N° RG 16/03444
Décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond
du 06 avril 2016
RG : 13/12914
ch n°9
SARL PREVALIM
C/
Z...
X...
Z...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 04 Septembre 2018
APPELANTE :
PREVALIM SARL, représentée par ses dirigeants légaux domiciliés [...]
Représentée par Me Raphaël Y..., avocat au barreau de LYON
INTIMÉS :
M. Martin Z...
[...]
défaillant
M. Lucien, François, H... Z... pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de seul héritier de Mme Marcelle, Raymonde, Hélène Z... divorcée X..., décédée à [...] le [...]
né le [...] à [...]
[...]
Représenté par la SCP D'AVOCATS JURI-EUROP, avocats au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 15 Mars 2018
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 11 Juin 2018
Date de mise à disposition : 04 Septembre 2018
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Françoise CARRIER, président
- Michel FICAGNA, conseiller
- Florence PAPIN, conseiller
assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier
A l'audience, Françoise CARRIER a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt rendu par défaut rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CARRIER, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
Suivant acte sous seing privé du 9 janvier 1961, M. René A... s'est engagé à vendre à M. H... Z..., également propriétaire des parcelles cadastrées commune de [...] [...] et [...], une superficie de 698 m² prise sur la parcelle [...] .
La division de la parcelle a été matérialisée sur le terrain et les consorts Z... en ont pris possession mais l'acte authentique réitérant la vente n'a pas été régularisé suite au décès de l'acquéreur.
Par jugement du 23 février 1976, le tribunal de grande instance de LYON, confirmé par un arrêt de la cour d'appel de GRENOBLE statuant sur renvoi de cassation en date du 3 juin 1980, a déclaré la vente parfaite.
Cette décision n'a pas été publiée.
Suivant acte authentique du 23 août 1995, régulièrement publié, les divers légataires de M. René A... ont vendu à la SARL PREVALIM la parcelle [...] sans autre indication.
Revendiquant la propriété de la parcelle [...] en sa totalité, la SARL PREVALIM a, par acte du 3 octobre 2013, fait assigner Mme Marcelle Z... et M. Lucien Z... devant le tribunal de grande instance de LYON à l'effet de voir dire qu'ils n'avaient aucun droit sur ladite parcelle et de les condamner à libérer les lieux et à enlever le portail installé sur la propriété.
Par jugement du 6 avril 2016, le tribunal l'a déboutée de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à payer aux consorts Z... la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
La société PREVALIM a relevé appel de cette décision.
Mme Marcelle Z... étant décédée, M. Lucien Z..., son fils et unique héritier a repris l'instance en ses lieu et place.
Au terme de conclusions notifiées le 20 octobre 2017, la société PREVALIM demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive présentée par les consorts Z... et en ce qu'il a retenu que l'arrêt du 3 juin 1980 reconnaissait l'existence d'un titre translatif de propriété au profit des consorts Z...,
- le réformer en toutes ses autres dispositions,
- dire que la parcelle [...] est sa propriété en vertu de l'acte notarié du 23 août 1995,
- dire que le titre de transfert de propriété de M. Lucien Z... lui est inopposable faute d'avoir été publié,
- dire que M. Lucien Z... est irrecevable à se prévaloir de la prescription acquisitive,
- condamner M. Lucien Z... à enlever le portail installé sur la parcelle [...] sous astreinte de 200 € par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et à libérer les lieux de tout véhicule et de tout autre bien lui appartenant,
- débouter M. Lucien Z... de l'ensemble de ses demandes et le condamner à lui payer la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour occupation illégale de sa propriété et la somme de 10 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir :
- qu'elle est titulaire d'un droit réel sur le bien revendiqué en vertu de l'acte de 1995,
- qu'il existe un conflit de titres entre ayants cause du même auteur et que ce litige ne peut être tranché par les règles de l'usucapion et qu'il doit être tranché par les règles de la publicité foncière,
- que l'alinéa 2 de l'article 3 du décret du 4 janvier 1955 prévoyant qu'aucun acte ou décision judiciaire sujet à publicité dans un service chargé de la publicité foncière ne peut être publié au fichier immobilier si le titre du disposant ou du dernier titulaire n'a pas été préalablement publié,
- que l'acte non publié lui est inopposable,
- qu'en tout état de cause, M. Z... ne saurait prétendre bénéficier de la prescription acquisitive dès lors d'une part que tenant son titre du véritable propriétaire, il ne peut prétendre à la prescription abrégée de 10 ans et d'autre part qu'il ressort de l'arrêt du 3 juin 1980 qu'à cette date-là ses auteurs n'avaient pas pris possession du terrain cédé de sorte que la prescription trentenaire n'était pas acquise le 8 novembre 2002, date à laquelle la prescription a été interrompue par la lettre recommandée demandant aux consorts Z... de libérer les lieux,
- qu'il n'existe aucun découpage administratif de la parcelle litigieuse, que celle-ci est divisée en trois zones, que les zones a et b correspondent à l'ancienne classification d'exploitations agricoles et que ce découpage purement fiscal n'a aucune incidence sur la propriété,
- que les avis de taxe foncière mentionnent bien les parcelles concernées de sorte que les consorts Z... ne sauraient prétendre avoir ignoré qu'ils n'acquittaient pas les taxes foncières afférentes à la parcelle litigieuse,
- que M. Z... ne rapporte pas la preuve d'une possession continue et non interrompue, paisible et non équivoque, que l'utilisation de la parcelle [...] comme parking d'appoint par les consorts Z... et par leurs proches ne saurait en faire la preuve.
Au terme de conclusions notifiées le 3 octobre 2017, M. Lucien Z... demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner la société PREVALIM à lui payer la somme de 6 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens avec faculté de distraction avec faculté de distraction au profit de la SCP JURI-EUROP.
Il fait valoir :
- qu'au moment de la vente de 1961, la parcelle [...] a été «divisée» en 2 parcelles [...] a et [...] ce que confirment les mentions figurant au cadastre,
- que matériellement, ces 2 parcelles ont été séparées par une haie de lauriers et par un grillage posés par M. A... lui-même,
- qu'avant la cession, la parcelle qui allait devenir [...] était accessible depuis l'avenue des [...] par un passage reliant cette voie à l'impasse [...] et qu'après la cession, M. A... a supprimé cet accès passant par sa parcelle [...] a, en faisant construire une remise,
- que ses auteurs n'ont pas pris possession de la parcelle [...] b par voie de fait, qu'ils en ont joui à usage de parking depuis le compromis de 1961, ce que confirment les témoignages et les pièces relatives au litige les ayant opposés à un autre voisin, M. D..., et les baux signés avec leurs locataires, qu'ils ont fait ériger un cabanon de jardin sur la parcelle [...] b 'protégeant une entrée dans leur maison depuis cette parcelle, qu'ils ont fait réaliser',
- que le bail commercial du 1er janvier 1974 consenti par M. A... à Mme E... pour l'exploitation du restaurant LA TERRASSE ne fait pas état d'une autre parcelle à usage de parking, pas plus que le constat établi à la demande de cette dernière par Me F... le 15 mai 2001, celui-ci mentionnant pas contre la présence de la «remise» construite dans le passage par M. A...,
- que les photos google earth démontrent que la délimitation de la parcelle [...] b correspond exactement à la position de l'imposante haie de lauriers et du grillage installés par M. A... après la signature du compromis de 1961,
- qu'un rapport LUCAS de 1980 démontre qu'un portail existait déjà et que le nouveau portail a été érigé en remplacement de l'ancien,
- qu'il est fondé à bénéficier de la possession de ses auteurs de sorte qu'il est propriétaire de la parcelle litigieuse ne serait ce que par usucapion,
- qu'il établit une possession continue et non-interrompue, paisible, publique et non-équivoque de ses auteurs depuis 1961, date du compromis, que ceux-ci se sont comportés en propriétaires en assurant l'entretien et la conservation du bien,
- que l'impossibilité de prescrire contre son titre ne concerne que le titre en vertu duquel la possession est exercée à titre précaire pour le compte d'autrui,
- que les consorts Z... n'étaient pas des détenteurs précaires possédant pour autrui au sens de l'article 2266 du code civil qui vise le locataire, l'usufruitier ou le dépositaire,
- que l'acquisition de la propriété par usucapion est indépendante d'une quelconque publication à la 'conservation des hypothèques',
- que la réitération de la vente par acte authentique ne constitue pas une condition de validité de la promesse synallagmatique de vente, sauf à démontrer que les parties avaient fait de la réitération du compromis par acte notarié un élément constitutif de leur consentement,
- que la location ou la mise à disposition par les consorts Z... de la parcelle litigieuse à des tiers était légitime dès lorsqu'ils en étaient propriétaires,
- que les tiers, y compris la société PREVALIM qui, devenue propriétaire en 1995 après visite des lieux, a attendu 2002 pour discuter la propriété, n'ont jamais eu aucun doute sur la propriété de la parcelle [...],
- que les courriers de mise en demeure de 2002 n'ont pas interrompu la prescription, qu'à supposer que puisse être tenue pour exacte la mention dans le jugement de 1980 que M. A... avait été laissé en possession du bien vendu, la prescription trentenaire était acquise à la date de l'assignation,
- qu'ils ignoraient en toute bonne foi ne pas s'acquitter de la taxe foncière sur la parcelle [...] b, le relevé de ladite taxe ne précisant pas le détail des propriétés non bâties, celles-ci étant rattachées à la construction principale,
- que les subdivisions parcellaires sont liées à l'exploitation en nature de cultures différentes et si l'on examine l'avis fiscal produit, on relève que la [...] est de classe 02, Nat G... I... avec un revenu cadastral de 6,49 alors que la [...] est de classe 01 Nat G... avec un revenu cadastral de 0,21 et un taux d'exonération de 100% de sorte qu'il est possible que la seule imposition de la parcelle [...] A et sa classification en «I...» soit en rapport avec sa destination de partie privative en tant que terrasse et jeux de boules loués aux exploitants du restaurant La Terrasse.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Selon l'article 2272 du code civil, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.
La prescription abrégée de 10 ans ne profite pas à celui qui tient ses droits du véritable propriétaire de sorte que le titre invoqué par M. Z... ne constitue pas le juste titre au sens de la dispositions susvisée et que celui-ci ne pourrait se prévaloir que d'une prescription trentenaire.
La propriété immobilière se prouve par tous moyens et il n'existe pas de hiérarchie entre les modes de preuve. Les juges du fond doivent se déterminer en fonction des présomptions qui leur apparaissent les meilleures et les plus caractérisées au vu des titres, documents, actes, expertises, énonciations du cadastre qu'ils apprécient souverainement.
Toutefois, l'article 30-1 du décret du 4 janvier 1955 dispose que 'les actes et décisions judiciaires soumis à publicité en application du 1° de l'article 28 sont, s'ils n'ont pas été publiés, inopposables aux tiers qui, sur le même immeuble, ont acquis des droits concurrents en vertu d'actes ou de décisions soumis à la même obligation de publicité et publiés, ou ont fait inscrire des privilèges ou hypothèques'.
Il en résulte qu'en présence de deux titres soumis à publicité foncière émanant du même auteur originaire et conférant des droits concurrents sur un même bien, celui qui a publié son titre en premier est fondé à se voir déclarer inopposable le titre de son concurrent sans qu'il y ait lieu de prendre en compte l'antériorité de ce titre ni d'éléments faisant présumer l'existence d'un droit sur le bien.
En l'espèce, il ressort des dispositifs combinés de l'arrêt du 3 juin 1980 et du jugement du 23 février 1976 :
- que l'acte sous seing privé passé le 9 janvier 1961 entre René A... et H... Z... constituait la vente par le premier au second de la parcelle de terrain située [...] de 698 m² délimitée d'après le plan joint à l'acte par les lettres A, B, C, D, E pour le prix de 25 000 francs sur lequel M. Z... a versé 10 000 francs,
- que M. A... devrait régulariser la vente par acte authentique dans un délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt et que faute par lui de ce faire dans ledit délai, le jugement tiendrait lieu d'acte de vente et serait publié conformément à la loi.
Dès lors que les titres respectifs des parties étaient soumis à publicité foncière, qu'ils conféraient à chacune d'elles des droits concurrents sur le même bien et que la SCI PREVALIM, ayant cause à titre particulier des légataires de M. René A..., a la qualité de tiers à l'égard de M. Lucien Z..., les conditions d'inopposabilité édictées par l'article 30-1 susvisé sont réunies et la SCI PREVALIM est fondée à se prévaloir de l'antériorité de la publication de son titre.
Il en résulte que M. Z... est irrecevable à se prévaloir de la prescription acquisitive.
Il convient en conséquence de :
- déclarer le titre transférant la propriété de la parcelle de terrain située [...] à [...] d'une superficie de 698 m² délimitée d'après le plan joint à l'acte par les lettres A, B, C, D, E, inopposable à la SCI PREVALIM,
- constater que la SCI PREVALIM est propriétaire de la parcelle cadastrée commune de [...] [...] en vertu d'un acte du 23 août 1995 publié à la conservation des hypothèques de LYON le 13 décembre 1995 volume 1995 P n° 8640,
- condamner M. Lucien Z... à enlever le portail installé sur la parcelle [...] dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt, ce sous astreinte provisoire de 50 € par jour de retard pendant trois mois, délai à l'issue duquel il sera à nouveau statué, et à libérer les lieux de tout véhicule et de tout autre bien lui appartenant.
Sur les demandes accessoires
L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi ou encore avec une légèreté blamable.
En l'espèce, l'abus de droit imputé par la SCI PREVALIM à M. Z... n'est pas caractérisé de sorte qu'elle doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts.
M. Z... qui succombe supporte les dépens.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Réforme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau,
Déclare le titre transférant la propriété de la parcelle de terrain située [...] à [...] d'une superficie de 698 m² délimitée d'après le plan joint à l'acte par les lettres A, B, C, D, E, inopposable à la SCI PREVALIM ;
Déboute M. Lucien Z... de ses demandes ;
Constate que la SCI PREVALIM est propriétaire de la parcelle cadastrée commune de [...] [...] en vertu d'un acte du 23 août 1995 publié à la conservation des hypothèques de LYON le 13 décembre 1995 volume 1995 P n° 8640 ;
Condamne M. Lucien Z... à enlever le portail installé sur la parcelle [...] dans un délai de trois mois à compter de la signification du présent arrêt, ce sous astreinte provisoire de 50 € par jour de retard pendant trois mois, délai à l'issue duquel il sera à nouveau statué ;
Le condamne à libérer les lieux de tout véhicule et de tout autre bien lui appartenant ;
Déboute la SCI PREVALIM du surplus de ses demandes ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, Rejette les demandes,
Condamne M. Lucien Z... aux dépens.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE