N° RG 14/00606 - N° Portalis DBVX-V-B66-IWZJ
Décision du
Tribunal de Grande Instance de BOURG-EN-BRESSE
Au fond du 25 novembre 2013
RG : 12/00667
chambre civile
[T]
C/
Etablissement Public CAISSE NATIONALE DE L'ASSURANCE MALADIE DES TRAVAILLEURS SALARIÉS
Etablissement Public CPAM DE L AIN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 04 Décembre 2018
APPELANT :
M. [U] [T]
né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1] (MAROC)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par la SCP BAUFUME ET SOURBE, avocats au barreau de LYON
Assisté de Me ROBICHON, avocat au barreau de GRENOBLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2014/007861 du 20/03/2014 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de LYON)
INTIMÉES :
La Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM), venant aux droits de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés, représentée par son Directeur Général en exercice
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par la SELARL KAIROS AVOCATS, avocats au barreau de LYON
Assistée de par Me Sophie TASSEL, avocat au barreau de PARIS
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Ain (CPAM) représentée par son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par SAS TUDELA ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
Assistée de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, avocats au barreau de LYON
******
Date de clôture de l'instruction : 30 Octobre 2018
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 06 Novembre 2018
Date de mise à disposition : 04 Décembre 2018
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Françoise CARRIER, président
- Michel FICAGNA, conseiller
- Florence PAPIN, conseiller
assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier
A l'audience, Michel FICAGNA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CARRIER, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
Le 2 décembre 1986, M. [U] [T] a été victime d'un accident du travail qui lui a occasionné des blessures au genou gauche.
Il a été déclaré consolidé le 30 juin 1988 et a repris le travail de façon discontinue.
Le 12 septembre 2001, M. [T] a été victime d'une rechute prise en charge au titre de l'accident de travail du 2 décembre 1986.
La CPAM de L'Ain, sur avis du médecin conseil de la Caisse National d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés, a retenu que M. [T] était consolidé le 10 août 2013 et que son taux d'incapacité était fixé à 25%.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 15 décembre 2003, M. [T] a contesté être consolidé et a sollicité que soit instaurée une expertise médicale.
La CPAM de l'Ain a proposé le nom du docteur [L].
Le Docteur [V], médecin traitant de M. [T], a proposé le docteur [M].
M. [T] a été convoqué par le docteur [L] pour un examen médical devant être réalisé le 13 avril 2004.
Par courrier du 5 avril 2004, M. [T] a contesté la désignation de ce médecin.
Par courrier du 21 avril 2004, la CPAM a précisé à M. [T] que le dossier avait été transmis à la direction des affaires sanitaires et sociales le 9 février 2004 pour désignation de l'expert compte-tenu du désaccord, qu'un premier médecin avait été désigné mais avait refusé la mission et qu'en conséquence, la direction des affaires sanitaires et sociales avait désigné le docteur [L] qu'elle avait initialement proposé.
M. [T] a alors écrit au directeur départemental des affaires sanitaires et sociales le 23 avril 2004, pour contester le choix du docteur [L].
Par courrier recommandé du 4 mai 2004, la direction des affaires sanitaires et sociales a indiqué à M. [T] que l'article R141-1 du code de la sécurité sociale ne faisait pas obstacle à la désignation par le directeur du médecin suggéré initialement par le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie et a informé M. [T] qu'il avait la possibilité de porter le litige devant la commission de recours amiable, dans le délai de deux mois qui suit la décision contestée, par lettre simple adressée à son secrétariat au siège de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie.
Par requête du 8 novembre 2004, M. [T] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Ain aux fins de :
- dire que la date de consolidation signifiée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie le 18 novembre 2003 n'a pas acquis de caractère définitif.
- d'ordonner le maintien des indemnités journalières à compter du 10 août 2003,
- de se prononcer sur la nullité de la procédure d'expertise.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie a opposé à M. [T] la circonstance que la commission de recours amiable n'avait pas été saisie.
M. [T] a répondu qu'il avait bien saisi cette commission par un courrier du 3 juillet 2004 resté sans réponse.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie a contesté avoir reçu ce courrier.
M. [T] a écrit à la commission de recours amiable le 7 février 2006, lui demandant de bien vouloir statuer sur sa demande de 2004.
Par jugement du 11 septembre 2006, le tribunal des affaires de sécurité sociale de BOURG EN BRESSE a jugé le recours de M. [T] irrecevable faute de justifier avoir saisi la commission de recours amiable dans les deux mois de la décision contestée.
M. [T] a interjeté appel de cette décision.
Par un arrêt du 8 mars 2007, la cour d'appel de Lyon a confirmé le jugement entrepris.
M. [T] a formé un pourvoi en cassation .
Par arrêt du 28 mai 2009, la Cour de cassation a cassé l'arrêt et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Grenoble, au motif que «l'information donnée par la lettre du Directeur Départemental des Affaires Sanitaires et Sociales ne pouvait se substituer à la décision de la caisse prévue à l'article R141-5 du Code de la Sécurité Sociale et ne faisait pas courir le délai de recours de deux mois prévu à l'article R142-1 du Code de la Sécurité Sociale.» étant précisé que l'article R 141-5 du code de la sécurité sociale édicte qu'ensuite des conclusions motivées de l'expert «la caisse doit prendre une décision et la notifier au malade ou à la victime dans un délai maximum de quinze jours suivant la réception des conclusions motivées».
Par acte du 3 novembre 2009, M. [T] a saisi la Cour d'appel de Grenoble.
Par arrêt avant dire droit du 7 juin 2010, la cour d'appel de Grenoble, a :
- constaté (dans ses motifs) que M. [T] était recevable et fondé à contester la régularité de l'expertise confiée au Dr [L] qui n'a pas été désigné conformément aux dispositions de l'article 141-1 du code de la sécurité sociale,
- ordonné une expertise et a désigné le Docteur [W] avec pour mission notamment de dire si l'état de M. [T] pouvait être consolidé le 10 août 2003 au titre de la rechute du 12 septembre 2001, et dans la négative, de fixer la date de consolidation.
Le 2 mars 2007, M. [T] a été de nouveau pris en charge dans le cadre de son accident du travail en raison d'une nouvelle rechute.
Aux termes de son rapport, le Docteur [W] a conclu que la consolidation au 10 août 2003 était prématurée et qu'entre le 10 août 2003 et le 2 mars 2007, l'état de l'assuré s'était aggravé du fait de l'absence de soins ou d'examens dont l'assuré ne pouvait pas assumer les frais.
Par arrêt définitif du 13 janvier 2011, la cour d'appel de Grenoble a :
- condamné la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Ain à payer à M. [T] l'intégralité des indemnités journalières dues depuis le 10 août 2003 jusqu'au 1er mars 2007, outre intérêts de retard au taux légal capitalisés par année,
- donné acte à M. [T] qu'il se réservait le droit d'agir à l'encontre de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Ain en réparation du préjudice né du prononcé prématuré de la consolidation.
- condamné la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Ain à lui payer la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans cet arrêt, la cour d'appel a relevé : «il résulte de l'expertise qu'en l'absence de soins et d'examens qu'aurait imposé son état, les lésions du genou gauche de l'assuré se sont aggravées progressivement».
Par acte du 10 février 2012, M. [T] a assigné la Caisse Primaire d'Assurance Maladie devant le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse aux fins de condamnation à lui payer la somme de 300 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis en raison du prononcé prématuré de la consolidation, subsidiairement aux fins de voir ordonner une expertise médicale confiée au Dr [W] pour déterminer ses préjudices.
Par jugement du 25 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a déclaré l'action en responsabilité de M. [T] contre la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Ain irrecevable aux motifs :
- que le fait générateur du préjudice invoqué par M. [T] trouvait sa cause dans l'avis du médecin conseil, lequel avis s'imposait à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Ain et qu'aucune faute ne pouvait dès lors lui être reprochée à ce titre, quand bien même une difficulté ultérieure s'est produite quant à la procédure de consolidation,
- que le médecin conseil relevant de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie, les demandes présentées à l'encontre de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Ain étaient donc irrecevables.
M. [T] a fait appel de cette décision devant la cour d'appel de Lyon.
Parallèlement, il a assigné la Caisse Nationale d'Assurance Maladie devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Ain aux fins de condamnation à lui verser la somme de 300 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis en raison du prononcé prématuré de la consolidation et a demandé la renvoi de l'affaire devant la cour d'appel pour cause de connexité avec l'affaire l'opposant à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Ain.
Par un jugement du 7 décembre 2015 (confirmé par un arrêt définitif de la cour d'appel de Lyon) le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Ain a fait droit à l'exception de connexité et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Lyon pour y être jugée avec celle concernant la Caisse Primaire d'Assurance Maladie.
Les deux instances ont été jointes par ordonnance du conseiller chargé de la mise en état en date du 14 décembre 2017 sous le numero RG 14/606.
M. [T] demande à la cour :
Vu l'article 1382 du code civil,
- d'infirmer l'entier jugement entrepris, statuant de nouveau,
- de condamner la CPAM de l'Ain et la CNAMTS in solidum à lui payer la somme de 300 000 € à titre de dommages intérêts en réparation des préjudices subis,
à titre subsidiaire, avant dire droit,
- d'ordonner une expertise médicale confiée au docteur [W] pour déterminer le quantum des dommages intérêts à attribuer à M. [T] en réparation de ses préjudices,
en tout état,
- de condamner la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Ain et la CNAMTS in solidum à lui verser la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner les mêmes in solidum aux entiers dépens.
Il soutient :
- que le non-respect de la procédure de consolidation par la CPAM lui a causé un préjudice extrêmement grave car il l'a privé du bénéfice d'examens et de soins qui auraient pu être mis en oeuvre si la consolidation n'avait pas été fixée, dans le cadre d'une procédure entachée de multiples et graves irrégularités, au 10 août 2003,
- que la CPAM est responsable des fautes commises dans le cadre de la procédure de notification de consolidation qui lui incombait de respecter, fautes ayant concouru à son entier préjudice, avec les fautes commises par le médecin conseil qui lui a transmis des indications et informations erronées,
- qu'il n'y a pas de contradiction entre ses demandes au détriment de la CPAM et que la fin de non recevoir tirée de la théorie de l'estoppel est mal fondée,
- que le rapport du Docteur [W] a établi de façon expresse que la consolidation prématurée au 10 août 2003 lui avait été extrêmement préjudiciable, puisque son état nécessitait encore des examens et des soins qui lui auraient permis, sans aucun doute possible, d'améliorer son état de santé et par conséquent de reprendre une activité salariée,
- que si la procédure de consolidation avait été mise en oeuvre dans le respect du Code de la sécurité sociale par la CPAM de l'Ain il aurait pu dûment faire valoir ses droits,
- que les fautes de la CPAM ont été multiples, tant lors de la procédure de consolidation qu'ultérieurement, à savoir le non respect des dispositions des articles L 441-6, alinéa 2, R 433-17, alinéas 2 et 3 du Code de la Sécurité sociale, et R 141-1 et R 141- 4 du Code de sécurité sociale, en ce que la consolidation au 10 août 2003 n'a pas fait l'objet d'un certificat médical final descriptif qui aurait été établi par le Dr [V], médecin traitant dans le cadre de l'article L 441-6, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, la CPAM n'a pas procédé à l'information préalable, ne lui a pas notifié la décision de retenir comme date définitive de consolidation le 10 août 2013, que l'expertise technique a été mise en oeuvre en violation des règles procédurales,
- que la caisse a considéré comme définitive la date de consolidation du 10 août 2003 à la suite de l'expertise médicale irrégulière... sans pour autant lui notifier une telle décision dans le respect de l'article R 141-5 du code de la sécurité sociale,
- que c'est bien de façon fautive que la CPAM de l'Ain a maintenu la fixation définitive de consolidation au 10 août 2003 en dépit de l'absence de conclusions motivées d'un médecin conseil valablement désigné,
- que le Dr [V], le 2 janvier 2004, avait prescrit la nécessité de prolonger son arrêt de travail de rechute alors que la CPAM a considéré à tort ce certificat médical comme constituant une nouvelle rechute,
- que la CPAM ne justifie pas de l'envoi allégué d'un protocole de soins à son médecin traitant,
- que la CPAM a pris la décision de fixer la consolidation sur simple avis du médecin conseil, en totale contrariété avec l'avis de son médecin traitant qui avait prolongé son arrêt de travail,
- qu'il n'a pas pu en son temps se rapprocher du Dr [V],
- qu'il est de jurisprudence constante que le défaut de notification de la date de consolidation envisagée soit au médecin traitant soit au patient a pour première conséquence d'empêcher que la date de consolidation soit considérée comme définitive,
- qu'il a été privé de la mise en 'uvre régulière dans des délais raisonnables de la procédure de contestation de la date de consolidation prévue par l'article R 443-17 du CSS puis de la procédure d'expertise médicale par le comportement fautif de la CPAM,
- que ce n'est qu'au prix d'une longue procédure judiciaire qui l'a conduit jusque devant la Cour de cassation que la contestation de cette date de consolidation anormalement considérée comme définitive a pu être effectivement appréciée, devant la cour d'appel de Grenoble,
- qu'en vertu de l'article L 224-7 du code de sécurité sociale, les praticiens-conseils du service du contrôle médical sont des agents de la CNAMTS,
- que la responsabilité quasi délictuelle de la CNAMTS est engagée en raison de l'appréciation fautive prématurée par le médecin conseil d'une consolidation de son état de santé au 10 août 2003,
- que l'ensemble des décisions de justice ainsi que le rapport d'expertise du Dr [W] sont soumis au débat contradictoire dans le cadre de la présente instance si bien que la CNAMTS est tout à fait recevable à en apporter une critique,
- que l'existence d'une procédure permettant de contester la date de consolidation ne prive pas les actes de la CNAMTS ou de la CPAM de leur caractère éventuellement fautif,
- que d'août 2003 à mars 2007, il n'a pu bénéficier des examens et soins dans le cadre du régime de l'assurance accident du travail s'imposant pour améliorer son état de santé et prévenir toute aggravation,
- qu'il était suivi et soigné par un chirurgien qui lui avait proposé une intervention d'ostéotomie tibiale,
- que cependant l'arrêt de sa prise en charge a mis un coup d'arrêt à la poursuite des soins de sorte qu'il n'a pu ensuite bénéficier de cette intervention, les délais étant passés pour pratiquer efficacement ces actes, son état s'étant dégradé et l'opération étant devenue inadaptée,
- que l'expert a confirmé que cet arrêt inopiné de la prise en charge en AT, notifiée très tardivement le 18/11/2003, empêcha la poursuite des soins,
- qu'il était dans l'impossibilité financière totale d'avancer la moindre dépense de santé,
- qu'il est fondé à solliciter la condamnation de la CPAM de l'Ain et de la CNAMTS in solidum, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 300 000 €, tous préjudices confondus notamment en tenant compte :
D'une IPP de 30% à 2 500 le point (soit 75 000 €)
D'une invalidité bien plus importante du fait de l'absence de soin et d'intervention qui aurait permis une amélioration de l'état du concluant
Perte de chance de guérison ou d'amélioration
Du manque à gagner du fait de l'absence de travail rémunérateur et de cotisations retraite
faible (perte de gains professionnels, incidence professionnelle)
Des souffrances physiques mais aussi psychologiques endurées pendant plus de 8 ans pour faire valoir ses droits au titre des défaut de soins liées à l'absence de prise en charge (notamment déficit fonctionnel mais aussi préjudice d'agrément) de son état d'août 2003 à mars 2007,
Des répercussions dans la vie privée irréparables,
- que si la cour ne se considérait pas suffisamment éclairée pour fixer le montant des dommages et intérêts, une expertise pourrait être ordonnée.
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de l'AIN demande à la cour :
Vu le principe de l 'Estoppel,
Vu les articles L.224-7, R.3I5-2, R.3I5-5, L.3I5-2 alinéa l du Code de la Sécurité Sociale dans
leur version applicable à l 'époque des faits,
Vu l 'article L. 221-1 du Code de la Sécurité Sociale,
Vu l 'article 1382 du Code Civil,
Vu les articles 103 et 146 du Code de Procédure civile,
à titre principal,
- de dire et juger que l'action est irrecevable,
- de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf sur celles relatives à l'article 700 du code de procédure civile,
- de débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
à titre reconventionnel,
- de condamner M. [T] à lui verser la somme de 3 000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive,
à titre infiniment subsidiaire,
- de rejeter la demande d'expertise de M. [T],
y substituant,
- de condamner M. [T] à lui régler la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner le même aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Tudela, avocat au barreau de Lyon.
Elle soutient :
- qu'en l'espèce, en première instance, et dans ses premières conclusions d'appel, M. [T] a réfuté totalement son argumentation consistant à soutenir que les médecins conseils n'étaient pas sous sa responsabilité, mais répondaient au contraire, aux instructions de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie TS, désormais attraite à la cause par l'appelant,
- que ces prétentions seront donc jugées irrecevables, en vertu du principe de «l'estoppel»,
- que les médecins conseils ne sont pas des agents des Caisses Primaires d'Assurance Maladie, mais de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie,
- que les avis des médecins conseils s'imposent aux Caisses Primaires d'Assurance Maladie qui doivent s'y conformer,
- que M. [T] sera déclaré irrecevable en son action en responsabilité à l' encontre de la CPAM de l'Ain, en l'absence de faute de la concluante, pour avoir suivi ce qu'elle était contrainte de faire, l'avis médical du médecin conseil,
- qu'aucune preuve n'est rapportée de la nécessité qu'appelait l'état de santé de M. [T] de subir certains examens et soins complémentaires et de ce qui l'aurait empêché de subir ces nouveaux soins,
- que rien ne permet d'apprécier la certitude et l'importance des conséquences de ces examens et soins «manqués» sur l'état de santé de M. [T],
- que M. [T] ne rapporte pas la preuve d'un quelconque préjudice,
- que la procédure suivi a été parfaitement conforme aux textes en vigueur,
- que préalablement à la fixation définitive de la date de consolidation, le médecin conseil a sollicité l'avis du médecin traitant de M. [T],
- que ledit médecin n'a jamais formulé aucune observation,
- que M. [T] affirme, de manière péremptoire et de manière mensongère que son médecin traitant «certifie qu'il n'a jamais été informé d'une fixation de date»,
- qu'un courrier en date du 5 août 2003 a été adressé à M. [T],
- que M. [T] n'a formulé aucune observation à réception de ce courrier,
- que M. [T] a été mis en mesure de contester la date de consolidation retenue,
- que la question posée est celle du préjudice subi par M. [T] en suite de la date prématurée de consolidation,
- que seules les dernières écritures de M. [T] font état de la contestation du certificat médical du 22 janvier 2004 du Docteur [V], médecin traitant de M. [T],
- que les préjudices invoqués par M. [T] sont déjà réparés par le versement de la rente,
- qu'elle a été condamnée par la cour d'appel de Grenoble, à verser à M. [T] l'intégralité des indemnités journalières dues depuis le 10 août 2003 jusqu'au 1er mars 2007, outre intérêts de retard au taux légal capitalisés par année,
- que son prétendu manque à gagner aurait donc été réparé, s'il avait été constitué,
- que M. [T] aurait pu bénéficier d'une prise en charge de ses soins,
- que le 2 janvier 2004, M. [T] a sollicité une nouvelle prise en charge en rechute d' AT,
- que le médecin conseil a rejeté cette demande, considérant qu'en l'absence d'aggravation de l'état de santé de M. [T], la rechute n'était pas constituée, mais a toutefois constaté que des soins en rapport avec l'accident pouvaient être médicalement justifiés,
- que cette décision n'a pas été contestée,
- que le service médical de l'Ain s'est alors rapproché du médecin traitant de M. [T] aux fins de régularisation d'un protocole de soins post-consolidation, protocole permettant la prise en charge des soins au titre accident du travail à 100%,
- que le médecin traitant n'a jamais répondu au médecin conseil, empêchant la mise en place immédiate de ce protocole,
- que M. [T] a bénéficié d'une nouvelle prise en charge en rechute d' AT à compter du 2 mars 2007, avec date de consolidation au 31 juillet 2010 - date qui n'a pas été contestée - de sorte que la période qui ne serait pas couverte par une prise en charge totale s'étale du 10 août 2003 au 2 mars 2007 seulement,
- que M. [T] prétend qu'il n'a pu bénéficier d'un traitement de visco-supplémentation du genou gauche (injection d'acide hyaluronique dans le genou touché par l'arthrose afin d'améliorer sa mobilité et soulager la douleur) et n'a pu pratiquer une arthroscopie (Examen permettant de voir l'intérieur du genou, afin de faire un diagnostic et de traiter les lésions apparentes),
- qu'à la date des faits, les produits (d'un montant d'environ 100 €) étaient pris en charge à hauteur de 65% et l'injection réalisée par un médecin (dont le coût est de 30,82 € l'acte (code CCAM NZLBOOl)) à hauteur de 70% au titre de la maladie,
- que de la même manière, l'examen d'arthroscopie aurait été pris en charge à 100% au titre de la maladie, dans la limite des tarifs en vigueur,
- qu'il aurait pu rechercher une couverture plus complète de ses soins de santé en déposant auprès de sa CPAM une demande de couverture maladie universelle complémentaire (CMUC),
- que M. [T] n'a jamais formulé de demande de CMU complémentaire avant 2009 et que la demande formulée en 2009 n'a jamais pu aboutir en raison de l'absence de communication, par M. [T], des pièces nécessaires à l'instruction de son dossier,
- que les problèmes de genoux de M. [T] résultent de sa chute et non de la notification d' un avis du médecin conseil par la CPAM de l' Ainn,
- que la demande d'expertise ne peut qu'être rejetée du fait de la carence de M. [T].
La Caisse Nationale d'Assurance Maladie, venant aux droits de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés demande à la cour :
- de recevoir la Caisse Nationale d'Assurance Maladie en ses conclusions ;
- de la déclarer bien fondée,
- déclarer recevable la demande formée par M. [U] [T] à l'encontre de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie,
- de dire et juger que les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité délictuelle de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie ne sont pas réunies
En conséquence,
- de débouter M. [U] [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- de le débouter de sa demande d'expertise formée à titre subsidiaire,
à titre infiniment,
- de désigner tel expert qu'il plaira à la cour et n'ayant jamais connu du présent litige,
- de condamner M. [U] [T] à lui verser la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- de le condamner en tous les dépens.
- Elle soutient :
- que la fixation et la notification de la date de consolidation incombent à la CPAM, le médecin-conseil émettant un avis sur la date à retenir, l'assuré, pouvant solliciter une expertise conformément aux dispositions des articles L141-1 et R141-1 du code de la Sécurité sociale,
- que c'est donc manifestement à tort que les premiers juges ont considéré que le fait générateur du dommage était l'avis du médecin conseil, relatif à la date de consolidation,
- que la faute du médecin conseil ne peut être retenue, dès lors qu'il lui appartenait uniquement d'émettre un avis sur la date de consolidation,
- qu'une contradiction entre des avis médicaux, n'est pas de nature à caractériser une faute due «à l'encontre de celui qui a émis le premier avis»,
- que l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble et l'expertise du Dr [W] ne lui sont pas opposables,
- qu'il est constant que dès le 27 octobre 2004, l'échelon local du service médical a transmis à M. [T] un protocole de soins permettant la prise en charge des soins et traitements à mettre en oeuvre au titre de l'accident du travail,
- que ne donnant pas suite à l'envoi de ce protocole de soins, M. [T] a manifestement souhaité privilégier la voie contentieuse, puisqu'il est démontré par les pièces qu'il verse lui-même aux débats que la première saisine du tribunal des affaires de sécurité sociale de Bourg-en-Bresse à l'encontre de la Caisse Primaire est concomitante de ce refus, puisqu'elle remonte au 8 novembre 2004,
- qu'une mesure d'expertise ne saurait pallier sa propre carence dans l'administration de la preuve et ce conformément aux dispositions de l'article 146 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur l'estoppel
M. [T] ne se contredit pas au détriment de la CPAM en recherchant désormais la responsabilité de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie au titre d'une faute du médecin conseil, tirant en cela les enseignements du jugement de première instance.
Ce moyen n'est donc pas fondé.
Sur la responsabilité de la CPAM
sur l'avis erroné du médecin conseil :
La responsabilité de la CPAM ne peut être recherchée du fait de l'avis du médecin conseil, ce professionnel relevant des services de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie et la CPAM étant tenue de suivre cet avis.
D'autre part, courant 2004, l'état de M. [T] a fait l'objet d'un nouvel avis du médecin conseil confirmant son avis initial et ce malgré des certificats médicaux du médecin traitant prolongeant les arrêts de travail de M. [T], ce qui démontre que l'absence de certificat du médecin traitant lors de la procédure de fixation de la date de consolidation n'a eu aucune incidence et n'a pas fait perdre de chance à M. [T] de voir la date de consolidation être différée.
sur les irrégularités procédurales dans la fixation de la date de consolidation :
Selon l'article R 433-17 du code de la sécurité sociale la caisse «après avis du médecin-conseil, notifie à la victime par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception la date qu'elle entend retenir comme date de la guérison ou de la consolidation de la blessure. Elle fait connaître également cette intention au médecin traitant. Si le certificat médical ne lui parvient pas dans un délai de dix jours à compter de la notification à la victime, la date, ainsi notifiée, devient définitive.
La notification de la décision de la caisse primaire est adressée à la victime sous pli recommandé avec demande d'avis de réception.»
De fait, force est de constater que la CPAM :
- ne justifie pas de l'envoi en recommandé de son courrier du 6 août 2003 par lequel elle informe M. [T] de la date de consolidation proposée par le médecin conseil,
- ne justifie pas d'une «notification de la décision de la caisse».
Toutefois, ces irrégularités ont été sans conséquence puisque M. [T], suite à la notification de sa rente le 25 novembre 2003 faisant apparaître la date de consolidation, a pu contester par courrier du 15 décembre 2003 la date retenue.
La CPAM n'a pas soutenu que la date de consolidation était définitive et a mis en oeuvre la procédure d'expertise sans délai.
Le retard d'environ trois mois dans la mise en oeuvre de la procédure d'expertise est sans lien de causalité avec les préjudices invoqués.
sur les irrégularités dans la procédure d'expertise :
La cour d'appel a indiqué dans les motifs de son arrêt du 7 juin 2010, que M. [T] était recevable et bien fondé à contester la régularité de l'expertise confiée au Docteur [L] qui n'a pas été désigné conformément aux dispositions de l'article R 141 -1 du code de la sécurité sociale.
M. [T] a contesté la désignation du Dr [L] et a refusé de se rendre à sa convocation.
Il a soutenu avoir saisi la commission de recours amiable par un courrier du 3 juillet 2004, puis a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Ain de contestations portant sur l'expertise confiée au Dr [L] mais également sur la date de consolidation.
Devant cette juridiction, la CPAM a fait valoir que la commission de recours amiable n'avait pas été saisie, le courrier du 3 juillet 2004 n'ayant pas été reçu.
Le tribunal des affaires de sécurité sociale a jugé que M. [T] ne rapportait pas la preuve de cette saisine.
Ce jugement a été confirmé par la cour d'appel de Lyon.
Cet arrêt a été cassé par la Cour de cassation sur un moyen relevé d'office, à savoir qu'aucun délai n'avait couru faute pour le directeur d'avoir notifié la date de consolidation.
La CPAM ne peut se voir reprocher aucune faute dans le déroulé de cette procédure judiciaire initiée par M. [T] dès lors qu'elle n'a fait que soulever une irrecevabilité jugée par le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Ain puis par la cour d'appel de Lyon.
Cette irrecevabilité n'a pas été infirmée par la Cour de cassation qui pour casser l'arrêt a relevé d'office un moyen différent.
Il en résulte que les errements de la procédure ne sont pas imputables à la CPAM, mais plutôt à M. [T] qui n'a pas été en mesure de justifier de la saisine de la commission de recours amiable et qui n'a pas soulevé les moyens utiles à sa défense, la Cour de cassation ayant dû soulever un moyen d'office.
sur le certificat médical de prolongation ou rechute, du 2 janvier 2004 du dr [V] :
M. [T] ne démontre pas une erreur dans la prise en compte du certificat médical dont la case «rechute» est cochée, ni le lien de causalité avec les préjudices invoqués.
En conséquence, aucune faute ne peut être reprochée à la CPAM dès lors qu'elle a suivi l'avis du médecin conseil de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie comme elle se devait de le faire, que M. [T] a pu sans retard préjudiciable demander une expertise, à laquelle la CPAM ne s'est pas opposée, puis exercer un recours, et que les vicissitudes de la procédure ne lui sont pas imputables.
Sur la responsabilité de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie du fait de l'avis de son médecin conseil
La cour d'appel de Grenoble a ordonné l'expertise qu'elle a confiée au Dr [W] avec pour seule mission de déterminer la date de consolidation et non pas de se prononcer sur les fautes du médecin conseil encore moins sur les responsabilités.
Ni la CNAM, ni le médecin-conseil n'ont été invités par l'expert à faire valoir des observations.
Cette expertise ne leur donc pas opposable.
Or M. [T] fonde sa demande exclusivement sur ce rapport d'expertise qui selon lui établirait la faute du médecin conseil en ce qu'il aurait établi un avis avec légèreté.
Il ne produit, aucune autre pièce médicale corroborant le rapport d'expertise, pas même un rapport détaillé de son médecin traitant.
En conséquence, la cour ne pouvant se fonder exclusivement sur une telle expertise bien que soumise au débat contradictoire des parties, la demande ne peut qu'être rejetée pour ce seul motif.
De surcroît, le Dr [W] n'indique nullement que le médecin conseil aurait donné un avis avec légèreté. Il s'agit en réalité d'une interprétation de M. [T].
La Dr [W] a seulement donné, en 2010, soit 7 années après, son propre avis, sur l'état de M. [T] à la date du 10 août 2003.
En conséquence, aucune faute n'est démontrée à l'encontre de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie.
Sur la demande d'expertise
La demande d'expertise aux fins de chiffrer les préjudices sera rejetée dès lors que les responsabilités de la CPAM et de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie sont rejetées.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Vu l'équité, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
la cour,
Réformant le jugement déféré et statuant sur les demandes présentées au tribunal des affaires de sécurité sociale de l'Ain,
- Déclare recevables les demandes de M. [U] [T],
- Déboute M. [U] [T] de ses prétentions,
- Vu l'équité, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne M. [U] [T] aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de Me Tudela qui en a fait la demande.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE