R.G : 15/01237
Décision du
Tribunal de Grande Instance de VALENCE
Au fond
du 19 mai 2011
RG : 2006/02190
ch n°
[M]
[M]
C/
[D]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 22 Mars 2016
APPELANTS :
Mme [I] [M]
née le [Date naissance 1] 1953 à ALGERIE
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représentée par la SELARL DAVID LAURAND ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
Assistée de Me Vincent BARD, avocat au barreau de VALENCE
M. [W] [M]
né le [Date naissance 2] 1947 à ALGERIE
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représentée par la SELARL DAVID LAURAND ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
Assistée de Me Vincent BARD, avocat au barreau de VALENCE
INTIME :
M. [E] [D]
né le [Date naissance 3] 1947 à [Localité 1]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON
Assisté de Me Frédéric FORGUES, avocat au barreau de PARIS
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Date de clôture de l'instruction : 26 Janvier 2016
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 23 Février 2016
Date de mise à disposition : 22 Mars 2016
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Emanuela MAUREL, greffier
A l'audience, Michel FICAGNA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Emanuela MAUREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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EXPOSE DE L'AFFAIRE
[J] [Z], décédée à l'âge de 83 ans le 27 octobre 2005, était propriétaire de deux biens immobiliers :
- une maison d'habitation située au [Adresse 4], donnée à bail aux époux [W] et [I] [M] ,
- une maison d'habitation et un garage, constituant les lots 1et 2 d'une copropriété, situés au n° 4 de la même impasse, cadastrée AT [Cadastre 1].
Par acte du 14 décembre 2001, [J] [Z] a vendu à M.[W] et Mme [I] [M] la maison d'habitation située au n° 6, qu'ils occupaient en qualité de locataires, ainsi que le garage garage constituant le lot 1 de la copropriété cadastrée AT [Cadastre 1], située au n°4.
Aux termes de cette vente, les acquéreurs ont souscrit à l'égard de la venderesse une obligation de soins d'une durée de 7h15 par semaine.
Par acte du 4 juin 2004, [J] [Z] a vendu en viager occupé à M. et Mme [M] le lot 2 de l'immeuble en copropriété constituant son logement, aux conditions suivantes:
- évaluation du bien : 120'000 €
- évaluation du droit d'habitation
de la venderesse: - 24 000 €
- solde correspondant au prix de vente : = 96'000'€ converti en une rente viagère d'un montant de 610 € par mois
- prise en charge des factures de Mme [Z] à hauteur de 160'€ par mois.
Mais par acte sous seing privé du 6 juin 2004, [J] [Z] a déclaré autoriser M. et Mme [M] à résider au [Adresse 2], à compter du 31 août 2004 «' sans limite de temps sans aucune autre contre-partie ni tout autre forme de dédommagements déjà souscrite dans la vente en viager signée précédemment».
M. [E] [D], héritier de [J] [Z] a par acte du 23 mai 2006, assigné M. et Mme [M] devant le tribunal de grande instance de Valence aux fins d'annulation de l'acte de vente du 4 juin 2004.
Par jugement avant-dire droit du 20 décembre 2007, le tribunal de grande instance a ordonné une expertise confiée à Mme [V], laquelle a déterminée la valeur du bien à 240'000'€ et sa valeur locative mensuelle à 713,83 € .
Par jugement du 19 mai 2011, le tribunal de grande instance de Valence a prononcé la nullité de la vente, dit que le jugement vaudra titre de propriété, condamné M. et Mme [M] à payer à M. [D] la somme de 42'349,60'€ avec intérêts au taux légal à compter du jugement au titre de la perte de loyers.
M. et Mme [M] ont relevé appel de ce jugement.
Par arrêt du 15 octobre 2013, la cour d'appel de Grenoble a infirmé le jugement déféré et statuant de nouveau, a débouté M. [D] de ses demandes et déclaré valable l'acte de vente.
Mais sur pourvoi de M.[D], la Cour de cassation 3 ème chambre civile par arrêt du 21 janvier 2015, a cassé l'arrêt et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.
La Cour de cassation a jugé qu'en statuant ainsi qu'elle l'avait fait, alors que la constitution d'une rente viagère n'est pas valable si le montant des arrérages est inférieur ou égal aux revenus du bien aliéné la vente étant alors dépourvue de tout aléa, la cour d'appel qui n'avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations avait violé les textes sus visés.
Parallèlement, sur la plainte pénale de M . [D], le tribunal correctionnel de Valence par un jugement du 25 octobre 2012 a déclaré M. et Mme [M] coupables d'abus de faiblesse et de recel d'abus de faiblesse sur la personne de [J] [Z] et les a condamnés à payer à M. [D]':
- 27'910, 51 € au titre des chèques encaissés,
- 10 400 € au titre des retraits effectués au moyen de la carte bancaire de la victime,
- 5'000'€ au titre du préjudice moral,
- 70'000'€ au titre de «'la sous évaluation dudit immeuble'»,
- 5'185'€ au titre du non paiement de la rente due au titre de la vente du premier immeuble,
- 10'000'€ au titre de la perte de chance liée à l'incapacité de louer «'ledit immeuble'» à compter du décès.
Par arrêt du 17 décembre 2013 la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Grenoble a confirmé les dispositions pénales et civiles du jugement, et rejeté la demande nouvelle de M. [D] partie civile non appelant, au titre de la perte de chance de louer l'immeuble situé au «'[Adresse 1]'» en ce que la conclusion de la vente de cet immeuble n'a pas été retenue au titre des éléments constitutifs de l'infraction.
M. et Mme [M] ont saisi la cour d'appel de Lyon par déclaration du 11 février 2015.
Ils demandent à la cour':
- de réformer le jugement querellé en toutes ses dispositions ;
- de rejeter l'intégralité des demandes de M. [D] ;
- de condamner M. [D] à leur verser la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des entiers dépens de l'instance.
Ils soutiennent :
- que les demandes de M. [D] sont irrecevables
au titre l'autorité de la chose jugée, au regard des décisions pénales intervenues,
- que dans le cadre des intérêts civils lors de l'action pénale , il appartenait à M. [D] de formuler à cette occasion toutes les demandes subsidiaires qu'il estimait opportunes, notamment la nullité pour défaut de cause ou une rescision pour lésion, ce qu'il n'a pas fait,
- qu'il ne saurait le solliciter dans un nouvelle action, sans obtenir une double indemnisation,
- que la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Grenoble a confirmé que la valeur de l'immeuble était de 190'000'€ ( 120'000'+ 70'000'€ ) ,
- que c'est à tort que le tribunal a retenu l'évaluation de l'expert, alors que le rez de chaussée n'était pas aménagé en local professionnel au jour de la vente, de sorte que seuls 115,20 m2 devaient être pris en compte, correspondant à une valeur locative de 576 €
- que les importants travaux qu'ils ont réalisés après le décès de [J] [Z] n'ont pas été suffisamment pris en compte, de même que les nuisances résultant du passage de plus d'une centaine de trains par jour à moins de 20 m,
- que le premier juge a omis de prendre en compte les charges réelles qu'ils ont supportées, qui s'élèvent à 354,04 €, ( taxe foncière, EDF GDF , eau, et remplacement de la chaudière 28 428 € /16 mois),
- que la comparaison entre le montant des obligations mises à leur charge et l'intérêt que procurerait le capital que représente la propriété grevée du droit d'habitation, si on le plaçait, démontre l'existence d'un aléa, puisque les charges assumées sont de 610 +354 = 964,04 €, bien supérieur aux revenus du bien estimé à 713,83 € ,
- qu'à compter du 1er septembre 2004, Mme [M] est venue dormir dans le bien vendu,
- qu'il convient de minorer tant la valeur locative de l'immeuble que les charges supportées,
- que si l'on retient un minoration d'un tiers, alors l'aléa existe également dans cette hypothèse (valeur locative de 716 € / charge de 475 € ),
- que la vente consentie avec réserve d'un droit d'usage et d'habitation est aléatoire et n'est pas rescindable pour lésion.
M. [E] [D] demande à la cour :
- de confirmer en tous points le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Valence,
au surplus,
- de condamner M. et Mme [M] à lui verser la somme de 86'607,05 € au titre de la perte de loyer de juillet 2010, à septembre 2015,
- de condamner M. et Mme [M] à lui verser 5'000'€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de les condamner aux dépens dont distraction au profit de la Scp Tudela,
- Subsidiairement, avant-dire droit de commettre un collège de trois experts en application de l'article 1678 du code civil avec pour mission de rendre un avis sur la valeur de l'immeuble.
Il soutient principalement :
- que l'absence d'aléa prive le contrat de rente viagère de cause et le rend nul,
- que c'est le cas lorsque le prix est trop faible eu égard à l'espérance de vie de la crédirentière,
- qu'ayant occupés le bien immédiatement, le caractère aléatoire fait défaut.
MOTIFS
Sur l'autorité de la chose jugée par l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble
La juridiction pénale n'a pas statué sur la nullité de la vente.
Cette demande est donc recevable.
Par arrêt du 17 décembre 2013, la cour d'appel de Grenoble, confirmant le jugement du tribunal correctionnel de Valence, a alloué à M. [D] une somme de 10'000 euros au titre de la «perte de chance de louer 'ledit immeuble' à compter du décès», qui ne peut correspondre qu'à l'immeuble objet du présent litige, au [Adresse 2], puisque la validité de la vente du premier immeuble n'était pas contestée.
M. [D] demande à la cour la confirmation du jugement du tribunal de grande instance de Valence lequel a condamné les époux [M] à lui payer une somme de 713,83 euros par mois à compter du décès de [J] [Z] jusqu'à juillet 2010.
M. [E] [D] sollicite devant la cour une somme complémentaire correspondant aux loyers perdus à compter de juillet 2010.
Ayant été indemnisé pour une perte de chance de louer le bien, à hauteur d'une somme forfaitaire de 10'000'euros, pour une période allant jusqu'à la date de l'arrêt pénal de la cour d'appel de Grenoble, M. [D] n'est pas recevable devant la présente juridiction à solliciter le montant des loyers perdus correspondant à la même période.
Ainsi, la demande au titre de la perte des loyers est irrecevable pour la période allant de juillet 2010 au 17 décembre 2013.
Sur la demande d'annulation de la vente
La constitution d'une rente viagère n'est pas valable si le montant des arrérages est inférieur ou égal aux revenus du bien aliéné, la vente étant alors dépourvue de tout aléa.
En l'espèce, les revenus du bien aliéné ont été justement évalués par l'expert judiciaire à la somme de 713 euros par mois, et la charge supportée par les acquéreurs est de 770 euros par mois, soit une différence en faveur de la crédit-rentière de 57 euros par mois.
Cependant, l'occupation du bien vendu par les acquéreurs dès le 1er aout 2004, en vertu de la contre-lettre du 6 juin 2004, a constitué un avantage financier bien supérieur à la somme de 57 euros par mois, lequel avantage doit venir en déduction de la charge supportée par eux.
Dès lors, le montant des arrérages et des charges incombant aux époux [M] étant inférieurs aux revenus du bien aliéné, la vente était dépourvue d'aléa.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente et dit que le jugement vaudra titre.
Sur la demande pour perte de revenus locatifs jusqu'à septembre 2015
Cette demande, qui correspond à une indemnité d'occupation, est bien fondée à compter du 17 décembre 2013, à hauteur de la valeur locative du bien, soit jusqu'au 17 septembre 2015'': 713 euros X 21 mois = 14'973 euros.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
la cour,
- Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
- Condamne solidairement M. [W] [M] et Mme [I] [M] à payer à M. [E] [D] la somme de 14'973'euros au titre du préjudice locatif du 17 décembre 2013 au 17 septembre 2015, outre la somme de 3'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne solidairement M. [W] [M] et Mme [I] [M] aux dépens d'appel avec distraction au profit de Me tudela avocat, sur son affirmation de droit.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT