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14/01/2021 | FRANCE | N°20/01051

France | France, Cour d'appel de Lyon, Audience solennelle, 14 janvier 2021, 20/01051


R.G : N° RG 20/01051 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M3KF





































































notification

aux parties le



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



AUDIENCE SOLENNELLE



ARRET DU 14 Janvier 2021









D

écision déférée à la Cour : Conseil de l'ordre des avocats de LYON du 14 janvier 2020





DEMANDEUR AU RECOURS :



Monsieur [B] [T]

[Adresse 6]

[Localité 5]



comparant à l'audience, assisté de Me Dominique INCHAUSPE du Cabinet INCHAUSPE, avocats associés au barreau de PARIS,





DEFENDEURS AU RECOURS :



CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE LYON

[A...

R.G : N° RG 20/01051 - N° Portalis DBVX-V-B7E-M3KF

notification

aux parties le

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

AUDIENCE SOLENNELLE

ARRET DU 14 Janvier 2021

Décision déférée à la Cour : Conseil de l'ordre des avocats de LYON du 14 janvier 2020

DEMANDEUR AU RECOURS :

Monsieur [B] [T]

[Adresse 6]

[Localité 5]

comparant à l'audience, assisté de Me Dominique INCHAUSPE du Cabinet INCHAUSPE, avocats associés au barreau de PARIS,

DEFENDEURS AU RECOURS :

CONSEIL DE L'ORDRE DES AVOCATS DE LYON

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Serge DEYGAS, bâtonnier

Mme LA PROCUREURE GENERALE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Jean-Daniel REGNAULD, avocat général

L'affaire a été débattue en audience chambre du conseil le 26 Novembre 2020, les parties ne s'y étant pas opposées,

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

- Anne WYON, première présidente de chambre

- Agnès CHAUVE, présidente de chambre

- Annick ISOLA, conseiller

- Florence PAPIN, conseiller

- Raphaële FAIVRE, vice présidente placée

assistées pendant les débats de Sylvie NICOT, greffier

lors de l'audience ont été entendus :

- Anne WYON, en son rapport

- Maître INCHAUSPE, en sa plaidoirie

- Jean-Daniel REGNAULD, avocat général, en ses réquisitions

- Serge DEYGAS, bâtonnier, en ses observations

- Monsieur [B] [T] ayant eu la parole en dernier

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel le 14 Janvier 2021, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Anne WYON, première présidente de chambre, agissant par délégation du premier président, selon l'ordonnance du 31 août 2020 et par Sylvie NICOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Avocat au barreau de Lyon, M. [T] a établi une requête en récusation du magistrat qui a présidé une audience correctionnelle et l'a présentée le 30 octobre 2012 au nom de sa cliente, partie civile dans le cadre d'une procédure du délit de non représentation d'enfant, à savoir sa petite-fille, la prévenue étant la mère de l'enfant.

Il faisait observer que le magistrat portait le nom de [X] et que le père de la prévenue se prénommait [K], que le site Wikipédia mentionne que le mot [X] 'est, dans le peuple juif, un des noms portés par les descendants des lévites, membres de la tribu des lévi » et que « le mot [K] est, selon la tradition, le fondateur de la religion juive, le judaïsme, qui s'appelle parfois pour cette raison le mosaïsme, c'est à dire la religion de [K] », que la matérialité de ces constatations n'est pas contestable et que la partie civile a ressenti l'impression au cours de l'audience et compte tenu des propos tenus par M. [X], de passer du statut de partie civile à (celui de) coupable de faits délictueux.

Saisi par le procureur général, le conseil de discipline des barreaux de la cour d'appel de Lyon a, par décision du 16 octobre 2013, condamné Me [T] à la peine de radiation.

La cour d'appel de Lyon a confirmé cette décision par arrêt du 26 juin 2014, puis, après cassation du 1er juillet 2015, la cour d'appel de Paris en a fait de même par arrêt du 8 octobre 2015.

La cour de cassation a rejeté le pourvoi de M. [T] suivant arrêt du 6 septembre 2017.

Par lettre recommandée reçue le 15 novembre 2019, M. [T] a sollicité sa réinscription au tableau de l'ordre du barreau de Lyon, sa démission du barreau de Lyon et le transfert de son dossier au barreau de Paris.

Par arrêté du 14 janvier 2020, le conseil de l'ordre restreint du barreau de Lyon (le conseil) a rejeté sa demande.

Par courrier recommandé reçu au greffe de la cour le 6 février 2020, M. [T] a relevé appel de cette décision.

Les parties ont été convoquées à l'audience du 28 mai 2020. M. [T] n'étant pas en mesure de se présenter à l'audience, les parties ont été à nouveau convoquées à l'audience du 26 novembre 2020.

M. le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Lyon (le bâtonnier) a notifié ses conclusions aux autres parties le 19 mai 2020.

M. [T] a communiqué ses pièces et conclusions aux autres parties le 23 novembre 2020.

Le ministère public et le bâtonnier du barreau de Lyon ont répondu oralement aux écritures de l'appelant, ce qu'ont expressément accepté M. [T] et son avocat.

M. [T] fait essentiellement valoir que :

- le conseil se borne à reprendre les termes de l'arrêt de la Cour de Cassation du 6 septembre 2017 en omettant son évolution et sa prise de conscience progressive de la portée néfaste de son vocabulaire et du caractère incongru de sa procédure, comme en témoigne la lettre d'excuses qu'il a adressée à M. [X] le 21 septembre 2017,

- l'appréciation du conseil qui qualifie cette lettre d'ambiguë est contestable, d'autant qu'elle est corroborée par des attestations de ses confrères démontrant qu'il n'a jamais été habité de sentiments antisémites,

- la médiatisation de cette affaire ne lui est pas imputable,

- la requête en récusation a bien été établie dans l'urgence et non après plusieurs mois de réflexion car il n'a eu connaissance de la composition du tribunal que début octobre 2012 lorsqu'il a reçu copie du jugement rendu le 11 juin précédent,

- c'est à tort que le conseil estime que les faits ne sont pas si anciens si l'on tient compte des multiples recours exercés par M. [T], alors qu'ils datent d'octobre 2012 et que son droit à exercer des recours ne peut être méconnu,

- le texte de l'arrêté fait figurer ses motifs avant la mention que l'avocat de M. [T] puis M. [T] ont été entendus.

- l'intervention du bâtonnier devant la cour d'appel viole l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (CESDH) et le principe du procès équitable, ce qui rejaillit sur l'arrêté querellé, M. [T] n'ayant pas bénéficié d'un double degré de juridiction impartiale car le bâtonnier présidait la séance du conseil à l'issue de laquelle l'arrêté a été pris et il a signé cette décision, alors qu'il a déposé des conclusions et pièces devant la cour.

- la CESDH est applicable en l'espèce,

- l'intervention du bâtonnier doit être écartée et le manque d'impartialité objective du conseil qui a rendu l'arrêté du 14 janvier 2020 doit être constaté,

- si la cour d'appel peut affirmer ou annuler en évoquant, il n'en demeure pas moins que M. [T] a définitivement perdu le bénéfice du recours devant une juridiction impartiale en comparaissant devant le conseil, de sorte que son droit au recours posé par l'article 6 § 1 de la CESDH a été violé.

Il sollicite l'infirmation de l'arrêté entrepris et demande à titre principal qu'il soit fait droit à sa demande de réinscription au tableau de l'ordre des avocats du barreau de Lyon. À titre subsidiaire il demande à la cour d'écarter des débats les conclusions et pièces du bâtonnier et son intervention à l'audience du 26 novembre 2020 et de constater qu'il a définitivement été privé d'un double degré de juridictions impartiales.

Le bâtonnier s'appuie sur les termes de la cour de cassation qui, dans son arrêt du 6 septembre 2017, a considéré 'qu'en relevant la gravité de l'atteinte aux principes essentiels de délicatesse, de courtoisie et de dignité de la profession, ainsi que l'absence de regrets de l'intéressé qui n'a pris conscience ni de l'ineptie de ses propos ni de leur retentissement sur l'ensemble de la profession, ce dont elle a déduit que, par son comportement, celui-ci s'était montré indigne d'exercer la profession d'avocat', ce qui justifiait de prononcer la sanction de radiation.

Il estime que les longs développements en défense de M. [T] de 2012 à 2017 démontrent qu'il n'a jamais pris conscience ni de l'ineptie, ni de la gravité des propos contenus dans ses écritures et que la courte lettre d'excuses ne saurait effacer l'atteinte portée aux valeurs essentielles de la profession d'avocat. Il indique que le fait que des avocats attestent n'avoir jamais été témoins de propos antisémites de la part de M. [T] ne constitue pas une preuve.

Il souligne que la requête en recusation n'a pas été établie dans l'urgence et que les faits commis ne sont pas si anciens, qu'il doit être tenu compte de leur fort retentissement dans la communauté judiciaire et de la gravité de l'atteinte portée à l'image de la profession d'avocat tout entière, l'affaire ayant fait l'objet d'une très importante couverture médiatique.

Il conclut qu'en l'absence de motivation de la requête et d'éléments nouveaux produits par M. [T] et faute de preuve d'un amendement de nature à lui permettre d'exercer à nouveau la profession d'avocat en conformité avec les principes essentiels de la profession et de rétablir la confiance que doit inspirer tout auxiliaire de justice, la décision attaquée doit être confirmée.

Le procureur général a pris ses réquisitions et le bâtonnier a formulé des observations.

M. [T] a eu la parole en dernier.

MOTIVATION

- sur la rédaction de l'arrêté

Il est indiqué en page 4 de la décision dont appel, en fin de motivation, que la parole a été donnée au conseil de M. [T] et que celui-ci a eu la parole en dernier.

Cette mention, qui figure après la motivation de la décision, aurait été mieux positionnée avant celle-ci. Aucune conséquence procédurale n'en est toutefois tirée par l'appelant, qui ne conteste pas avoir été entendu en dernier, après la plaidoirie de son conseil, et avant que le conseil ne délibère pour prendre sa décision.

- sur l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme

Aux termes de l'article 16 alinéa 3 du décret du 27 novembre 1991, le bâtonnier est partie à la procédure d'appel ; il doit être invité à présenter des observations orales, et peut déposer des conclusions écrites. Il n'est pas tenu de se présenter à l'audience.

Il agit en tant que garant, élu par ses pairs, des règles de la profession. En l'espèce, le bâtonnier a produit les pièces de la procédure collective de M. [T], à savoir l'état des créances et les décisions judiciaires et celles de la procédure disciplinaire.

Le bâtonnier ne fait pas pour autant partie de la composition de jugement, de sorte que son intervention à l'audience n'affecte nullement l'impartialité de la cour. Aucun motif ne commande qu'elle soit écartée.

Le conseil restreint de l'ordre des avocats est présidé par le bâtonnier en application de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971. En sa qualité de président, le bâtonnier signe la décision rendue par le conseil.

Le conseil restreint est une juridiction ordinale qui ne constitue pas un tribunal au sens de l'article 6 de la CESDH. La convention admet en effet que des juridictions ordinales statuent en certaines matières, à condition que la procédure suivie devant elles puisse faire l'objet du contrôle ultérieur d'un organe judiciaire de pleine juridiction présentant les garanties de l'article 6, ce qui est le cas en l'espèce.

La procédure d'inscription au tableau de l'ordre des avocats ne prévoyant pas l'intervention d'une juridiction, sauf en cas d'appel, l'article 6 de la CESDH n'est pas applicable en l'espèce.

Quand bien même le conseil de l'ordre restreint serait-il considéré comme une juridiction, M. [T] ne précise pas en quoi l'intervention du bâtonnier devant la cour d'appel, qui n'est qu'hypothétique au moment où le conseil statue, pourrait avoir une incidence quelconque sur l'impartialité de la juridiction ordinale.

M. [T] ne démontre donc pas que son droit au recours devant une juridiction impartiale n'a pas été respecté.

- au fond

Outre les conditions auxquelles doit satisfaire le candidat et qui sont prévues par l'article 11 - 5° de la loi du 31 décembre 1971,le conseil de l'ordre comme la cour d'appel saisie d'un recours, conformément à l'article 17-3° de la loi du 31 décembre 1971, doivent s'assurer que celui qui sollicite son inscription au tableau de l'ordre respectera les principes de probité, de désintéressement, de modération et de confraternité sur lesquels repose la profession.

Au soutien de son recours, M. [T] fait valoir qu'il a évolué depuis octobre 2012, et qu'il a opéré une prise de conscience progressive de la portée néfaste de son vocabulaire et du caractère incongru de sa procédure de récusation. Il affirme également qu'il est fréquent qu'un avocat qui soutient une thèse pendant plusieurs années se rende compte qu'elle n'est pas fondée à la suite, seulement, d'une succession de décisions contraires.

Il excipe de deux lettres d'excuses qu'il a adressées à M. [X], la première le 21 septembre 2017 et la seconde le 20 novembre dernier, dans laquelle il indique prendre mieux conscience du caractère offensant pour ce magistrat de la teneur de sa requête

et croire qu'il s'est laissé entraîner par un vocabulaire dont il n'a pas clairement mesuré la portée, en particulier dans le contexte actuel. Il déclare qu'il n'était pas et n'est 'pas habité de quelques sentiments antisémites que ce soit' et dit réaliser enfin que sa lettre de septembre 2017 n'était pas vraiment satisfaisante tant sur la forme que sur le fond.

La cour ne met pas en doute l'évolution favorable de M. [T]. Elle observe toutefois que le processus s'est avéré d'une longueur considérable puisqu'il apparaît n'avoir abouti, selon M. [T] lui-même, qu'à la fin de l'année 2020, lorsqu'il a écrit pour la seconde fois à M. [X], soit au terme d'une période de 8 ans.

Il est de plus préoccupant qu'un avocat, professionnel de la parole et formé à la contradiction, ne parvienne à remettre en cause ses agissements qu'à la lumière de cinq procédures judiciaires successives. La cour relève au surplus qu'à la date de l'introduction de la requête en récusation, M. [T], âgé de 45 ans, était un homme mûr et un professionnel disposant d'une expérience certaine, ce qui était de nature à lui permettre de percevoir la portée des termes employés et de l'antisémitisme qui s'en évinçait sans attendre l'éclairage des motivations des décisions successives dont il a fait l'objet.

La lenteur de l'évolution décrite et le caractère extrêmement récent de la prise de conscience de M. [T], au regard de la gravité évidente des manquements qu'il a commis, ne permettent pas à la cour de s'assurer que son amendement est profond et suffisant pour le mettre en mesure d'exercer à nouveau la profession d'avocat dans le respect des principes essentiels de celle-ci.

C'est pourquoi la décision du conseil de l'ordre sera confirmée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement après débats en chambre du conseil, contradictoirement et en dernier ressort :

Confirme l'arrêté pris par le conseil de l'ordre restreint du barreau de Lyon le 14 janvier 2020 ;

Dit que M. [T] supportera les dépens.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : Audience solennelle
Numéro d'arrêt : 20/01051
Date de la décision : 14/01/2021

Références :

Cour d'appel de Lyon AS, arrêt n°20/01051 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2021-01-14;20.01051 ?
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