R.G : 16/02208
Décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond
du 04 février 2016
RG : 11/06474
ch n°
[L]
[F]
[L]
[L]
[L]
C/
[W]
[M]
[Z]
SA COVEA RISKS
SA ALLIANZ IARD
SCP [Z] [J]
SELARL [Y] [X] [P] & ASSOCIES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 20 Mars 2018
APPELANTS :
M. [X], Jean, [Q] [L]
né le [Date naissance 1] 1934 à [Localité 1] (63)
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par la SCP DUMOULIN - ADAM, avocats au barreau de LYON
Assisté de Me DOS SANTOS, avocat au barreau de CLERMONT FERRAND
Mme [V], [C], [E] [F] épouse [L]
née le [Date naissance 1] 1936 à [Localité 2]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par la SCP DUMOULIN - ADAM, avocats au barreau de LYON
Assistée de Me DOS SANTOS, avocat au barreau de CLERMONT FERRAND
Mme [F] [L]
née le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 1] (63)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par la SCP DUMOULIN - ADAM, avocats au barreau de LYON
Assistée de Me DOS SANTOS, avocat au barreau de CLERMONT FERRAND
Mme [W] [L]
née le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 1] (63)
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par la SCP DUMOULIN - ADAM, avocats au barreau de LYON
Assistée de Me DOS SANTOS, avocat au barreau de CLERMONT FERRAND
Mme [M] [L]
née le [Date naissance 4] 1969 à [Localité 1] (63)
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par la SCP DUMOULIN - ADAM, avocats au barreau de LYON
Assistée de Me DOS SANTOS, avocat au barreau de CLERMONT FERRAND
INTIMÉS :
Me [U] [W], administrateur judiciaire
né le [Date naissance 5] 1964 à [Localité 5] (63)
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représenté par la SAS TUDELA ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
Assisté de L'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, avocats au barreau de PARIS
Me [B] [M], administrateur judiciaire
né le [Date naissance 6] 1974 à [Localité 6] (69)
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représenté par la SAS TUDELA ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
Assisté de L'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, avocats au barreau de PARIS
Me [Z] [Z], commissaire-priseur
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représenté par Me Jean-christophe BESSY, avocat au barreau de LYON
Assisté de Me Marcel PORCHER, avocat au barreau de PARIS
La compagnie d'assurances ALLIANZ IARD, SA, prise en la personne de son représentant légal en exercice demeurant en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Localité 7]
Représentée par Me Jean-christophe BESSY, avocat au barreau de LYON
Assistée de Me Marcel PORCHER, avocat au barreau de PARIS
La SCP [Z] [J], commissaire-priseur, prise en la personne de son gérant en exercice demeurant en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-christophe BESSY, avocat au barreau de LYON
Assisté de Me Marcel PORCHER, avocat au barreau de PARIS
La SELARL [Y] [X] [P] & ASSOCIES (anciennement SELARL [Y] [W] & [P]) prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 10]
[Localité 6]
Représentée par la SAS TUDELA ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
Assistée de L'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, avocats au barreau de PARIS
INTERVENANTES VOLONTAIRES :
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et MMA IARD, SA, prises en la personne de leurs représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège, venant toutes deux aux droits de la SA COVEA RISKS suite à des opérations de cession de portefeuille et de fusion absorption
[Adresse 11]
[Localité 8]
Représentée par la SAS TUDELA ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
Assistée de L'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, avocats au barreau de PARIS
******
Date de clôture de l'instruction : 05 Octobre 2017
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 06 Février 2018
Date de mise à disposition : 20 Mars 2018
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Françoise CARRIER, président
- Florence PAPIN, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Lindsey CHAUVY, greffier
A l'audience, Françoise CARRIER a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CARRIER, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
La SA ETABLISSEMENTS E. [L], qui exploitait une activité de traitement des déchets, avait deux filiales :
- la société BERNON & CIE, détenue à 52,17%,
- la société ETABLISSEMENTS LARDET MARCEL ET FILS, détenue à 64,45%.
Le 18 mai 2009, le président directeur général de la SA ETABLISSEMENTS [L] et de la SA BERNON ET CIE, M. [X] [L], a été hospitalisé suite à une grave affection cardiovasculaire.
Le 25 mai 2009, il a démissionné de ses fonctions et l'ensemble des membres du conseil d'administration ont démissionné.
Par deux jugements du 29 mai 2009, le tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND a ouvert, sur déclaration de cessation des paiements, deux procédures de redressement judiciaire l'une à l'égard de la société ETABLISSEMENTS E. [L], l'autre à l'égard de la société BERNON & CIE et a désigné :
- la SELARL [R] en qualité de mandataire judiciaire,
- la SELARL [Y] [W] & [P], représentée par Me [U] [W] et Me [B] [M], en qualité d'administrateur judiciaire, avec mission de représentation,
- la SCP [Z] [J] en qualité de commissaire-priseur aux fins de réaliser l'inventaire et la prisée des actifs.
Par deux jugements du 24 juillet 2009, la poursuite des périodes d'observation a été ordonnée pour une durée de 4 mois, jusqu'au 20 novembre 2009, afin de permettre l'élaboration des plans de redressement.
Par jugement du 30 octobre 2009, rectifié par jugement du 6 janvier 2010, le tribunal a ordonné la cession de la société ETABLISSEMENTS E. [L] au profit de la société PRAXY FINANCES, pour un prix de 4 350 000 €.
Par un second jugement du même jour, le tribunal a arrêté le plan de cession de la société BERNON et Cie au profit de la SA SIRMET pour un prix de 1187 000 €.
M. [X] [L] a interjeté appel de ces décisions avant de se désister.
Par deux jugements du 12 février 2010, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation de la société ETABLISSEMENTS E. [L] et de la société BERNON & CIE et désigné la SELARL [R] en qualité de liquidateur dans chacune des procédures.
Suivant ordonnance du 5 novembre 2010, le président du tribunal de commerce a, sur requête du liquidateur, désigné M. [X] [L] en qualité d'administrateur ad hoc des deux sociétés.
Par acte du 25 mars 2011, M. [X] [L] ainsi que 4 actionnaires, Mme [V] [F] épouse [L], Mme [F] [L], Mme [W] [L] et Mme [M] [L], ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de LYON Me [U] [W], Me [B] [M], Me [Z] [Z], commissaire-priseur au sein de la SCP [Z] [J], aux fins de les voir condamnés à les indemniser des préjudices préjudices causés par leurs fautes professionnelles.
Par acte du 25 octobre 2013 et du 8 janvier 2014, les demandeurs ont fait assigner en intervention forcée la société COVEA RISKS, assureur de la responsabilité civile professionnelle de Me [U] [W], de Me [B] [M] et de la SELARL [Y] [W] & [P], ainsi que la société ALLIANZ IARD, assureur de la responsabilité civile professionnelle de Me [Z] [Z] et de la SCP [Z] [J].
Par jugement du 4 février 2016, le tribunal a :
- débouté M. [X] [L], Mme [V] [F] épouse [L], Mme [F] [L], Mme [W] [L] et Mme [M] [L] de l'ensemble de leurs demandes, tant dirigées contre Me [U] [W], Me [B] [M] et la SELARL [Y] [W] & [P] que contre Me [Z] [Z], la SCP [Z] [J], la société COVEA RISKS et la société ALLIANZ IARD,
- condamné in solidum M. [X] [L], Mme [V] [F] épouse [L], Mme [F] [L], Mme [W] [L] et Mme [M] [L] à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- à Me [U] [W], Me [B] [M] et la SELARL [Y] [W] & [P] la somme globale de 6 000 €,
- à la société COVEA RISKS la somme de 2 000 €,
- à Me [Z] [Z], la SCP [Z] [J] et la société ALLIANZ IARD la somme globale de 8 000 €,
- débouté Me [U] [W], Me [B] [M] et la SELARL [Y] [W] & [P] de leur demande de dommages et intérêts,
- condamné in solidum M. [X] [L], Mme [V] [F] épouse [L], Mme [F] [L], Mme [W] [L] et Mme [M] [L] aux entiers dépens, distraits au profit de Me VITAL-DURAND et Me BESSE, avocats,
- ordonné l'exécution provisoire.
Par acte du 21 mars 2016, M. [X] [L], Mme [V] [F] épouse [L], Mme [F] [L], Mme [W] [L] et Mme [M] [L] ont interjeté appel.
Au terme de conclusions notifiées le 5 juillet 2017, ils demandent à la cour de :
- réformer en toutes ses dispositions le jugement du 4 février 2016,
- débouter les intimés de leurs appels incidents,
- dire et juger que Me [U] [W], Me [B] [M] et la SELARL [Y] ' [W] & [P], devenue [Y] [X] [P] & Associés, la SCP [Z] [J] et Me [Z] [Z] ont manqué à leurs obligations légales et commis des fautes génératrices d'un préjudice indemnisable,
- condamner in solidum la SELARL [Y] [X] [P] & Associés, Me [U] [W], Me [B] [M], la SCP [Z]-[J], sous la garantie de leurs assureurs respectifs, les sociétés MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et MMA IARD, venant aux droits de la société COVEA RISKS, et la société ALLIANZ FRANCE à payer et porter :
- à M. [X] [L] :
o en réparation de son préjudice économique, la somme de 34 251 954 €,
o en réparation de son préjudice moral et atteinte à l'honneur, celle de 10 000€,
- à Mme [V] [L] :
o en réparation de son préjudice économique, celle de 94 313 €,
o en réparation de son préjudice moral et atteinte à l'honneur, celle de 10 000€,
- à Mme [F] [L] :
o en réparation de son préjudice économique, celle de 434 800 €,
o en réparation de son préjudice moral et atteinte à l'honneur, celle de 10 000€,
- à Mme [M] [L] :
o en réparation de son préjudice économique, celle de 434 800 €,
o en réparation de son préjudice moral et atteinte à l'honneur, celle de 10 000€,
- à Mme [W] [L] :
o en réparation de son préjudice économique, celle de 434 800 €,
o en réparation de son préjudice moral et atteinte à l'honneur, celle de 10 000€,
- rejeter purement et simplement les demandes reconventionnelles et appels incidents formés par les intimés,
- condamner les compagnies MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et MMA IARD, venant aux droits de la société COVEA RISKS, et la société ALLIANZ IARD à garantir leurs
assurés dans les limites de leurs contrats respectifs,
- condamner solidairement les défendeurs à verser à chacun des demandeurs une indemnité de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- subsidiairement, ordonner une expertise comptable du chiffrage de leur préjudice,
- les condamner solidairement aux entiers dépens.
Ils font valoir :
- que M. [X] [L] s'est désisté de son appel à l'encontre des jugements du tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND du 30 octobre 2009, non parce qu'il avait conscience que ses plans de continuation n'étaient pas viables, mais en raison de l'irrecevabilité de son appel du fait de la désignation d'administrateurs judiciaires qui l'a privé de toute qualité à agir,
- que les jugements du 30 octobre 2009 n'ont pas autorité de chose jugée à leur encontre puisqu'ils n'étaient pas partie à la procédure de redressement judiciaire et que la faute invoquée ne résulte pas de la cession mais des manquements des administrateurs,
- qu'ils ont qualité à agir dès lors que les fautes professionnelles commises par les administrateurs judiciaires leur causent un préjudice direct et personnel et qu'en leur qualité d'associés, ils sont tiers à la personne morale en liquidation,
- qu'en tout état de cause, cet argument est irrecevable à l'égard de M. [X] [L], mandataire ad hoc désigné par deux ordonnances du président du tribunal de commerce de CLERMONT FERRAND du 5 novembre 2010 pour représenter les sociétés ETABLISSEMENTS E. [L] et la société BERNON & CIE dans le cadre de leur liquidation judiciaire,
- qu'il ressort du rapport d'expertise établi par le cabinet CROWE HORWATH que la situation de la société ETABLISSEMENTS E. [L] au 31 décembre 2007 était bonne puisqu'elle réalisait un chiffre d'affaires de 107,3 millions d'€ et que ses capitaux propres s'élevaient à 5,9 millions d'€, ce que les administrateurs ne contestent pas,
- que les administrateurs ont violé leur mandat judiciaire en décidant de vendre l'ensemble des actifs de la société avant le terme de la période d'observation de 2 mois alors que ce délai a été accordé par le tribunal de commerce pour permettre l'élaboration d'un plan de redressement, que les administrateurs indiquent dans leur rapport que les difficultés de trésorerie sont communes à la plupart des entreprises du secteur et sont dues à un facteur conjoncturel, qu'il y a 277 salariés dans l'entreprise, que la société détient 41 225 255 € d'actifs, et qu'elle peut financer son activité pendant la période d'observation,
- que les sociétés ETABLISSEMENTS E. [L] et BERNON & CIE ont connu des difficultés en mai 2009 du fait de facteurs conjoncturels que sont l'arrêt de l'activité de la société BERNON & CIE à la suite d'un accident industriel, la crise économique mondiale, à l'hospitalisation de M. [X] [L] et la démission subséquente des conseils d'administration des deux sociétés,
- que le premier devoir d'un mandataire judiciaire est de permettre la continuation de l'entreprise par son redressement, lequel n'a pas été respecté par Me [W] et Me [M] qui ont, dès leur prise de fonctions, oeuvré en vue de la cession des sociétés,
- que les mandataires judiciaires ont commis des fautes dans leur gestion aux motifs qu'ils n'ont pas déposé de requête aux fins de voir désigner un mandataire ad hoc, que ce manquement a évité qu'ils ne soient contredits dans leurs décisions, qu'ils ont subdélégué sans autorisation du tribunal leur mandat judiciaire à deux salariés de la société ETABLISSEMENTS E. [L], incompétents pour cette mission, qu'ils n'ont pas accompli les formalités légales en ne permettant pas la désignation d'un administrateur judiciaire malgré la démission des conseils d'administration, laissant les sociétés dépourvues de représentants, en ne convoquant aucune assemblée pour approuver les comptes 2008, et en ne sollicitant pas la désignation d'experts pour les assister, formalité obligatoire au regard du chiffre d'affaires et du nombre de salariés,
- que Me [W] et Me [M] ne se sont pas appuyés sur les compétences des experts-comptables et des commissaires aux comptes en place, n'ont pas cherché à poursuivre les discussions dans le cadre de la médiation entamée, qu'ils n'ont pas poursuivi l'action visant à obtenir l'indemnisation des préjudices résultants de l'arrêt de l'activité de la société BERNON & CIE, qu'ils n'ont pas assuré de dialogue social avec les salariés ou les actionnaires,
- que les rapports rédigés par le cabinet CROWE HORWATH et le cabinet BJ-ASSOCIES démontrent que la poursuite de la période d'observation était possible, que l'entreprise était viable et qu'un plan de redressement était envisageable,
- que les administrateurs judiciaires n'ont pas recherché cette solution, au profit de la cession d'entreprise qu'ils envisageaient avant même leur entrée en fonction,
- que les administrateurs judiciaires ont commis une faute au regard de la faiblesse de leur garantie en cas de sinistre et de l'absence de souscription d'une garantie complémentaire pour cette mission, ce qui leur cause un préjudice en raison du risque d'insolvabilité des responsables,
- que le montant des émoluments de 124 113,88 € pour la société ETABLISSEMENTS E. [L] et de 189 004,91 € pour la société BERNON & CIE est excessif au regard de l'exécution fautive de la mission par les administrateurs pour une durée de 4 mois et demi,
- que le commissaire priseur a manqué à ses obligations puisque l'inventaire a été réalisé sans qu'ils aient été appelés ou que l'inventaire leur soit soumis, que M. [G] [G] qui était présent n'était pas directeur d'exploitation et n'avait aucun mandat pour représenter la société,
- que l'inventaire a abouti à une évaluation incorrecte des actifs et à une sous-évaluation des stocks, comme le démontre le rapport d'expertise du cabinet BJ-ASSOCIES, ce qui a favorisé la cession à vil prix des sociétés et justifie la condamnation in solidum des administrateurs judiciaires et des commissaires-priseurs,
- qu'ils n'ont commis aucune faute justifiant l'octroi de dommages et intérêts.
Au terme de conclusions notifiées le 28 avril 2017, Me [U] [W], Me [B] [M], la SELARL [Y] [X] [P] & ASSOCIES, anciennement [Y] [W] & [P], la société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES et la société MMA IARD, venant aux droits de la société COVEA RISKS, demandent à la cour de :
- donner acte à la SELARL [Y] [X] [P] & ASSOCIÉS de sa
dénomination actuelle (anciennement [Y] [W] & [P]),
- donner acte aux sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES de leur
intervention volontaire aux droits de la société COVEA RISKS, assureur de la responsabilité civile de Me [U] [W], de Me [B] [M] et de la SELARL [Y] [X] [P] & ASSOCIÉS,
- déclarer irrecevables les demandes des consorts [L], pour défaut de qualité à agir,
- subsidiairement, confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté les consorts [L] de l'ensemble de leurs demandes,
- très subsidiairement, dire que les sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES
MUTUELLES, assureurs de la responsabilité civile de Me [U] [W], de Me [B] [M] et de la SELARL [Y] [X] [P] & ASSOCIÉS, ne peuvent être tenues que dans les termes et limites du contrat d'assurance, notamment en ce qu'il prévoit une franchise, opposable aux tiers,
- en tout état de cause, infirmer partiellement le jugement déféré et, statuant à nouveau, condamner in solidum les consorts [L] à payer à Me [U] [W], à Me [B] [M] et à la SELARL [Y] [X] [P] & ASSOCIÉS la somme globale de 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné les consorts [L] au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
- condamner in solidum les consorts [L] à payer à Me [U] [W], à Me [B] [M] et à la SELARL [Y] [X] [P] & ASSOCIÉS la somme globale de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum les consorts [L] à payer aux sociétés MMA IARD et MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES la somme globale de 10 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec faculté de distraction au profit de la SCP TUDELA & ASSOCIÉS.
Ils font valoir :
- que les consorts [L] n'ont pas qualité à agir puisqu'ils sollicitent l'indemnisation de la perte de valeur des parts sociales et l'absence d'actions contentieuses, qui ne sont pas des préjudices personnels distincts de ceux subis collectivement par tous les créanciers et pour lesquels seul le liquidateur judiciaire, la SELARL [R], a qualité pour agir,
- subsidiairement, qu'ils n'ont commis aucune faute, que M. [X] [L] entendait céder les deux sociétés lorsqu'il a procédé aux déclarations de cessation des paiements, qu'un plan de continuation aurait nécessité un apport immédiat et important de capitaux, un business plan sérieux ainsi que la démonstration de la viabilité des sociétés, que, ces éléments n'ayant pas été réunis, le tribunal de commerce a définitivement rejeté le plan de continuation présenté par M. [X] [L], que la continuation de l'activité de la société BERNON & CIE était impossible en raison du retrait administratif d'agrément et de l'incertitude du recours administratif en vue de l'indemnisation du préjudice, qu'il ne leur appartient pas de remettre en cause les évaluations opérées par le commissaire-priseur désigné par le tribunal de commerce, que l'absence de convocation de l'assemblée générale pour la validation des comptes 2008 n'a pas causé le préjudice invoqué, que le rapport CROWE HORWATH décrit la situation antérieure de 18 mois aux faits, que M. [X] [L], en sa qualité d'associé, avait la possibilité de demander la désignation d'un mandataire ad hoc dès le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, que les deux salariés mandatés ont été désignés par M. [X] [L] comme étant les plus aptes à assurer la coordination quotidienne, que les experts-comptables ont bien été consultés, qu'ils ont poursuivi les procédures engagées devant les juridictions administratives, que leur rémunération est inférieure à celle qu'ils pouvaient escompter en cas de plan de continuation et qu'ils ont renoncé à percevoir certains droits dans le cadre de la cession,
- que le rapport produit par les appelants n'est pas contradictoire, qu'il ne démontre pas que les dommages leur sont imputables et que les évaluations proposées sont purement théoriques,
- que le tribunal correctionnel a condamné les appelants pour abus de biens sociaux, jugement qui n'a été réformé qu'au regard de la prescription de l'action publique,
- que les sociétés MMA ASSURANCES MUTUELLES et MMA IARD ne doivent leur garantie qu'à titre subsidiaire et dans la limite de 11 500 €,
- que le préjudice allégué est disproportionné,
- qu'ils ont subi une atteinte à leur honneur et à leur réputation, ce qui justifie le paiement de dommages et intérêts.
Au terme de conclusions notifiées le 28 août 2017, Me [Z] [Z], la SCP [Z]-[J] et la compagnie ALLIANZ demandent à la cour de :
- déclarer l'action des consorts [L] irrecevable sauf peut-être pour les préjudices moraux,- dire que leur responsabilité ne saurait être engagée dans le soi-disant préjudice subi par les appelants en conséquence de la décision de cession,
- dire qu'en tout état de cause l'évaluation des stocks aurait-elle été inférieure à ce qu'elle aurait dû être, elle n'aurait pu générer un quelconque préjudice pour les appelants et qu'aucune condamnation solidaire ne peut intervenir,
- confirmer la décision entreprise et débouter les appelants de l'ensemble de leurs réclamations à leur encontre tant au titre de préjudices financiers que de préjudices moraux,
- condamner 'conjointement et solidairement' (sic) les appelants à leur payer à chacun :
* la somme de 50 000 € à titre de dommages intérêts pour préjudice moral,
* la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* les dépens avec faculté de distraction au profit de Me BESSY.
Ils font valoir :
- que s'il y avait préjudice, les sociétés seules les ont subis, à l'exception peut-être des préjudices moraux, si bien que seul l'administrateur ad hoc a qualité pour agir en justice,
- que la cession a été ordonnée par le tribunal de commerce, avec l'appui du parquet et l'accord des demandeurs qui ont acquiescé,
- que l'inventaire des biens mobiliers est conforme et loyal puisqu'il ne pouvait être conduit en présence d'un représentant de la société, aucun n'ayant été désigné, qu'il a eu lieu en présence d'une personne compétente, M. [G] [G], que l'inventaire a été dressé à partir des documents produits par les sociétés,
- qu'en tout état de cause, il n'a joué aucun rôle dans la décision de cession, si bien que les préjudices invoqués ne peuvent leur être imputés,
- que l'évaluation des stocks cédés correspond aux stocks trouvés sur les différents sites, en présence de salariés et à l'aide des éléments comptables fournis par M. [G] [G],
- que les conditions d'une condamnation in solidum avec les administrateurs judiciaires ne sont pas réunies,
- qu'en toute hypothèse, l'éventuelle sous évaluation des stocks est sans lien de causalité avec le préjudice allégué puisque les fonds provenant de leur cession auraient été distribués aux créanciers dans le cadre de la liquidation judiciaire,
- qu'ils subissent du fait de la procédure un préjudice moral qu'il convient d'indemniser.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le préjudice économique
L'article 122 du code de procédure civile énonce que 'constitue une fin de non recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.'
Selon l'article L.641-4 du code de commerce, le liquidateur procède aux opérations de liquidation en même temps qu'à la vérification des créances. Il peut introduire ou poursuivre les actions qui relèvent de la compétence du mandataire judiciaire.
[...] Le liquidateur exerce les missions dévolues à l'administrateur et au mandataire judiciaire par les articles L. 622-6, L. 622-20, L. 622-22, L. 622-23, L. 624-17, L. 625-3, L. 625-4 et L. 625-8.'
Selon l'article L.622-20, le mandataire judiciaire désigné par le tribunal a seul qualité pour agir au nom et dans l'intérêt collectif des créanciers. Toutefois, en cas de carence du mandataire judiciaire, tout créancier nommé contrôleur peut agir dans cet intérêt dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat.
Il résulte de ces dispositions que le liquidateur, qui succède au mandataire judiciaire, a seul qualité pour agir dans l'intérêt collectif des créanciers et qu'un créancier est irrecevable à solliciter la réparation d'un préjudice personnel qui n'est que la conséquence du préjudice subi par l'ensemble des créanciers déclarants, l'action appartenant au seul liquidateur.
En l'espèce, les appelants sollicitent la réparation d'un préjudice économique correspondant, au prorata de leurs parts sociales, à la différence entre d'une part la valeur de marché des sociétés et de leurs actifs telle qu'elle ressort de la combinaison de différentes méthodes d'évaluation, et d'autre part, leur prix de cession respectif aux société PRAXIS FINANCES et SIRMET.
Il en résulte que leur demande tend, par la reconstitution du patrimoine social, à obtenir la fraction personnelle du préjudice subi par l'ensemble des créanciers suite aux fautes qui auraient été commises par les auxiliaires de justice de sorte que le préjudice dont la réparation est demandée n'est pas distinct de celui subi collectivement par tous les créanciers du fait de l'amoindrissement ou de la disparition de ce patrimoine et que l'action des consorts [L] est irrecevable.
Sur le préjudice moral
Les appelants soutiennent que les intimés ont manqué à leurs devoirs les plus essentiels et à l'humanité la plus élémentaire en organisant la cession des entreprises dans une logique vexatoire et anti-économique, après avoir surpris la vigilance du tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND et orchestré immédiatement l'éviction de la famille [L], en privant M. [L] et sa fille [F] de la possibilité de reprendre leurs effets personnels, en contraignant M. [L] à restituer immédiatement son véhicule de fonction qui a ensuite disparu des inventaires alors qu'il avait une valeur de 50 000 €, en présentant l'hospitalisation du dirigeant comme un abandon pur et simple des sociétés et en le faisant passer pour un patron voyou, en traduisant Mme [L] devant le tribunal correctionnel, de sorte que la famille a été en bute à des attaques particulièrement déshonorantes et à une spoliation en règle de ses biens.
Aucun élément ne vient établir que les intimées aient agi dans une logique vexatoire et anti-économique.
Le fait que la SELARL [Y] [W] [P] ait envisagé avant d'être désignée la cession de l'entreprise ne saurait traduire une quelconque animosité à l'égard de la famille [L] alors que l'empêchement du dirigeant, de surcroît seul cadre de l'entreprise, l'engagement de son pronostic vital et la démission de l'ensemble du conseil d'administration des deux sociétés impliquaient, comme il est d'usage en pareille situation, d'anticiper toute mesure permettant de sauvegarder l'entreprise et qu'à cet instant seule la cession était envisageable.
Les consorts [L] ne sauraient prétendre avoir été évincés alors que cette situation n'est que la conséquence de leur démission en bloc du conseil d'administration.
Ils ne sauraient reprocher aux administrateurs judiciaires l'absence de désignation d'un administrateur ad hoc alors que l'article L.611-3 du code de commerce ne prévoit cette désignation que sur requête du débiteur, qu'il ne met à la charge de l'administrateur judiciaire aucune obligation à cet égard, que M. [L] n'a fait aucune démarche en ce sens et qu'il ne produit aucun élément susceptible de faire apparaître qu'il en aurait été empêché.
Pas plus, ils ne sauraient leur reprocher d'avoir omis de constituer un nouveau conseil d'administration, les dispositions de l'article L.225-17 alinéa 2 du code de commerce n'ayant pas lieu de s'appliquer dès lors qu'il n'y avait plus de conseil d'administration et qu'une mission de gestion complète était confiée à l'administrateur.
Leurs allégations quant à l'absence de désignation d'un expert, dont le rôle est une assistance à la gestion pendant la période d'observation et non pas à l'élaboration d'un plan, ou quant aux délégations consenties à deux salariés sont sans rapport avec la cession. Il en va de même s'agissant des rapports du 11 février 2010, qui sont des rapports de fin de mission postérieurs à la cession, ou s'agissant de l'établissement des comptes clos le 31 décembre 2008 qui ne pouvaient apporter aucune information sur la capacité des sociétés à assurer la poursuite de leur exploitation dans le cadre de la période d'observation ou à faire face à leur passif dans le cadre d'un plan de continuation.
Les appelants ne démontrent pas que la position soutenue par les administrateurs lors de l'audience du 24 juillet 2009, à savoir la cession de tout ou partie des branches d'activité, n'aurait pas correspondu à la réalité de la situation économique de l'entreprise à savoir que celle-ci était dans l'incapacité de financer l'exploitation en période d'observation. Il ressort en effet du rapport du 23 juillet 2009 que ni les charges sociales patronales ni la TVA n'avaient été payées afin d'assurer le paiement des salaires, qu'une partie substantielle de la trésorerie avait été immobilisée pour permettre la poursuite des relations commerciales avec les fournisseurs et que le budget de trésorerie amenait à constater une incapacité de l'entreprise à financer son exploitation dans le courant du mois de septembre 2009 de sorte que seul l'apport de capitaux frais permettait d'envisager la mise en oeuvre d'un plan de continuation.
Les appelants ne démontrent pas plus que les intimés auraient fait obstacle à l'établissement d'un 'businness plan' dans la perspective d'un plan de continuation. En effet, les administrateurs justifient que Mme [T], du cabinet KPMG, expert comptable de l'entreprise, a, avec leur accord et en étant rémunérée par eux, assisté M. [L] sur la constitution d'un prévisionnel devant appuyer une proposition de plan. Ils justifient également avoir participé à plusieurs réunions à cette fin et échangé avec M. [L], ses conseils et d'éventuels investisseurs dont il est acquis qu'ils n'ont pas donné suite.
Les documents ont été établis par Mme [T] faisant apparaître une perte d'exploitation prévisionnelle pour 2009 de 4 282 000 € et une augmentation de chiffre d'affaires de plus de 400% en les trois exercices suivants reposant sur une augmentation du cours des métaux.
M. [L] a été entendu lors de l'audience du 16 octobre 2009 et a fourni l'ensemble de ces éléments au tribunal qui a estimé qu'ils ne permettaient pas d'envisager une possibilité sérieuse de redressement.
Les appelants ne démontrent pas, en tout état de cause, que les administrateurs n'auraient pas présenté au tribunal tous les éléments lui permettant d'apprécier les chances de succès d'un plan de continuation ni que l'évaluation des stocks réalisée par Me [Z] a eu une incidence sur leur décision. Le rapport CROWE HORWATH, dépourvu de tout caractère contradictoire, ne saurait faire la preuve du contraire.
Il n'est pas plus établi que les mesures prises par les administrateurs à l'égard de Mme [F] [L] et de M. [X] [L] aient été dictées par des motifs vexatoires sans lien avec les nécessités de la procédure collective ni que les poursuites correctionnelles engagées contre M. [X] [L], Mme [W] [L] et Mme [V] [L] trouvent leur origine dans une dénonciation calomnieuse.
Il n'est ainsi pas démontré que le préjudice moral subi par les consorts [L] du fait de la procédure collective ouverte à l'égard des entreprises qu'ils dirigeaient soit la conséquence d'une quelconque faute des administrateurs dans le traitement de cette procédure de sorte que les appelants doivent être déboutés de leur demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes reconventionnelles
L'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi ou encore avec une légèreté blâmable.
Le caractère exorbitant et infondé des demandes et une analyse subjective des faits ne sauraient suffire à caractériser un abus de droit.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Me [U] [W], Me [B] [M], la SELARL [Y] [W] [P], Me [Z] [Z] et la SCP [Z] [J] de leurs demandes de dommages et intérêts.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Déclare les consorts [L] irrecevables en leur action en réparation d'un préjudice économique ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Condamne in solidum M. [X] [L], Mme [V] [F] épouse [L], Mme [F] [L], Mme [W] [L] et Mme [M] [L] à payer au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
- à Me [U] [W], à Me [B] [M] et à la SELARL [Y] [X] [P] & ASSOCIES ensemble la somme complémentaire de 10 000 €,
- aux sociétés MMA ASSURANCES MUTUELLES et MMA IARD la somme complémentaire de 10 000 €,
- à Me [Z] [Z] et à la SCP [Z] [J] ensemble la somme complémentaire de 10 000 €,
- à la société ALLIANZ IARD la somme de 10 000 € ;
Les condamne in solidum aux dépens ;
Autorise la SCP TUDELA & ASSOCIES et Me BESSY, avocats, à recouvrer directement à leur encontre les dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE