N° RG 16/09007
Décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond du 02 juin 2016
RG : 12/08581
ch n°9 cab 09G
Rectificatif du 23 novembre 2016
RG : 16/08809
X...
SCP PIERRE-R... X..., JEAN-Q... Y..., P... B... , N... H... I..., M... Z...
C/
Société SOCIETE CIVILE DE CONSTRUCTION VENTE FRANCHEVILLE
SAS FRANKI FONDATION
SARL IMMAG
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 16 Octobre 2018
APPELANTS :
Me Pierre-R... X... notaire associé de la SCP OLIVIER PORTE, JEAN-R... A..., PIERRE-R... X..., JEAN-Q... Y..., P... B..., O... S... DE T... , N... H... I..., M... Z... [...]
Représenté par Me Bertrand D... de la SELARL D..., avocat au barreau de LYON
DE
La société SCP OLIVIER PORTE, JEAN-R... A..., PIERRE-R... X..., JEAN-Q... Y..., P... B..., O... S... T... , N... H... I..., M... Z..., notaires associés
[...]
Représentée par Me Bertrand D... de la SELARL D..., avocat au barreau de LYON
INTIMÉES :
La Société CIVILE DE CONSTRUCTION VENTE FRANCHEVILLE (SCCV) prise en la personne de son co-gérant en exercice, la société GSI, SAS, [...] , elle-même représentée par son Président Directeur Général, M. E... F..., demeurant [...]
Représentée par la SELARL DUFLOT & ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
La société FRANKI FONDATION, SAS, représentée par son représentant légal
[...]
Représentée par la SELARL PIRAS ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
La société IMMAG, SARL, représentée par son dirigeant légal domicilié [...]
Représentée par Me Guillaume BELLUC de la SELAS CMS BUREAU L... G..., avocat au barreau de LYON
* * * * * *
Date de clôture de l'instruction : 15 Mars 2018
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 04 Septembre 2018
Date de mise à disposition : 16 Octobre 2018
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Françoise CARRIER, président
- Michel FICAGNA, conseiller
- Florence PAPIN, conseiller
assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier
A l'audience, Françoise CARRIER a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CARRIER, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
Par acte authentique du 15 décembre 2010 reçu par Me Pierre-R... X..., notaire, la société IMMAG a acquis deux parcelles mitoyennes, cadastrées section [...] et [...], situées [...] .
Par acte authentique du même jour, également reçu par Me Pierre-R... X..., notaire, la société IMMAG a vendu à la société civile de construction vente FRANCHEVILLE la parcelle cadastrée section [...] afin qu'il y soit construit un ensemble immobilier de 36 logements à usage d'habitation avec 3 niveaux de garages.
Cet acte stipulait au profit de la parcelle [...] une servitude de vue concernant les ouvertures existantes sur les bâtiments conservés par la société IMMAG et une servitude d'usage du jardin.
La SCCV FRANCHEVILLE a fait procéder à l'édification d'une construction sur la parcelle [...] , vendue en l'état futur d'achèvement après placement de l'ensemble sous le régime de la copropriété.
La société IMMAG a conservé la propriété de la parcelle cadastrée section [...] et a fait procéder à la réhabilitation de l'immeuble ancien désigné comme bâtiment A qui y est érigé. Elle a notamment fait procéder à l'ouverture de deux fenêtres dans la façade Nord du bâtiment, constituant la limite de propriété entre les deux tènements.
Des tensions sont apparues entre les deux sociétés en cours de chantier qui ont donné lieu à un premier litige tranché par un jugement du 13 novembre 2012 rejetant la demande de la société IMMAG de se voir reconnaître une servitude de tréfonds sur la parcelle cédée à la SCCV FRANCHEVILLE.
Par acte d'huissier du 11 juillet 2012, la SCCV FRANCHEVILLE a fait assigner la société IMMAG devant le tribunal de grande instance de LYON à l'effet d'obtenir une indemnité correspondant au coût de replantation d'un arbre situé sur son terrain et abattu par la défenderesse sans autorisation et à supprimer les vues droites créées à l'occasion des travaux de réhabilitation de l'immeuble de la parcelle [...] .
Par acte d'huissier du 12 juillet 2012, la société IMMAG a fait assigner Me Pierre-R... X..., notaire, afin que lui soit reconnu le bénéfice d'une servitude de vue sur la parcelle cadastrée section [...] .
Les deux procédures ont fait l'objet d'une jonction.
La société IMMAG ayant demandé en outre l'enlèvement de tirants implantés dans le tréfonds de son immeuble sans autorisation, la SCCV FRANCHEVILLE a, par acte d'huissier du 17 avril 2014, appelé en garantie la société FRANKI FONDATION, procédure qui a été jointe à la précédente.
Par jugement du 2 juin 2016, rectifié le 23 novembre 2016, le tribunal a :
- condamné la société IMMAG à faire obstruer les deux fenêtres de grande dimension créées dans le pignon de l'immeuble offrant une vue directe sur les logements édifiés par la SCCV FRANCHEVILLE,
- débouté la SCCV FRANCHEVILLE de ses plus amples demandes,
- déclaré Me Pierre-R... X... et la SCP PORTE A... X... Y... B... S... DE T... H...-I... Z... responsables du dommage subi par la société IMMAG du fait de la mauvaise rédaction de la clause de servitude de vue,
- condamné Me Pierre-R... X... à payer à la société IMMAG la somme de 70 000€ en réparation de son préjudice,
- déclaré la SCCV FRANCHEVILLE et la société FRANKI FONDATION responsables du dommage subi par la société IMMAG du fait de l'atteinte à sa propriété,
- condamné in solidum la SCCV FRANCHEVILLE et la société FRANKI FONDATION au paiement de 1 500 € en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à la propriété de la société IMMAG,
- débouté la société IMMAG de ses plus amples demandes,
- débouté Me Pierre-R... X... et la SCP PORTE A... X... Y... B... S... DE T... H...-I... Z... de sa demande tendant au paiement de dommages et intérêts,
- dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que chaque partie conservera à sa charge ses propres dépens.
Par acte du 12 décembre 2016, Me Pierre-R... X... et la SCP PORTE A... X... Y... B... S... DE T... H...-I... Z... ont interjeté appel à l'encontre de toutes les parties.
Au terme de conclusions notifiées le 20 février 2018 ils demandent à la cour de :
- réformer le jugement en ce qu'il a retenu leur responsabilité,
- les mettre hors de cause,
- débouter la société IMMAG des demandes qu'elle formule à l'encontre de Me Pierre-R... X...,
- condamner la société IMMAG à leur payer une indemnité de 5 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Ils font valoir :
- que la création de vues directes sur l'immeuble nouvellement construit par la société IMMAG viole les dispositions du code civil et est contraire aux conditions stipulées par la promesse de vente du 23 mars 2010 et l'acte de vente du 15 décembre 2010,
- que ces actes prévoient une servitude de vue concernant les ouvertures existantes sur les bâtiments conservés par le vendeur qui doivent être maintenues en état ainsi que l'impossibilité pour le propriétaire du fonds dominant d'y apporter une modification dans le cours du temps,
- que cette clause résulte de la volonté claire et réitérée de la société IMMAG et de la SCCV FRANCHEVILLE et ne donne pas lieu à interprétation,
- que Me Pierre-R... X... n'a commis aucune faute dès lors qu'il s'est contenté de retranscrire dans les actes notariés la volonté des parties, qu'en tout état de cause, il a rappelé aux parties les conséquences de la stipulation d'une telle servitude et qu'il ne peut lui être reproché de ne pas avoir fait mention d'une clause non réclamée par les parties dans l'acte notarié,
- que Me Pierre-R... X... n'a pas les compétences techniques nécessaires pour avertir la société IMMAG des conséquences des clauses de l'acte de vente sur le projet de rénovation au regard des documents techniques,
- que Me X... n'a pas été informé des créations d'ouvertures sollicitées par la société IMMAG qui, de surcroît, n'ont été autorisées que le 18 mars 2011 soit postérieurement à l'acte de vente du 15 décembre 2010,
- que la société IMMAG, en sa qualité de professionnel de l'immobilier, avait parfaitement connaissance des conséquences de la clause de servitude voulue,
- que Me Pierre-R... X... a fait toute diligence et transmis toutes les informations utiles aux parties s'agissant de la servitude de vue,
- qu'il n'existe aucune contradiction entre le 'compromis' de vente du 23 mars 2010 et l'acte de vente du 15 décembre 2010, dès lors qu'il s'est toujours agi de maintenir les ouvertures existantes en l'état,
- que la société IMMAG a contribué à la réalisation du préjudice qu'elle invoque en créant les ouvertures litigieuses sans requérir l'autorisation du propriétaire du fonds servant,
- que la perte de valeur des appartements invoquée par la société IMMAG à hauteur de 110.000€ n'est pas démontrée.
Au terme de conclusions notifiées le 25 juillet 2017, la société IMMAG demande à la cour de réformer le jugement dont appel et de :
- réformer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à obstruer les deux ouvertures qu'elle a créées sur la façade nord du bâtiment A et subsidiairement la condamner à poser un film translucide sur les ouvertures litigieuses,
- subsidiairement sur les ouvertures en façade, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de Me Pierre-R... X..., notaire, et de la SCP Olivier PORTE, Jean-R... A..., Pierre-R... X..., Jean-Q... Y..., P... B..., O... S... DE T... , Stéphanie H... I... du fait de la mauvaise rédaction de la clause de servitude de vues, rédigée en des termes restrictifs ne lui permettant pas de modifier les ouvertures existantes pour laquelle elle a obtenu les autorisations administratives,
- réformer le jugement déféré en ce qu'il a limité la condamnation de Me Pierre-R... X..., notaire, et de la SCP Olivier PORTE, Jean-R... A..., Pierre-R... X..., Jean-Q... Y..., P... B..., O... S... DE T... , Stéphanie H... I... à payer à la société IMMAG la somme forfaitaire de 70.000 €,
- condamner in solidum Me Pierre-R... X..., notaire, et de la SCP Olivier PORTE, Jean-R... A..., Pierre-R... X..., Jean-Q... Y..., P... B..., O... S... DE T... , Stéphanie H... I... à prendre en charge le coût de la remise en état de la façade du Bâtiment A et, en particulier, à lui verser la somme de 51 368,20 € TTC correspondant aux travaux de transformation des appartements, et à lui payer une indemnité de 110 000 € au titre de la perte de valeur desdits appartements,
- déclarer irrecevable la demande de la société SCCV FRANCHEVILLE tendant à la condamner à lui payer la somme de 14 070,34 € au titre du remplacement du sapin en raison du défaut d'intérêt à agir de celle-ci,
- subsidiairement, constater qu'elle n'a pas procédé à l'enlèvement du sapin et confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de la SCCV FRANCHEVILLE tendant à la condamner à lui payer la somme de 14 070,34 € au titre du remplacement du sapin,
- condamner in solidum Me Pierre-R... X... et la SCP Olivier PORTE, Jean-R... A..., Pierre-R... X..., Jean-Q... Y..., P... B..., O... S... DE T... , Stéphanie H... I... à lui verser la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec faculté de distraction au profit de la SELAS CMS BUREAU L... V... ,
- en tout état de cause, condamner in solidum la société SCCV FRANCHEVILLE et la société FRANKI FONDATION à lui payer une indemnité de 15 000 € pour réparer le préjudice subi du fait de l'atteinte à sa propriété,
- condamner la SCCV FRANCHEVILLE à mettre en conformité le jardin à l'état initial en rendant plat le terrain d'assiette de la servitude de jardin sous astreinte de 2 000 € par jour de retard, quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- condamner la SCCV FRANCHEVILLE à installer un garde-corps sur le long du mur de la placette arborée du bâtiment situé sur la parcelle cadastrée section [...] sise [...] , sous astreinte de 2 000 € par jour de retard, quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- condamner la SCCV FRANCHEVILLE à lui payer la somme de 8 064 € correspondant à la perte de jouissance du jardin depuis le mois de mai 2013 à raison de 168 € par mois écoulé, à parfaire au jour de l'arrêt,
- condamner la SCCV FRANCHEVILLE à remettre en état l'escalier situé le long de la façade nord du bâtiment A de la parcelle [...] , sous astreinte de 2 000 € par jour de retard, quinze jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu que la demande d'enjoindre de procéder à l'enlèvement des gravats est sans objet et a débouté la SCCV FRANCHEVILLE de cette demande,
- débouter la société SCCV FRANCHEVILLE de toutes ses demandes,
- condamner in solidum la société SCCV FRANCHEVILLE et la société FRANKI FONDATION à lui verser la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec faculté de distraction au profit de la SELAS CMS BUREAU L... V... .
Elle fait valoir :
- que la servitude de vue prévue par les actes authentiques du 23 mars et du 15 décembre 2010 au profit de son fonds ne prévoient que l'obstruction des ouvertures sur la façade nord du bâtiment B de sa parcelle, à l'exclusion des ouvertures existantes dans la façade du bâtiment A, si bien que rien ne l'empêche de pratiquer de nouvelles ouvertures dans la façade de ce bâtiment,
- que la clause de la promesse synallagmatique de vente du 23 mars 2010 ne prévoit pas que les ouvertures dans la façade du bâtiment A doivent être maintenues en l'état, ni d'instaurer une servitude de vue, si bien que le nombre de fenêtres ne saurait être limité,
- que s'il existe une contradiction entre les deux actes notariés, aucun ne prohibe la création de nouvelles ouvertures,
- qu'elle a toujours eu l'intention de modifier la façade du bâtiment A de son fonds, conformément à la déclaration préalable de travaux du 27 octobre 2010, antérieure à l'acte notarié de vente du 15 décembre 2015, seul l'emplacement des nouvelles fenêtres sur la façade ayant changé,
- que la commune intention des parties n'était pas de limiter le nombre de fenêtres dans la façade mais de supprimer les fenêtres de la façade nord du bâtiment B tout en lui permettant de réaliser son projet de réhabilitation, conformément à la déclaration préalable de travaux,
- qu'à défaut de clause formelle interdisant la création de nouvelles ouvertures dans la façade du bâtiment A, celle-ci doit être considérée comme étant admise,
- qu'en tout état de cause, l'existence d'une placette arborée séparant le bâtiment A et les immeubles érigés par la SCCV FRANCHEVILLE empêche toute indiscrétion,
- que le maintien d'ouvertures dans la façade du bâtiment A sur les immeubles construits démontre l'absence de volonté des parties d'empêcher toute vue,
- qu'en tout état de cause, l'existence de vues n'a pas empêché la vente de l'ensemble des logements construits,
- que les vues sont limitées du fait de la plantation d'arbres par la SCCV FRANCHEVILLE,
- que l'agrandissement d'une ouverture existante ne constitue pas une aggravation de la servitude de vue,
- que les articles 675 et 676 du code civil sont inapplicables puisque le mur de la façade nord du bâtiment A n'est pas mitoyen et qu'il n'existe aucun risque d'indiscrétion du fait de l'existence du jardin dont elle a l'usage et d'une placette arborée entre les deux façades, distantes de 10 mètres,
- qu'en toute hypothèse, le droit d'usage perpétuel dont elle bénéficie sur le jardin est assimilable à une servitude de passage, ce qui fait obstacle à l'édification de toute construction sur cette partie du fonds de plus de 2,5 mètres et qui autorise donc la création d'ouvertures dans la façade, conformément à l'article 678 du code civil,
- que même si la création de nouvelles ouvertures était interdite, l'obstruction n'est pas une sanction automatique et est disproportionnée au regard de l'absence d'indiscrétion,
- que le notaire a manqué à son devoir de conseil et d'information à son égard puisque la clause de l'acte de vente ne sécurisait pas suffisamment ses intérêts, qu'il ne pouvait ignorer son intention de créer de nouvelles fenêtres dans la façade du bâtiment A au regard de la déclaration préalable de travaux antérieure, qu'aucune compétence technique n'est nécessaire pour cela, qu'il n'a jamais attiré son attention sur la restriction impliquée par la clause de servitude de vue, que sa qualité de professionnel est indifférente,
- que le notaire ne démontre pas avoir satisfait à son devoir de conseil et d'information,
- que la clause de l'acte n'est pas une retranscription claire et non équivoque de la volonté des parties, si bien que l'acte n'a pas l'efficacité qu'elle attendait, ce qui constitue une faute imputable au notaire,
- que l'obligation d'obstruer les fenêtres litigieuses lui cause un préjudice résultant de la diminution du prix de vente des appartements concernés qui s'élève à 110 000 €, outre le coût des travaux, préjudice certain si la cour fait droit aux demandes de la SCCV FRANCHEVILLE,
- que la SCCV FRANCHEVILLE a engagé sa responsabilité en faisant procéder à la pose de tirants qui dépassent dans le sous-sol de sa parcelle sans son autorisation, expresse ou implicite, ce qui lui cause un préjudice, ces ouvrages permanents portant atteinte à son droit de propriété, droit absolu,
- que la SCCV FRANCHEVILLE ne peut s'exonérer de sa responsabilité au motif que les travaux ont été réalisés par la société FRANKI FONDATION puisque sa responsabilité reste engagée en sa qualité de maître de l'ouvrage,
- que la société FRANKI FONDATION est engagée puisqu'elle a manqué à son obligation contractuelle en ne sollicitant son autorisation avant la pose des tirants et que ce manquement lui a causé un préjudice résultant de l'atteinte à son droit de propriété et de la surélévation de l'appartement,
- qu'il appartient à la SCCV FRANCHEVILLE de remettre le jardin en état et d'installer des garde-corps, les travaux qu'elle a réalisés ayant créé une déclivité importante qui fait obstacle à une jouissance paisible et contrevient à la servitude d'usage,
- que les travaux de terrassement réalisés par la SCCV FRANCHEVILLE ont endommagé l'escalier de l'immeuble,
- que la demande de la SCCV FRANCHEVILLE relative à l'abattage d'un sapin est irrecevable dès lors qu'elle ne justifie pas de son intérêt à agir, cet abattage n'ayant pas empêché l'obtention de la conformité administrative, et qu'il ne lui est pas imputable,
- qu'il n'est pas démontré qu'elle ait entreposé des gravats sur le fonds de la SCCV FRANCHEVILLE, ce dont elle n'est en tout état de cause pas responsable.
Au terme de conclusions, notifiées le 26 février 2018, la SCCV FRANCHEVILLE demande à la cour de :
- statuer ce qu'il appartiendra sur l'appel principal,
- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions, excepté celle refusant d'assortir d'une astreinte l'obligation faite à la société IMMAG d'obstruer les ouvertures litigieuses,
- condamner par conséquent la société IMMAG à faire obstruer ces ouvertures sous astreinte de 500 € par jour de retard commençant à courir dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- confirmer le jugement en ce qu'il a limité à la somme de 1 500 € le préjudice subi par la société IMMAG et débouté la société IMMAG de l'ensemble de ces demandes, fins et prétentions complémentaires,
- en tout état de cause, condamner la société IMMAG à lui verser la somme de 3 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Elle fait valoir :
- que les demandes formées par la société IMMAG relatives à l'aplanissement du terrain au niveau du rez-de-chaussée de l'immeuble conservé, à la pose de garde-corps sur le soutènement d'une placette, à la privation de jouissance d'une partie du jardin constituent des demandes nouvelles à hauteur d'appel, ce qui les rend irrecevables,
- que la société IMMAG a violé l'acte de vente notarié en faisant procéder à la création d'une nouvelle fenêtre et à l'agrandissement d'un fenestron existant dans la façade nord du bâtiment A en réhabilitation,
- que la stipulation d'une limitation conventionnelle des vues sur la parcelle cédée constitue une cause déterminante de son consentement à l'acte de vente puisqu'en l'absence d'une telle restriction, la construction projetée ne pouvait être réalisée,
- que les fenêtres créées dans le bâtiment A offrent une vue directe sur les terrasses, les balcons et les appartements de l'immeuble bâti,
- que l'article 678 du code civil in fine ne trouve pas à s'appliquer, les constructions étant espacées de plus de 19 décimètres et à défaut de servitude de passage, l'appartement du rez-de-chaussée du bâtiment rénové disposant d'un droit d'usage d'une partie du jardin, dont il partage la jouissance avec les occupants de l'immeuble nouvellement construit,
- que la demande d'astreinte a été rejetée sans motif ce qui revient à priver le jugement de toute efficacité,
- que la demande indemnitaire relative aux tirants est injustifiée puisqu'ils ne sont qu'un ouvrage passif, sans utilité fonctionnelle, si bien que leur présence ne cause aucun préjudice à la société IMMAG et ne porte pas atteinte à son droit de propriété, et qu'en tout état de cause l'enlèvement de la partie des tirants débordant sur son fonds demeure possible,
- qu'en toute hypothèse, la société IMMAG a implicitement autorisé l'installation des tirants dans les tréfonds de sa parcelle en se rendant propriétaire de 8 box de garages fermés dans les sous-sols créés grâce aux tirants,
- qu'il appartenait à la société FRANKI FONDATION de mettre en place les tirants litigieux et de demander les autorisations pour leur implantation en dehors des limites de la parcelle,
- que n'étant pas le commettant de la société FRANKI FONDATION, sa responsabilité ne saurait être engagée au titre des tirants.
Au terme de conclusions, notifiées le 4 juillet 2017, la société FRANKI FONDATION demande à la cour d'infirmer le jugement déféré et de :
- débouter la SCCV FRANCHEVILLE et la société IMMAG des demandes dirigées à son encontre,
- subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a limité les demandes d'indemnisation formées par la société IMMAG à 1 500 €,
- en tout état de cause, condamner solidairement Me Pierre-R... X..., notaire, et la SCP Olivier PORTE, Jean-R... A..., Pierre-R... X..., Jean-Q... Y..., P... B..., O... S... DE T... , Stéphanie H... I..., M... Z..., notaires associés, ou tout succombant à lui payer la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec faculté de distraction au profit de la SELARL PIRAS ET ASSOCIES.
Elle fait valoir :
- que la SCCV FRANCHEVILLE, en sa qualité de maître de l'ouvrage, et la société IMMAG, en sa qualité de professionnel de l'immobilier, ne pouvaient ignorer que les travaux envisagés impliquaient la mise en place de tirants en limite de propriété,
- que les troubles anormaux du voisinage invoqués par la société IMMAG du fait de la présence de tirants dans son tréfonds ne peuvent lui être reprochés,
- que la société IMMAG ne peut engager sa responsabilité délictuelle pour inexécution de son obligation contractuelle à l'égard de la SCCV FRANCHEVILLE dès lors qu'elle ne démontre ni l'existence d'un préjudice, ni celle d'un lien de causalité entre la demande d'autorisation et la pose inévitable des tirants, et qu'elle ne justifie pas du quantum de sa demande.
MOTIFS DE LA DÉCISION
En application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour ne doit statuer que sur les prétentions énoncées dans le dispositif.
Ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à voir 'constater' ou 'donner acte' et la cour n'a pas à y répondre.
Sur la demande relative aux ouvertures pratiquées par la société IMMAG dans la façade de son immeuble
Selon l'article 1188 du code civil, le contrat s'interprète d'après la commune intention des parties plutôt qu'en s'arrêtant au sens littéral de ses termes.
Lorsque cette intention ne peut être décelée, le contrat s'interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation.
La promesse de vente en date du 23 mars 2010 comportait une clause prévoyant que l'ensemble des ouvertures existant dans les bâtiments conservés par la venderesse seraient maintenues à l'exception de celles existant sur la façade Nord du bâtiment B.
Cette clause a été traduite ainsi qu'il suit dans l'acte de vente du 15 décembre 2010 'Le propriétaire du fonds servant (acquéreur) concède au profit du fonds dominant (vendeur) et de ses propriétaires successifs, à titre de servitude réelle et perpétuelle, une servitude de vue concernant les ouvertures existantes sur les bâtiments conservés par le vendeur qui seront maintenues en l'état, à l'exception des ouvertures existantes en façade nord du bâtiment B qui seront supprimées aux frais de l'acquéreur.
Elles ne pourront pas être obstruées et aucune plantation ne pourra être effectuée devant elles qui viendrait à diminuer son efficacité.
Son entretien se fera aux frais exclusifs du propriétaire du fonds dominant qui ne pourra y apporter aucune modification dans le cours du temps, sauf autorisation du propriétaire du fonds servant et sauf simples travaux d'entretien ou de réparation par suite de vétusté.'
Cette clause ne saurait se comprendre comme traduisant la volonté des parties d'interdire définitivement toute création ou modification d'ouvertures dans les bâtiments conservés alors que la plupart de ces ouvertures ne se situent pas en limite de propriété et que la création de servitudes de vue est sans objet s'agissant d'ouvertures situées au delà de la distance légale minimale. L'obligation de maintien en l'état au cours du temps sauf autorisation du propriétaire du fonds servant, formulée en termes généraux, n'est en l'espèce que le rappel de la règle prohibant l'aggravation des servitudes.
Il n'est pas contesté que, par ces conventions, les parties n'ont pas eu l'intention d'écarter l'application des dispositions légales en matière de vues.
Les dispositions de l'article 676 du code civil, visées par la SCCV FRANCHEVILLE, ne sont pas applicables en l'espèce, les ouvertures litigieuses n'étant pas des jours au sens de ces dispositions mais des fenêtres ouvrant une vue droite sur le tènement voisin de sorte qu'elles relèvent des dispositions de l'article 678.
Selon ce texte, on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.
En l'espèce, le droit d'usage d'une partie du jardin situé devant les appartements du rez-de-chaussée côté Nord du bâtiment A consenti au profit du fonds conservé par IMMAG et de ses propriétaires successifs est défini à l'acte comme suit : 'à titre de servitude réelle et perpétuelle, un droit d'usage en bon père d'une partie du jardin situé devant les appartements du rez-de-chaussée côté Nord du bâtiment A sur toute la largeur du bâtiment. Ce droit d'usage profitera aux propriétaires successifs du fonds dominant, à leur famille, ayants-droit ou préposés, pour leurs besoins personnels et, le cas échéant, pour le besoin de leurs activités.'
Il résulte des conclusions déposées par la SCCV VILLEFRANCHE devant le premier juge que la partie du jardin affectée à ce droit d'usage a une largeur de 2,50m tout au long du pignon Nord du bâtiment A, supérieure à la distance minimale de 1,90m édictée par l'article 678.
Les droits des bénéficiaires de cette servitude sont plus étendus que ceux résultant d'une simple servitude de passage en ce qu'ils permettent non seulement le passage sur le tènement en cause mais également un stationnement durable. Consentis à titre réel et perpétuel, ils ont pour conséquence de rendre inconstructible la partie de terrain en cause de sorte que l'exception au principe de l'interdiction des vues droites prévue par l'article 678 in fine doit trouver application.
Il convient en conséquence de réformer le jugement déféré et de débouter la SCCV FRANCHEVILLE de sa demande de suppression des ouvertures litigieuses.
Sur les demandes dirigées contre le notaire et la société notariale
Selon l'article 1382 (devenu 1240) du code civil, celui qui par sa faute cause à autrui un dommage s'oblige à le réparer.
En vertu de cette disposition, la responsabilité civile d'un notaire ne peut être engagée que si la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux est apportée.
En l'espèce, la demande principale étant rejetée, la société IMMAG n'a pas subi de préjudice en lien de causalité avec une éventuelle faute du notaire.
Me Pierre-R... X... et la SCP notariale seront en conséquence mis hors de cause.
Sur les tirants
Si selon l'article 544 du code civil, tout propriétaire a le droit de jouir et de disposer de la chose de la manière la plus absolue, ce ne peut être qu'à la condition de ne pas en faire un usage prohibé par les lois ou les règlements ou de nature à nuire aux droits des tiers. D'autre part, selon l'article 545, nul ne peut être contraint de céder sa propriété si ce n'est pour cause d'utilité publique. L'empiétement sur la propriété d'autrui est par conséquent prohibé et ouvre au propriétaire victime de l'atteinte à sa propriété une action en démolition et en dommages et intérêts
L'entreprise, auteur du dommage, est tenue de le réparer.
Le maître de l'ouvrage doit, en cette seule qualité, assumer la charge des réparations des désordres affectant les immeubles voisins du fait des opérations de construction effectuées sur son fonds.
En l'espèce, il résulte du procès-verbal de constat de Me J... du 4 juillet 2011 que les tirants de soutien de la paroi berlinoise mis en place par la société FRANKI dans le cadre du creusement des fondations des immeubles construits sur la parcelle vendue ont traversé le mur Nord du bâtiment B conservé par la société IMMAG ce qui suffit à caractériser une atteinte à la propriété de cette dernière.
C'est dès lors à bon droit que le premier juge a retenu que la responsabilité de la société FRANKI et de la SCCV FRANCHEVILLE était engagée in solidum.
L'atteinte à la propriété d'autrui cause nécessairement un dommage.
La société IMMAG produit pour toute preuve de son préjudice une photo ne premettant aucune identification du logement concerné et un document anonyme intitulé 'chiffrage travaux de surélévation' pour un coût de 3 999 € TTC, insuffisants à démontrer que ces travaux ont été effectués, qu'ils sont en lien avec la présence des tirants et qu'ils auraient entraîné une dépréciation de l'appartement concerné.
C'est dès lors par une juste appréciation que le premier juge a fixé la réparation de l'atteinte à la propriété subie par la société IMMAG à la somme de 1 500 €.
Le jugement sera en conséquence confirmé sur ce point.
Sur la déclivité du jardin
Les demandes de la société IMMAG concernant le jardin ne sont pas nouvelles comme déjà formulées devant le premier juge de sorte qu'elles ne se heurtent à aucune fin de non recevoir.
Il résulte de la disposition des lieux avant travaux telle qu'elle ressort des constats et des photos versés aux débats que l'assiette du jardin situé en façade Nord auquel l'accès se faisait par un perron ouvrant sur cette façade était plat et à usage de jardin d'agrément.
La servitude d'usage du jardin consentie avant la réalisation des travaux par la SCCV FRANCHEVILLE portait donc sur la bande de terrain longeant la façade Nord du bâtiment A en cet état.
Il résulte des photographies postérieures à la réalisation des travaux que ceux-ci ont créé une pente dangereuse rendant impossible l'accès au jardin et la jouissance de la servitude.
Selon l'article 701 du code civil, le propriétaire du fonds débiteur de la servitude ne peut rien faire qui tende à en diminuer l'usage ou à le rendre plus incommode. Il ne peut notamment pas changer l'état des lieux de sorte que la société IMMAG est bien fondée à demander la remise en état des lieux et l'indemnisation de son trouble de jouissance.
Il convient de faire droit à la demande de remise en état des lieux consistant d'une part à aplanir le terrain de sorte que l'accès depuis le rez-de-chaussée du bâtiment A soit rétabli, à réparer l'escalier d'accès et à poser un garde-corps le long du mur de la placette arborée.
Le préjudice de jouissance subi par la société IMMAG du fait de l'impossibilité de comprendre le jardin dans la location de l'appartement attenant sera justement réparé par l'allocation d'une indemnité de 8 064 € pour la période écoulée entre le mois de mai 2013 et ce jour.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant dans la limite des chefs déférés,
Confirme le jugement en ce qu'il a :
- déclaré la SCCV FRANCHEVILLE et la société FRANKI FONDATION responsables du dommage subi par la société IMMAG du fait de l'atteinte à sa propriété,
- condamné in solidum la SCCV FRANCHEVILLE et la société FRANKI FONDATION au paiement de 1 500 € en réparation du préjudice subi du fait de l'atteinte à la propriété de la société IMMAG ;
Le réforme pour le surplus ;
Statuant à nouveau,
Déboute la SCCV FRANCHEVILLE de l'ensemble de ses demandes ;
Déboute la SARL IMMAG de ses demandes dirigées contre Me Pierre-R... X... et la SCP PORTE A... X... Y... B... S... DE T... H...-I... Z... ;
Condamne la SCCV FRANCHEVILLE, dans le délai d'un mois à compter de la signification de la présente décision et sous peine d'une astreinte de 500 € par jour de retard :
- à remettre le jardin dans son état initial en rendant plat le terrain d'assiette de la servitude de jardin,
- à installer un garde-corps sur le long du mur de la placette arborée du bâtiment situé sur la parcelle cadastrée section [...] sise [...] ,
- à remettre en état l'escalier situé le long de la façade nord du bâtiment A de la parcelle [...] ;
Condamne la SCCV FRANCHEVILLE à payer à la SARL IMMAG la somme de 8 064 € en réparation de son préjudice de jouissance arrêté à ce jour ;
Déboute la SARL IMMAG du surplus de ses demandes ;
Condamne la SCCV FRANCHEVILLE à payer à la SARL IMMAG la somme de 8 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes formées sur ce fondement ;
Condamne la SARL IMMAG aux dépens de l'instance en garantie dirigée contre Me Pierre-R... X... et la SCP PORTE A... X... Y... B... S... DE T... H...-I... Z... ;
Dit que la société FRANKI FONDATION conservera la charge de ses dépens ;
Condamne la SCCV FRANCHEVILLE au surplus des dépens ;
Autorise la SELAS CMS BUREAU L... V... , avocat, à recouvrer directement à son encontre les dépens dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE