R.G : 17/03328
Décision du
Tribunal de Grande Instance de SAINT ETIENNE
Au fond
du 05 avril 2017
RG : 16/00681
1ère chambre civile
SCI DEVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS
C/
SCP LOUIS X... ET MATHIEU X...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 26 Juin 2018
APPELANTE :
La SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS, représentée par son gérant en exercice la société HOLD IMMO
[...]
[...]
Représentée par Me Robert Y... de la SELARL ALPHAJURIS, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMEE :
La société SCP LOUIS X... ET MATHIEU X... NOTAIRES ASSOCIES, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège [...]
Représentée par Me C... de la SELARL COLBERT, avocat au barreau de LYON
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Date de clôture de l'instruction : 21 Décembre 2017
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 28 Mai 2018
Date de mise à disposition : 26 Juin 2018
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Françoise CARRIER, président
- Michel FICAGNA, conseiller
- Florence PAPIN, conseiller
assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier
A l'audience, Françoise CARRIER a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CARRIER, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
Suivant acte authentique du 1er décembre 1987, M. Z... A... a consenti un bail à construction d'une durée de 25 ans commençant à courir le jour de la signature de l'acte à la SARL JAREZ 4X4 sur un terrain situé [...] .
Cette dernière ayant été placée en liquidation judiciaire, le bail à construction a été cédé à la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS suivant acte authentique reçu le 7 décembre 1990 en l'étude de Me Paul X..., notaire au [...].
Par acte authentique en date des 4 et 10 septembre 1997, également reçu par Me X..., la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS a consenti à la SARL JEAN-CAMILLE DISTRIBUTION un bail commercial d'une durée de 9 années portant sur les locaux situés sur la parcelle objet du bail à construction.
La SAS MIDAS, à laquelle la société JEAN-CAMILLE DISTRIBUTION avait cédé le bail, a sollicité sollicité son renouvellement à l'échéance.
Par acte sous seing privé en date du 12 novembre 2010, la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS lui a consenti un nouveau bail commercial pour une durée de 9 ans à compter du 1er septembre 2006.
La société MIDAS SAS a cependant dû libérer les lieux le 30 novembre 2012, date d'expiration du bail à construction, les propriétaires du terrain souhaitant en obtenir la restitution.
Par jugement en date du 24 juin 2015, aujourd'hui définitif, le tribunal de grande instance de SAINT-ETIENNE a condamné la société SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS à payer à la société MIDAS SAS la somme de 60 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte anticipée du local commercial, outre la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par acte d'huissier du 15 février 2016, la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS a fait assigner la société civile professionnelle Louis X... ET Mathieu X..., notaires associés, devant le tribunal de grande instance de SAINT-ETIENNE à l'effet d'obtenir l'indemnisation du préjudice que lui a causé le manquement à son devoir d'information et de conseil lors de la rédaction du bail commercial de 1997.
Par jugement du 5 avril 2017, le tribunal a :
- débouté la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS de l'ensemble de ses prétentions,
- condamné la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS à payer à la société civile professionnelle Louis X... ET Mathieu X..., notaires associés, la somme de 1 200 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS aux dépens avec faculté de distraction au profit de la SELARL Gilles PEYCELON,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
La SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS a interjeté appel de ce jugement.
Au terme de conclusions notifiées le 24 juillet 2017, elle demande à la cour de réformer le jugement et de :
- dire que la SCP X... a commis une faute en établissant un bail commercial à son profit alors qu'elle ne disposait elle-même que d'un bail à construction,
- condamner la SCP X... à lui payer la somme de 60 000 € en réparation de son préjudice, la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens avec faculté de distraction au profit de Me Y....
Elle fait valoir :
- que Me X... a manqué à son devoir d'information et de conseil en rédigeant le bail commercial de 1997 et en la présentant comme bailleresse dans cet acte alors qu'il savait, pour avoir rédigé l'acte de cession du bail à construction, qu'elle n'était pas propriétaire des lieux et que le bail à construction expirait le 30 novembre 2012,
- que l'acte sous seing privé du 12 novembre 2010 s'appuie sur l'acte authentique de 1997, que cet acte a alloué la propriété commerciale au locataire alors que le bail à construction prenait fin le 30 novembre 2012 et que l'attribut essentiel du bail commercial est le droit au maintien dans les lieux avec garantie d'obtenir une indemnité d'éviction en cas de non renouvellement,
- que le notaire rédacteur d'acte est tenu à un devoir d'efficacité et de conseil et qu'il doit attirer l'attention des clients sur les risques juridiques inhérents au projet envisagé,
- qu'en l'espèce Me X... a manqué à son devoir de conseil et d'information,
- que son éventuelle faute est absorbée par celle, plus grave, du notaire,
- que cette faute lui a causé un préjudice puisque le renouvellement du bail conclu avec la société MIDAS SAS par acte sous seing privé en date du 12 novembre 2010 a été fait au vu du contrat de bail initial, rédigé par le notaire,
- que c'est bien en raison du manquement du notaire qu'elle a été condamnée à réparer le préjudice subi par la société MIDAS SAS du fait de la perte anticipée du local commercial,
- qu'elle est donc en droit, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, de solliciter la prise en charge de ce préjudice par la société civile professionnelle sans que celle-ci ne puisse lui opposer sa propre faute dont le degré de gravité est largement moindre.
Au terme de conclusions notifiées le 11 septembre 2017, la SCP Louis X... et Mathieu X... de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la conclusion du bail commercial des 4 et 10 septembre 1997 ne contrevenait à aucune disposition légale ou contractuelle et jugé que la SCP Louis X... et Mathieu X... n'avait commis aucune faute,
- subsidiairement, dire que la société SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS a commis une faute en se faisant passer auprès de MIDAS SAS comme étant propriétaire des locaux loués la société SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS a commis une faute en se faisant passer auprès de MIDAS SAS comme étant propriétaire des locaux loués et qu'il n'y a pas de lien de causalité et de préjudice,
- débouter en conséquence la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS à lui payer la somme supplémentaire de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et les dépens avec faculté de distraction au profit la SELARL COLBERT.
Elle fait valoir :
- qu'aucune faute ne peut lui être reprochée dès lors que le titulaire d'un bail à construction est en droit de consentir un bail commercial sur les locaux qu'il a construits,
- que le bail commercial de 1997 a été conclu pour une durée inférieure à la durée restant à courir du bail à construction,
- que Me X... n'est pas intervenu lors du renouvellement de ce bail en 2010, ce renouvellement ayant été conclu par acte sous seing privé,
- que le préjudice allégué n'est pas en lien avec un quelconque manquement du notaire mais résulte des man'uvres dolosives de la SCI qui a caché à la société MIDAS SAS qu'elle n'était pas propriétaire des locaux mais seulement titulaire d'un bail à construction expirant le 30 novembre 2012, et qui s'est présentée comme propriétaire des locaux,
- qu'enfin la SCI ne démontre pas avoir payé une quelconque somme à la société MIDAS SAS et en conséquence avoir subi le moindre préjudice.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Selon l'article 1382 (devenu 1240) du code civil, celui qui par sa faute cause à autrui un dommage s'oblige à le réparer.
En vertu de cette disposition, la responsabilité civile d'un notaire ne peut être engagée que si la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux est apportée.
C'est à celui qui se prévaut d'un préjudice en lien de causalité avec une faute d'en rapporter la preuve. L'existence d'un lien de causalité suppose qu'il soit démontré qu'en l'absence de faute, le sort de la victime aurait été amélioré.
Le notaire doit veiller à l'utilité et à l'efficacité de l'acte à l'établissement duquel il prête son concours et est tenu, à l'égard de toutes les parties, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne notamment les conséquences et les risques des situations convenues.
La preuve de la délivrance de l'obligation de conseil incombe au notaire.
Selon l'article L.251-6 du code de la construction et de l'habitation, régissant le bail à construction, les servitudes passives, autres que celles mentionnées au quatrième alinéa de l'article L.251-3, privilèges, hypothèques ou autres charges nées du chef du preneur et, notamment, les baux et titres d'occupation de toute nature portant sur les constructions, s'éteignent à l'expiration du bail sauf pour les contrats de bail de locaux d'habitation.
En l'espèce, le bail commercial conclu avec la société SARL JEAN-CAMILLE DISTRIBUTION, aux droits de laquelle est venue la société MIDAS, ne faisait pas mention de ce que la bailleresse n'était titulaire que d'un bail à construction et ne comportait aucune clause susceptible de rendre ce bail, et en particulier son terme, opposable au locataire, de sorte que le bail de 1997, soumis au statut des baux commerciaux des articles L.145-1 et suivants du code de commerce, a conféré au locataire le droit au renouvellement du bail ou à une indemnité d'éviction en cas de refus de renouvellement.
Me X... qui, pour avoir instrumenté la cession du bail à construction, savait que la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS n'était pas propriétaire des locaux, aurait dû aviser la bailleresse de la nécessité de faire état de ce bail à construction et prévoir une clause selon laquelle le bail commercial prendrait fin à l'expiration du bail à construction sans droit au renouvellement ni au paiement d'une indemnité d'éviction.
Ainsi, la faute reprochée est caractérisée. L'intention dolosive de la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS à l'occasion du renouvellement du bail n'est pas démontrée. En effet, les dispositions du code de la construction et de l'habitation l'autorisaient à donner à bail commercial l'immeuble objet du bail à construction. Il ne résulte pas d'autre part de l'acte du 18 novembre 2010, dans lequel elle figure sous la seule qualité de 'bailleresse' qu'elle se soit faussement présentée comme propriétaire du bien donné à bail.
En tout état de cause, à la date du renouvellement, en l'absence de clause dans le bail initial rendant opposable à la société preneuse le terme du bail à construction, la société MIDAS était titulaire du droit au renouvellement ou à indemnité d'éviction de sorte que le préjudice résultant pour la SCI de l'obligation d'indemnité la locataire, est en lien de causalité direct et certain avec le manquement du notaire.
La SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS justifie par un relevé de compte CARPA, qui n'est pas discuté, s'être acquittée de la totalité de la condamnation prononcée à son encontre par le jugement du 24 juin 2015 de sorte que le préjudice allégué est justifié dans son montant.
Il convient en conséquence de faire droit à la demande.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement déféré ;
Statuant à nouveau,
Déclare la SCP Louis X... et Mathieu X... entièrement responsable du préjudice subi par la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS ;
Condamne la SCP Louis X... et Mathieu X... à payer à la SCI DÉVELOPPEMENT DU PARC DU CRET DE MARS :
- la somme de 60 000 € à titre de dommages et intérêts,
- la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- les dépens ;
Autorise Me Y... à recouvrer directement à son encontre les dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE