R.G : 14/04301
Décision du
Tribunal de Grande Instance de SAINT-ETIENNE
Au fond
du 08 avril 2014
RG : 10/03952
ch n° 1
[U]
C/
[Y]
[C]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE LYON
1ère chambre civile B
ARRET DU 15 Septembre 2015
APPELANT :
M. [W] [U]
né le [Date naissance 3] 1955 à [Localité 3] (ITALIE)
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par la SELARL BOST - AVRIL, avocat au barreau de LYON
Assisté de Me Sandrine LEONARDI, avocat au barreau de TOULON
INTIMES :
M. [S] [Y]
né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 2] ALGERIE
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représenté par Me Jean-Marc BAZY, avocat au barreau de LYON
Mme [E] [C] épouse [Y]
née le [Date naissance 2] 1975 à [Localité 4] ALGERIE
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Jean-Marc BAZY, avocat au barreau de LYON
******
Date de clôture de l'instruction : 05 Novembre 2014
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 09 Juin 2015
Date de mise à disposition : 15 Septembre 2015
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
- Jean-Jacques BAIZET, président
- Françoise CLEMENT, conseiller
- Michel FICAGNA, conseiller
assistés pendant les débats de Agnès BAYLE, greffier
A l'audience, Michel FICAGNA a fait le rapport, conformément à l'article 785 du code de procédure civile.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Jean-Jacques BAIZET, président, et par Emanuela MAUREL, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
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M. [S] [Y] et Mme [E] [C] épouse [Y], propriétaires d'une maison individuelle située [Adresse 1], ont par acte du 17 novembre 2010, assigné devant le tribunal de grande instance de Saint-Etienne M. [W] [U], propriétaire du fonds voisin en raison du risque d'effondrement d'un mur séparatif de soutènement.
Par jugement du 19 décembre 2012, le tribunal de grande instance a ordonné avant dire droit une expertise judiciaire.
Ensuite du dépôt du rapport d'expertise, M. et Mme [Y] ont demandé la condamnation de M. [U] à leur payer les sommes de 31 653,22 € correspondant au coût de la remise en état tel que chiffré par l'expert, 8 000 € au titre de leur préjudice moral provoqué par le risque d'effondrement, 5 000 € en raison de la résistance abusive, et 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [U] a demandé au tribunal de constater que le mur est un mur mitoyen et que le coût de la reconstruction incombe pour moitié à chacun.
Par jugement du 8 avril 2014, le tribunal de grande instance de Saint-Etienne a:
- condamné M. [W] [U] à verser aux époux [Y] la somme de 32.828,64 € en réparation de leur préjudice, outre celle de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- rejeté les demandes plus amples ou contraires.
- condamné M. [W] [U] aux dépens,
- condamné M. [W] [U] à payer à M. et Mme [Y] une indemnité de 2 500 € ,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Le tribunal a jugé:
- que le mur litigieux étant un mur de soutènement, il est présumé être la propriété de M. [U] dont il retient les terres,
- que de façon surabondante, même en. présence d'un mur mitoyen, les frais d'entretien ou de réparation peuvent être mis à la charge exclusive d'un copropriétaire, lorsque les réparations sont rendues nécessaires par son fait, même non fautif,
- qu'il existe un risque d'effondrement,
- que M. [U] doit être condamné à indemniser les époux [Y] de leurs préjudices sur le fondement de l'article 1384 du code civil,
- que le mur est irrécupérable et qu'il convient de procéder, à sa suppression, à l'enlèvement de la végétation implantée en bordure, suivi d'une reconstruction dans le respect des règles de l'art,
- que les époux [Y] n'ont pas été empêchés d'utiliser leur terrasse et que « le mur ne présente pas un risque de basculement à court terme»,
- que dans ces conditions, les époux [Y] n'apportent pas la preuve d'un préjudice moral.
M. [W] [U] a relevé appel de ce jugement il demande à la cour :
Vu les articles 653 et suivants du code civil,
Vu l'acte authentique de vente du 17 mars 2006,
à titre principal,
- d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions,
- de constater que le mur litigieux est mitoyen, et appartient pour moitié chacun des riverains,
- de constater que que le coût des travaux de reconstruction du mur mitoyen incombe pour moitié aux époux [Y], et qu'il s'en rapporte à justice pour la détermination du coût des travaux,
- de débouter les époux [Y] de l'ensemble de leurs demandes,
à titre subsidiaire, si le jugement devait être confirmé quant à l'absence de mitoyenneté sur le mur, et donc la propriété exclusive de M. [U],
- de l'infirmer en ce qu'il l'a condamné à verser aux époux [Y] la somme de 32.828,64 € correspondant au montant des travaux devant être réalisés,
- de dire et juger qu'il lui appartient et à lui seul de faire procéder aux travaux conformément aux prescriptions faites par l'Expert,
- de constater que les époux [Y] ne subissent aucun préjudice,
en conséquence,
- de les débouter de l'ensemble de leurs demandes,
- de condamner M. et Mme [Y] à lui verser la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de les condamner aux entiers dépens.
Il soutient:
- qu'aux termes de l'article 653 du code civil , « tout mur de séparation (...) est présumé mitoyen s'il n 'y a titre ou marque du contraire ».
- que l'acte authentique des époux [Y] du 17 mars 2006 contient en annexe les dispositions suivantes : « les clôtures sur les lignes séparatives seront établies en mitoyenneté à frais communs »,
- que les premiers juge ont renversé la charge de la preuve en exigeant de M. [U] qu'il établisse la mitoyenneté,
- qu'il appartenait tout au contraire aux époux [Y] d'établir par « titre ou marque contraire » que le mur n'est pas mitoyen,
- que l'expert confirme que le mur litigieux avait été édifié dans une perspective de clôture,
- que le mur litigieux a été construit en 1957 en même temps que l'édification de la maison appartenant actuellement aux époux [Y], soit bien antérieurement à la construction de sa maison datée de 1982,
- que le terrain a été volontairement creusé lors de la construction de la maison actuellement [Y] et le mur a été érigé à cette occasion,
- que selon un arrêt de la Cour de cassation en date du 23 avril 2013, il incombe au propriétaire du fonds inférieur de procéder à des travaux de confortement aux fins d'éviter tout risque d'effondrement du fonds supérieur,
à titre subsidiaire ,
- qu'il est insensé pour ne pas dire aberrant d'accorder aux époux [Y] des dommages et intérêts en réparation de leur préjudice alors qu'il ressort expressément du jugement lui-même qu'aucun préjudice n'a été subi par les époux [Y], puisque le juge a retenu que « les époux [Y] n'apportent pas la preuve d'un préjudice moral » et au vu de l'absence de risque d'effondrement imminent ni même à court terme,
- qu'il n'est pas permis d'allouer une somme d'agent aux époux [Y] pour effectuer des travaux sur leurs propriété car c'est à son propriétaire que doit revenir le soin de diligenter les travaux, de choisir l'entrepreneur auquel il souhaite confier la mission, et de s'assurer du bon déroulement des travaux ainsi que de leur bonne réception.
M. et Mme [Y] demandent à la cour :
Vu les articles 1384 et 544 du code civil ,
- de confirmer le jugement entrepris,
- de condamner M. [W] [U] à verser aux époux [Y] la somme de 32 828,64 € en réparation de leur préjudice, outre intérêts de droit à compter de l'assignation,
- de confirmer la décision de première instance en ce qu'elle a condamné M. [U] à leur payer la somme de 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- de faire droit à leur appel incident et condamner M. [W] [U] à leur payer la somme de 8 000 € en réparation de leur préjudice de jouissance,
- de condamner M. [W] [U] à leur payer la somme de 2 500 € au titre de leurs frais irrépétibles devant la cour ainsi qu'aux dépens, tant de première instance que d'appel.
Ils soutiennent :
- qu'il est manifeste que M. [U] est responsable de la situation et de ses auteurs,
- qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris, rendu sur le fondement des articles 1384 et 544 du code civil,
- que la situation constitue un manifeste trouble de voisinage aggravé par la faute de M. [U] responsable de ses auteurs et de ses absentions d'entretien,
- qu'il est manifeste que la famille [Y] ne peut jouir de sa terrasse depuis 2009, compte tenu des risques avérés.
MOTIFS
Liminairement sur les dommages et intérêts alloués aux époux [Y] par le jugement
Le jugement a considéré que le mur litigieux était la propriété de M. [U].
Dans cette hypothèse, M. et Mme [Y] ne pourront en aucun cas faire procéder à la démolition de ce mur qui ne leur appartient pas, ni reconstruire un nouveau mur situé sur la propriété de leur voisin.
Dès lors, le jugement ne pouvait allouer à M. et Mme [Y], à titre d'indemnisation de leur préjudice, le coût de la reconstruction du mur litigieux.
Ainsi, le jugement sera réformé.
Sur la mitoyenneté du mur
1 - sur l'existence d'un titre :
La parcelle des époux [Y] constitue le lot 7 d'un lotissement autorisé en 1956.
Le cahier des charges du lotissement annexé à l'acte d'acquisition, mentionne que les clôtures seront mitoyennes.
Cependant, M. [U] ne justifie pas que sa parcelle constitue l'un des lots de ce lotissement.
En conséquence, le titre invoqué qui n'engage que les colotis entre eux, ne permet pas d'affirmer la mitoyenneté du mur.
2 - sur l'application de l'article 653 du code civil :
Aux termes de l'article 653 du code civil :
«Dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu'à l'héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen s'il n'y a titre ou marque du contraire. (...)
En l'espèce, le mur séparatif est constitué d'éléments préfabriqués comportant des poteaux en béton scellés dans le sol, d'une hauteur de 1m10, maintenant deux rangées superposées de plaques en béton, d'une hauteur totale de 92 cm.
Du côté de M. et Mme [Y], le niveau du sol est au niveau des massifs de scellements des poteaux, alors que du côté de M. [U], le niveau du sol est à 80 cm d'altitude par rapport ce niveau.
Cette clôture ne comporte aucune marque visible de non mitoyenneté.
Les circonstances de l'édification de ce mur sont inconnues. Cependant, il est admis que ce mur est contemporain de la construction de la maison des époux [Y] en 1957 , alors que la maison de M. [U] a été construite en 1982.
L'expert a indiqué aux termes de son rapport :
« Il est important de rappeler que la clôture mitoyenne initiale n'assurant aucun rôle de soutènement s'est transformée au cours du temps en mur de soutènement du fait du manque d'entretien des propriétaires successifs côté fonds dominant appartenant actuellement à M.[U] »
Il résulte de ces constatations expertales non contestées par les parties, que le mur a été édifié en limite de propriété pour constituer une clôture .
Il a donc acquis dès son édification, en l'absence de marque de non mitoyenneté, la qualité de mur mitoyen.
Cette mitoyenneté ne s'est pas dissipée au fil des années du simple fait d'un défaut d'entretien de la part de l'un des propriétaires riverains, aucune moyen juridique n'étant invoqué à cet égard.
En conséquence, il convient de constater que le mur est mitoyen faute pour les époux [Y] d'en rapporter la preuve contraire.
Sur la charge de la réparation ou reconstruction du mur mitoyen
Aux termes de l'article 655 du code civil :
«La réparation et la reconstruction du mur mitoyen sont à la charge de tous ceux qui y ont droit, et proportionnellement au droit de chacun.»
Aux termes de son rapport l'expert indique également :
«Il convient de préciser que la maison actuellement [Y] étant plus ancienne que la maison actuellement [U], on peut envisager que le terrain a été décaissé sur le fonds aval avec mise en place d'un simple mur de clôture en limite amont, en lieu et place d'un réel ouvrage de soutènement.»
Par ailleurs l'expert a considéré que :
«Compte tenu de la position à flanc de coteau, le niveau des terres a naturellement eu tendance à remonter contre la face amont du mur au cours des années du fait des mouvements gravitaires mais aussi du fait de l'accumulation de végétaux morts se transformant peu à peu en humus.»
Il a conclu de la manière suivante :
«Le cumul des trois paramètres :
- vétusté liée à l'âge pour ce type de mur en élément préfabriqués,
- mauvaises conditions d'exploitation du fait du rôle de soutènement au'il remplit en lieu et place d'un ouvrage correctement dimensionné,
- défaut d'entretien lié à l'accumulation progressive de matériaux contre la face amont et à la végétation qui a poussé sans contrôle contre le mur,
explique que ce mur soit en «fin de vie» à ce jour.»
Il résulte de ces éléments que la dégradation du mur a pour origine aussi bien un défaut d'entretien de la part des propriétaires successifs de la parcelle de M. [U], qu'un défaut de conception initiale du mur, dont la responsabilité incombe aux auteurs des époux [Y] lesquels ayant crée le talus après « décaissement» de leur parcelle en vue de l'implantation de leur maison d'habitation, n'ont pas fait réaliser un mur de soutènement pourtant indispensable au vu de la tendance naturelle et inéluctable des couches supérieures d'un sol en pente à glisser par l'effet de la gravitation et de l'érosion.
Il sera également relevé que la situation des lieux à l'époque de l'édification de la clôture n'est pas connue et notamment l'existence ou non d'un écart entre la cloture et le talus, qui se serait comblé «du fait des mouvements gravitaires et de l'accumulation de végétaux morts», afin d'apprécier le degré de défaut d'entretien.
Enfin l'expert reconnaît que la présence de la végétation si elle a pu engendrer des désordres sur le mur, a «paradoxalement» assuré également le maintien du talus et de la clôture, ce qui a profité au fond inférieur.
En conséquence, la dégradation du mur ne peut être imputée aux seuls propriétaires successifs du fonds supérieur ( M. [U]) , alors que cette dégradation a également pour cause un défaut de conception du mur au vu du terrassement du fonds inférieur opéré par les propriétaires auxquels il incombait d'assurer la stabilité du talus qu'ils avaient ainsi crée, par un ouvrage de soutènement adapté.
Dès lors, la charge de la reconstruction du mur doit être supportée par les deux riverains.
Sur les modalités de réfection du mur de soutènement
M. [U] indique qu'il n'a jamais été opposé à prendre en charge la moitié du coût de la reconstruction de ce mur et s'en rapporte sur les modalités.
Le mur devra être reconstruit selon les modalités arrêtées de concert par les deux propriétaires mitoyens, et à défaut d'accord amiable, selon les préconisations de l'expert, sous réserve de celles qui devront être faites par le ou les bureaux d'études spécialisés compétents en la matière.
Sur les demandes accessoires
M et Mme [Y] se sont opposés à la réfection à frais partagés du mur dont ils ont à tort contesté la mitoyenneté .
Leurs demandes de dommages et intérêts seront rejetées.
Sur l'article 700 du code de procédure civile
Il convient de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
la cour,
infirmant le jugement déféré et statuant de nouveau,
- Constate que le mur en éléments de béton préfabriqués, édifié en limite séparative des fonds appartenant à M. et Mme [Y] d'une part et M. [U] d'autre part est mitoyen,
- Dit que le coût des travaux de démolition et reconstruction du mur incombe pour moitié à M. et Mme [Y] et pour moitié à M. [U],
- Dit que les travaux seront réalisés à défaut de meilleur accord des parties selon les préconisations de l'expert qui devront être préalablement validées par tout bureau d'étude compétent pour ce type de travaux,
- Déboute M. et Mme [Y] de l'ensemble de leurs demandes,
à titre subsidiaire,
- Condamne M [S] [Y] et Mme [E] [C] épouse [Y] à verser à M. [W] [U] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamne M. et Mme [Y] aux entiers dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT