R.G : 08/00607
Décision du
Tribunal de Grande Instance de LYON
Au fond
du 21 janvier 2008
RG : 2006/7208
ch n°4
RESAMUT (ORGANISME GESTIONNAIRE DE LA CLINIQUE [Établissement 1])
C/
[P]
[P]
Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE [Localité 1]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 09 Mai 2017
APPELANTE :
Le réseau de Santé Mutualiste 'RESAMUT', relevant du code de la Mutualité, Organisme gestionnaire de la 'Clinique [Établissement 1]'
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocats au barreau de LYON
Assisté de la SCP CONSTRUCTIV'AVOCATS, avocats au barreau de LYON
INTIMES :
M. [X] [P] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur légal de la personne et des biens de ses enfants mineurs, [Z] et [T].
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Maître Agnès BOUQUIN, avocat au barreau de LYON
M. [A] [P] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'administrateur légal de la personne et des biens de ses enfants mineurs, [Z] et [T], et en qualité de tutrice de [K] [P] désignée par jugement du juge des tutelles du 29 juillet 2015
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Maître Agnès BOUQUIN, avocat au barreau de LYON
M. [K] [P], représenté par Mme [A] [P], en qualité de tutrice désignée par jugement du juge des tutelles du 29 juillet 2015
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Maître Agnès BOUQUIN, avocat au barreau de LYON
La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE [Localité 1], représentée par son Directeur en exercice, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Maître Yves PHILIP DE LABORIE, avocat au barreau de LYON
Date de clôture de l'instruction : 03 Novembre 2016
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 13 Mars 2017
Date de mise à disposition : 09 Mai 2017
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Françoise CARRIER, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Fabrice GARNIER, greffier
A l'audience, Marie-Pierre GUIGUE a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Françoise CARRIER, président, et par Leïla KASMI, greffier placé, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
****
EXPOSÉ DE L'AFFAIRE
M. [X] [P] et Mme [A] [Y] épouse [P] ont eu un premier enfant, [K] [P], né le [Date naissance 1] 1996.
Au cours de sa grossesse qui s'est déroulée sans difficulté particulière, Mme [P] a été suivie par le Dr [F], gynécologue-accoucheur à la clinique maternité [Établissement 1] à [Localité 2].
Rapidement après la naissance, il est apparu que [K] [P] était atteint d'un handicap.
Par acte du 7 septembre 2001, M. et Mme [P] ont assigné en référé la clinique maternité [Établissement 1] et le Dr [F] afin de voir ordonner une expertise pour évaluer le préjudice de leur enfant, [K] [P], et d'en déterminer la cause.
Par ordonnance du 13 novembre 2001, le président du tribunal de grande instance de Lyon a ordonné l'expertise et désigné le Dr [W] en qualité d'expert.
Le 16 juillet 2002, le Dr [W], assisté à sa demande par le Dr [O], pédiatre sapiteur, a déposé son rapport d'expertise dans lequel il conclut que :
- 'la reconnaissance et la fiabilité du diagnostic pré-natal de l'holoprosencéphalie et de la microcrânie associée pouvaient être affirmées pendant la période pré-natale',
- 'l'absence de diagnostic constitue une faute ou négligence suivant les données acquises de la science médicale de 1996",
- 'compte-tenu de la gravité d'un tel diagnostic et des conséquences que cette malformation majeure impliquait, la proposition d'une interruption médicale de grossesse aurait pu être légitimement avancée et/ou demandée et acceptée'.
Il estime :
- l'incapacité temporaire totale à 26 jours ;
- l'incapacité permanente partielle à 80% ;
- le pretium doloris à 3/7 ;
- le préjudice esthétique à 5/7 ;
- le préjudice d'agrément à 5/7 ;
- comme nécessaire le placement en centre spécialisé pendant la journée ainsi que l'aide d'une tierce personne au domicile.
Il précise que l'état de [K] [P] est susceptible de modification dans l'avenir.
Par acte du 9 août 2005, M. et Mme [P] ont assigné en référé la clinique maternité [Établissement 1] afin d'obtenir sa condamnation à payer :
- la somme de 30 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral ;
- celle de 10 000 euros à [Z] [P], frère de [K] né le [Date naissance 2] 1999, au titre de son préjudice moral ;
- celle de 60 000 euros à Mme [Y] épouse [P] au titre de son préjudice professionnel ;
- celle de 2 975,30 euros au titre des frais exposés ;
- celle de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance de référé du 13 novembre 2005, le président du tribunal de grande instance de Lyon a :
- mis hors de cause la clinique maternité [Établissement 1], dénuée de toute personnalité juridique ;
- donné acte à la Mutualité du Rhône de son intervention volontaire ;
- dit n'y avoir lieu à référé et renvoyé les demandeurs à se pourvoir au fond.
Par acte du 30 mars 2006, M. et Mme [P] ont assigné en référé la Mutualité du Rhône afin d'obtenir sa condamnation à leur verser la somme de 500 000 euros à titre de provision sur l'indemnisation du préjudice subi par eux-mêmes et par leur enfant [K] [P], ainsi qu'une expertise confiée à un collège d'experts comprenant un architecte spécialisé en accessibilité, un ergothérapeute et un infirmier aux fins qu'il dresse un rapport quant aux travaux à mettre en oeuvre pour adapter leur domicile aux conditions de vie de leur fils.
Par ordonnance du 16 mai 2006, le président du tribunal de grande instance a donné acte à M. et Mme [P] de leur désistement d'instance.
Par acte des 2 et 3 mai 2006, M. et Mme [P] ont assigné la Mutualité du Rhône et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie [Localité 3] afin de voir engager la responsabilité de la Mutualité du Rhône et d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice et de celui de leurs enfants. Ils ont demandé que :
- la Mutualité du Rhône soit déclarée responsable du dommage qui leur a été causé personnellement ainsi qu'à leur fils [K] [P] et leurs deux autres enfants et soit condamnée à leur payer :
- en réparation du préjudice subi par M. [K] [P] :
- la somme de 320 000 euros au titre de l'IPP évaluée à 80% ;
- celle de 627 80 euros au titre de la tierce personne ;
- celle de 216 000 euros au titre de l'ITT ;
- 20 000 euros au titre du pretium doloris ;
- 40 000 euros au titre du préjudice esthétique ;
- 50 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;
- soit un total de 1 273 840 euros ;
- en réparation de leur préjudice personnel :
- la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral ;
- celle de 864 480 euros au titre de la tierce personne ;
- celle de 55 847 euros au titre du préjudice d'agrément ;
- en réparation du préjudice de leur enfants, [Z] et [T] [P], la somme de 20 000 euros ;
- la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 21 janvier 2008, le tribunal de grande instance de Lyon a :
- donné acte à la RESAMUT de son intervention volontaire en place de la Mutualité du Rhône ;
- déclaré la RESAMUT responsable des préjudices subis par M. [K] [P] sur le fondement de l'article 1147 du code civil ;
- condamné la RESAMUT à payer à M. et Mme [P] en leur qualité de représentants légaux de leur fils, M. [K] [P], la somme de 887 907,92 euros, outre intérêts de droit à compter du même jour ;
- donné acte aux demandeurs de leurs réserves pour l'avenir ;
- condamné la RESAMUT à payer à M. et Mme [P], outre intérêts de droit à compter du même jour :
- la somme de 15 000 euros à chacun en réparation de leur préjudice moral ;
- celle de 55 847 euros pour les frais de véhicule adapté ;
- ordonné l'exécution provisoire ;
- débouté M. [P] et Mme [Y] épouse [P] de leurs demandes supplémentaires ;
- condamné la RESAMUT à payer à la CPAM [Localité 3] la somme de 145 933,40 euros au titre du remboursement de ses prestations ;
- débouté la CPAM du surplus de sa demande ;
- condamné la RESAMUT à payer, outre les dépens :
' à M. et Mme [P], à titre perosnnel et en leur qualité de représentant de leur fils, Monsieur [K] [P], la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
' à la CPAM [Localité 3] celle de 750 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
La RESAMUT a saisi le premier président de la cour d'appel de Lyon afin d'obtenir la suspension de l'exécution provisoire du jugement, et à titre subsidiaire, la consignation des sommes dues, au regard du risque d'insolvabilité de M. et Mme [P].
Par ordonnance en référé du 31 mars 2008, le premier président de la cour d'appel de Lyon a fait droit à la demande de consignation des sommes dues par la RESAMUT à hauteur de 917 907,92 euros, la somme restante, soit 55 847 euros, étant affectée à l'achat d'un véhicule adapté et devant être versée sous 30 jours à M. [P] et Mme [Y] épouse [P].
Par déclaration au greffe de la cour le 31 janvier 2008, la RESAMUT, intervenue volontairement en lieu et place de la Mutualité du Rhône, a relevé appel du jugement.
Par arrêt avant-dire droit du 30 avril 2009, la cour d'appel de Lyon a ordonné une contre-expertise confiée à un collège d'experts.
Après refus et remplacements successifs des experts désignés, le professeur [B], qui s'était adjoint un sapiteur, le docteur [H], n'a pu établir qu'un pré-rapport.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 26 mai 2016, l'organisme Réseau de santé mutualiste dit RESAMUT demande à la cour de réformer le jugement, de dire que les époux [P], tant en leur nom personnel qu'es qualité n'apportent pas la preuve de l'existence d'une faute susceptible d'entraîner indemnisation, de rejeter leurs demandes et de les condamner in solidum au paiement d'une indemnité de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Il fait valoir :
- qu'il existe une différence d'appréciation entre les constatations des médecins de l'hôpital [Établissement 2], du CAMSP et les propos des experts dans la première expertise sur le comportement de l'enfant [K], présenté comme grabataire,
- que les experts désignés dans la première expertise ont réalisé leur mission sans disposer des échographies pendant la grossesse que Mme [P] affirme n'avoir pas reçu alors qu'il était d'usage de les remettre au patient avec un compte-rendu,
- qu'ils n'ont pas utilisé le dossier de surveillance de la clinique qui leur avait été remis et sur lequel les principales données échographiques sont reprises,
- qu'ils n'ont fourni aucun élément sur l'importance de la malformation cérébrale alors qu'un scanner et IRM sont visés dans les pièces communiquées,
- que les experts ont payé un lourd tribu à l'erreur en précisant que le diagnostif anténatal de la malformation qu'ils ont relevée pouvait être fait dès la douzième semaine,
- que ce premier rapport est critiquable à la lumière des conclusions établies sur pièces mais étayées par des références bibliographiques à la différence du rapport d'expertise judiciaire, établi par les docteurs [V] et [D], à la demande de RESAMUT,
- que les informations figurant dans le dossier de surveillance de la grossesse attestent d'un suivi régulier par le docteur [F] qui avait décelé un retard de croissance intra-utérin,
- que la pratique usuelle de l'échographie obstétricale par le docteur [F], soit 900 à 1000 échographies annuelles, répondait aux exigences du dépistage en vigueur en 1995/96,
- qu'il ne peut être reproché au docteur [F] de ne pas avoir reconnu le diagnostic d'holoprosencéphalie, qui n'était pas possible en 1996 compte tenu de la forme relativement atténuée présentée par l'enfant selon les pièces du dossier, forme semi-lobaire ou lobaire, et relève d'une extrême rareté de cette affection, alors que seule la forme lobaire est décelable à l'échographie du premier trimestre, étant relevé que le premier rapport d'expertise judiciaire n'évoque pas même ces trois formes de microcéphalie et ne formule aucune référence bibliographique,
- qu'il n'existe dans le rapport aucune discussion sur la connaissance et la fiabilité des imageries en 1996 alors que le rapport du professeur [B] conforte la position de RESAMUT en indiquant qu'il n'y avait pas en 1996 de documentation pédagogique et encore moins de recommandation professionnelle en particulier en langue française pouvant permettre le diagnostic prénatal de l'holoprosencéphalie dans sa forme lobaire et très peu pour les formes semi-lobaires,
- que le professeur [B] confirme que les données de l'imagerie post-natale de l'enfant ne retrouvent aucune anomalie cérébrale pouvant être diagnostiquée raisonnablement par l'échographie anténatale en 1996,
- qu'il conclut ainsi qu'en l'absence d'antécédent familial ou d'anomalie cérébrale suspectée à l'échographie, les mesures petites pour le terme à la fois pour le diamètre bipariétal ou le diamètre abdominal n'orientaient pas vers le diagnostic de microcéphalie,
- qu'ainsi, aucune faute médicale n'est démontrée à l'encontre du docteur [F],
- qu'il est indifférent de savoir si le dossier médical aurait pu ou non être produit aux opérations d'expertise dans la mesure où ce dossier n'aurait rien apporté au regard de l'analyse des règles professionnelles et des standards applicable à l'époque des faits,
- qu'à titre subsidiaire, il ne s'agirait que d'un défaut de diagnostic non fautif puisque l'attention du docteur [F] n'a pas été attirée par un élément caractéristique d'une affection grave qui aurait alors nécessité un examen par IRM peu utilisé à l'époque, avec un pourcentage de diagnostic fiable très limité,
- que les conséquences pour les époux [P] ne pourraient s'analyser qu'en une perte de chance de pouvoir déceler l'affection et partant, de pouvoir exercer leur choix d'interrompre la grossesse et non sur une indemnisation totale de leur préjudice découlant du handicap,
- que les experts ont estimé que l'état de la victime devait être revu à l'âge de la majorité de sorte que les demandes d'indemnités provisionnelles doivent être appréciées concernant le préjudice de [K] avec modération pour tenir compte d'éventuelles améliorations de l'enfant capable de compréhension et de communication selon les rapports établis à l'âge de quatre ans,
- que le poste tierce-personne fait doublon avec la demande présentée par Mme [P] de ce chef et doit être apprécié en tenant compte du régime de prévoyance de M. [P] employé de la Communauté Urbaine [Localité 3] ainsi que des aides du régime de droit commun concernant Mme [P] qu'il leur appartiendra de justifier, sauf pour la cour à surseoir à statuer,
- que les autres postes doivent être réservés même à titre provisionnels,
- que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a réservé les postes du préjudice économique et des soins à domicile.
Dans leurs dernières conclusions en date du 22 octobre 2015, Mme [P] agissant en qualité de tutrice de M. [K] [P] devenu majeur désignée à cette fonction par jugement du 29 juillet 2015, M. et Mme [P] en leur nom personnel, M. [Z] [P] et Melle [T] [P] concluent à la réformation partielle du jugement dont appel et demandent à la cour de :
- à titre principal, condamner la RESAMUT à leur payer :
- en leur qualité d'administrateurs des biens de M. [K] [P] la somme de 1 831 140 euros ;
- à titre personnel, la somme de 155 847 euros ;
- en leur qualité d'administrateurs des biens de [Z] et [T] [P], la somme de 20 000 euros ;
- à titre subsidiaire, si l'indemnisation au titre de la tierce personne n'était pas reconnue à M. [K] [P] depuis sa naissance, condamner la RESAMUT à payer à Mme [Y] épouse [P] la somme de 864 480 euros au titre du préjudice économique personnel subi depuis la naissance de [K] [P] à son 9ème anniversaire ;
- en tout état de cause, condamner la RESAMUT à leur payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens comprenant les frais d'expertise et les frais d'huissier.
Ils font valoir :
- que l'avis médical du docteur [V] repose sur la connaissance de données intimes couvertes par le secret médical, qui n'a pas été levé par M. et Mme [P], et doit donc être écarté des débats,
- que la seconde expertise judiciaire du professeur [B] n'a pu aboutir puisque l'expert a estimé ne pas pouvoir se prononcer sans avoir connaissance des échographies et en a fait reproche à Mme [P] alors que ces documents n'ont jamais été en sa possession ainsi qu'elle l'avait indiqué lors de la première expertise et que l'expert avait alors noté que le docteur [F] disait lui faire parvenir, ce qu'il n'a jamais fait, que les pièces complémentaires sollicitées auprès des Hospices civils [Localité 3] n'ont pu davantage être obtenues de sorte que l'affaire revient en l'état,
- que tant les parents que l'enfant né handicapé peuvent demander réparation du préjudice résultant du handicap en relation de causalité avec la faute commise par le médecin dans l'exécution du contrat formé avec sa mère et qui ont empêchée celle-ci d'exercer son choix d'interrompre la grossesse,
- que les experts judiciaires ont conclu de manière catégorique que l'holoprosencéphalie et la microcrânie associée pouvaient être décelées pendant la période prénatale et que l'absence de diagnostic constituait une faute ou une négligence selon les données acquises de la science en 1996, que compte tenu de la gravité du diagnostic et des conséquences que cette malformation majeure entraînait, la proposition d'une interruption médicale de grossesse aurait pu légitimement être demandée et acceptée,
- que les experts soulignent en particulier que la constatation d'un petit crâne à l'échographie aurait dû faire rechercher très attentivement l'éventualité d'une malformation cérébrale intracrânienne sous-jacente, la microcrânie étant induite par la microcéphalie,
- qu'il en résulte la caractérisation de la faute du docteur [F] qui aurait pu faire un diagnostic dès la première échographie du 3ème mois et, à supposer que le médecin ait eu un doute sur l'holoprosencéphalie alors que les experts sont affirmatifs quant aux capacité de diagnostic des appareils en 1996, aurait dû réaliser des investigations complémentaires et spécialisées en constatant un petit crâne dès le 3ème mois,
- que la non-communication du dossier médical obligatoirement tenu par Resamut contrairement à son engagement devant les premiers experts la rend défaillante dans l'administration de la preuve de sorte qu'elle ne peut tirer argument de son propre refus et opposer à Mme[P] qu'elle ne rapporterait pas la preuve,
- que le document intitulé pré-rapport adressé par la professeur [B] ne peut valoir contre-expertise puisqu'il ne contient aucune analyse du travail des premiers experts et se contente d'affirmations péremptoires,
- que dans le premier rapport, les experts ont déjà répondu aux dires de Resamut en les réfutant, qu'ils ont bien précisé conclure par rapport aux données médicales acquises de la science en 1996,
- qu'ils se réservent de chiffrer définitivement le préjudice lorsqu'aura été tranchée la question de la responsabilité, la situation de [K] étant évolutive,
- qu'ils modifient la présentation de leurs demandes au titre de la tierce personne en demandant à titre principal qu'elle soit versée au titre de l'enfant depuis sa naissance, sur la base d'une assistance 24 h/24 soit 78 480 euros par an jusqu'à la majorité représentant une indemnité de 1 412 640 euros,
- qu'à titre subsidiaire, il y aurait lieu de fixer le préjudice économique de Mme [P] à la somme de 864 480 euros correspondant à l'équivalence du service rendu au titre de l'assistance permanente de son enfant.
Dans ses dernières conclusions en date du 14 juin 2016, la CPAM du Rhône conclut à la confirmation du jugement dont appel et demande à la cour de :
- condamner la RESAMUT à lui payer :
- la somme de 962 865,99 euros au titre des prestations de service ;
- celle de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire ;
- celle 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;
- lui donner acte de ses réserves sur le montant des débours non chiffrés à ce jour ou à venir en lien avec la faute commise par la RESAMUT.
Elle soutient :
- qu'il résulte du premier rapport d'expertise qu'une faute a bien été commise résultant de l'absence de diagnostic,
- que dans la mesure où l'enfant [K] n'est pas consolidé, elle sollicite le remboursement des prestations servies à ce jour imputées sur le poste dépenses de santé actuelles.
Les consorts [P] n'ont pas déposé de dossier de pièces devant la cour.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l'avis médical du docteur [V]
Les consorts [P] font valoir que cet avis médical sur pièces rédigé par le docteur [V], versé au débat par la RESAMUT, a été obtenu sur la bases de pièces médicales intimes sans que soit sollicité l'accord des parents, en violation du secret médical.
Selon l'article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.
Aux termes de l'article L.1110-4 du code de la santé publique :
' Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s'impose à tout professionnel de santé, ainsi qu'à tous les professionnels intervenant dans le système de santé (').
Le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000 € d'amende (')".
Aux termes de l'article R.417-4 du même code, 'Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris'.
L'avis médical du docteur [V] en date du 9 décembre 2006 a été établi sur pièces, visées en page 1, constituées du dossier médical de grossesse et d'accouchement de Mme [P], ainsi que de documents concernant l'état de santé de l'enfant entre janvier 1997 et juillet 2002.
Ces pièces, dont la communication préalable n'a pas été autorisée par M. et Mme [P] pour eux-même ou leur enfant, relèvent de l'intimité de la vie privée et procèdent d'une divulgation d'informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé ou de l'établissement de santé, hors le cas de l'expertise judiciaire.
Cet avis médical, obtenu sans l'accord ou l'absence d'opposition des intéressés à la levée du secret médical, ne constitue pas un mode de preuve valable et doit être écarté du débat.
Les articles bibliographiques annexés à l'avis médical constituent des éléments d'appréciation règulièrement soumis au débat et sont recevables.
Au fond
Le rapport d'expertise judiciaire contradictoire des docteurs [W] et [O] du 16 juillet 2002 conclut que la reconnaissance et la fiabilité du diagnostic pré-natal de l'holoprosencéphalie et de la microcrânie associée pouvaient être affirmées pendant la période pré-natale et que l'absence de diagnostic constitue une faute ou négligence suivant les données acquises de la science médicale de 1996.
Toutefois, ce rapport, s'il renferme une affirmation catégorique concernant la fiabilité du diagnostic prénatal de la malformation subie par M. [K] [P] et l'absence de diagnostic constitutive d'une faute ou négligence suivant les données acquises de la science médicale de 1996, ne contient rigoureusement aucune argumentation ni documentation sur la possibilité d'un tel diagnostic en échographie à l'époque de la grossesse de Mme [P]. Les explorations neurologiques et leurs résultats, s'agissant des examens radiologiques réalisés sur l'enfant après l'âge de sept mois, ne sont pas examinées par le pédiatre [O] alors que les pièces ont bien été communiquées à l'expert, ainsi qu'il ressort en page 2 du rapport, Scanner TDM du 14 janvier 1997 et IRM dy 7 février 1997. Ces éléments non analysés sont cruciaux dans la détermination de l'anomalie présentée par l'enfant qui n'a été recherchée que sept mois après sa naissance avec une difficulté de diagnostic puisque les examens cités ont conclu à une forme lobaire ou semi-lobaire de cette anomalie malformative d'une grande rareté.
Il est, en effet, acquis tant par l'expertise judiciaire que par la contre-expertise que le diagnostic porté chez l'enfant [K], en 1997, à l'âge de sept mois, est celui d'une holoprosencéphalie de forme lobaire en janvier 1997, corrigé en forme semi-lobaire en février de la même année à la suite des examens radiologiques réalisés à l'hôpital [Établissement 2] des Hospices civils [Localité 3].
La forme alobaire de l'holoprosencéphalie n'a pas été évoquée.
S'il n'existe dans le dossier aucune imagerie foetale disponible pour revue ou expertise, en raison du désaccord entre Mme [P] qui déclare n'avoir jamais été en possession des clichés et le Docteur [F] qui déclarait dans la première expertise les avoir donnés à la patiente, il convient de relever que les consorts [P] n'ont pas formé de demande devant le magistrat compétent dans le cadre de la première expertise et devant la cour pour obtenir ces documents. De même, le sapiteur du professeur [B] n'a pu examiner les examens radiographiques du dossier médical de l'enfant après sa naissance, qui n'ont pas été produits dans le cadre de la contre-expertise ordonnée par la cour et n'ont pas l'objet d'un incident visant à l'obtention de pièces par le tiers auquel la communication du dossier médical pouvait être demandée.
Il résulte cependant du pré-rapport établi par le Professeur [B] dans le cadre de la contre-expertise ordonnée par la cour que si ce diagnostic est effectivement celui d'une holoprosencéphalie lobaire et même semi-lobaire, ce diagnostic à la connaissance de l'expert a été porté par échographie anténatale pour la première fois seulement en 1994 et par l'un des meilleur spécialistes, le Dr GL [T]. [[T] G, Ambrosetto P, Sandri F, Tani G, Perolo A, Grisolla G, Ancora G. lntravéntricular fused fornices: a specific sign of fatal lobar holoprosencephaly. UltrasoundObstetGynecol. 1994 Jan 1;4(1):65-7].
Il souligne également qu'il n'existait pas en 1996 de documentation pédagogique ni encore moins de recommandation professionnelle, en particulier en langue française, pouvant permettre le diagnostic prénatal de l'holoprosencéphalie dans sa forme lobaire et très peu pour les formes semi-lobaires, seules les formes plus spectaculaires, principalement alobaires étant décrites dans la littérature médicale, en particulier de langue française. [Parant O, Sarramon MF, Delisle MB, FourniéA.Prenataldiagnosis of holoprosencephaly. A sertes of twelve casesJ.J GynecolObstetBiolReprod (Paris). 1997;26(7):687-96.]
Il précise que des éléments permettant d'améliorer cette performance diagnostique n'ont été apportées qu'au début des années 2000, mais que ce diagnostic reste encore aujourd'hui très difficile pour les formes lobaires en particulier.[Bernard JP, Drummond CL, Zaarour P, Molho M, Ville Y. A new clue to the prenatal diagnosis of lobar holoprosencephaly: the abnormal pathway of the anterior cerebral artery crawling under the skull. Ultrasound Obstet Gynecol. 2002 Jun;19(6):605-7.]
Il conclut que les données de l'imagerie postnatale de l'enfant, telles qu'elles apparaissent dans les faits du dossier, ne retrouvent aucune anomalie cérébrale pouvant être diagnostiquée raisonnablement par échographie anténatale en 1996.
Par ailleurs, il est acquis que lors de son dernier examen échographique à 36 semaines, l'hypotrophie portait autant sur les paramètres céphaliques qu'abdominaux et suggérait donc un retard de croissance global, nécessitant une surveillance de la grossesse à laquelle Mme [P] a accepté de se soumettre et non une suspicion de diagnostic de microcéphalie.
Sur ce point, l'expert relève qu'en l'absence d'antécédent familial ou d'anomalie cérébrale suspectée à l'échographie, les mesures petites pour le terme à la fois pour le diamètre bipariétal et le diamètre abdominal n'orientaient pas vers le diagnostic de microcéphalie, citant : [T] G, Falco P, Ferolo A, Bovicelli L. Prenatal diagnosis of microcephaly assisted by vaginal sonography and power Doppler. Ultrasound ObstetGynecoll 998;11:357-60.
Cette question est confirmée, selon l'expert, par les données de l'imagerie postnatale, biométries notées dans le dossier et reportées sur des courbes pour l'expertise, établissant 'que cette forme d'holoprosencéphalie ne s'accompagnait pas d'une agénésie complète du corps calleux, diagnostic qui était encore très difficile à faire en 1996 et encore plus dans une forme incomplète'.
Cet avis motivé contredit sérieusement l'affirmation du premier rapport d'expertise judiciaire, non étayée par la bibliographie médicale, selon laquelle la constatation d'un petit crâne aurait dû faire rechercher l'éventualité d'une malformation cérébrale intra-cranienne. Sur ce point, la cour relève que le rapport d'expertise judiciaire contradictoire des docteurs [W] et [O] du 16 juillet 2002 ne précise pas quelles investigations étaient réalisables en 1996 pendant la grossesse de Mme [P] alors que la faute reprochée au médecin résulte de l'absence de diagnostic anténatal.
L'expert désigné par la cour dans le cadre de la contre-expertise conclut ainsi, après discussion reposant sur des éléments bibliographiques, que le diagnostic prénatal d'holoprosencéphalie lobaire ni même semi-lobaire, s'agissant d'une malformation isolée d'une grande rareté, ne pouvait raisonnablement pas être attendu d'aucun échographiste d'une compétence attendue pour le dépistage prénatal des malformations majeures en 1996.
Il découle de ce qui précède que les consorts [P] ne rapportent pas la preuve d'une faute médicale résultant d'une absence de diagnostic anténatal de la malformation présentée par [K] [P], pas plus que d'un défaut de diligences au titre des investigations complémentaires anténatales.
Mme [P] agissant en qualité de tutrice de M. [K] [P] devenu majeur désignée à cette fonction par jugement du 29 juillet 2015, M. et Mme [P] en leur nom personnel, M. [Z] [P] et Melle [T] [P] doivent être déboutés de leurs demandes en responsabilité et indemnisation à l'encontre de l'organisme Réseau de Santé mutualiste Resamut.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie [Localité 3] doit être déboutée de son recours subrogatoire.
L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
Mme [P] agissant en qualité de tutrice de M. [K] [P] devenu majeur désignée à cette fonction par jugement du 29 juillet 2015, M. et Mme [P] en leur nom personnel, M. [Z] [P] et Melle [T] [P], parties succombant à titre principal, supportent les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Déclare irrecevable en tant que mode de preuve l'avis médical sur pièces rédigé par le docteur [V], versé au débat par la Resamut,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Déboute Mme [P] agissant en qualité de tutrice de M. [K] [P] devenu majeur désignée à cette fonction par jugement du 29 juillet 2015, M. et Mme [P] en leur nom personnel, M. [Z] [P] et Melle [T] [P] de leurs demandes en responsabilité et indemnisation à l'encontre de l'organisme Réseau de Santé mutualiste Resamut,
Déboute la Caisse Primaire d'Assurance Maladie [Localité 3] de son recours subrogatoire,
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes des parties,
Condamne Mme [P] agissant en qualité de tutrice de M. [K] [P] devenu majeur désignée à cette fonction par jugement du 29 juillet 2015, M. et Mme [P] en leur nom personnel, M. [Z] [P] et Melle [T] [P] aux dépens de première instance et d'appel, ces derniers qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE