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08/03/2016 | FRANCE | N°14/02095

France | France, Cour d'appel de Lyon, 1ère chambre civile b, 08 mars 2016, 14/02095


R.G : 14/02095









Décision du

Tribunal de Grande Instance de VALENCE

Au fond

du 05 septembre 2006



RG : 2004/03162

ch n°1





SCI T2G



C/



S.A.S. LAFAY SIGNALETIQUE





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE LYON



1ère chambre civile B



ARRET DU 08 Mars 2016







APPELANTE :



SCI T2G

[Adresse 1]

[Localité 1]>


Représentée par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

Assistée de la SELARL CDMF AVOCATS, avocats au barreau de GRENOBLE







INTIMEE :



S.A.S. LAFAY SIGNALETIQUE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social si...

R.G : 14/02095

Décision du

Tribunal de Grande Instance de VALENCE

Au fond

du 05 septembre 2006

RG : 2004/03162

ch n°1

SCI T2G

C/

S.A.S. LAFAY SIGNALETIQUE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE LYON

1ère chambre civile B

ARRET DU 08 Mars 2016

APPELANTE :

SCI T2G

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par la SCP TUDELA ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON

Assistée de la SELARL CDMF AVOCATS, avocats au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

S.A.S. LAFAY SIGNALETIQUE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentée par la SCP JACQUES AGUIRAUD ET PHILIPPE NOUVELLET, avocat au barreau de LYON

Assistée par Me Anne TESTON, avocat au barreau de LYON

Date de clôture de l'instruction : 24 Septembre 2015

Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Février 2016

Date de mise à disposition : 08 Mars 2016

Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :

- Jean-Jacques BAIZET, président

- Marie-Pierre GUIGUE, conseiller

- Michel FICAGNA, conseiller

assistés pendant les débats de Emanuela MAUREL, greffier

A l'audience, Jean-Jacques BAIZET a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Emanuela MAUREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DE L'AFFAIRE

La société T2G est propriétaire, à [Localité 2], d'un fonds voisin de celui appartenant à la société Lafay.

Par acte notarié du 28 juin 1989, un droit de passage "tous usages" a été institué au profit du fonds appartenant à la société T2G pour lui permettre d'accéder à son fonds, à la charge du fonds appartenant à la société Lafay, ce à titre de servitude réelle et perpétuelle.

Au moment de la constitution de la servitude, un commerce de fleurs était exploité sur le fond dominant. Le locataire de ce fonds y exerce désormais une activité de production de béton.

Se plaignant d'une aggravation des conditions d'exercice de la servitude, la société Lafay a assigné la société T2G aux fins de voir imposer des limites à la circulation des véhicules sur le passage et d'obtenir une indemnisation.

Par jugement du 5 septembre 2006, le tribunal de grande instance de Valence a condamné la société T2G à payer à la société Lafay la somme de 20 000 euros à tire de participation aux travaux d'assainissement de la voirie et de reprise en chaussée lourde de la parcelle, objet de la servitude conventionnelle de passage, et rejeté le surplus des demandes.

La cour d'appel de Grenoble, après avoir ordonné une expertise, a par arrêt du 23 avril 2012, infirmé le jugement, dit que la société T2G est responsable d'une aggravation de la servitude, fait interdiction à celle-ci de procéder à des entrées et des sorties groupées de camions et de camions toupies, et de charger les remorques qui ne sont pas adaptées au transport de matériaux, enjoint à la société T2G, sous astreinte, de prendre toutes mesures pour éviter la formation de flaque boueuse à la sortie de la propriété de la société T2G et pour permettre le bon écoulement des eaux de pluie, et installer un dispositif adapté de nettoyage des roues des camions et procéder systématiquement au nettoyage des roues de tous camions sortant de sa propriété, condamné la société T2G à payer à la société Lafay la somme de 9 409.74 euros au titre de la dégradation de l'assiette de la servitude et la somme de 5200 euros hors taxe au titre de l'entretien annuel de la servitude et donné acte à la société T2G qu'elle s'engage à procéder aux travaux emportant création d'un accès sur la route départementale 1532.

Par arrêt du 30 octobre 2013, la Cour de Cassation, Troisième Chambre Civile, a cassé et annulé l'arrêt dans toutes ses dicpositions, et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Lyon.

Après saisine de la cour de renvoi, la société T2G conclut à la réformation du jugement et demande à la cour de débouter la société Lafay de l'intégralité de ses demandes.

Elle rappelle que tout le secteur se trouve enserré au sein d'une vaste zone dédiée à des activités d'exploitations de carrière totalement étrangère à l'activité de sa locataire, la société Gential et Fils qui exploite une centrale à béton génératrice d'aucune émission de poussière.

Elles soutient que, comme l'a retenu le premier juge, la société Gential et Fils use du droit de passage conformément au titre l'établissant qui prévoit un droit de passage tous usages, que les propriétaires du fonds dominant ont toujours exploité une activité commerciale ou de services, et qu'il ne peut être tiré argument de ce que la voie n'aurait pas été conçue pour recevoir le passage de véhicules de fort tonnage, alors que, comme l'a relevé l'expert, c'est au stade de la conception de la voie que celle-ci a été défaillante.

Elle considère que le premier juge a statué ultra petita, puisqu'il n'avait pas été saisi d'une demande sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, et qu'il n'est démontré aucun trouble de cette nature.

Elle conteste les différentes demandes indemnitaires, non justifiées et nouvelles pour certaines.

Elle fait valoir que si sa locataire, pour ne plus être en butte au harcèlement systématique de ses clients et de ses employés, a crée un nouvel accès directement sur la route départementale, elle n'a pas renoncé au bénéfice de la servitude conventionnelle, et que celle-ci n'a pas disparu du fait de la disparition de l'état d'enclave, puisqu'elle n'était pas fondée sur cet état, et qu'elle conserve son utilité.

La société Lafay et M.[K], mandataire judiciaire de cette société placée sous sauvegarde, concluent à la réformation du jugement et sollicitent la condamnation de la société T2G à leur payer :

1/ au titre de l'aggravation de la servitude de passage :

- la somme de 5 200 euros par an pour assurer l'entretien périodique de la chaussée et les autres travaux annexes de 2003 à 2012, soit 46 800 euros,

- 70 998,38 euros à parfaire représentant 4/5éme du coût des travaux

nécessaires pour la réfaction de la chaussée,

- 2 009,28 euros à parfaire représentant les frais exposés pour la mise

en place provisoire d'une alimentation électrique aérienne,

- 20 000 euros au titre du préjudice commercial induit par le dysfonctionnement des deux panneaux lumineux exposant le savoir faire de la société Lafay, situés à l'entrée du site, causé par un court-circuit électrique dû à un affaissement dans la zone de câblage enterré situé à l'emplacement de l'exercice de la servitude,

- 20 000 euros correspondant au coût des travaux nécessaires pour remédier aux dysfonctionnement affectant l'alimentation électrique

2/ au titre du trouble anormal de voisinage généré par la poussière causée par le passage de camions de 2004 à 2012 :

- 28 027,45 euros correspondant au coût des travaux d'installation d'un système de climatisation dans les bureaux de la société Lafay,

- 80 000 euros à titre de dommages et intérêts

A titre subsidiaire, ils demandent l'indemnisation de l'ensemble des préjudices sur le fondement du trouble anormal de voisinage, et sollicitent une expertise si la cour n'est pas suffisamment informée.

Ils demandent à la cour de constater l'extinction de la servitude de passage et d'enjoindre à la société T2G, pour le cas où la servitude viendraient à être réutilisée, et ce sous astreinte :

- d'éviter les entrées et les sortis groupées de camions et de camions-toupies

- d'éviter de charger les remorques non adaptées au transport de matériaux

- de prendre toutes les mesures utiles et nécessaires pour éviterla formation de la flaque boueuse à la sortie de la propriété de la SCI T2G et pour permettre le bon écoulement des eaux de pluie

- d'interdire l'accès au droit de passage aux véhicules lourds

Ils précisent que si la société T2G a obtenu un accès direct sur la voie publique le 31 juillet 2012, la société Lafay a subi, jusqu'à cette date, un préjudice dont elle doit obtenir réparation et que les conditions d'exercice de son activité par la société Gential à proximité de ses locaux génèrent un trouble anormal de voisinage qui perdure.

Ils soutiennent que les conditions d'utilisation du droit de passage ne sont pas entrées dans le champ contractuel des parties lors de son octroi et qu'elles se sont trouvées profondément aggravées à son détriment, notamment par la circulation continue de véhicules lourds pour les besoins d'une centrale à béton. Ils considèrent que la formule "droit de passage tous usages" vise la possibilité d'user de tous les modes de passage en considération de l'activité susceptible d'être exercée par le bénéficiaire de la servitude au moment de son octroi, c'est à dire un usage normal, alors que l'usage qui en a été fait par la société Gential est exorbitant, qu'il entraine une détérioration importante du fonds de la société Lafay, préjudiciable à son activité, et que la voie aménagée devant ses locaux n'est pas adaptée au passage d'engins de fort tonnage, que la servitude n'a, à l'évidence, pas été instaurée pour permettre une circulation continue de véhicules lourds ni pour l'exercice d'une activité génératrice de désordres, tels que boue, laitance de béton, poussière, dépôt de déchets.

Ils estiment par ailleurs que leur demande fondée sur les troubles anormaux de voisinage n'est pas nouvelle et qu'elle est bien fondée, que l'activité de la centrale à béton génère d'importantes poussières qui pénètrent dans ses locaux et qui gênent son activité, et qui provoquent d'importantes nuisances : encombrement de la voie, salissures, usure de l'enrobé, création d'ornières, bruits, vibrations.

Ils soutiennent que la servitude conventionnelle de passage, instituée en raison de l'état d'enclave, est éteinte en raison de la disparition de l'enclave.

MOTIFS

Attendu qu'en application de l'article 702 du code civil, le propriétaire du fonds dominant ne peut user de la servitude que suivant son titre et doit s'abstenir d'opérer un changement qui aggrave la servitude ;

Attendu que l'acte notarié du 28 juin 1989 a constitué un droit de passage "tous usages" au profit du fonds appartenant à la société T2G pour lui permettre d'accéder à son fonds, à la charge du fonds appartenant à la société Lafay, ce à titre de servitude réelle et perpétuelle ; que les fonds servant et dominant sont classés dans une zone ayant vocation à accueillir des activités commerciales et industrielles, cette situation ayant préexisté à la constitution de la servitude ; que même si, à l'époque à laquelle a été constituée la servitude conventionnelle, était exploitée, sur le fonds dominant, une activité de négoce de fleurs artificielles nécessitant la circulation de quelques véhicules légers par jour, l'acte constitutif de la servitude a une portée générale et ne comporte aucune restriction d'utilisation, hormis l'interdiction du stationnement de véhicules sur l'assiette du passage ; qu'il ne limite ni l'usage, ni les modalités d'exercice de la servitude ; que dés lors, le passage de véhicules lourds pour les besoins de l'exploitation de la centrale à béton désormais implantée sur le fond de la société T2G ne constitue pas une aggravation de la servitude, dés lors que le propriétaire du fonds dominant ne dépasse pas les limites de son titre prévoyant un droit de passage " tous usages" ;

Attendu qu'en application de l'article 563 du code de procédure civile, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux pour justifier les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge ; que si la société Lafay n'avait pas invoqué, au soutien de ses demandes devant le tribunal, le fondement des troubles anormaux de voisinage, elle est recevable à se prévaloir de ce moyen à hauteur d'appel ;

Attendu qu'il résulte des procès-verbaux de constat et photographies produits aux débats que le bâtiment exploité par la société Gential, locataire de la société T2G, abrite une centrale à béton, et non une activité de concassage, que l'activité de production de béton est exercée au sein d'un bâtiment couvert, que le gravier et le sable stockés à l'extérieur sont livrés mouillés par les fournisseurs et que les matériaux sont traités à l'intérieur du bâtiment; que l'expert judiciaire estime que l'empoussièrement du site est causé majoritairement par l'activité de concassage exploitée par une autre entreprise voisine de la société Gential ; qu'il n'est pas demontré que l'activité elle-même d'exploitation de la centrale à béton génère des troubles anormaux de voisinage ;

Attendu par contre qu'il résulte des procès-verbaux de constat, du rapport d'expertise et de photographies que le passage de camions de fort tonnage et de camions toupies génèrent d'importantes nuisances, notamment l'encombrement de la voie dû au départ groupé de camions toupies, des salissures dues aux remorques utilisées par les clients de la société Gential, non adaptées au transport du béton, des graviers et du sable, l'usure de l'enrobé et la création d'ornières, la mise en mouvement de la poussière par le passage des camions, des bruits et vibrations à quelques mètres de la façade du bâtiment de la société Lafay généré par le passage des poids lourds, la présence de résidus d'agrégats servant à la fabrication du béton, et la présence de laitance de béton ; que des lors, les conditions d'utilisation du passage qui incluent de nombreuses nuisances quotidiennes créent un trouble anormal de voisinage au préjudice de la société Lafay ;

Attendu que si la locataire de la société T2G a obtenu l'autorisation de créer un nouvel accès directement sur la route départementale, cette situation nouvelle n'a pas entrainé la disparition de la servitude conventionnelle ; que la société T2G n'a pas renoncé au bénéfice de cette servitude ; que l'acte du 28 juin 1989 ne fait pas référence à la situation d'enclave ; que l'autorisation de voirie concédée pour la création d'un accès sur le domaine public présente un caractère précaire et révocable ; qu'il n'y a pas lieu de constater l'extinction de la servitude de passage ;

Attendu que la servitude de passage n'est plus actuellement utilisée depuis le mois de juillet 2012 ; que la demande de la société Lafay d'enjoindre à la société T2G, sous astreinte, de faire respecter différentes modalités d'exercice du droit de passage par la série de mesures qu'elle sollicite n'est pas justifiée ;

Attendu que la société Lafay ne produit ni devis ni facture de travaux d'entretien ou de réfection de chaussée ; qu'elle ne démontre pas avoir dû supporter effectivement des frais à ce titre ;

Qu'elle n'établit par aucun élément que des dysfonctionnements affectant l'alimentation électrique proviennent des conditions d'utilisation de la servitude de passage qu'elle ne produit sur ce point qu'un devis pour la pose d'une cablette pour suspendre un câble pour le raccordement du câble sur un totem et sur l'alimentation de l'enseigne ; que ce document ne comporte aucune indication sur l'origine ou la justification des travaux évoqués; que les demandes en paiement de sommes de 2009,28 euros pour la mise en place provisoire d'une alimentation électrique aérienne, de 20 000 euros au titre du préjudice commercial induit par le dysfonctionnement de deux panneaux publicitaires lumineux et de 20 000 euros correspondant au coût des travaux nécessaires pour remédier aux dysfonctionnements affectant l'alimentation électrique ne sont pas justifiées :

Attendu par contre que les nuisances évoquées précédemment ont empêché un usage normal de son bâtiment par la société Lafay jusqu'au mois de juillet 2012, et mis obstacle à une ouverture normale des fenêtres situées le long du passage ; que la ventilation des locaux a nécessité l'installation d'un système d'air conditionné pour un coût de 20 027.45 euros justifié par un devis ; que la répétition quotidienne des nuisances a généré un trouble de jouissance qui doit être réparé par une indemnité de 15 000 euros ;

Attendu que la société T2G doit supporter les dépens et une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

Réforme le jugement entrepris,

Statuant à nouveau,

Condamne la société T2G à payer à la société Lafay les sommes de 28 027.45 euros et de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Déboute la société Lafay du surplus de ses demandes,

Condamne le société T2G à payer à la société Lafay la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette la demande de la société T2G présentée sur ce fondement,

Condamne la société T2G aux dépens de première instance et d'appel, y compris ceux afférents à l'arrêt cassé, avec, pour ceux exposés devant la cour de renvoi, droit de recouvrement direct par le SCP Aguiraud-Nouvellet, avocat.

LE GREFFIERLE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Lyon
Formation : 1ère chambre civile b
Numéro d'arrêt : 14/02095
Date de la décision : 08/03/2016

Références :

Cour d'appel de Lyon 1B, arrêt n°14/02095 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-03-08;14.02095 ?
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