R.G : N° RG 18/07638 - N° Portalis DBVX-V-B7C-MAE3
notification
aux parties le
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
AUDIENCE SOLENNELLE
ARRET DU 12 Décembre 2019
Décision déférée à la Cour : Conseil de discipline des avocats de LYON du 26 septembre 2018
DEMANDEUR AU RECOURS :
Monsieur [U] [P]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
présent à l'audience, assisté de Maître Philippe PERRET-BESSIERE, avocat au barreau de LYON (Toque 493)
DEFENDEURS AU RECOURS :
Monsieur le Bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de LYON, Maître Farid HAMEL
[Adresse 1]
[Adresse 1]
présent à l'audience
Madame LA PROCUREURE GENERALE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
L'affaire a été débattue en audience publique le 24 Octobre 2019, les parties ne s'y étant pas opposées,
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
- Aude RACHOU, première présidente de chambre
- Françoise CARRIER, présidente de chambre
- Florence PAPIN, conseiller
- Françoise CLEMENT, conseiller
- Laurence VALETTE, conseiller
assistées pendant les débats de Sylvie NICOT, greffière
lors de l'audience ont été entendus :
- [C] [T], en son rapport
- Maître [V] [B], en sa plaidoirie
- Jean-Daniel REGNAULD, avocat général, en ses réquisitions
- Maître Farid HAMEL, bâtonnier, en ses observations
- Monsieur [U] [P] ayant eu la parole en dernier
Arrêt Contradictoire rendu par mise à disposition au greffe de la cour d'appel le 12 Décembre 2019, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Aude RACHOU, première présidente de chambre , agissant par délégation du premier président, selon l'ordonnance du 2 septembre 2019, et par Sylvie NICOT, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------
M. [P] s'est vu confier en 2007 la défense des intérêts de M. [S], fils de Mme [I], victime d'un accident de la circulation le 18 février 1990 alors qu'il était âgé de 26 jours. Il est notamment intervenu dans les négociations avec les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles (les sociétés MMA) en fixation du préjudice de la victime.
Le 4 juillet 2007, une convention d'honoraires a été conclue entre Mme [I] et lui, laquelle prévoyait le versement d'un honoraire fixe de ' 1 000 euros hors taxe outre TVA au taux légal ' et d'un honoraire variable représentant ' 20% + la TVA au taux légal de la totalité des sommes allouées à la victime '.
Cette convention a été suivie de la signature d'une nouvelle convention le 23 novembre 2011, puis le 2 septembre 2016 aux mêmes conditions.
Par jugement en date du 22 septembre 2011, Mme [I] a été désignée en qualité de tutrice de M. [S].
Par acte sous seing privé en date du 13 octobre 2016, M. [S], représenté par Mme [I] en qualité de tutrice, a conclu un procès verbal de transaction avec les sociétés MMA fixant son préjudice, tous chefs confondus, à une somme en capital de 1 210 888,37 euros, déduction faite des provisions déjà versées d'un montant de 165 762,25 euros, ainsi qu'une rente annuelle de 29 544 euros.
Cette convention a été homologuée par le juge des tutelles près le tribunal de grande instance de Lyon.
Le 15 novembre 2016, M. [P] a établi une facture d'honoraires d'un montant TTC de 533 489,50 euros.
Le 17 novembre 2016, un virement d'un montant de 501 636,62 euros correspondant au montant prévu par la transaction déduit des honoraires de M. [P] a été émis de la caisse régionale des règlements pécuniaires des avocats (la Carpa) sur le compte bancaire de M. [S].
Au vu des observations du juge des tutelles, Mme [I] a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats de Lyon en contestation des honoraires de M. [P].
Par décision en date du 28 juin 2017, le bâtonnier a réduit le montant des honoraires à 60 000 euros hors taxe, somme encore réduite à la somme de 16 000 euros hors taxe par ordonnance rendue le 9 janvier 2018 par le premier président de la cour d'appel statuant sur le recours formé par M. [P].
Par arrêt du 23 mai 2019, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. [P] à l'encontre de cette décision.
Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception du 3 octobre 2017, le bâtonnier a saisi le conseil régional de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Lyon d'une poursuite disciplinaire à l'encontre de M. [P] pour avoir encaissé des honoraires excessifs et tenté d'obtenir le décaissement d'une somme de 120 0000 euros auprès de la Carpa alors qu'une procédure de contestation d'honoraires était en cours.
Par décision en date du 26 septembre 2018, le conseil régional de discipline a :
dit que M. [P] avait manqué aux règles de probité, d'humanité, d'honneur, de délicatesse, de modération et de désintéressement constituant les valeurs du serment de l'avocat,
condamné celui-ci à une peine d'interdiction d'exercer d'une durée de deux années,
ordonné à titre de sanction accessoire la publicité de la décision,
dit que la décision fera l'objet d'une publicité in extenso par affichage dans les locaux des différents ordres composant le conseil de discipline des barreaux du ressort de la cour d'appel de Lyon, ainsi que sur leurs sites internet respectifs pendant la durée de la suspension,
dit que les faits commis constituent une atteinte à l'honneur et à la probité.
Par courrier recommandé avec demande d'avis de réception reçue au greffe de la cour d'appel de Lyon le 26 octobre 2018, M. [P] a formé un recours contre cette décision.
L'audience prévue le 16 mai 2019 a été renvoyée au 24 octobre 2019 dans l'attente d'une décision de la Cour de cassation sur le pourvoi formé par M. [P] à l'encontre de l'ordonnance rendue le 9 janvier 2018 par le premier président de la cour d'appel de Lyon.
Dans le cadre de son recours, M.[P] demande à la cour de :
Vu l'article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme,
Vu les articles 183 et 184 du décret du 27 novembre 1991,
Vu les articles 1.3 et 1.4 du règlement intérieur national,
Vu l'article 3 du décret du 12 juillet 2005,
Dire et juger recevable et bien fondé son appel formé contre la décision rendue par le conseil de discipline du ressort du barreau de Lyon le 26 septembre 2018,
Dire et juger qu'il n'a commis aucune faute constituant un manquement ou une atteinte aux règles de la profession d'avocat,
Réformer la décision entreprise,
Dire n'avoir lieu à sanction disciplinaire,
A titre infiniment subsidiaire :
Dire et juger excessive la sanction prononcée et la rapporter à de plus justes proportions.
A l'audience, le conseil de M. [P] a développé ses conclusions écrites :
M. [P] n'a enfreint aucun principe de délicatesse puisque les honoraires étaient proportionnés à son intervention conséquente auprès de Mme [I] pendant quasiment dix années sans que soit sollicité de provision significative puisque seul un honoraire de 1 000 euros hors taxe avait initialement été prévu.
Mme [I] a accepté en connaissance de cause le montant des honoraires fixés dans la convention d'honoraires et la contestation de la facturation convenue viole la confiance légitime et la sécurité juridique qui doit présider aux relations contractuelles librement consenties.
Aucun élément versé aux débats ne démontre l'existence de manoeuvres déloyales pour obtenir de Mme [I] la signature de la convention d'honoraires et le paiement des honoraires.
Il ne peut lui être reproché de ne pas avoir soumis la convention d'honoraires à l'autorisation du juge des tutelles puisqu'il a toujours estimé qu'elle constituait un acte d'administration ne requérant pas son intervention. Par ailleurs il a toujours agi en transparence vis à vis de ce dernier.
La sanction prononcée par le conseil régional de discipline est disproportionnée puisqu'il n'a fait preuve d'aucune malignité ni mauvaise foi manifeste, a mené à terme et au mieux sa mission, et a procédé au remboursement du trop-perçu dans le respect de l'ordonnance rendue par le premier président de la cour d'appel de Lyon.
M. [P] a oralement fait valoir que la procédure disciplinaire ne peut aboutir du fait d'inexactitudes matérielles, de la déloyauté du rapporteur, de la violation de l'égalité des droits et du fait que le bâtonnier n'a pas fait son travail, attendant que les honoraires soient encaissés ' avant de se réveiller '. Il précise ne pas avoir signé le procès-verbal.
Il ajoute que :
- le bâtonnier a violé tant la forme que le droit et ses écrits sont faux
- la décision n'est pas motivée in concreto
- l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'a pas été respecté ainsi que le principe de proportionnalité.
Le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Lyon, entendu en ses observations, conteste les accusation portées contre lui et souligne qu'il se fait insulter.
Il maintient ses conclusions écrites régulièrement communiquées à M. [P] et demande à la cour la confirmation de la décision.
Le bâtonnier indique que :
M. [P] a commis une faute déontologique compte tenu du caractère particulièrement excessif des honoraires encaissés, tant pour un avocat inexpérimenté, ce dernier venant d'être inscrit au barreau de Lyon lorsqu'il s'est vu confier la défense des intérêts de M. [S] et n'étant titulaire d'aucun certification de spécialisation en matière de réparation du préjudice corporel, qu'au regard des honoraires habituellement pratiqués par d'autres avocats spécialisés dans cette matière.
La faute déontologique est également caractérisée par l'absence de justification des diligences accomplies, l'incapacité à produire des factures détaillées explicites, le refus constant de M. [P] de ne pas modifier son comportement malgré les avertissements formulés par le juge des tutelles et sa tentative d'encaisser un honoraire complémentaire de 120 000 euros au mois de mars 2017 malgré les contestations faites par Mme [I] devant le bâtonnier.
Le fait que M. [P] ait remboursé M. [S] ne saurait effacer la gravité de la faute déontologique commise par lui.
La procureure générale rappelle que la convention faite avec un incapable est un acte de disposition nécessitant l'avis du juge des tutelles et qu'il appartenait à M. [P] de demander au mandant cette autorisation.
Elle souligne le montant des honoraires prélevé, soit 50 % du capital versé.
Eu égard au remboursement effectué, elle conclut à une peine d'interdiction d'un an au lieu de deux ans.
M. [P] a eu la parole en dernier.
Sur ce :
Attendu qu'au préalable la cour rappelle que la procédure a fait l'objet d'un renvoi dans l'attente de la décision de la Cour de cassation saisie par M. [P] sur la fixation de ses honoraires ;
que par arrêt du 23 mai 2019, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. [P] à l'encontre de cette décision ;
Attendu qu'en conséquence par décision définitive du 9 janvier 2018, le premier président a fixé le montant des honoraires dus à la somme de 16 000 euros HT, soit 19 200 euros TTC, retenant que la convention d'honoraires conclue le 4 juillet 2007 s'analysait en un acte de disposition, soumis à autorisation du juge des tutelles ;
Attendu que M. [P] remet en cause à tort la régularité de la procédure et invoque la violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
qu'en effet, il n'a pas souhaité attendre que son procès-verbal d'audition du 31 janvier 2018 soit mis en forme, devant partir pour donner un cours ;
qu'il a sollicité tardivement une confrontation avec Mme [I], cette demande étant parvenue alors que celle-ci avait déjà été entendue ;
qu'il ne rapporte aucune preuve de la fausseté alléguée des écrits du bâtonnier ;
qu'il n'est pas établi que celui-ci ait assisté au délibéré ;
qu'a été communiquée l'entière procédure à son conseil, étant observé que M. [P] n'était pas présent lors de l'audience devant le conseil de discipline ;
que la décision déférée mentionne que le rappel des faits a été effectué et analyse les faits reprochés à M. [P] relatifs au pourcentage excessif pratiqué sur l'intégralité des sommes allouées sans distinction selon les chefs de préjudice, aux prélèvements opérés malgré le désaccord exprimé par le juge des tutelles qui est révélateur de la volonté de M. [P] de persister dans ses errements ;
Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [P] est mal fondé à soutenir une violation de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et une atteinte au principe de l'égalité des droits ;
Attendu que M. [P] invoque le non respect du principe de proportionnalité sans pour autant développer un quelconque moyen de ce chef ;
Attendu que l'enquête disciplinaire met en évidence la réalité des faits reprochés, à savoir un pourcentage excessif pratiqué, l'absence de factures et de pièces justificatives du travail, la volonté de poursuivre le recouvrement des honoraires malgré l'opposition du juge des tutelles et leur calcul sur l'ensemble des sommes allouées y compris sur la rente qui pourtant avait vocation à être supprimée si la victime était placée ;
Attendu que le conseil de discipline a, à juste titre, retenu que ces agissements étaient contraires aux principes de modération et de délicatesse et étaient également constitutifs d'un manquement caractérisé à l'honneur, la probité, au désintéressement et à l'humanisme, s'agissant de défendre les droits d'un mineur, alors âgé de quelques semaines lors de l'accident dont il a été victime et lourdement handicapé ;
Attendu qu'eu égard à ces manquements et à leur gravité, la décision sera confirmée, peu important le fait qu'en définitive il n'y ait pas de préjudice financier, M. [P] ayant remboursé les sommes indûment perçues ;
Par ces motifs
La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, en audience solennelle
Confirme la décision déférée,
Condamne M [P] aux dépens.
LE GREFFIERLE PRESIDENT