R.G : 16/05398
Décision du
Tribunal de Grande Instance de Saint Etienne
Au fond
du 14 juin 2016
RG : 14/04338
1ère chambre civile
[B]
C/
[Q] NÉE [B]
[W] NÉE [B]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 24 Octobre 2017
APPELANT :
M. [I] [Y] [T] [B]
né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 1](42)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me John CURIOZ, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
INTIMÉES :
Mme [Z] [T] [W] [B] épouse [Q]
née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 1] (42)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Brigitte MANEVAL-PASQUET, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
Mme [N] [C] [T] [B] épouse [W]
née le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 1] (42)
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentée par Me Brigitte MANEVAL-PASQUET, avocat au barreau de SAINT-ETIENNE
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Date de clôture de l'instruction : 02 Mars 2017
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 12 Septembre 2017
Date de mise à disposition : 24 Octobre 2017
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Françoise CARRIER, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Myriam MEUNIER, greffier
A l'audience, Françoise CARRIER a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CARRIER, président, et par Myriam MEUNIER, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
M. [A] [B] est décédé le [Date décès 1] 1995 laissant pour lui succéder son épouse Mme [T] [D] et leurs trois enfants.
Mme [T] [D] veuve [B] est décédée le [Date décès 2] 2012 à [Localité 5], laissant pour lui succéder ses 3 enfants :
- Mme [Z] [B] épouse [Q] ;
- M. [I] [B] ;
- Mme [N] [B] épouse [W].
Par acte authentique reçu le 28 juin 1996 par Me [G], notaire, Mme [D] veuve [B] avait procédé à une donation-partage au profit de ses 3 enfants, leur attribuant des biens en nue-propriété, compensés par des soultes, les droits de chacun s'élevant à 283 570 F.
Par actes des 2 et 5 décembres 2014, M. [I] [B] a fait assigner ses deux soeurs devant le tribunal de grande instance de SAINT-ETIENNE à l'effet de voir ordonner l'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de leur mère et d'obtenir le rapport à la succession de diverses sommes.
Par jugement du 14 juin 2016, le tribunal a :
- ordonné le partage de la succession de Mme [D] veuve [B],
- dit que sa succession s'établissait comme suit :
ACTIF :
* à la Caisse d'épargne, un livret A n°[Compte bancaire 1] d'un montant de 5,90 €,
* au Crédit agricole : un compte chèque n°01903918000 d'un montant de 2 189,87 €, un livret de développement durable d'un montant de 3 140,95 € et un livret épargne logement d'un montant de 8 263,58 €,
* les fermages pour l'année 2012 versés par M. [J], soit 260 €,
PASSIF : les frais funéraires pour un montant de 5 116 €,
soit un actif net de 8 744,30 €, les droits de chacun des enfants s'élevant ainsi à la somme de 2 914,76 €, sous réserve du paiement des dépens de l'instance,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- dit que les dépens seraient tirés en frais privilégiés de partage, avec droit de recouvrement direct au profit de Me MANEVAL PASQUET.
Par acte du 11 juillet 2016, M. [I] [B] a interjeté appel de ce jugement.
Au terme de conclusions notifiées le 21 octobre 2016, il demande à la cour de :
- ordonner qu'il soit procédé aux opérations de comptes, liquidation et partage de l'indivision par Me [E], notaire,
- à défaut, désigner M. le président de la chambre des notaires de la Loire avec faculté de délégation,
- commettre un magistrat pour surveiller les opérations de partage et faire rapport sur l'homologation de la liquidation s'il y a lieu,
- dire que Mme [N] [B] épouse [W] devra rapporter à la succession la somme de 19 786,56 € sans pouvoir y prétendre à aucune part,
- dire que Mme [Z] [B] épouse [Q] et Mme [N] [B] épouse [W] devront rapporter à la succession le montant des primes versées sur le contrat d'assurance-vie Predige n°84501903918730 pour un montant de 68 830,63 €,
- dire que le notaire désigné pourra interroger tout banquier ou tout assureur et plus généralement toute personne sans que l'on puisse lui opposer le secret professionnel,
- dire que le notaire devra notamment rechercher l'existence de donations, dire si elles doivent être rapportées et dire si l'on a tenté de les dissimuler,
- condamner in solidum Mme [Z] [B] épouse [Q] et Mme [N] [B] épouse [W] à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- débouter les intimées de leurs demandes reconventionnelles.
Il fait valoir :
- que la complexité des opérations de partage nécessite qu'un notaire soit désigné,
- que les primes de l'assurance-vie doivent être rapportées à la succession en raison de leur caractère manifestement exagéré au regard du patrimoine transmis d'un montant de 8 744€, des revenus mensuels de la défunte d'un montant de 1 026,56 € et de l'âge de cette dernière, les primes ayant été versées après ses 70 ans et alors qu'elle était sous l'influence de ses filles,
- que ce contrat d'assurance-vie ne visait donc qu'à l'exhéréder ; qu'en effet, il ne présentait aucune utilité pour Mme [D] veuve [B] qui n'en a tiré aucun revenu,
- que le chèque d'un montant de 5 000 € au bénéfice de Mme [N] [B] épouse [W] ne constitue pas un présent d'usage puisque ce montant est disproportionné au regard des revenus de la défunte qui ne percevait qu'une retraite de 1 026,56 € par mois sans autre revenu,
- que ce chèque a été caché puisqu'il n'en a appris l'existence qu'en consultant les relevés bancaires de la défunte,
- que le chèque de 14 786,56 € émis au profit de la société [R] constitue une libéralité au profit de Mme [N] [B] épouse [W] dès lors que cette somme a permis de financer des travaux de ravalement de façade sur le bien dont la nue-propriété a été attribuée à cette dernière et dont la défunte avait l'usufruit, et que par leur ampleur ces travaux étaient à la charge de la nue-propriétaire,
- que la pièce n°23 des intimées doit être écartée, ne répondant pas au formalisme et étant sans intérêt pour le litige.
Au terme de conclusions notifiées le 17 octobre 2016, Mme [Z] [B] épouse [Q] et Mme [N] [B] épouse [W] demandent à la cour de :
- débouter M. [I] [B] de toutes ses demandes,
- confirmer le jugement dont appel,
- à titre subsidiaire, désigner Me [G], notaire, pour procéder aux opérations de partage,
- confirmer le jugement dont appel pour le surplus,
- débouter M. [I] [B] de toutes ses demandes et le condamner à leur payer la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel.
Elles font valoir :
- qu'elles s'en remettent à la sagesse de la cour quant à la nécessité de désigner un notaire pour procéder aux opérations de partage dans cette succession simple et de faible montant et, en cas de désignation d'un notaire, demandent que ce soit Me [G],
- que M. [I] [B] ne démontre pas l'existence d'une disproportion entre le montant des primes d'assurances versées par leur mère et ses facultés, si bien qu'il n'y a pas lieu à rapport à succession, conformément à l'article L132-13 du code des assurances,
- qu'elles n'ont exercé aucune influence sur la défunte et ne se sont pas immiscées dans ses affaires,
- que Mme [D] veuve [B] disposait, outre de ses retraites, de revenus de ses biens immobiliers, des locations immobilières et bénéficiait d'économies sur des comptes bancaires et d'un contrat d'assurance-vie, si bien que le montant de 200 € par mois des primes qu'elle versait n'apparaît pas disproportionné,
- que le chèque d'un montant de 5 000 € reçu par Mme [N] [B] épouse [W] est un cadeau de la défunte pour ses 50 ans qui n'a pas été dissimulé, n'ayant pas à être déclaré au notaire,
- que le chèque d'un montant de 14.786,56 € au profit de la société [R] constitue le paiement des travaux d'embellissement de façades voulus par la défunte pour améliorer son cadre de vie,
- que ces travaux n'ont aucun lien avec ceux ayant fait l'objet d'une déclaration préalable en mairie le 3 mai 2007, qui ont été pris en charge par Mme [J] [W].
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le rapport des primes d'assurance-vie
Selon l'article L.132-13 du code des assurances, les sommes versée par le contractant à titre de primes ne sont pas soumises aux règles du rapport à succession ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant sauf si celles-ci étaient manifestement exagérées eu égard à ses facultés.
L'appréciation du caractère manifestement exagéré des primes s'apprécie au regard de l'âge et des situations patrimoniale et de famille du souscripteur, c'est à dire de sa situation de fortune globale et de l'utilité du contrat d'assurance-vie pour le souscripteur.
Il appartient à l'héritier du contractant qui l'invoque, de rapporter la preuve du caractère manifestement excessif des primes. Celui-ci s'apprécie au moment du versement des primes et non au moment du décès.
En l'espèce, aucun élément n'est fourni sur les dates de versement des primes litigieuses ni sur la provenance des fonds ayant servi à alimenter le contrat d'assurance-vie. S'il est acquis que Mme [T] [B] disposait d'une retraite agricole d'un peu plus de 1 000 € par mois, le fait d'effectuer des versements sur un contrat d'assurance-vie postérieurement à 70 ans n'est pas dépourvu d'utilité compte tenu de l'allongement de la durée de la vie et de l'intérêt financier que constitue ce mode de placement permettant de constituer un capital tout en gardant une disponibilité des fonds par la faculté de rachat.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [I] [B] de sa demande tendant à voir réintégrer à l'actif de la succession les primes versées par Mme [T] [B] sur son contrat d'assurance-vie Prédige postérieurement à ses 70 ans pour un montant de 69 930,63 €.
Sur la demande de rapport de la somme de 14 786,56 €
Selon l'article 843 du code civil, tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement.
Il appartient à celui qui se prévaut d'une donation indirecte de rapporter la preuve de l'intention libérale du disposant.
En l'espèce, par chèque du 3 novembre 2009, Mme [T] [B] a acquitté une facture de la société [R] en date du 19 octobre précédent, d'un montant de 14 786,56 €.
Il ressort de la facture en cause que les travaux étaient des travaux d'embellissement des façades de sa maison d'habitation dont [N] [B] épouse [W] avait reçu la nue propriété par l'acte de donation du 28 juin 1996.
C'est par une exacte analyse des pièces et justificatifs relatifs à l'extension réalisée en 2007 dans l'un des bâtiments par Mme [J] [W] que le premier juge a estimé que les allégations de M. [I] [B] selon lesquelles la somme de 14 786,56 € aurait servi à régler lesdits travaux d'extension étaient sans fondement.
Selon l'article 605 du code civil, l'usufruitier n'est tenu qu'aux réparations d'entretien. Les grosses réparations demeurent à la charge du propriétaire.
L'article 606 répute grosses réparations, celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières, toutes les autres réparations étant d'entretien. La liste des grosses réparations édictée par ce texte est limitative.
Le premier juge a justement retenu que des travaux d'embellissement des façades ne constituent pas des gros travaux incombant au propriétaire au sens de l'article 606 du code civil.
Il n'est pas établi qu'en prenant en charge les travaux litigieux, Mme [T] [B] ait entendu gratifier sa fille à hauteur de la somme de 14 786,56 €. Il résulte au contraire de l'attestation de M. [O] [R] que c'est Mme [T] [B], bien qu'âgée alors de 89 ans, qui avait décidé des travaux 'ayant à coeur d'avoir une belle maison'.
Le jugement déféré sera également confirmé sur ce point.
Sur la demande de rapport d'un chèque de 5 000 €
Selon l'article 843 du code civil, tout héritier venant à une succession doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement. Il ne peut retenir les dons qui lui ont été faits par le défunt à moins qu'il ne lui aient été expressément faits hors part successorale.
Par exception à l'article 843, l'article 852 du code civil dispose que les présents d'usage ne doivent pas être rapportés, sauf volonté contraire du disposant, le caractère de présent d'usage s'appréciant à la date où il a été consenti et compte tenu de la fortune du disposant.
En l'espèce, Mme [T] [B] a établi le 22 novembre 2011 un chèque de 5 000 € au bénéfice de sa fille [N].
Or cette somme correspond à près de 5 mois de revenus de Mme [T] [B]. A la date de son versement, soit un an avant le décès de la donatrice, le patrimoine de cette dernière n'était guère différent de celui constaté à son décès de sorte que la somme de 5 000 € excède les gratifications d'usage pour un anniversaire, même de cinquante ans, et doit donner lieu à rapport.
Selon l'article 778 du code civil, l'héritier qui a recelé une donation rapportable doit rapport de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part. Le recel successoral peut résulter de tout procédé tendant à frustrer les cohéritiers d'une bien de la succession, le recel existe dès lors que sont établis des faits matériels manifestant l'intention de porter atteinte à l'égalité du partage.
Il appartient à celui qui invoque le recel de caractériser une intention frauduleuse du donataire.
En l'espèce, il n'est pas établi que Mme [N] [B] épouse [W] ait été sommée de déclarer les donations dont elle avait bénéficié et qu'elle ait délibérément cherché à dissimuler à ses cohéritiers en vue de la faire échapper au partage la somme de 5 000 € de sorte que le recel successoral n'est pas établi.
Il convient en conséquence de réintégrer à l'actif de la succession la somme de 5 000 € et de dire que cette somme s'imputera apar priorité sur la réserve, la partie excédant la réserve devant donner lieu à réduction.
Sur la désignation d'un notaire
Selon l'article 1364 du code de procédure civile, si la complexité des opérations le justifie, le tribunal désigne un notaire pour procéder aux opérations de partage et commet un juge pour surveiller les opérations. Le notaire est choisi par les copartageants et, à défaut d'accord, par le tribunal.
Selon les articles 1365 et suivant du code de procédure civile, le notaire commis convoque les parties et demande la production de tout document utile à l'accomplissement de sa mission qui est d'établir un projet d'état liquidatif contenant notamment les comptes entre les copartageants de sorte qu'il n'entre pas dans sa mission de mener une enquête sur les avoirs passés du défunt afin de rechercher l'existence d'éventuelles donations mais seulement d'établir un acte de partage à partir des éléments qui lui sont fournis.
En l'espèce, la consistance de la succession, composée exclusivement de comptes bancaires, ne justifie pas la désignation d'un notaire. Aucune opération complexe n'est d'autre part requise et la recherche d'éventuelles donations occultes ne saurait justifier une telle désignation.
Il convient en conséquence d'établir ainsi qu'il suit les droits de chacun des héritiers :
l'actif net de la succession s'établit à : 5,90 € + 2 189,87 € + 3 140,95 € + 8 263,58 € + 260€ + 5 000 € = 18 860,30 € - 5 116 € = 13 744,30 €,
La donation dont a bénéficié Mme [N] [B] épouse [W] s'impute par priorité sur la réserve. En application de l'article 913 du code civil, la réserve pour trois enfants ou plus est de un quart soit en l'espèce 13 744,30 € / 4 = 3 436 €. Il en résulte que la donation de 5 000 € excède la réserve et qu'elle doit être réduite à ce montant, le solde de 1 563,93 € étant réintégré dans la masse à partager.
Le solde à partager par tiers s'établit en conséquence à 13 744,30 € - 3 436 € = 10 308,30€ de sorte que la part de M. [I] [B] et de Mme [Z] [B] épouse [Q] dans la succession de Mme [T] [D] veuve [B] s'établit à la somme de 10 308,30 € / 3 soit 3 436,10 € chacun et ceux de Mme [N] [B] épouse [W] à 3 436 € + 3 436,10 € = 6 872,10 €.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a ordonné le partage de la succession de Mme [D] veuve [B] et dit que les frais seraient tirés en frais privilégiés de partage ;
Le réforme pour le surplus,
Statuant à nouveau,
Dit n'y avoir lieu à désignation d'un notaire, et à commise d'un magistrat,
Dit que Mme [N] [B] épouse [W] doit rapporter à la succession la somme de 5 000 € ;
Dit que cette somme s'impute par priorité sur la réserve correspondant à 1/4 de l'actif successoral soit la somme de 3 436 € ;
Fixe ainsi la part de chacun des héritiers dans la succession de Mme [T] [D] veuve [B] :
* M [I] [B] : 3 436,10 €
* Mme [Z] [B] épouse [Q] :3 436,10 €
* Mme [N] [B] épouse [W] : 6 872,10 € ;
Déboute M. [I] [B] du surplus de ses demandes ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Dit que les dépens d'appel seront tirés en frais privilégiés de partage.
LE GREFFIERLA PRÉSIDENTE