l'exécution de l'arrêt à intervenir, en application de l'article 35 de la loi no 91-650 du 9 juillet 1991, concernant la liquidation éventuelle des astreintes,
- condamner Mme [G] à leur payer la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [G] aux entiers dépens de I'instance et dire que Maître [Z] [Z] pourra recouvrer directement les dépens dans les conditions prévues à l'article 699 du code de procédure civile.
Elles font principalement valoir que :
- il ressort d'un simple examen visuel des bijoux créés par Mme [T] et distribués par la société Jil d'Hostun une évidente originalité
- ces bijoux reflètent la personnalité propre de Mme [T] nonobstant la référence aux chapelets de prière « malas » ; ainsi, les détails d'exécution, les proportions, les formes, la composition, les combinaisons de couleurs, le choix des matériaux des perles constituent des créations propres de Mme [T] exprimant sa personnalité et bénéficiant d'un droit à protection
- il appartient à Mme [G] qui invoque des antériorités de les démontrer et non pas au titulaire de l'œuvre de justifier de l'originalité de sa création par rapport à d'autres antériorités
- la société Jil d'Hostun a acquis les droits patrimoniaux afférents aux bijoux, à titre exclusif, par un contrat de cession de droits conclu par acte sous seing privé avec Mme [T] le 5 juillet 2013
- or, Mme [G] commercialise des bijoux très similaires, qui constituent une contrefaçon des droits d'auteur de la société Jil d'Hostun
- par ailleurs, Mme [G] cherche à profiter du succès de la marque Jil d'Hostun en s'immisçant dans son sillage, puisqu'elle propose ses bijoux à la vente à des revendeurs ou anciens revendeurs Jil d'Hostun, ce qui accentue encore la confusion auprès des consommateurs à la recherche des bijoux « Jil d'Hostun » en magasin et qui sont amenés à penser que les bijoux litigieux sont des créations Jil d'Hostun.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 4 avril 2019, Mme [G] demande à la cour de :
- confirmer le jugement, sauf en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle indemnitaire à l'encontre de la société Jil d'Hostun et Mme [T],
Statuant à nouveau,
- condamner in solidum la société Jil d'Hostun et Mme [T] à lui régler la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
En tout état de cause,
- débouter la société Jil d'Hostun et Mme [T] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner in solidum la société Jil d'Hostun et Mme [T] à lui régler la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Gaëlle Maréchal, avocat, sur son affirmation de droit.
Elle fait essentiellement valoir que :
- la demande au tire du droit d'auteur ne peut être formulée que par Mme [T], la société Jil d'Hostun n'ayant aucune qualité pour revendiquer un droit sur les bijoux litigieux
- les bijoux créés par Mme [T] ne présentent aucune originalité, en ce qu'ils reprennent largement les caractéristiques ornementales des colliers de prières bouddhistes, les « malas », ce que l'intéressée reconnaît elle-même dans ses conclusions
- depuis quelques années, la commercialisation de bijoux inspirés de ce chapelet s'est largement diffusée auprès du grand public et représente désormais un phénomène de mode en Europe occidentale
- la stratégie de communication développée par la société Jil d'Hostun ne constitue pas davantage une preuve d'originalité des bijoux considérés
- les droits d'auteur allégués sont subordonnés à la démonstration du caractère d'originalité et d'antériorité sur les bijoux litigieux et c'est à celui qui revendique un droit d'auteur de rapporter la preuve de l'originalité de son œuvre par rapport aux autres créations du même type
- les bijoux qu'elle commercialise ne constituent pas des contrefaçons, l'impression visuelle d'ensemble des bijoux étant nettement différenciée
- elle ne commercialisait pas ses créations dans le seul magasin 117 et n'avait vendu à celui-ci qu'une très faible quantité de bijoux, de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'elle avait visé spécialement le réseau de revendeurs de la société Jil d'Hostun
- elle s'était livrée à une activité récréative tout à fait accessoire et le nombre de ventes qu'elle a réalisées est extrêmement limité ; ainsi, sur les exercices 2013 et 2014, le montant total de ses ventes (non assujetties à TVA) s'est élevé à 4 339 euros, soit un bénéfice net de 1 258 euros
- elle a mis un terme à cette activité après la délivrance de l'assignation.
Il convient de se référer aux écritures des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 septembre 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour observe que, dans le dispositif de leurs écritures, qui seul saisit la juridiction, Mme [T] et la société Jil d'Hostun font grief à Mme [G] d'avoir commis des actes de contrefaçon en reproduisant « les bijoux susvisés » de la société Jil d'Hostun, sans préciser ceux dont il est demandé la protection alors même que le tribunal avait déjà relevé cette difficulté et avait circonscrit le litige à trois modèles.
Si le conseil des appelantes a, sur interrogation de la cour lors de l'audience, précisé que tous les bijoux de la société Jil d'Hostun étaient concernés, il n'en demeure pas moins que les écritures ne permettent pas de définir l'objet de la demande.
Or, il incombe à celui qui agit en contrefaçon de droits d'auteur, d'identifier l'oeuvre et ses caractéristiques dont il sollicite la protection, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Au demeurant, le tribunal a retenu à juste titre l'absence de tout acte de contrefaçon pour les trois modèles dont il s'est estimé saisi et qui sont seuls reproduits dans les conclusions des appelantes, à savoir un sautoir avec un motif en croix, un sautoir avec un motif Bouddha et un bracelet avec un motif en croix.
Il sera relevé que les bijoux argués de contrefaçon n'ont pas fait l'objet d'une saisie-contrefaçon ou d'un constat d'achat mais uniquement d'un constat sur des pages Facebook, de sorte que les photographies des bijoux attribués à Mme [G], telles qu'elles figurent dans le procès-verbal de constat, ne permettent que difficilement d'apprécier l'impression d'ensemble en comparaison avec celle dégagée par les bijoux de la société Jil d'Hostun qui ne sont également versés aux débats qu'en photographies.
Quoi qu'il en soit, par des motifs que la cour adopte, les premiers juges ont pertinemment retenu l'absence d'éléments qui seraient originaux et traduiraient l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Il sera ajouté que Mme [T] reconnaît que ses créations, dont elle a cédé les droits patrimoniaux à la société Jil d'Hostun, sont inspirés de colliers de style « Malas », mais elle soutient que « les détails d'exécution, les proportions, les formes, la composition, les combinaisons de couleurs, le choix des matériaux des perles constituent des créations propres de Madame [T] exprimant sa personnalité et bénéficiant d'un droit à protection ».
Outre qu'il est difficile d'apprécier ces éléments sur photographies, les bijoux n'ayant pas fait l'objet d'une communication de pièces, Mme [G] soutient à bon droit que les bijoux en question ne constituent que des déclinaisons d'un ornement ancestral, sans parti pris esthétique et sans réel apport créatif.
Il est ainsi justifié par la production de photographies figurant sur internet que de nombreuses créations utilisent les mêmes éléments, sans que Mme [T] ne justifie de l'originalité des siennes, nonobstant une indéniable réussite commerciale.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Mme [T] et de la société Jil d'Hostun au titre de la contrefaçon.
Par des motifs qui répondent aux moyens soulevés en appel et que la cour adopte, les premiers juges ont justement décidé qu'aucune faute n'avait été commise par Mme [G] au détriment de la société Jil d'Hostun et le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes au titre d'une concurrence déloyale et parasitaire.
Mme [G] n'établissant aucune faute ayant fait dégénérer en abus le droit d'agir en justice de Mme [T] et de la société Jil d'Hostun, il y a lieu de la débouter de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, le jugement étant confirmé de ce chef.
L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [G].
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne Mme [T] et la société Jil d'Hostun aux dépens ;
Rejette la demande de Mme [T] et la société Jil d'Hostun au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les condamne in solidum à payer à ce titre à Mme [G] la somme globale de 3 000 euros.
Le Greffier pour Le Président empêché