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07/07/2020 | FRANCE | N°19/00356

France | France, Cour d'appel de Lyon, 6ème chambre, 07 juillet 2020, 19/00356


N° RG 19/00356 -

N° Portalis DBVX-V-B7D-MEOR









Décision du

Tribunal d'Instance de LYON

du 25 octobre 2018



RG : 1118000162







[D]



C/



SARL ISBL CONSULTANTS





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



6ème Chambre



ARRET DU 07 Juillet 2020





APPELANT :



M. [W] [D]

né le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 4]>
[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représenté par Me Jean ANTONY, avocat au barreau de LYON, toque : 1426





INTIMEE :



SARL ISBL CONSULTANTS

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représentée par Me Séverine MARTIN de la SELARL MARTIN SEYFERT & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON...

N° RG 19/00356 -

N° Portalis DBVX-V-B7D-MEOR

Décision du

Tribunal d'Instance de LYON

du 25 octobre 2018

RG : 1118000162

[D]

C/

SARL ISBL CONSULTANTS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

6ème Chambre

ARRET DU 07 Juillet 2020

APPELANT :

M. [W] [D]

né le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 4]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Jean ANTONY, avocat au barreau de LYON, toque : 1426

INTIMEE :

SARL ISBL CONSULTANTS

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Séverine MARTIN de la SELARL MARTIN SEYFERT & ASSOCIES, avocat au barreau de LYON, toque : 1792

Assistée par Me Colas AMBLARD, SELARL SPS CONSULTING, avocat au Barreau de LYON, toque : 1146

******

Date de clôture de l'instruction : 28 janvier 2020

Date de mise à disposition : 07 juillet 2020

Composition de la Cour lors du délibéré :

- Dominique BOISSELET, président

- Catherine CLERC, conseiller

- Karen STELLA, conseiller, rapporteur

Vu l'état d'urgence sanitaire, la présente décision est rendue sans audience suite à l'accord des parties et en application de l'article 8 de

l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale.

La décision est portée à la connaissance des parties par le greffe par tout moyen en application de l'article 10 de l'ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale, tel que précisé par l'article 2.i de la circulaire du 26 mars 2020 CIV/02/20 - C3/DP/202030000319/FC.

Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées par tout moyen,

Signé par Dominique BOISSELET, président, et par Camille MAAROUFI, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

Le 3 octobre 2004, alors qu'il participait à un match de football de Coupe de France, [W] [D], licencié du club des Minguettes de [Localité 5], a été blessé par un joueur de l'équipe adverse, l'association sportive algérienne de [Localité 6], à la suite d'un tacle qui a entraîné une rupture complète du ligament croisé antérieur du genou droit et une lésion de gravité moyenne du ligament latéral interne.

Une expertise judiciaire a été ordonnée en référé le 15 janvier 2008 par le président du tribunal de grande instance de Lyon.

Par jugement du 5 novembre 2012 confirmé en appel le 26 février 2015,les demandes de Monsieur [D] qui ne prouve pas que le tacle du joueur adverse constituait une action anormale eu égard aux règles et à la loyauté du jeu, ont été rejetées.

Ayant constaté qu'en tapant son identité sur internet, le moteur de recherche «'google'» proposait un lien vers le site internet de la S.A.R.L ISBL Consultants depuis lequel un fichier Pdf permettait de consulter l'arrêt d'appel le concernant et estimant que la diffusion de ce fichier mentionnant son identité complète et les détails du rapport d'expertise portait atteinte à sa vie privée, il a, par courriel du 16 avril 2016, demandé à ladite société le retrait de cette publication. Par courrier de son conseil en date du 25 mai 2016, il a fait savoir que les démarches d'anonymisation de la décision de justice auxquelles elle avait fait procéder dès le 26 avril 2016 n'étaient pas suffisantes, ladite décision étant visualisable depuis un autre lien.

Il a obtenu auprès de Google la suppression du lien internet subsistant à effet du 20 décembre 2016.

Reprochant à la société ISBL Consultants la mise en ligne sans anonymisation préalable d'une décision de justice, ensuite reprise par d'autres sites internet, dans laquelle apparaissaient des informations relevant de sa vie privée et dont la divulgation lui cause un préjudice, Monsieur [D] l'a, par acte d'huissier du 3 janvier 2018, assignée devant le tribunal d'instance de Lyon pour qu'elle soit déclarée responsable et obtenir sa condamnation sous exécution provisoire à lui payer la somme de 9 500 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice outre 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Monsieur [D] a exposé que le principe de publicité des décisions de justice de l'article 451 du code de procédure civile a été écarté pour sanctionner l'auteur d'une publication dont la seule finalité était de jeter le discrédit sur l'une des parties. L'arrêt de la Cour d'appel de Lyon en date du 26 février 2015 reprend de manière exhaustive les conclusions de l'expertise ayant notamment fixé son déficit fonctionnel permanent à 15% sur le plan orthopédique et à 13% sur le plan psychologique, objectivé une incidence professionnelle en raison d'une contre-indication de la station debout et de la marche prolongée outre un préjudice sexuel par baisse de libido. IBSL Consultants ne pouvait ignorer que la diffusion du contenu de la décision lui serait préjudiciable ce qui caractérise son intention de lui nuire. Il a par ailleurs invoqué un préjudice professionnel dès lors que ses fonctions au sein de la mairie de [Localité 5] nécessitaient des déplacements quotidiens et que peu de temps après la publication litigieuse son aptitude physique a été remise en cause par ses supérieurs hiérarchiques. Il a enfin été affecté par l'exposition de sa vie personnelle, son état ayant nécessité un traitement par anxiolytiques outre un suivi psychologique qui perdure.

ISBL Consultants a conclu au rejet des demandes et à la condamnation de Monsieur [D] sous exécution provisoire à lui payer la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive outre 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle a expliqué qu'elle gérait et exploitait un site internet pour diffuser des actualités juridiques et fiscales. Ses publications prennent la forme de commentaires juridiques rédigés par un expert. Les deux articles visés ont été publiés les 29 juin 2015 et 28 septembre 2015. Ils étaient respectivement intitulés «'le tacle une nouvelle fois mis en scène'! Pas de condamnation sans preuve matérielle d'une faute caractérisée'» et «'violences sur les terrains de sport. Le football de nouveau à la barre'».Ils étaient accompagnés conformément à la ligne éditoriale d'un lien externe proposant la lecture intégrale de la décision commentée. Le principe de publicité des décisions de justice n'impose pas le devoir de solliciter une autorisation préalable des parties. L'objectif est purement informatif, ce qui exclut toute intention de nuire à Monsieur [D]. Les commentaires d'arrêt ne citent à aucun moment le nom des parties. Elle a en outre procédé immédiatement à l'anonymisation sollicitée par le demandeur.

Elle n'est en rien responsable de la publication de ladite décision sur d'autres sites dont elle n'est pas propriétaire. Elle conteste le lien de causalité entre le préjudice professionnel allégué et la publication litigieuse observant qu'aucune pièce produite ne le démontre. Au contraire, les souffrances morales résultent d'agissements de sa hiérarchie professionnelle, sans lien avec les publications juridiques litigieuses parues un an auparavant. L'action en justice est empreinte d'opportunisme car elle n'a commis aucune faute et qu'il n'existe pas de lien entre les publications et le préjudice professionnel allégué.

Par jugement du 25 octobre 2018, contradictoire en premier ressort, le tribunal d'instance de Lyon a':

rejeté les entières demandes de [W] [D],

condamné [W] [D] à payer à la S.A.R.L ISBL Consultants la somme de 700 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

rejeté les plus amples demandes de la S.A.R.L ISBL Consultants,

condamné [W] [D] aux dépens.

Le tribunal a dit que Monsieur [D] a fondé son action sur la théorie de l'abus de droit au visa de l'article 1382 du code civil. L'abus de droit est le fait d'une personne qui commet une faute par le dépassement de l'exercice d'un droit soit en le détournant de sa finalité soit dans le but de nuire à autrui. L'abus de droit exige la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité en application de l'article 1382 ou 1240 du code civil.

Il est constant qu'il y a eu mise en ligne d'une décision de justice non anonymisée. Il est constant également qu'ISBL Consultants a procédé au retrait de ladite décision le 26 avril 2016 soit 10 jours après la notification de l'atteinte à la vie privée. Elle est demeurée accessible sur le net postérieurement mais à partir de sites appartenant à des tiers ce qui a conduit Monsieur [D] à agir en suppression des liens auprès de la société Google. Il a fait uniquement valoir qu'elle ne pouvait pas ignorer que le contenu de l'arrêt publié était préjudiciable pour en déduire une intention de nuire. La suppression rapide du lien démontre qu'ISBL n'avait pas une telle intention. Au surplus, aucun des commentaires publiés ne porte trace de son nom ni de ses lésions ni de la description de ses préjudices. Ils ne mettent en perspective que les exigences jurisprudentielles pour que le geste du footballeur sur le terrain puisse donner lieu à indemnisation. Aucune intention de nuire n'est prouvée et ISBL Consultants a suffisamment démontré qu'elle n'a en rien détourné son activité de commentaires de jurisprudence de sa finalité doctrinale.

En l'espèce, Monsieur [D] s'est mépris sur l'étendue de ses droits mais n'a pas abusé de son droit de mauvaise foi ou par légèreté blâmable.

Appel a été interjeté par déclaration électronique le 17 janvier 2019 par le conseil de Monsieur [D] à l'encontre des dispositions lui faisant grief.

Suivant ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 avril 2019, [W] [D] demande à la Cour':

- dire recevable et bien fondé son appel,

- le dire recevable et bien fondé dans ses demandes,

- infirmer le jugement en ce qu'il a été débouté de ses entières demandes et condamné,

- condamner ISBL Consultants à lui payer la somme de 9 500 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté ISBL Consultants de sa demande indemnitaire,

- la débouter le l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner la société ISBL Consultants à lui verser 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens de première instance et d'appel.

Il maintient que la société ISBL Consultants a commis une faute engageant sa responsabilité délictuelle car elle a publié une décision de justice non anonymisée sans avoir été mandatée préalablement par lui en ayant parfaitement conscience de l'impact que cette publication sur internet aurait sur lui. Elle n'ignorait pas le contenu de la décision et son caractère indéniablement préjudiciable. Le dessein de nuire est établi. La coopération postérieure de ISBL Consultants pour retirer le lien vers la publication litigieuse n'efface pas la faute.

Le constat d'huissier produit en date du 13 avril 2016 démontre que la décision n'était pas anonymisée. Cela l'a mis dans une situation délicate professionnellement. Les fonctions qu'il occupait à la mairie de [Localité 5] depuis 2003 nécessitaient des déplacements quotidiens. Or, apparaît dans la décision qu'il a une incidence professionnelle avec contre-indication à la station debout et à la marche prolongée avec obligation de travailler à temps partiel et reclassement professionnel. Très peu de temps après la publication, son aptitude physique a été remise en cause par le médecin du travail et ses supérieurs hiérarchiques. Il est évident que la prise de connaissance des informations par ses supérieurs hiérarchiques a impacté «'sur leur appréhension de son travail et de sa personne». Il lui a également été préjudiciable que certains de ses préjudices dont le préjudice sexuel aient étaient rendus publics. Il s'agit d'éléments de vie privée. Cela a eu des conséquences sur son état de santé. Du fait de l'exposition de sa vie privée, il a dû lui être prescrit des anxiolytiques à compter d'avril 2016. Il reste suivi.

Il n'est lui-même animé par aucune intention de nuire à l'égard de ISBL Consultants et n'a fait qu'exercer légitimement son droit d'agir en justice.

Suivant ses dernières conclusions d'intimées notifiées par voie électronique le 11 juillet 2019, la société ISBL Consultants demande à la Cour de':

déclarer l'appel de Monsieur [D] recevable mais mal fondé,

l'en débouter,

confirmer le jugement déféré sauf sur le rejet de sa demande indemnitaire,

dire abusive la présente procédure initiée par Monsieur [D],

le condamner à lui verser 3 000 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral,

le condamner à une amende civile pour procédure abusive au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,

le débouter de ses demandes fins et prétentions

le condamner à lui verser 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens dont les dépens d'appel seront recouvrés par Maître Séverine Martin conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Son activité est informative et d'accès gratuit.

Elle conteste tout abus de droit n'ayant pas agi avec intention de nuire et pour jeter le discrédit. Le principe de publicité des décisions de justice n'impose pas d'autorisation préalable des parties même en cas de décision non anonymisée défavorable. Il s'agit de commentaires sans mention sur l'identité ou la vie privée de l'appelant.

Par ailleurs, il est prétendu que la publication des informations non anonymisées aurait provoqué la défiance de son employeur à son égard et aurait eu un impact sur son état de santé. Aucune des pièces produites ne relie les préjudices à la publication. Les deux attestations relatent une altercation téléphonique entre Monsieur [D] et son responsable le 20 mai 2016 sans explication sur les raisons objectives. Les courriers communiqués adressés à Madame le Maire de [Localité 5] font état d'un accident de travail à la suite d'un harcèlement moral de la part de son employeur. Son état de mal être est dû aux pressions psychologiques exercées. La proximité relative de la publication avec ces événements ne constitue en rien un indice des prétendues causalités. La première publication a eu lieu le 29 juin 2015 soit près d'un an avant. Il est demandé la suppression du lien en avril 2016 soit 10 mois après la première publication. Il a été supprimé immédiatement après la demande de Monsieur [D] qui ne peut lui reprocher la publication de la décision sur d'autres sites internet. Il a agi par opportunisme. Il tente d'obtenir une indemnisation de mauvaise foi par des voies détournées. Il a d'ailleurs été fait droit immédiatement à sa demande de suppression. L'imputation de fautes lui a causé un préjudice. Son attitude est blâmable.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 janvier 2020 et les plaidoiries fixées le 9 avril 2020 à 13H30.

L'audience n'a pas pu se tenir en raison de l'état d'urgence sanitaire. Les conseils des parties dûment avisés ne se sont pas opposés à ce que la Cour examine l'affaire hors audience de plaidoiries.

MOTIFS

sur la recevabilité de l'appel de Monsieur [D]

La recevabilité de cet appel n'a pas été contestée. Interjeté dans les formes et délais légaux, la Cour en constate sa recevabilité.

Sur la responsabilité délictuelle de la société ISBL Consultants

Selon l'article 12 du code de procédure civile, «'le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée'».

Selon l'article 9 du code civil, «'chacun a droit au respect de sa vie privée'». La vie privée concerne la vie professionnelle, la vie sentimentale et sexuelle.

[W] [D] a fondé sa demande sur la responsabilité délictuelle pour faute ou pour négligence ou imprudence en visant les articles 1382 et 1383 du code civil devenus à droit constant 1240 et 1241.

ISBL Consultants se défend en invoquant le principe de publicité des décisions de justice qui n'exige pas d'obtenir l'autorisation des parties pour pouvoir les publier sur un site purement doctrinal et informatif.

Pour autant, la publicité des décisions de justice prévue à l'article 451 du code de procédure civile n'est pas antinoymique de leur anonymisation car le caractère public d'une décision de justice contenant des données personnelles ne peut avoir pour effet de priver automatiquement et de manière définitive les justiciables de toute protection de leur vie privée. L'objectif d'accès au droit ne saurait s'accompagner d'atteintes à la vie privée dont la protection est un principe fondamental.

La finalité de la publication des décisions jurisprudentielles visant à alimenter la discussion sur la jurisprudence comme source de droit ne saurait justifier une atteinte à la vie privée, à l'intimité de la vie privée et sexuelle ni au secret médical. Une telle publication se fait, dans ce cas là, aux risques et périls de son auteur.

Dès lors, si aucun texte n'obligeait ISBL Consultants à obtenir l'autorisation préalable de [W] [D] pour publier l'arrêt d'appel non anonymisé et dans son intégralité pour accompagner les deux commentaires juridiques qu'elle a publiés, il n'en demeure pas moins que [W] [D] peut agir en justice en réparation des atteintes à sa vie privée à raison de le mise en ligne dudit arrêt à condition de prouver une faute intentionnelle ou de négligence ou d'imprudence, l'existence et le quantum du préjudice qu'il invoque et le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice.

La responsabilité délictuelle d'ISBL Consultants est engagée non seulement s'il démontre qu'elle a agi non seulement dans l'intention de lui nuire mais également si elle a agi par légèreté blâmable.

En l'espèce, ISBL Consultants a mis en ligne deux articles juridiques sur un geste sportif en renvoyant à une décision de justice non anomysée qui comportait de manière claire des informations relevant de manière indubitable de la vie privée, de la vie sexuelle et du secret médical. Ce fait est constant et non contesté.

ISBLConsultants a une activité de diffusion d'actualités notamment juridiques. Elle gère un site internet. Ses visées sont informatives. Le 29 juin 2015 puis le 28 septembre 2015, elle a publié deux articles sur une question de responsabilité civile lors du geste du tacle dans le domaine sportif lesquels ont mentionné la décision de justice concernant Monsieur [D]. Elle a créé un lien internet en fin d'article proposant la lecture intégrale de l'arrêt en question. Elle a ensuite à la demande de Monsieur [D] supprimé ce lien très rapidement après puis entamé des démarches pour une suppression totale du lien dans les référencements Google.

S'il est exagéré, comme le fait [W] [D], de déduire de ces agissements une intention de nuire de la part de ISBL Consultants, il n'en demeure pas moins que les faits établis démontrent un manque de prudence et une légèreté blâmable de la part d'une société travaillant dans le domaine du droit qui a créé un lien internet permettant de consulter une décision de justice comportant des éléments relevant de l'intimité de la vie privée notamment s'agissant des difficultés sexuelles de Monsieur [D] mais également de données médicales couvertes par le secret professionnel s'agissant de toutes ses séquelles physiques et psychologiques.

En choisissant de ne pas anonymiser la décision et de la publier intégralement en ne cancellant pas les paragraphes relevant de la protection de la vie privée, ISBL Consultants a permis au lecteur d'avoir accès à des données confidentielles relevant de l'intimité de la vie privée et du secret médical, soit des éléments sans rapport avec le sujet juridique traité. ISBL Consultant a commis une faute d'imprudence en portant atteinte, sans motif légitime, à l'intimité de la vie privée et à la santé de [W] [D].

Le fait d'avoir supprimé rapidement le lien internet vers l'arrêt d'appel de Lyon du 26 février 2015 n'est pas de nature à effacer la faute civile d'ISBL Consultants. Cette suppression ne peut être prise en considération que pour apprécier le quantum du préjudice subi qui sera davantage limité dans le temps.

Dès lors, la Cour constate la faute délictuelle d'imprudence commise par la société ISBL Consultants au préjudice de [W] [D] et infirme le jugement déféré sur ce point.

S'agissant du préjudice invoqué, [W] [D] ne démontre pas que la faute d'ISBL Consultants a entraîné un préjudice professionnel. Aucune des pièces produites ne permet de démontrer que ses difficultés professionnelles ont pour origine les deux articles publiés renvoyant à une décision de justice et publié un an avant. Comme l'a observé ISBL Consultants les deux attestations produites relatent une altercation téléphonique entre Monsieur [D] et son responsable le 20 mai 2016 sans explication sur les raisons objectives. Les courriers communiqués adressés à Madame le Maire de [Localité 5] font état d'un accident de travail à la suite d'un harcèlement moral de la part de son employeur. Son état de mal être est dû aux pressions psychologiques exercées sans le moindre lien apparent avec les publications litigieuses.

En revanche, s'agissant de son préjudice moral lié à l'atteinte à sa vie privée et sexuelle, celui-ci est constitué par le fait que les lecteurs ont pu entre juin 2015 et avril 2016 avoir accès aux informations relatives à la baisse de libido de [W] [D], au fait qu'il a eu des séquelles psychologiques à hauteur de 13% et des séquelles physiologiques à hauteur de 15%. Ces éléments qui ont été rendu publics sans son autorisation ne peuvent que l'avoir affecté.

Ce préjudice moral, qui est en lien avec la publication litigieuse imprudente, doit être indemnisé.

[W] [D] a sollicité pour l'ensemble de ses préjudices la somme de 9 500 euros.

La Cour doit se limiter à l'indemnisation du préjudice moral lié à l'atteinte à l'intimité de la vie privée à l'exclusion des préjudices professionnels.

Il doit également être tenu compte de la réaction rapide de la société ISBL qui a pris les mesures pour faire cesser l'atteinte en répondant à la demande légitime de [W] [D] en avril 2016. Néanmoins, ce préjudice a perduré entre le 29 juin 2015 et le 18 avril 2016.

En conséquence, la Cour fixe à 3 000 euros de dommages et intérêts le montant du préjudice moral de [W] [D] que la société ISBL Consultants doit réparer.

La Cour infirme le jugement déféré et condamne la S.A.R.L ISBL Consultants à payer à [W] [D] la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral, le surplus de la demande indemnitaire étant rejeté. La Cour déboute la S.A.R.L ISBL Consultants de l'intégralité de ses demandes.

Sur les demandes accessoires

L'équité conduit la Cour à infirmer le jugement déféré sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile, à débouter la société ISBL Consultants de sa demande au titre des frais irrépétibles et à la condamner à hauteur d'appel à payer à [W] [D] la somme de 3 000 euros.

Partie perdante, la S.A.R.L ISBL Consultants doit être tenue aux dépens de la procédure. La Cour infirme le jugement déféré sur les dépens et condamne la S.A.R.L ISBL Consultants aux entiers dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

la Cour,

Reçoit l'appel de [W] [D],

Constate la faute délictuelle d'imprudence de la S.A.R.L ISBL Consultants au préjudice de [W] [D],

Infirme le jugement déféré,

statuant à nouveau,

Ccondamne la S.A.R.L ISBL Consultants à payer à [W] [D] la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

Déboute [W] [D] du surplus de sa demande indemnitaire,

Déboute la S.A.R.L ISBL Consultants de ses entières demandes,

Condamne la S.A.R.L ISBL Consultants à payer à [W] [D] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la S.A.R.L ISBL Consultants aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19/00356
Date de la décision : 07/07/2020

Références :

Cour d'appel de Lyon 06, arrêt n°19/00356 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-07-07;19.00356 ?
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